Research studies

Fin de partie de Samuel Beckett : Sens de l’œuvre

 

Prepared by the researcher :  Mourad Saket

Democratic Arabic Center

Journal of cultural linguistic and artistic studies : Twenty-ninth Issue – September 2023

A Periodical International Journal published by the “Democratic Arab Center” Germany – Berlin

Nationales ISSN-Zentrum für Deutschland
 ISSN  2625-8943

Journal of cultural linguistic and artistic studies

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Résume 

Fin de partie explore l’expérience existentielle humaine d’une manière unique et puissante. la pièce met en scène quatre personnages vivant dans une décharge qui sont confrontés à des dilemmes spirituels et existentiels tels que la mort, le nécessité d’un but dans vie et le culpabilité chaque personnage réagit différemment à ces questions et les spectateur peuvent tirer leurs propres conclusions sur la signification de cette pièce.

Abstract

The last part explores the existential human experience in a unique and powerful way. The play introduces four characters on stage living in dump and facing spirtual an existential delemmes like death and the need to have a good in life and guilt.  Every one of them reacts differently to these questions and the spectators can draw their own conclusion about th meaning of the play.

Introduction

Etiquetés sous le dénominateur commun de  théâtre d’avant-garde  propice à tous les malentendus, ou celui de « théâtre de l’absurde »,

En attendant Godo, la dernière bande et fin de partie  furent montés, exportés, contestés, portés aux nues, compris ou hais, mais dans l’élaboration d’un style scénique nouveau se retrouvent solidairement engagés.

Ces pièces ont été jouées et rejouées des centaines de fois et donc servirent, et servent encore de levain, de référence, de point de repère a tous ce qui vit aujourd’hui dans la création théâtrale.

Mais notre analyse va se limiter sur fin de partie qui a fait de son auteur un mythe  littéraire de 20éme  siècle et on va s’intéresser au sens de cette pièce.

I- Sens de l’œuvre :

En effet entre le lever et le coucher du soleil fantomatique, dans un espace clos, on assiste à un jeu dans un monde de sadisme, de peur, de haine, de pitié… animé par quatre personnages se prêtant à jeu tour a tour cruel, tendre, sardonique ou résigné, des silhouettes vont, viennent, se dressent, s’effondrent, s’agitent un court instant et disparaissent.

Elles agissent et parlent sans que nous comprenions vraiment leur motivations et les buts auxquels tendent ces personnages se contentent de leur position statique.

Se répétant temps après temps, changeant d’attitude brusquement sans s’apercevoir ou sentir en eux aucune évolution psychologique.

 Fin de partie  si serrée quelle soit, si contractée sur l’essentiel, si dénuée, en effet, de la moindre facilité, sans remporter le triomphe de En attendant Godo fut un grand succès.

 En attendant Godo  écrite tout d’une traite en un mois, devait sans doute a cette naissance aisée, une évidence un plaisir d’être dont on ne retrouve pas l’équivalent dans Fin de partie.

Beckett travailla prés de deux ans a cette seconde pièce (deux versions chacune en deux actes, précédèrent la version définitive qui n’en compte plus qu’un.) C’est la seule pièce de Beckett qui ne soit pas construite sur deux actes. Le rythme binaire étant par excellence de l’éternel inachèvement, de l’éternel remise en question dans ce cercle vicieux de l’humanité qu’est l’existence.

Au cours de cette acte unique, quelque chose avance, comme l’annonce Clov, d’entrée de jeu, quelque chose qui est la mort sans doute, à l’œuvre en chaque homme depuis l’instant de sa naissance, mais qui est aussi, au delà de cette mort, le passage d’un seuil, la fin d’une attente, le saut dans un autre ordre enfin affranchi des limitations militantes qui persécutent tous les héros beckettiens .limitations qu’ils subissent ou qu’ils s’imposent .

La mort à soi même, le dépouillement de vieil homme et de ses œuvres qui forment l’indispensable condition d’une accession au royaume, à travers tout l’enseignement du christ. Les héros beckettiens s’y soumettent généralement avec une sorte d’ardeur effrayante. Ils se présentent humiliés dans leur chair, dénués de tout, soumis à des  mutilations diverses: à demi pétrifiés, évidés, comme pour se rapprocher mieux du second terme de la promesse, quelque nouvelle naissance au cœur de l’essentiel. Mais le second terme de cette dialectique manque à tout jamais dans l’univers beckettiens. Il n’y a pas de rachat, la grâce est absente, la promesse non tenue. L’homme reste seul offert au néant, conscient seulement de ses souffrances indicibles et du néant qui les couronne. Et cette conscience c’est cette voix, la voix de l’écrivain, celle de Beckett. “Fini, c’est fini, ça va finir, ça va peut être finir”(Beckett, fin de partie, p13), tels sont les premiers mots de la pièce; et bien que l’érosion, l’usure des choses, des personnages, des mots ne cessent d’aller croissant, bien que l’air se raréfie à la limite de l’asphyxie jusqu’au lever du rideau, il n’y a nulle apparence que le terme final soit jamais atteint. Bien avant l’ère chrétienne, l’école d’Blée obsédée par  la notion d’infini partout présente dans la nature, témoigne déjà, à travers les paradoxes de Zenon, de cette effort héroïque et désespéré de l’homme pour dompter la réalité par une prise juste du fuyant infini. Trois générations sont en présence dans Fin de partie: les vieux, le père, le fils, calfeutrés dans un intérieur sans meubles, sous une lumière grisâtre ( il ne fait pas jour et il ne fait pas nuit) auprès desquels la route, l’arbre, la lune de Godot paraissent presque gais. Deux petites fenêtres hautes, pourvues de rideaux ont vue sur l’extérieur, à gauche sur la mer, à droite sur la terre. D’un côté comme de l’autre tout est déjà “mortibus”, comme l’annonce Clov qui procède de temps à autre par ces hublots à une vérification du désastre universel: “Regardant par mon hublot si je ne suis pas seul à errer et à virer loin de toute vie dans un espace pantin sans voix parmi les enfermés avec moi.” voix dit un poème de Beckett. Au centre de la pièce, au centre du monde et il tient à s’y trouver, Hamm, le père aveugle est important dans son fauteuil à roulettes, en proie à une lente agonie qui tâche d’une sueur de sang le mouchoir dont il se couvre le visage. A l’avant scène gauche, ses vieux parents culs de jatte: Nell et Nagg, posés sur du sable, en guise de sciure, dans deux poubelles. Debout car il ne peut s’assoir, quelque part entre le fauteuil du père et la cuisine ou il regarde sur le mur sa “lumière qui meurt”: Clov, le fils adoptif. Que l’un soit le marteau (Hamm pour hammer) et l’autre le clou (Clov pour clou), l’ironique et déchiffrable rébus de leurs noms loin d’épuiser l’ambiguité  sado-masochiste de leurs rapports et leur absolue interdépendance. Privé de Clov, Hamm paralysé mourrait. Mais Clov s’il quittait la maison, s’il cessait d’obéir au sifflet de hamm, comme il l’annonce avec plus ou moins de force à diverses reprises et comme le lui conseille la vieille Nell du fond de sa poubelle; lui aussi mourrait. Nell et Nagg soulèvent de temps à autre le couvercle de leur poubelle pour réclamer quelque pitance, pour échanger entre eux des souvenirs. La proximité de la mort et leur absolue déchéance, un au-delà de toute souffrance imaginable, créent entre eux une sorte de tendresse grise, de gentillesse désolée où s’attarde machinal et obscène, le rappel de leur intimité amoureuse. De hamm au deux vieux il n’y a que méfiance irritée, quand ce n’est pas la cruauté ou la froide colère “mon royaume pour un boueux” hurle Hamm Mais le même Hamm, à la fin de la pièce, appelle Nag par deux fois “père père!”. Et une fois encore dans son ultime monologue, tandis qu’abandonné par Clov, il se sépare des quelques objets qui restait à sa portée. Cependant chez Beckett une sorte d’indifférence fatiguée, et parfois une vieille tendresse confuse, viennent toujours ça et là distendre les hargnes les plus enracinées. “Pourquoi est ce que je t’obéis toujours ?” demande Clov et Hamm répond: “c’est peut être de la pitié! Une sorte de grande pitié!” (Beckett, fin de partie, p19), tel est Hamm, tels ils sont tous les quatre, liés deux par deux, retenus, dans “l’espace pantin” devenu onirique, par les mots qu’ils échangent encore et par l’effrayante, l’impatiente patience d’une attente. L’attente de la nuit, d’une impossible nuit, fin du temps, de quelque Godot innomé cette fois, l’attente de cette “chose” qui suit cours, qui n’a pas de nom et qu’il faut tenter de nommer A cette tâche nommer l’innommable, Hamm, tout contre le héros de l’innommable est attelé. Pour l’un comme pour l’autre le temps et l’espace sont à ce point pourrie, disloqués, éventés, qu’on ne peut plus leur appliquer aucune mesure aucun mot connus, et cependant tous deux ne disposent que des mots connus pour les signifier, ces mots qui tous confirment l’existence, en eux et autour d’eux détruite, du temps et de l’espace. A plusieurs reprises les dialogues dénoncent comiquement le réel comme une donnée truquée, insaisissable et dont on s’exaspère en vain à saisir la trace. Il y a plus encore chez Hamm: le sentiment d’une absence radicale au monde “je n’ai jamais été là, absent toujours tout s’est fait sans moi”(Beckett, fin de partie, p25). Déclaration d’irresponsabilité mais pas seulement. Cruel, cynique, Hamm l’est avec Clov, l’a été cette ancienne fois avec le père de Clov et s’en flatte non sans quelques coquetterie d’artiste! Mais ne cherche t-il pas aussi à se délivrer ainsi d’un vieux remords d’une insupportable culpabilité? “Tous ceux que j’aurai pu aider” dit-il plus loin “aider, sauver, sauver!” (Beckett, fin de partie, p25)., ils sortaient de tous les coins (un temps avec violence), “mais réfléchissez, réfléchissez, vous êtes sur terre, c’est sans remède!” (Beckett, fin de partie, p25). Tout au long de la pièce, la chose avance, suit son cours, dans une dégringolade au ralenti “ça ne va pas vite” se plaint Hamm à diverses reprises, que ponctue l’énumération des pertes petit à petit constatées: -Il n’y a plus de roues de bicyclette, plus de bouillie pour Nagg, plus de sciure pour les poubelles, plus de nouvelles, plus de nature, plus de soleil et d’ailleurs plus de nuit plus de dragées, plus de marée, plus de poids, plus de calmant et pour finir plus de cercueils.

Est ce par une dernière fringale d’espoir, justifiant le désert de Nell, que Clov, bouleversé, croit découvrir par la fenêtre à la fin de la pièce, une présence vivante? La chose est grave, tellement, que pour la première fois il ouvre la fenêtre: Il y a encore un enfant, pas loin, à moins d’une centaine de mètre, un môme occupé à rien, à regarder son nombril. Clov bien dressé, prétend aller avec la gaffe pour exterminer ce procréateur en puissance. C’est Hamm qui l’en dissuade. L’incident reste en suspens, sans autre explication, sans conclusion. Simple touche d’espoir, porte entrouverte sur un ailleurs, hors de l’enfer de vivre, de la douleur d’être… On s’en voudrait d’alourdir ce fugace instant de quelque exégèse; notons simplement sa présence poétique au plus noir de ce noir cauchemar.

1- Le comique dans fin de partie :

Le comique n’est pas absent de Fin de Partie, mais la vision concrète qu’elle propose de l’infernale dégradation de l’homme pris au piège du temps et se jouant consciemment une interminable comédie, en attendant que cela finisse, “la fin est dans le commencement”, dit Hamm, et “cependant on continue…”, cette vision acquiert sur scène une force si contraignante que le rire s’étrangle dans la gorge. Les désastres physiques dont Beckett accable ses héros ne sont pas eux mêmes tragiques, leur excès même, recèle une certaine forme d’humour. Peut-être la cécité doit-elle être mise à part, infirmité (œdipienne) dont souffrit Joyce et qui rend plus lucide ceux qu’elle frappe: Pozzo, à sa seconde apparition, Hamm, et même le vieux Krapp de “La dernière bande”, presque aveugle à force de myopie. Beckett est certes extrêmement sensible au délabrement progressif, aux pertes à leur horreur, à leur ridicule que les années infligent au corps humain, mais ces multitudes grotesques traduisent aussi et d’abord, des plaies de l’être, infiniment plus déchirantes. Et la férocité avec laquelle Beckett s’acharne sur ces personnages est à la mesure du scandale permanent et toujours à vif que constitue la condition humaine: “A tale told by an idiot, full of Sound and fury, signifing nothing”.

2-La négativité :

L’expérience existentielle de Fin de partie, s’affirme dans une démarche spirituelle rationnelle qui s’inscrit dans un processus de négativité fortement présent tout au long de l’œuvre. Pour rendre compte de cette expérience et par ailleurs de cette négativité, nous tenterons de démontrer et d’explorer l’étape de cette démarche à travers ce qu’on a appelé « de la rébellion au scepticisme ».

a- Le salaud ! Il n’existe pas ! ». Sens et contresens.

À notre plus grande surprise, cette réplique de Hamm a souvent été considérée par les critiques comme la preuve irréfutable de la négation de Dieu et pour formuler ce « cogito » : d’un Dieu absent comme le dit pourtant Richard N. Cloe

« Beckett prend (Dieu) tout aussi sérieusement que la guerre atomique (Cloe, 1962, p180) ».Il ne

faut pas reléguer cette réplique à une question grotesquement formulée : Beckett est-il athée ou croyant ? Car c’est un faux problème et la question n’est pas là. L’auteur lui-même n’a épargné aucun moyen pour exprimer son mépris et sa rage à l’égard de la religion.

Cependant, et sans trop détourner cette réplique de Hamm vers un jeu shakespearien, être ou ne pas être, et bien qu’elle prétende que Dieu est un « Salaud » et qu’il est radicalement inexistant, elle ne doit pas être prise au pied de la lettre. Sans pour autant prétendre, exclure l’aspect négatif, cette réplique se prête à notre avis à une autre explication.

XX

Notre première objection porte sur l’usage même du mot « Salaud », dans les années cinquante, période à laquelle Fin de partie a été écrite. Or, cette période très particulière dans l’Histoire du 20éme siècle, en particulier en France donne un sens à l’expression « Salaud » qui n’émet aucune connotation péjorative, du moins au sens moral du terme. N’oublions pas que les évènements historiques de cette période, qui ont radicalement changé les notions des normes conventionnelles du mot, ont établi en l’occurrence de nouvelles structures et notamment sur le plan culturel, elles ont, non seulement créé une véritable rupture avec les mœurs et les

normes bourgeoises, mais elles sont aussi répandu un nouvel état d’esprit régi par un nouvel

univers culturel anti bourgeois, dont le nouveau roman et le nouveau théâtre sont les reflets. Les

Mains sales de Jean Paul Sartre est un exemple très éloquent le Murphy de Beckett est publié la

même année que La Nausée de Sartre, en 1938.

Notre deuxième objection est d’ordre grammatical. Outre la signification que peut avoir cette phrase exclamative mise en valeur par la présence de deux points d’exclamation qui marquent la fin de la première et deuxième strophe « Le salaud! », pouvons-nous passer à côté de l’insistance flagrante de la négation même« Le    salaud ! Il n’existe pas!  (Beckett, 1965, p10) »

Cette négation accentuée ne suffit-elle pas par elle-même à donner un sens multiple à cette réplique et donc reconnaître l’existence de dieu à travers cette même inexistence présumée ? De plus, l’article « L(e) » lui-même, mis en majuscule qui précède le mot « Salaud » n’a-t-il pas pour fonction principale d’introduire « Le nom et (donc) permet de le reconnaître » ?

Si nous ajoutons maintenant à cette structure grammaticale (exclamation, articles de négation et articles définis) le ton même sur lequel Hamm prononce cette réplique, est-ce que cela ne lui donnera pas plutôt un sens emphatique qu’un sens de négation radicale ?

Troisième objection : outre ces subtilités linguistiques auxquelles Beckett n’était sans doute pas indifférent, faut-il lire cette phrase indépendamment du problème philosophique grec qui, également, n’était sans doute pas étranger à l’auteur, le problème du Non-être, évoqué par les

Sophistes pour répondre à l’argumentation de Parménide, l’Être est, le Non-être n’est pas, formulé dans sa célèbre assertion. Thèse elle-même démentie par Platon dans son dialogue intitulé Le   Sophiste et dans lequel il conclut que le Non-être c’est l’autre, formule qui semble s’appliquer et confirmer ce que nous avançons : « Le Non-être n’est pas moins être que l’être lui-même, car ce n’est pas le contraire de l’être qu’il exprime (pandolfi,1964, p96) ». Quatrième objection : remarquons que cette phrase de Hamm qui prétend donc que Dieu est inexistant est directement suivie par une très courte réplique à laquelle nous ne pouvons échapper : « pas encore    (Beckett,1965, p76) » de Clov.

Comme nous             pouvons le remarquer, le « pas encore » ôte à cette phrase le sens définitif de la négation radicale qu’elle prétend être et marque ainsi ce sens par une réserve que nous ne pouvons que prendre en considération.

Cette réserve ouvre, à coup sûr, le libre champ à la tentation de donner un contresens à cette phrase déroutante « Le salaud ! Il n’existe pas ! ». Et lire, par ailleurs, autrement les textes de Beckett. En ce sens, nous sommes amenés à considérer à l’instar de Ludovic Janvier, que Dieu pour Beckett n’a jamais cessé d’exister et n’a jamais cessé d’être supposé et posé que ce soit sous la forme « d’une existence possible   (janvier,1966,p120) » ou fictive.

Ainsi, le Dieu dont parle Hamm est lui-même le Dieu que l’Innommable a tant imploré, que Moran et Winnie ont tant prié, que Vladimir et Estragon ont tant supplié et que Krapp a tant remercié. Il est également le même que l’Innommable a accusé pour avoir taquiné la créature, par salopards interposés, c’est aussi « Jésus au doigt du con divin   (Beckett,1970,p27) », de Textes pour rien c’est aussi Abraham menacé d’un vilain geste : « Je n’aurais que le petit doigt à lever pour voler dans le sein

d’Abraham je lui dirai de se le mettre quelque part (Beckett,1971,p17) », de Comment c’est, et c’est  aussi le créateur lui-même emmerdé par Mercier et Camier.

L’insulte de Hamm n’est du coup qu’une forme moins dérisoire que celle de Watt mais plus accentuée et plus révoltée qui s’ajoute au processus de la négativité. Cette insulte ne doit être lue, indépendamment de cet état d’esprit de négativité dans lequel tout moyen est bon, y compris celui de l’attente, l’espoir et la rébellion, et quelle que soit la forme dérisoire ou révoltante qu’il prenne. Une voie qui, comme le dit Ludovic Janvier, mène à ce même Dieu : « Le théologien le moins subtil boit le petit lait du blasphème : injurer Dieu, c’est le démontrer. Le tourner en dérision, c’est en faire la preuve  (janvier,1966,p74)».

Cependant, il ne faut pas chanter gloire. Car le pas encore  de Clov pose aussi une grande problématique. S’il clarifie un sens, il en assombrit un autre. Que nous  prenions la phrase de Hamm au pied de la lettre ou que nous lui donnions un sens  contraire, la réserve de Clov y reste toujours, si nous lui donnons un sens positif, comme nous avons tenté de le faire. Si Clov   ne nous dit   Pas encore, cela voudra dire que nous sommes dans l’obligation de garder quand même une réserve. Et, si nous gardons la phrase dans son sens négatif, telle qu’elle est présentée et telle qu’elle a toujours été interprétée,  Pas encore, voudra dire que la réserve demeure.

Dans les deux interprétations, notre jugement sera donc confronté à Pas encore et à la présence permanente d’une réserve. La question qui se pose c’est où alors se situe le Dieu de Samuel Beckett, autrement dit quelle est la nature de cette présence ou de cette absence-présence ?

Il est difficile de répondre. La seule réponse que nous trouvons, c’est qu’il se situe dans cet élément très cher à l’auteur qui est l’ambiguïté qu’il s’efforce toujours d’installer dans la forme et dans le fond des ses œuvres. Il se situe dans le vide absolu et significatif et dans la lumière grisâtre de la fermeture/ouverture (et inversement) silencieuse et ténébreuse de chaque œuvre. Est-ce que cette ambigüité, ce silence, où s’émeut toute une expérience de vie avec tout le manque, tous les espoirs et toute l’attente, est une nouvelle/ancienne façon de l’auteur de se dérober et ne pas répondre à quoi que ce soit ? Et, est-ce que cette « lumière grisâtre  (Beckett,1965,p14) », ce « Gris (Beckett,1965,p14)» agaçant de Clov où il ne fait jamais nuit et il ne fait jamais jour, est une manière de demeurer sceptique ?

Encore une fois, il est difficile de trouver une réponse. Tout ce que nous pouvons faire, c’est remarquer que Beckett se retire toujours « hors de toute idole (Beckett,1965,p14)  », son Dieu ne figure pas non plus dans ce qu’il est convenu d’appeler « Le Dieu des philosophes  (Beckett,1965,p14)   ».

Il existe toujours chez lui une indépendance et une réserve « par rapport à tel ou tel résultat chiffré, telle ou telle mesure, telle ou telle théorie ou hypothèse  (Beckett,1965,p14)». Beckett échappe au théisme, qui professe l’existence d’un Dieu créateur et transcendant que l’on vise quand sont évoqués les trois arguments classiques de son existence (argument cosmologique, théologique et ontologique).Il échappe également à l’athéisme qui nie toute forme de divinité, comme il échappe à l’agnosticisme qui, en confessant son ignorance, n’affirme rien. De la même façon, il échappe à l’athéisme aussi bien traditionnel, qui se veut scientifique et qui refuse toutes les preuves, que contemporain, accentué en particulier par Nietzsche et répandu par Sartre qui : « prétend expulser Dieu non comme une conjecture invraisemblable mais comme le rival scandaleux de la liberté humaine(Beckett,1965,p14)  ».Il ne s’aligne pas non plus sur le Marxisme qui considère que la religion est l’opium des peuples et qui se considère comme « l’héritier d’une tradition rationaliste qui mène combat contre la religion depuis environ trois siècles(Beckett,1965,p14)  ».

D’ailleurs, Beckett a souvent été combattu par les Marxistes qui lui reprochent son négativisme. L’auteur fait encore moins référence au panthéisme qui professe l’immanence et pour qui « tout est Dieu (Beckett,1965, p14)  ». Samuel Beckett touche à toutes ces théories à la fois et chevauche régulièrement ou irrégulièrement les limites de chacune. La seule révolte métaphysique qui semble s’approcher le plus de celle de Beckett est, à notre avis, celle d’Albert Camus qu’il résume ainsi : La révolte métaphysique est le mouvement par lequel un homme se dresse contre sa condition et la création toute entière. Elle est métaphysique parce qu’elle conteste les fins de l’homme et de la création. L’esclave conteste contre la condition qui lui est faite à l’intérieur de son état, la révolte métaphysique contre la condition qui lui est faite en tant qu’homme… l’esclave dressé contre son maître ne se préoccupe pas, remarquons le, de nier ce maître en tant qu’être. Il le nie en tant que maître (camus,1951, p39).

La dernière phrase d’Albert Camus exprime convenablement la révolte du personnage beckettien dont la situation n’était pas différente de celle d’un esclave. Son souci majeur n’était sans doute pas de chercher à savoir si Dieu existait ou n’existait pas, mais était de recevoir la grâce qui le fait sortir de ce monde de Merdecluse, en tant qu’homme qui a subi atrocement les deux guerres du 20éme  siècle. Godot lui-même a été interprété, selon Alfred Simon, comme la force (les États-Unis) attendue pour mettre fin aux Nazis et libérer l’homme de l’homme.

Ceci est à la limite compréhensible quand on sait que Beckett lui même était membre actif d’un important réseau d’information de la Résistance française (Beckett,1965,p14).

Enfin, ce que nous pouvons également remarquer, c’est que cette vision camonienne semble nous éclairer sur une vérité importante, celle selon laquelle Beckett en effet n’a jamais regardé Dieu avec un regard de philosophe, d’ailleurs, il a toujours refusé et désapprouvé le fait d’être pris pour un philosophe, mais surtout, il a regardé Dieu en tant que littérateur qui a vécu au  20éme siècle, en tant que poète tant dans la vie que dans l’œuvre. Et, En attendant Godot  n’est pas la seule œuvre qui nous fasse un clin d’œil.

Bibliographie

-Coe Richard, le dieu de samuel Beckett, paris, cahiers de la  Compagnie Madeleine  Renaud | jean.

-Louis Barrault, n°44, octobre 1962.

-Beckett Samuel, Fin de partie paris, Editions de minuit,

-librairie Aromand Colin, 1965

-pandolfi vito, histoire de theatre, 5 vol, paris, berard verveen

-coll. Maro bout université, 1964.

-janvier ludovic, paris, pour remuel Beckett, Editions de Minuit, 1966

-Beckett Samuel,  texter pour rien, paris. Editions de me next, 1970

-Beckett Samuel, comment c’est, Paris, Editions de Mimut,

-Camus Albert, l’homme révolté, paris, Gallimard, coll «  idees » 1951.

 -Beckett Samuel, En attendant Gorbot, pous, 1952

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