Le fqih dans la poésie orale amazighe entre dogme et énigme : quand prêcher et pécher ne sont plus inconciliables dans la conduite du père la vertu
The Fqih in Amazigh Oral Poetry Between Dogma and Enigma: When Preaching and Sinning Are No Longer Irreconcilable in the Conduct of the Father of Virtue

Prepared by the researche : AOUINE El Mostapha ‘ Université Sidi Mohamed Ben Abdellah, Fès-Maroc
DAC Democratic Arabic Center GmbH
International Journal of Amazigh Studies : Fourth issue – September 2025
A Periodical International Journal published by the “Democratic Arab Center” Germany – Berlin
ISSN 2944-8158
International Journal of Amazigh Studies
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Introduction
La figure du fqih, dans le contexte de la poésie orale amazighe, se présente telle une entité paradoxale, oscillant entre le respect dû à son magistère en matière de religion ou de culte, et les dérives liées à ses pratiques occultes. Étant, par excellence, le dépositaire d’un savoir sacré, il joue un rôle crucial dans la transmission des enseignements coraniques et la préservation de la tradition. Toutefois, cette figure vénérée se trouve parfois associée à des pratiques ambivalentes, voire compromettantes, telles que l’exorcisme ou l’utilisation de talismans, contradiction qui suscite suspicion et réprobation de la part d’une frange non négligeable de la société. Loin de se cantonner à un rôle purement religieux, certains fqihs naviguent entre l’autorité spirituelle et la manipulation des croyances populaires, risquant ainsi de s’éloigner des principes divins pour sombrer dans l’imposture.
Cette ambivalence se manifeste clairement à travers la poétique amazighe, où la voix du poète, tout comme celle du fqih, se veut porteuse de vérité mais peut également véhiculer des contre-vérités. En cultivant cette ambiguïté, le poète dépeint la dualité du fqih comme un miroir de la société, à la fois régulateur de l’ordre moral et acteur de sa déstabilisation. Le danger, ainsi exposé, réside dans la perte de la légitimité du fqih, dont l’éloignement des préceptes sacrés qui le place sur une voie périlleuse hypothéquant son savoir et sa légitimité. Cette quête de vérité, tout en étant un gage de sagesse, peut devenir une source de confusion, au point que le fqih se voit dépossédé de sa fonction essentielle, celle de guide spirituel et de mentor moral.
1- Le poète amazigh du Moyen Atlas
Le poète amazighe se considère comme un véritable professionnel qui enseigne, critique et conseille pour réussir le rôle qui lui est consacré. Il ne s’agit nullement de mener des discussions devant l’auditoire sans faire appel à des sujets de taille pour mettre au clair son improvisation et sa création, étant donné qu’il est question d’une rude épreuve nécessitant des efforts multiples et des travaux ardus faisant appel à la performance et à la compétence.
Le poète puise son langage dans l’environnement sociopolitique, religieux, moral, linguistique qui le détermine étroitement. Il se voit imposer des normes d’expression contraignantes ; son rôle essentiel est d’exprimer ces normes, de se faire l’interprète d’une contrainte. (J-E.Bencheikh, 1975, p.28).
Dans toutes les circonstances qui se présentent devant lui, le poète amazighe confirme, urbi et orbi, que sa tâche n’étant plus facile. Ses angoisses et ses sursauts ne cessent d’illuminer le fond de sa mémoire pour présenter une poésie engagée où se conjugue tradition et modernité sous leurs différents aspects. Imdyazn sont donc des « avant-gardistes de l’authenticité traditionnelle et véritable conscience de la communauté amazighe.» (M.Peyron, 2004, pp. 191-200)
Cette production littéraire se présente donc comme un pilier fondamental qui reflète les sentiments et les sensations, la beauté et la force d’expression. Une production qui se base essentiellement sur une éloquence exceptionnelle. Par suite, le poète ne semble pas s’en faire puisqu’il vaque, avec son sérieux et son ardeur légendaire, à sa production. Les smicards de l’effort n’ont point leur place dans cette fourmilière dont le mot d’ordre est : labeur, toujours le labeur, rien que le labeur :
- awal mš ur imsasa idda imyiggir yuf ifsti
bazz nš a yaqmu nna t iɛmdn ad iffeġ ur ifṣṣil
La parole, si elle n’est pas bien ajustée va certainement se déséquilibrer.
Dans ce cas, il vaut mieux s’abstenir de la proférer. Téméraire est la bouche qui la laisse sortir.
Le poète, et pour garder sa raison d’être, se montre soucieux de tout se qui se passe autour de lui. Tous les domaines lui sont d’un grand intérêt, l’ont hanté et l’ont préoccupé. Pour réussir sa mission, il doit procéder à une redécouverte du monde après avoir entretenu un contact direct avec l’objet en question.
Le poète doit se plier à un nouvel ordre de choses, et cela se ressent jusque dans l’évolution des genres et des thèmes. Il fait de plus en plus abstraction de ses convictions personnelles, ou les adapte avec beaucoup de souplesse pour trouver encouragement, protection et profit. (J-E.Bencheikh, ibid, p.29).
Une analyse thématique permet de mettre en lumière les différents sujets abordés par le poète. Il est à souligner que ces sujets ne sont nullement stables. Ils dépendent de l’auditoire, des circonstances et des intentions de l’aède. Dans les régions isolées et enclavées, cet intellectuel joue le rôle d’un diffuseur de l’information en se basant sur différentes ressources comme la télévision, l’internet, les journaux, etc.
- waxxa ur d kkix s uḍar ula nsigg al ġr lḥusima
a aytma lla d ttnεatn i ttlfaza mšrḍul nun
iġyyr wul inw is ax iššar uya ismun ax lḥal
walaynni ḥukm llah aya ikka d ism nš a ṛbbi
Même si je n’ai pas visité El Hoceima,
Ô mes frères, on diffuse vos souffrances à la télé.
Cela m’a affligé le cœur parce qu’on est des frères.
Louange à Dieu, on doit accepter ce qui nous donne.
Pour montrer le talent et la force d’expression, le poète amazighe du Moyen Atlas ne s’intéresse pas seulement de son entourage qui lui est très proche. Le voici en train de surmonter une épreuve difficile à surmonter. Son objectif majeur n’est guère le divertissement et le soulagement, mais aussi un engagement total de sa part pour discuter les différentes préoccupations de l’homme. Pour montrer son professionnalisme, il se compare à cette chaîne de renommée internationale. Il insiste sur un trait pertinent qui est l’exclusivité et qui reste par excellence, la condition sur laquelle il faut s’appuyer. Cette exclusivité se traduit par la finesse, l’exactitude, l’engagement et la sincérité.
- ad aš xllfx awal ḍfarx aynna itžrun a xf aš nsawal
yix ti n lqanat n lžazira kku lxbar ad tn tafd ġur i
nkk a ġr izgwur ad t inix ur nggwid i ḥdd ad t isnaqs ġif un
waxxa itffr yun aynna isarr mš ur as d yusi usar tn udžix
ur issḍfur alamma kku yun d uynna ġif s da tturdun šil as
Je changerai de parole pour divulguer de nouvelles informations.
Semblable à Al Jazzera, aucune nouvelle ne m’échappe.
Je divulgue l’information sans se soucier de personne.
Je ne dissimule plus ce qui se passe et je ne dis que la vérité.
Chemin faisant, personne ne me fera des reproches.
2- Le poète et le fqih : Quel rapport ?
Nous venons de montrer supra que le poète exerce plusieurs fonctions. Il est diffuseur, journaliste, enseignant, critique, etc. Le fqih, quant à lui, exerce presque les mêmes fonctions puisqu’il enseigne lui aussi le Coran aux enfants au msid ou dans une maison réservée à ce sujet tout en tenant un long bâton à la main.
Le maître ouvrit les yeux, bâilla, distingua au milieu de toutes ces voix, celle qui déformait une phrase vénérée, rectifia le mot défectueux et chercha une position confortable pour reprendre son somme. Mais il remarqua que le soleil avait disparu. Il se frotta les yeux, son visage s’éclaira et la baguette nous fit signe de nous rapprocher. Le bruit cessa brusquement. Installés tous contre l’estrade du fqih, nous chantâmes la première sourate du Coran. Les plus petits comme les plus grands la connaissaient. Nous ne quittions jamais l’école le soir sans la chanter. ( A.Sefrioui,1954, p.41)
Par conséquent, il convient de souligner que ces deux figures intellectuelles, à travers leur rôle dans la tribu, incarnent à la fois le sacré et le profane. D’ailleurs, pour tracer cette ressemblance, le poète improvise des vers de bonne facture en disant :
- ṭṭxṭiṭ n wawal ġas amm lmuhndiz ur da t ittini wnna ixṭṭun
ammi nttasi lmsḥaf awi ma qal llah ay ġur i
Telle la construction d’un édifice est l’art de parler, seul l’architecte en est capable.
L’éloquence de mes paroles est semblable à celle du Coran dont elles tirent matière.
D’emblée, on remarque une forte relation et une oscillation majeure entre le poète et le fqih, d’où la nécessité d’une invite à la dégustation des mets offerts quoiqu’ils soient hétéroclites. Ces mets ne sont autres que la thématique cernée, le public visé et l’objectif attendu.
2-1 La Thématique
La thématique de la religion reste un champ d’investigation pris en considération par les deux intellectuels. Il est à noter que l’aède et le fqih ne peuvent commencer leur travail que par l’invocation de Dieu, du prophète et des saints patrons qui peuvent servir à embellir le message et le rendre de plus en plus éloquent et persuasif. Les exemples ne manquent pas. Si nous prenons le cas du genre poétique ahllel, on peut dire sans conteste que le prologue se consacre exclusivement à ces invocations judicieuses.
Le poète commence généralement par le verbe zzwr qui a le sens de commencer. Ce verbe se suit par le nom de Dieu pour donner u ne certaine autorité au discours prononcé :
- zzurx š a bu lfḍl a ṛbbi
Je commence par toi, ô patron de l’obligeance !
- nzzur š a ṛbbi šf ax ṭṭaεt
Je commence par toi, accorde-moi l’obéissance.
- aš zzurx a ṛebbi šf ax ṭṭaεt aha tzrεd diyi lxušuε
Je commence par toi, accorde-moi l’obéissance et sème en moi la méditation.
- nzzur š a ṛbbi yat i lxir zziyš
Je commence par toi, j’attends de tes bienfaits.
- a wa aš zzurx a war ša n umudid nna ur ifennun
a wa šgg ami ġrix a lžid šgg aggan ism imqqurr
a wa ṣnεa nna tyid ur da ttuyagga tuεr i lqqum
a wa idd ad iṣnε ša bnadm diy nx iḥyut s rruḥ
a wa iy as alln ad idr i ubrid ur issn ibṭṭu
a wa ġd asn izayd i lḥsab i ša ur itemtat
Je commence par toi, ô l’Unique et l’Eternel.
Je t’invoque, ô Généreux possédant le grand nom.
Tes pratiques sont incomparables et indiscutables.
L’être humain peut-il donner vie à une autre personne ?
Peut-il nous offrir des yeux pour se mettre sur les rails ?
Peut-il prolonger sa vie et vivre sans peine ?
Le fqih, quant à lui, se considère comme l’adepte de l’Islam. Il participe à la divulgation de tout ce qui est en relation avec les pratiques de la religion en menant une éloquence incomparable et une tranquillité intérieure qui attirent le respect et l’admiration des gens. Il est donc indubitable de dire que cet intellectuel est capable de mener à bien la planification et l’architecture de ses propos. Il est obligé de gérer en amont et en aval son projet tout en insistant sur le bon fonctionnement de la matière mise en exergue. Le travail effectué engendre l’estimation et le respect de la société. Ceux qui l’importunent ne peuvent se considérer que comme de vrais pécheurs.
(10) a ṭṭalb sid rržal ay tgid la aš itsεzza kalam llah is tġrid
ḥid i wnna aš irymn ad ur as tsawal is iga ntta bu lmεṣit
Oh fqih ! Vous qui connaissez les paroles de Dieu, vous êtes le plus estimé.
Celui qui vous importune, dédaignez-le, il n’est qu’un vrai pécheur.
Il s’avère important de dire que, pour les deux intellectuels, le Coran reste par excellence le champ le plus fertile. Les contemplations de l’univers ne s’expliquent que par son biais. C’est donc un facteur qui s’impose et qui mérite d’être omniprésent dans la vie quotidienne de chaque individu.
Le Coran donne au discours plus de force et d’expressivité. Les jugements et les paroles tirés du livre sacré sont loin de toutes discussions. Le poète est très conscient de sa mission. La mission d’informer, d’arguer, d’expliquer, de raconter et de passer un message qui met en évidence les piliers de notre religion. Partant de ce constat, ils jouent parfaitement le rôle d’un enseignant, d’un éducateur et d’un moraliste. Les deux instruits sont là pour diriger la société en facilitant les instructions de l’Islam et les faire comprendre à l’assistance.
Dans le même sens, Il serait impossible de négliger l’importance des enseignements du prophète. Ces deux composantes fédératrices permettent à l’auditoire de s’informer sur tout ce qui est en relation avec les actions humaines afin de les diviser en actions obligatoires, méritoire, licites, illicites et blâmable. Cela se fait par l’intermédiaire de termes probants, à savoir : prescrire, imposer, commander, etc.
2-2 Le public visé
Au regard de ce qui précède, il apparaît que le poète se rapproche du fqih en tant qu’enseignant, éducateur et savant. Les deux élus sont là pour diriger la société. Ils sont là pour rendre tangible les instructions de l’Islam et les faire comprendre à l’assistance. En voici un exemple qui reflète cette similitude entre les deux intellectuels.
(11) ššix n wawal xas amm ṭṭalb raεa lžmhur nna d itsaggan ġif i
mš us nssin i lxuṭba nkk ur ttiġiyx ad awḍx lmḥrab n tzalliṭ
Le poète a autant d’auditeurs qu’en a le fqih.
Si sa poésie n’est pas bonne, il ne connaîtrait pas de gloire.
Un autre exemple montre à quel point le poète est attaché à sa religion. Il dit solennellement que c’est du Coran qu’il tire matière :
(12) ammi nttasi lmṣḥaf adday tsawalx a wi maqal llah ay ġur i
L’éloquence de mes paroles est semblable à celle du Coran dont elles tirent matière.
D’après ce que nous venons de citer, il est clair que le fqih et le poète doivent prendre en considération l’auditoire et ses avis et chercher comment réussir pleinement la mission qui leur est propre.
La composante fondamentale de la réception est ainsi l’auditeur, recréant à son propre usage, et selon ses propres configurations intérieures, l’univers signifiant qui lui est transmis. (P. Zumthor, 1983, p.229)
Le texte semble s’adresser à un public qui peut encourager, critiquer, orienter et conseiller. C’est pourquoi on trouve dans tous les discours des expressions renvoyant à l’assistance en insistant sur des moralités qu’il faut en tirer.
(13) a wi lḥasul niwweḍ s iġil n wubuy šemmell ifilan
Disons enfin qu’il faut tirer des moralités.
adž ad nesyir i užemmuε awal izill ad ur d nadž aḥraq
Pour en tirer profit, il faut insister sur des paroles concises.
Pour le fqih et le poète, l’auditoire reste le souci majeur qu’il ne faut guère oublier. Dans chaque circonstance, on ne parle pas d’un sujet de réjouissance comme on tend à le croire, mais d’un sujet où l’engagement est au rendez-vous. Il y a un intérêt particulier à la réaction de l’auditeur.
L’adaptation du texte à l’auditeur se produit, plus souplement, en cours de performance. L’interprète varie spontanément le ton ou le geste, module l’énonciation selon l’attente qu’il perçoit ; ou, de façon délibérée, modifie plus au moins l’énoncé même. (P. Zumthor, ibid, p.233)
L’interaction producteur-récepteur nécessite des efforts multiples pour faire ressortir un nombre important de points dans le but d’expliciter davantage cette relation fondée sur le respect, l’échange, l’encouragement et l’engagement.
2-3 L’objectif attendu
L’objectif primordial et attendu ne peut qu’être l’apprentissage. Le fqih, pour mettre en exergue ses compétences doit dominer le groupe. Le fqih veille, rien n’échappe à son regard sévère. Son œil ne cesse de bouger, il est partout. Son oreille détecte la moindre erreur, la moindre prononciation déplacée et son bras, infatigable, prolongé d’une badine sans complaisance est toujours prêt à ranimer l’ardeur de l’élève somnolant. Auxiliaire précieux, tout à la fois enseignant, éducateur et formateur, le fqih perpétue les nobles traditions de l’éthique marocaine et assure ainsi la pérennité de la cité.
Le fqih avait son regard de tous les mardis. Se yeux n’étaient perméables à aucune pitié. Je décrochai ma planchette et me mis à ânonner les deux ou trois versets qui y étaient écrits. ( A.Sefrioui, op.cit, p.20 )
Cerbère des mœurs, de bonnes coutumes et des prescriptions fondamentales du rituel religieux, c’est au fqih qu’il appartient de les inculquer à ses disciples et de veiller sur leur stricte application par chacun d’entre eux dans la vie quotidienne. Tout écart de conduite signalé et toute défaillance dans les études sont sévèrement réprimés. Soumis à une discipline aussi sévère et confié à un instituteur aussi inflexible et aussi intraitable, le jeune cancre n’a de salut qu’en une totale et respectueuse obéissance aux règles imposées.
A six ans, j’avais déjà conscience de l’hostilité du monde et de ma fragilité. Je connaissais la peur, je connaissais la souffrance de la chair au contact de la baguette de cognassier. Mon petit corps tremblait dans ses vêtements trop minces. J’appréhendais le soir consacré aux révisions. Je devais, selon la coutume, réciter les quelques chapitres du Coran que j’avais appris depuis mon entrée à l’école. ( A.Sefrioui, op.cit, p.21)
Pour faire preuve de sa compétence intellectuelle, on peut l’appeler dans des cas délicats comme celui de ttiqaf qui signifie l’absence d’érection suite à un ensorcellement. La présence du fqih est donc nécessaire pour présenter des remèdes administrés. En voici un exemple :
(14) rbbi ad isεzz ṭṭlba nna da issufuġn ležnun i wnna da itεssarn
Dieu bénisse les fqih, les seuls capables d’exorciser les ensorcelés.
Suite à ce constat qui s’impose, le fqih a le plein droit de se comporter d’une façon qui lui est propre sans se soucier de n’importe qui. Cette créature peut parfaitement se montrer sévère et indifférent face à des gamins qui viennent pour la première fois apprendre le Coran et tout ce qui est en relation avec les instructions religieuses. Cela lui donne la légitimité d’être nourri par les parents d’élèves. Il est aussi l’écrivain public. Il récitait le Coran dans les fêtes et dans les deuils. Par conséquent, le pilier fondamental qui lui attire la notoriété est son attachement à la religion.
Prenant le même itinéraire, le poète essaie d’instruire les gens en se référant à la religion et en mettant en valeur l’importance de la bonne voie pour que chaque individu puisse prendre son droit chemin.
(15) awal n lḥq ay turzzum ad t nini
ṛbbi max d issifḍ i tbrat n lquran
išfa t i nnbi yin anždi ar tddun
yazn d žbrayn irru d altu iwṣṣa t
inna as ha lislam iya wi n kulši
wnna t iḥḍan ur tgwdn i ša s ṛbbi
L’auditoire ne cherche que des paroles éloquentes.
Dieu nous a offert une faveur qui est le Coran.
L’a délivrée au prophète pour la divulguer.
A envoyé Gabriel pour l’orienter et le conseiller
Lui disant que l’Islam est une religion universelle.
Celui qui le conserve ne craindra absolument rien.
Le poète, par ce fait, procède à un rappel permanant de tout ce qui est en relation avec l’Islam qu’on peut considérer comme une pierre angulaire de la réussite dans ce monde envahi par des problèmes de toutes sortes.
4- Le fqih : Exorciste et ensorcelant.
L’exorcisme constitue une coutume profondément enracinée dans la culture populaire marocaine. La lecture de l’Évangile ou de la Torah chez les chrétiens et les juifs. L’histoire des religions témoigne des obstacles majeurs qu’elles ont rencontrés pour se défaire de ces croyances. Ce qui laisse deviner que cette pratique n’est pas l’apanage des musulmans. Cela met en lumière le fait que le fqih doit non seulement s’adresser à des forces visibles, mais également à des puissances invisibles et surtout ayant des forces de grande envergure. Selon Spiro, c’est « une institution qui régit, selon des modèles culturels, des relations des hommes avec des êtres surnaturels.» (Spiro, 1972, p.121)
Le fqih demeure, par excellence, le mieux placé pour établir un lien avec des créatures invisibles parce qu’il détient un savoir riche et important mémorisant le Coran et la Sunna. En pratiquant ces séances d’exorcisme, il a pu regagner une place brillante dans son entourage. Il n’y a pas de cérémonie où il est absent. Bref, il se considère comme étant le représentant spirituel et intellectuel de la tribu, à condition de respecter les règles prescrites.
Dans ce sens, Henri Basset affirme dans toutes les circonstances, le fqih reste par excellence le lettré de la société et c’est à lui que revient l’honneur d’écriture et de documentation. « Quand la djemaâ avait décidé de mettre par écrit la coutume de la tribu, elle s’adressait naturellement pour ce travail à l’individu le plus lettré, c’est-à-dire au taleb. » ( H.Basset, 1919, p.67)
Toutefois, certaines pratiques attribuées au fqih, comme l’ensorcellement et l’envoûtement, ont contribué à une perception ambivalente de son rôle. Il s’est rapidement mêlé dans tout ce qui est ensorcellement et envoûtement. Le fqih s’est attelé sur le domaine des amulettes et des fumigations pour rapprocher les amoureux ou pour réaliser des vengeances :
(16) a wa ya ṭṭalb yi ša n lḥžab iṣḥan
rix asmun ad d iεayd ġur i
O fqih, fais-moi une forte amulette,
Je veux que mon amoureux revienne.
Ces décisions prises de la part des amoureux peuvent ne pas aboutir à de satisfaisants résultats. Les amoureux procèdent autrement en menant des dialogues cohérents pour dépasser tout conflit.
(17) nžiwn tirra d lḥruz n ṭṭlba
ur i ižžužuy xas iġil n way d rix
On s’est longuement servi des écritures et des sortilèges des fqihs.
Mon seul remède ne peut être autre que les bras de mon amant.
Le fqih peut manipuler la foule, tout en s’éloignant progressivement des préceptes de la religion pour se muer en véritable charlatan. En prenant cette voie de déviation, il court le risque de perdre même le savoir qu’il a patiemment acquis au fil des années.
(18) a asḥḥar nna d ižmεn isufarr
tssuḥld i s lḥadit ša ur t tġrid
Charlatan ! Tu trompes la foule.
Tu nous ennuies par tes discours incohérents.
En délaissant les principes sacrés, les conséquences ne peuvent qu’être d’une gravité incontournable. Le fqih qui devrait tracer un chemin sûr et serein s’engage dans une voie périlleuse qui le condamne à une rétribution divine inéluctable. Quoiqu’il fasse, aucun stratagème ne pourra le soustraire à la sanction céleste qui dépasse toute intervention humaine. Par conséquent, il se distingue comme l’unique savant déchu suite à des pratiques illicites. Suite à son propre égarement, il erre dans un monde où sa science, jadis respectable, est désormais corrompue. Son savoir, qu’il avait amassé avec dévotion, se trouve désormais entaché, et sa condition de misérable érudit sur cette terre reflète la misère morale qui l’envahit.
(19) lεulama la rbḥn ur illi wnna da itšqqan
bḥra šggin a ṭṭalb ag umzn aεqqid i tmara
Aucun savant n’a souffert dans la vie,
Toi fqih ! Tu es le seul à vivre dans la misère.
En suivant l’écriture et les formules magiques, le fqih risque d’être paralysé par les esprits qu’il chasse. Par le travail qu’il effectue, il perd la confiance des gens car il n’accomplit plus le rôle d’apaiser les maladies. Au contraire, il les accentue. Voici un autre exemple :
(20) ad ur ttamn i ṭṭalb nuwy t id i lḥrr al ax ibṭṭu d ayt uxam
la as ntgga tutliwin al i ittaru lkrh a rbbi d ad as tggir
Ne vous fiez plus au fqih car il accentue vos maladies.
Vous lui serez généreux, l’imposteur, vous sera ingrat.
4- Le fqih : fécondité et stérilité
Parmi les éléments ineffaçables qui s’imprimeront à jamais dans la mémoire collective de la société, figurent en premier lieu les manipulations et les duperies orchestrées par cette créature paradoxale. Ces agissements, marqués par une profonde duplicité, laisseront une empreinte durable, témoignant de la fracture entre l’apparence et la réalité, et s’inscrivant dans les annales de l’histoire comme un exemple de perfidie. Le fqih a construit une image, celle d’avoir la possession et le pouvoir magique qui lui permet de débarrasser les femmes de leur stérilité. Il s’avère que cet individu bizarre a abusé de la confiance et de l’indulgence des femmes pour réaliser ses désirs ardents.
Il se trouve des crédules et des naïfs pour croire aux pouvoirs infaillibles du fqih. Par ce fait, il est à l’origine de gros scandales. On a entendu plusieurs fois qu’il y a des femmes qui refusent les soins de cet homme qui profite du désarroi des femmes qui veulent à tout prix avoir un enfant prétendant que c’est le djinn qui l’habitait, qui pourrait les rendre fertiles tout en assistant sur l’isolement. Parfois cela marchait lorsque c’est le mari qui a des problèmes de stérilité. Le fqih fertile comblait les lacunes. Allez voir combien de fils ainsi semés ! Suite à ces pratiques, il sera châtie dans l’au-delà. Les deux distiques peuvent montrer les retombées néfastes de cette aventure ambigüe menée par le fqih.
(21) a yimɛṣi n nnabi ur trid lxir
ixxa aš lḥal i taddart n iṣnḍall
L’impie! Tu te trompes ici-bas.
Tu seras châtié dans l’au-delà.
(22) a way d yannayn ṭṭalb ma as inna bu-sswal iḍ nna tn isal
idd amm dduniyt mad is idda s aynna as ittġus
Peut-on deviner le destin du fqih le jour du jugement dernier ?
Sa situation serait-elle aisée, ou serait-il aux portes de l’Enfer ?
Le fqih doit donc choisir entre une application raisonnée et une application aveugle qui peut lui tirer des profits. Dans une société exemplaire, l’acteur spirituel ou le tenant du savoir doit donner l’exemple en mettant ses actions au service des autres. D’ailleurs, c’est l’exemplarité et la détermination qui rendent le citoyen confiant en cette institution. Par conséquent, il est loisible de dire que c’est à lui que revient la décision car il n’y a de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir, ni de pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.
5- Conclusion
In fine, on peut affirmer que cette réflexion n’est qu’une esquisse d’un domaine fertile et fabuleux pour montrer la richesse des croyances et du patrimoine culturel marocain. Différentes approches peuvent s’appliquer à ce sujet ; des approches d’ordre anthropologique, psychologique, linguistique, stylistique, etc. Il s’agit d’un domaine où s’entremêlent la religion, l’ensorcèlement et la superstition sous leurs différentes formes. Voilà donc un champ d’investigation qui se présente devant les chercheurs, confirmés ou débutants pour tracer des voies de recherches probantes, précises et concises.
Il est à signaler aussi les pratiques menées par le fqih ne peuvent en aucun cas se présenter comme une gangrène qui envahit la société, il s’agit simplement de quelques applications enracinées dans la mémoire collective des marocains. Cela nécessite des discussions judicieuses pour atténuer le degré du mal car il est impossible de l’extirper sans en connaître l’origine.
Bibliographie
- Aouine, M., 2014: La poésie orale berbère du Moyen Atlas : étude analytique, thèse de doctorat, UFR des sciences du langage, Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, Université Sidi Mohamed Ben Abdellah, Fès.
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- Bencheick, J.E., 1975 : Poétique arabe : Essai sur les voies d’une création, Editions anthropos, Paris, 28-29.
- Peyron, M., 2004 : « Langue poétique littéraire : Enjeux et mutations chez les poètes du Maroc Central ». Actes du colloque international sur la littérature amazighe : oralité et écriture, spécificités et perspectives, IRCAM, Rabat, pp. 191-200.
- Sefrioui,A., 1954 : La boîte à merveilles, Editions du Seuil, Casablanca, 20-41.
- Taifi, M., 1992 : Dictionnaire, Tamazight, Français (parler du Maroc central), Awal l’Harmattan, Paris.
- Spiro, M., 1972: « La religion : problèmes de définitions et d’explication » in : Essais d’anthropologie religieuse, Gallimard, Paris, 121.
- Zumthor, P., 1983 : Introduction à la poésie orale, Seuil, Paris, pp. 229-233.