Research studies

Enseignement des compétences nouvelles liées au journalisme web à l’Isic-Rabat

Teaching new skills related to web journalism at Isic-Rabat

 

Prepared by the researcher  : Merouane KABBAJ, doctorant-chercheur au Laboratoire interuniversitaire des sciences de l’éducation et de la communication (LISEC), Université de Haute-Alsace, Mulhouse, France

Democratic Arab Center

Journal of Media Studies : Twenty-third Issue – May 2023

A Periodical International Journal published by the “Democratic Arab Center” Germany – Berlin

Nationales ISSN-Zentrum für Deutschland
ISSN 2512-3203
Journal of Media Studies

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Résumé

Cette étude empirique vise à cerner l’enseignement et la maîtrise des compétences nouvelles liées au journalisme web auprès d’étudiants d’un Institut de référence de formation au journalisme au travers d’une enquête sur le terrain. Il en résulte que leur maîtrise est faible à moyenne. Pourtant, à l’ère du tout digital, ces compétences sont devenues incontournables aussi bien pour un journaliste confirmé que pour un journaliste en herbe, au regard des transformations technologiques ayant impacté l’exercice de la profession, la production et la diffusion de l’information médiatique.

Abstract

This empirical study aims to identify the teaching and mastery of new skills related to web journalism among students of a reference institute for journalism training through a field survey. As a result, their proficiency is low to average. However, in the all-digital era, these skills have become essential for both an experienced journalist and an aspiring journalist, given the technological transformations that have impacted the exercise of the profession, the production and dissemination of media information.

  • Question de départ et contexte

Notre recherche a comme point de départ une observation qui nous a été permise grâce à notre statut de journaliste professionnel. Ce qui en fait, donc, une recherche inductive (Paillé et Mucchielli, 2010, p.73)[1]. Depuis plusieurs années, les entreprises de presse écrite marocaines souffrent d’une crise de lecture et d’une crise financière qui menace leur pérennité. Il s’agit d’une double crise structurelle qui dure et perdure.

L’une des principales caractéristiques de la presse écrite marocaine est sa très faible diffusion[2], sachant que son modèle économique classique, étant dual et basé principalement sur les ventes et la publicité, s’ébranle rapidement dans un contexte de baisse de la diffusion payée et des recettes publicitaires. A ce constat se greffent des problèmes structurels et conjoncturels qui se traduisent par des coûts élevés de production et de distribution, un taux élevé d’invendus, de faibles recettes de vente et de publicité et un état financier précaire de la majorité des supports.

En dehors du faible taux de lecture incontesté, la principale raison avancée de la baisse des ventes des journaux est la concurrence des sites d’informations et des journaux électroniques et des réseaux sociaux. La croissance exponentielle d’Internet, du World Wide Web et des nouvelles technologies de l’information et de la communication a ouvert une brèche pour le développement d’un journalisme nouveau, autrement appelé journalisme en ligne (Deuze, 2004)[3], journalisme numérique ou le journalisme multimédia.

Ces changements se sont imposés à tout le secteur et aux journalistes en particulier. Il s’agit aujourd’hui pour ces derniers de développer de plus en plus de compétences pour une reconversion éditoriale du papier au numérique. Il ne s’agit pas d’un effet de mode. Il s’agit plutôt de fidéliser et capter des lecteurs et des consommateurs d’une information recherchée et fiable mais présentée sous une forme appétissante.

L’adaptation et le changement concernent donc, aussi, l’enseignement du journalisme (presse écrite, radio, télévision, multimédia et nouveaux médias) dans les écoles, publiques et privées, ou dans certaines universités, qui doit désormais intégrer l’ensemble de ces évolutions technologiques et former de nouveaux profils avec de nouvelles compétences ou compétences spécifiques ayant un lien direct avec le développement du numérique.

Ces nouvelles formes de production journalistique qu’impose le journalisme numérique ou digital (textes, illustrations, sons et vidéos) soulèvent néanmoins plusieurs questionnements et sont toujours objet de débats, de polémiques et de controverses aussi bien au sein de la famille journalistique que dans les écoles et centres de formation journalistique car il s’agit d’introduction de nouvelles compétences (expérimentation, validation…) nécessaires à l’évolution de la profession de journaliste.

Les acteurs de la formation en journalisme seraient d’ailleurs de plus en plus convaincus « qu’il faut transmettre aux étudiants une culture numérique, des dispositions à l’innovation et une curiosité pour les nouveaux médias ». Pour cela, il convient « d’adapter les formations et de les faire évoluer vers plus de souplesse, de malléabilité, de réactivité et d’agilité », tout ceci primant « sur le fait de transmettre un bagage de compétences trop pointues et de se concentrer sur des outils trop rapidement périssables »[4]. D’ailleurs, au printemps 2012, la prestigieuse école américaine de Journalisme de Columbia dispensa un cours intitulé Frontiers of Computational Journalism pour ses étudiants inscrits dans un double diplôme en Sciences informatiques et Journalisme. Les sujets abordés comprenaient : la représentation d’espaces vectoriels ; les algorithmes et sélection d’histoires (filtrage) ; les modèles de websémantique ; la visualisation des informations ; la représentation des connaissances et le raisonnement ; l’analyse de réseau social ; l’inférence quantitative et qualitative ; la sécurité de l’information. Deux chercheurs soulignent que « l’exploration des nouvelles formes d’éditorialité aux nouveaux outils et aux stratégies de veille d’information en ligne, esquisse de nouveaux fondamentaux pour la pratique journalistique »[5].

En tout cas, la fabrication de l’information numérique a introduit dans le processus de nouveaux métiers (infographistes, webdesigners, développeurs…). Remy Rieffel (2008, p. 43)[6] s’interroge : « Faut-il encourager la polyvalence ou la spécialisation par support ? ». Pour le journaliste formateur, Alain Joannès : « Un journaliste devrait s’intéresser à la programmation [pour] pouvoir discuter utilement avec les programmeurs, savoir ce qu’ils peuvent apporter, ce qu’il est raisonnable de leur demander ».[7] Reste à savoir quelles adaptations proposées aux fondamentaux de l’enseignement du journalisme (Pélissier & al., 2010)[8].

Denis Ruellan (2008)[9] défend une approche mesurée et prudentielle. Il rappelle le temps nécessaire de la recherche pour comprendre et donner sens aux mutations en cours. Néanmoins, pour Camille Laville (Laville, 2008, p. 96)[10], les formateurs au journalisme doivent «impérativement se saisir des transformations du métier au risque de créer un écart infranchissable entre les représentations qu’ils véhiculent et la réalité de pratiques en mutation constante». Les acteurs de la formation en journalisme seraient d’ailleurs de plus en plus convaincus « qu’il faut transmettre aux étudiants une culture numérique, des dispositions à l’innovation et une curiosité pour les nouveaux médias. Pour cela, il convient d’adapter les formations et de les faire évoluer vers plus de souplesse, de malléabilité, de réactivité et d’agilité », tout ceci primant « sur le fait de transmettre un bagage de compétences trop pointues et de se concentrer sur des outils trop rapidement périssables » (Estienne & Vandamme, 2010). La convergence des modes d’expression des médias classiques vers un média polyvalent, proposant textes, sons et vidéo, s’est accompagnée, indéniablement, d’une transformation des métiers du journalisme et de l’émergence de nouveaux métiers et compétences. Les entreprises médiatiques notamment sont en quête de journalistes pluri-média. Encore faut-il savoir si ces pratiques et ces nouvelles compétences sont à l’ordre du jour dans les écoles et centres de formations au Maroc. Ceci nous interpelle sur les enjeux de la formation journalistique à l’ère numérique.

Ce qui nous amène à poser une question cardinale : quel est impact des nouvelles technologies sur la formation des jeunes journalistes à l’ère du digital ?

III – Enquête exploratoire

Nous n’avons pas trouvé de recherches préalables sur notre sujet d’étude, à savoir l’impact de la révolution numérique sur la formation journalistique au Maroc. Par conséquent, nous avons commencé par une pré-étude qui allait nous permettre d’affiner notre méthodologie de recherche.

Notre choix de l’étude nous oblige à saisir les étapes de transformation de la formation en journalisme dans le contexte marocain, afin d’en saisir les enjeux.

Nous nous intéresserons aussi à la période plus actuelle d’innovation pédagogique, caractérisée notamment par l’internationalisation d’établissements reconnus, le développement du numérique dans les dispositifs pédagogiques, et du web comme un possible débouché professionnel. Pour cela, il a été indispensable de rencontrer des journalistes formateurs ou responsables de formation comme des personnes ressources pour nous parler de l’enseignement du journalisme et de son évolution. Ces formateurs interviewés sont principalement des journalistes ayant commencé leur carrière par une formation professionnelle dans le plus ancien institut de formation journalistique de Rabat (ISIC). Nous avons, ainsi donc, effectué une enquête exploratoire afin de mieux cerner cette évolution. Les personnes ressources interviewées ont un certain positionnement dans le champ de la formation en journalisme et dans l’exercice de la profession tel qu’il leur permet d’avoir un recul et d’être témoins des mutations ayant impacté à la fois le métier et l’enseignement du journalisme.  Le sujet est clair : l’impact de la révolution numérique sur la formation journalistique. D’emblée, la question est apparue loin d’être banale pour les enseignants car elle peut revêtir plusieurs dimensions : impact sur l’enseignant, impact sur l’apprenant ou l’étudiant-journaliste et impact sur la conception et la diffusion de l’information avec le concept de l’interactivité. Ces entretiens exploratoires étaient semi-directifs.

Nous avons tenu à intervenir le moins possible afin d’ouvrir le champ de la rencontre sans a priori, sans biaiser les propos tenus. Dix enseignants et formateurs ont été interviewés.

Les conclusions tirées des entretiens semi-directifs dans le cadre de l’enquête exploratoire montrent que la révolution numérique a eu un impact sur la formation journalistique, à plusieurs niveaux. Primo, un impact au niveau du curricula.

Il y a plusieurs modules techniques qui ont vu le jour et qui sont liés à l’usage des nouvelles technologies dans le domaine journalistique tel le datajournalisme, le microblogging, le journalisme mobile, le crowdsourcing. Secundo, l’impact lié à la pratique de la formation elle-même, c’est-à-dire le professeur a été amené à innover dans son cours en introduisant les nouvelles technologies de l’information et de la communication pour l’apprentissage. Le numérique a, enfin, un impact sur l’apprenant, l’étudiant-journaliste ou le journaliste citoyen, d’abord sur le support (cours en ligne, MOOC, le blog…) et l’émetteur de l’information (le professeur ou le formateur). Ces nouvelles technologies de l’information et de la communication ont imposé leurs fondamentaux. On est plus dans les fondamentaux classiques. Lorsqu’on parle du reportage web, ce n’est plus la même logique que le reportage classique. Les règles de base de la pratique journalistique sont les mêmes. Mais certains fondamentaux ont changé en relation directe avec la diffusion. Dans le domaine des médias, on parle de trois temps : le temps de la conception et la production puis le temps de la diffusion et la réception où certains fondamentaux ont changé avec l’apparition du concept de l’interactivité. L’interactivité est donc, le concept-clé, que ce soit au niveau de la production, la diffusion et la réception. Même dans l’évolution épistémologique de la recherche en sciences de l’information et de la communication, une meilleure recherche est celle qui prend en considération ces trois éléments : Le public, le contenu journalistique (le produit) et le support de diffusion. L’interactivité se pose comme un défi pour l’enseignant. Lorsque celui-ci crée un cours en ligne, il devrait mettre à disposition des étudiants un espace échange pour avoir le feedback et une interactivité directe avec les apprenants. Des entretiens menés avec ces enseignants, il en ressort que premièrement, la formation dans les écoles (ou instituts) et les universités marocaines est faible en général, parce que les enseignants qui dispensent ces formations au niveau de ces structures ne mettent pas à jour leurs connaissances.  Par ailleurs, pour les interviewés, cette vague d’informations erronées et fallacieuses qui submerge la toile et les réseaux socio-numériques a produit des lecteurs superficiels et les a intéressés au concept de journaliste citoyen.

IV – Revue de littérature

L’avènement du web 2.0 dit participatif (Tim O’Reilly, 2005)[i] et le développement des nouvelles technologies de l’information TIC (Tiamiyu (2003 : 35)[ii] a bouleversé depuis le début des années 2000 journalistes, entreprises de presse et école de journalisme. La presse écrite dite traditionnelle s’est vue obliger de s’y adapter à cette nouvelle ère numérique après une résistance qui a trop duré. Le chamboulement professionnel avait trait, comme il a été soulevé par divers travaux académiques francophones et anglosaxons sur le journalisme numérique, aux questions de réorganisation des rédactions, d’évolution des activités (Peters & Broersma, 2013)[iii], sur la façon dont les nouvelles technologies sont introduites et utilisées dans les rédactions (Pavlik, 2000 & 2001 ; Boczkowski, 2004a et 2010 ; Paterson & Domingo, 2008)[iv], ou encore de la « resocialisation des journalistes écrits dans des rédactions en convergence » (Singer, 2004)[v] et des compétences nouvelles et de redéfinition identitaire de la profession (Le Cam, 2012 : 62)[vi], mais aussi à l’extension des territoires du journalisme, celle du journalisme dit participatif ou citoyen (Tétu, 2008)[11].

L’intégration des réseaux socionumériques dans la chaîne de production et de consommation de l’information, aussi. Ces mutations imposées à la profession ont soulevé avec acuité les enjeux de la formation au métier du journalisme. Des études européennes montrent un écart similaire entre ce qui est considéré comme des tâches importantes pour l’enseignement du journalisme et la pratique réelle de l’enseignement (Bettels-Schwabbauer & al., 2018[12] ; Drok, 2019[13]). Par ailleurs, l’enseignement du journalisme a toujours été soucieux de trouver le bon équilibre entre « théorie » et « pratique » – ou entre connaissances et compétences –pour savoir si les universitaires ou les professionnels prodiguent le meilleur enseignement du journalisme (2014)[14].

Les résultats des enquêtes suggèrent que l’opinion des journalistes et des enseignants en journalisme est qu’une pratique réflexive a besoin de connaissances. Pourtant, il n’y a pas de réponse définitive sur la nature exacte de cette relation et le débat de longue date se poursuit (Greenberg, 2007[15] ; Hirst, 2010[16] ; Finberg, 2013[17]).

En ce qui concerne l’omniprésence des médias numériques dans la production et la consommation, il semble important de savoir à quelle fréquence les compétences numériques, c’est-à-dire les connaissances et compétences et valeurs spécifiques pour les médias en ligne et sociaux, sont enseignées en lien avec le journalisme : À quelle fréquence les médias en ligne et sociaux font-ils l’objet de cours de journalisme?

La dernière question de cet ensemble fait référence au fait que l’enseignement du journalisme a une longue tradition de débat sur la relation entre «théorie» et «pratique». En outre, une exigence de longue date de l’enseignement du journalisme est que les compétences et les connaissances pratiques doivent être appliquées en classe, par exemple dans les salles de rédaction des étudiants. Ainsi, cette question vise à savoir si les cours de journalisme sont en effet plus orientés vers la pratique que les autres cours. Dans quelle mesure les cours de journalisme sont-ils orientés vers la pratique ?

Malgré les différences entre les paysages éducatifs nationaux respectifs, la formation au journalisme et l’éducation à travers le monde est confrontée à des défis similaires en raison de la numérisation du journalisme et des changements qui l’accompagnent.

L’analyse de contenu et les entretiens avec les acteurs de différents établissements d’enseignement et de formation ont montré que ces défis sont également largement perçus dans le monde, bien qu’ils n’aient pas tous ont trouvé leur place dans les programmes.

La plupart des directeurs et développeurs de programmes connaissent les sujets d’actualité du discours international sur l’enseignement du journalisme. Ils voient la nécessité de rester à la page des développements du journalisme à l’ère numérique et ont tendance à donner la priorité aux compétences de base, à la vérification des faits et à la narration sur les différentes plateformes technologiques et socio-numériques. Mais aussi à l’importance de la professionnalisation, aux normes et à l’éthique et à la responsabilisation.

Les pratiques d’élaboration de programmes et les méthodes d’enseignement s’appuient sur l’apport de journalistes professionnels et sur l’apprentissage par projet et les commentaires individuels, avec peu place à l’innovation. Les programmes de journalisme reflètent la transformation numérique du journalisme, et l’intégration des connaissances et des compétences numériques dans les programmes. Pourtant, certains sujets sont plus souvent abordés que d’autres.

Les programmes sont souvent particulièrement lents à adopter des compétences spécifiques pour, par exemple, le reporting mobile, l’entrepreneuriat et les données. Livres de recherche, articles scientifiques, conférences et nombre de discussions informelles entre praticiens et académiciens soulignent le fait qu’un l’enseignement du journalisme apporte une contribution importante à la qualité journalistique.

Juste parce que le dispositif du journalisme dans son ensemble, tout comme l’enseignement du journalisme, est chargé de répondre au « besoin urgent » de la transformation numérique.

V- Problématique et hypothèses

En confrontant notre question de départ, plus basée sur notre observation initiale en tant que journaliste professionnelle avec une expérience de près d’un quart de siècle, les résultats de notre enquête exploratoire et la revue de littérature, nous arrivons à déduire que la convergence des modes d’expression des médias classiques vers un web polyvalent, proposant textes, illustrations, sons et vidéo, et interactif, changeant les méthodes de diffusion et le paradigme d’échange avec les internautes, s’est accompagnée, indéniablement, d’une transformation de l’exercice du journalisme et de l’émergence de nouveaux métiers et compétences.

Ce qui revient à dire que l’impact de la révolution numérique a été patent et a eu un effet bouleversant autant sur la profession que sur les programmes de formation des établissements d’enseignement du journalisme. Cela est justifié par le fait que l’enseignement du journalisme a une longue tradition de débat sur la relation entre « théorie » et « pratique ». De là à établir deux hypothèses à notre objet de recherche au vu de l’essor des médias sociaux, la convergence vers des plateformes cross-média (rédactionnel, visuel, vidéo et audio) et les préférences pour l’enseignement des compétences journalistiques et technologiques pour différents types de médias :

A l’issue de la formation journalistique, les étudiants des instituts de journalisme reconnus au Maroc sont capables de produire des contenus journalistiques numériques sur les réseaux sociaux et des plateformes numériques.

La formation proposée dote les étudiants de compétences de captation et de captivation de l’audience en ligne.

VI- Méthodologie et instruments de recherche 

La démarche mise en œuvre pour recueillir les informations liées à notre recherche est basée sur cinq instruments à savoir : un questionnaire destiné à 125 étudiants de la 2ème et la 3ème année du cycle Licence et de la 1ère et la 2ème année du Master PROCAN (Production des Contenus Audiovisuels et Numériques) de l’Institut, des focus group (discussion de groupe) avec un échantillon d’étudiants représentatif des différents niveaux d’études, des entretiens semi-directifs avec dix enseignants-chercheurs de l’Institut et l’observation participante (classe de 1ère année Master PROCAN) des interactions verbales entre les enseignants et les étudiants et du contenu même du cours afin de voir si des compétences liées aux médias en ligne et aux réseaux sociaux sont transmises et pratiquées.

Dans cette publication, nous nous limitons au partage des résultats des trois premiers instruments, tout en sachant que le reste des résultats figurera dans la thèse de doctorat que nous soutiendrons avant la fin de l’année.

Le choix de l’Institut supérieur de l’information et de la communication (ISIC), unique institut public dédié à la formation en journalisme au Maroc, n’est pas fortuit. Il est au perchoir des instituts et écoles reconnues par la profession et le seul qui jouit d’une double reconnaissance, de l’Etat et de la profession. Créé en 1969, l’ISIC est le plus ancien institut universitaire marocain de formation aux métiers de journalisme et de la communication. De ce fait, il est l’unique institution publique de l’enseignement supérieur dans ce domaine. L’Institut offre des formations permettant l’obtention d’une Licence fondamentale en information et en communication et d’un Master Production des Contenus Audiovisuels et Numériques, et du Master « Communication politique et sociale (en arabe) » au bout de cinq ans d’études. Le lancement du cycle doctoral est prévu pour la rentrée 2023-2024.

VI- 1- Terrain et échantillon

Le premier instrument de recherche cible tous les étudiants de 2ème année et de 3ème année Licence, sections françaises et arabes, et de 1ère année et 2ème année Master PROCAN. Au total, 125 étudiantes et étudiants ont reçu chacun un questionnaire de 8 pages en format papier. Ils ont répondu en présentiel, en classe, après avoir obtenu la permission des professeurs concernés.

En raison des emplois du temps différents et de la programmation des études différenciée d’un niveau à un autre, il nous a fallu deux semaines pour distribuer et collecter les réponses et deux autres semaines pour transcrire celle-ci sur le logiciel SPSS et obtenir in fine des graphiques significatifs permettant la lecture des résultats. Grâce à Excel, nous avons pu croiser les données obtenues dans un premier temps et porter une analyse approfondie sur les capacités des étudiants de chaque niveau. Concernant le deuxième instrument, nous avons sélectionné 11 étudiants francophones et arabophones de deuxième année et troisième année du cycle Licence et de première année et deuxième année du Master PROCAN. Le choix des étudiants s’est fait en fonction de la disponibilité et de l’approbation des étudiants eux-mêmes.

Pour ce qui est du troisième instrument, à savoir le test expérimental, il a été dicté par les résultats obtenus des données recueillies par le premier et le deuxième instrument. Au sein de la classe de 2ème année Licence section française, nous avons créé deux groupes, « Expérimental », assisté par un enseignement-apprentissage et « Contrôle », non-assisté. Aux 15 étudiants composant les deux groupes, nous avons demandé la réalisation d’une vidéo informative courte, efficace et accrocheuse, suivant les règles de l’écriture journalistique en ligne, du référencement web et du storytelling visuel. Pour le quatrième instrument, nous avons mené des entretiens semi-directifs avec 10 enseignants et responsables de l’ISIC. Quant au dernier et cinquième instrument, à savoir l’observation participante, elle a été menée durant quatre semaines (Mars 2023) en classe de première année du cycle Master.

VII- Résultats et analyse du questionnaire

  • Etudiants de 2ème année Licence, Sections arabe et française

Figure 1 Illustration d’une partie du résultat du questionnaire relatif au journalisme participatif à l’aide du logiciel SPSS

En ce qui concerne le microblogging, tous les étudiants de la section arabe ne l’ont pas pratiqué en classe, tandis que la majorité des étudiants de la section française ont une maîtrise nulle à faible de cette compétence. Pour le crowdsourcing et le journalisme participatif, la majorité des étudiants des deux sections n’ont pas pratiqué ces compétences en classe et ont une maîtrise nulle à faible.

Concernant la pratique du storytelling vidéo et audio numériques, les résultats montrent que la majorité des étudiants n’ont pas pratiqué cette compétence en classe. En ce qui concerne le datajournalisme, les résultats montrent que la majorité des étudiants des deux sections n’ont pas pratiqué en classe cette compétence, et une minorité d’étudiants ont une maîtrise bonne à excellente du datajournalisme. Enfin, pour le journalisme mobile, la majorité des étudiants des deux sections n’ont pas ou pas assez pratiqué cette compétence en classe.

  • Etudiants de 3ème année Licence, Sections arabe et française

Figure 2 Illustration d’une partie du résultat du questionnaire relatif à la maîtrise du crowdsourcing à l’aide du logiciel SPSS

En ce qui concerne l’interaction en ligne, une minorité d’étudiants de la section arabe (25%) et de la section française (16,7%) l’ont pratiquée en classe. Concernant le microblogging, la quasi-totalité des étudiants de la section française et de la section arabe n’ont pas pratiqué cette technique en classe. La grande majorité des étudiants des deux sections ont une maîtrise nulle à faible du microblogging. Quant au crowdsourcing, aucun étudiant des deux sections n’a pratiqué cette technique en classe. L’écrasante majorité des étudiants des deux sections ont une maîtrise nulle à faible du crowdsourcing.

Pour ce qui est du journalisme participatif, une majorité d’étudiants des deux sections ont une maîtrise nulle à faible (62,5% pour la section arabe et 66,67% pour la section française). Pour ce qui est du storytelling vidéo et audio numériques, la majorité des étudiants en arabe (77,8%) et en français (50%) n’ont pas pratiqué cette compétence en classe. En ce qui concerne la maîtrise de cette compétence, la majorité des étudiants en arabe (15 sur 24) ont une maîtrise nulle à moyennement faible, tandis qu’en français, une maîtrise partagée entre bonne et excellente a été signalée pour 8 étudiants sur 20. En ce qui concerne le datajournalisme et le journalisme mobile, un pourcentage élevé d’étudiants en arabe (91,67% pour le datajournalisme et 80,2% pour le journalisme mobile) et tous les étudiants en français (100%) n’ont pas ou pas assez pratiqué en classe ces compétences. Quant à la maîtrise de ces compétences, 3 étudiants sur 4 en ont une maîtrise nulle à faible.

3- Etudiants de 1ère année et de 2ème année Master PROCAN

Figure 3 Illustration d’une partie du résultat du questionnaire relatif à la pratique en classe de l’interaction en ligne à l’aide du logiciel SPSS

En ce qui concerne l’interaction en ligne, 70% des étudiants de 2ème année Master n’ont jamais pratiqué l’interaction en ligne en classe, contre 35% des étudiants de 1ère année. Aussi, l’écrasante majorité des étudiants de 1ère et de 2ème année ont une maîtrise nulle à faible du microblogging. Pour les étudiants de 1ère année Master PROCAN, 100% (23 étudiants) n’ont pas pratiqué le crowdsourcing en classe. Pour les étudiants de 2ème année Master PROCAN, 95% (20 sur 21 étudiants) ne l’ont pas pratiqué en classe. En outre, plus de 95% des étudiants de 1ère et 2ème année Master PROCAN ont une maîtrise nulle ou faible du crowdsourcing. En ce qui concerne le journalisme participatif, 21 sur 23 étudiants de 1ère année Master PROCAN ne l’ont pas pratiqué ou l’ont pratiqué une fois en classe.

En 2ème année Master PROCAN, 17 sur 25 étudiants ne l’ont pas pratiqué ou l’ont pratiqué une fois en classe. En outre, 21 sur 23 étudiants de 1ère année Master et 13 sur 21 de 2ème année Master ne maîtrisent pas le journalisme participatif. Relativement au storytelling vidéo et audio numériques, 14 sur 23 étudiants de 1ère année Master PROCAN ne l’ont pas pratiqué en classe ou pas assez. La majorité (15 sur 23) en ont une maîtrise bonne à excellente de cette technique. Quant à la photo numérique, 17 étudiants sur 23 de 1ère année Master l’ont souvent pratiqué en classe et 20 sur 23 en ont une bonne ou excellente maîtrise.  Concernant les étudiants de 2ème année Master PROCAN, 22 sur 21 l’ont pratiqué souvent en classe et 18 sur 21 en ont une bonne et excellente maîtrise.

En ce qui concerne le datajournalisme, 22 étudiants sur 23 de la 1ère année Master et 18 étudiants sur 21 de la 2ème année Master n’ont pas ou pas assez pratiqué le datajournalisme en classe. Les étudiants ayant une bonne maîtrise du datajournalisme représentent 17% en 1ère année Master et 33,3% en 2ème année Master. Concernant le journalisme mobile, les étudiants ne l’ayant pas ou pas assez pratiqué en classe représentent 26,1% (6 sur 23) en 1ère année Master et 43% (9 sur 21) en 2ème année Master. Quant à la maîtrise de cette compétence nouvelle, 11 étudiants (47%) de la 1ère année Master et 17 étudiants (81%) ont une maîtrise bonne.

VIII- Résultat et analyse du focus group

  • Analyse des données du 1er focus group à l’aide du logiciel ATLAS.ti

Figure 4 – Analyse codage et citations- Atlas.ti – 1er focus group

L’analyse du codage IA (Intelligence artificielle) du logiciel ATLAS.ti a permis de recenser 142 codes et 65 citations.

Figure 5- Codage ‘’Critiques de l’enseignement/formation’’- Atlas-ti- 1er focus group

Il existe 32 citations dans le codage ‘’Critiques de l’enseignement/formation’’, comme on peut le constater sur l’image au-dessus. Parmi les plus pertinentes, nous citons celle-ci relative à l’apprentissage de la compétence nouvelle du journalisme mobile : « C’était la culture numérique (stratégie e-mailing, des logiciels d’affichage dynamique…) mais pas du journalisme mobile. Le module est intitulé journalisme mobile mais on n’a pas appris les techniques de tournage, la prise de son, la rédaction qui accompagne une vidéo courte, des vidéos story avec du texte… C’est cela le journalisme mobile, comment raconter des histoires courtes pour les réseaux sociaux ». Ou encore ce sentiment d’incompréhension d’une étudiante qui ne voit pas en quoi l’analyse sémiologique de films de cinéma sera utile à un étudiant en journalisme. Pendant professeur de journalisme mobile a divisé les étudiants en groupes pour faire des recherches sur des concepts dont plus de la moitié était lié au commerce en ligne. Le cours était centré sur les concepts et la théorie et il n’y a eu pas de pratique des techniques de journalisme mobile. « On n’a pas appris à comment filmer à l’aide d’un smartphone, comment faire le montage et avec quel matériel… », exclame-t-elle.

Concernant la compétence nouvelle du datajournalisme, une étudiante révèle que quand les étudiants demandaient au professeur des ateliers pratiques, il reportait d’une séance à une autre jusqu’à la fin du semestre. « On a pratiqué le datajournalisme durant la toute dernière séance du module qui lui est dédié. Mais même par rapport à cela, on a pratiqué la collecte des informations, chose basique qu’on savait déjà et qu’on a signalé, vainement, au professeur», s’exprimait-elle.

Pour ce qui est de la compétence nouvelle du microblogging, cette citation d’une étudiante résume tout : « Nous n’avons jamais étudié le microblogging ni les plateformes de microblogging comme Twitter. Ni le blogging d’ailleurs ».

Par rapport à la qualité de l’information (véracité, exactitude, objectivité, impartialité…) face à l’impératif de la rapidité et de l’instantanéité imposée par la concurrence rude sur le web, «on n’a jamais appris dans le cadre de travaux pratiques ou dirigés l’impératif de la qualité de l’information au regard du journalisme en ligne ou web». « On ne nous enseigne pas ça au Master », dixit une étudiante. Concernant le storytelling vidéo et audio numériques, l’étudiant 1, l’étudiant 2 et l’étudiant 4 étaient unanimes à dire qu’ils n’en ont rien appris dans le cadre du Master, que ce soit en 1ère année ou en 2ème année. L’étudiant 3 s’est rappelée qu’ils avaient étudié le storytelling uniquement dans le cadre de la formation sur le documentaire, cinématographique et non pas journalistique. Même déception concernant l’apprentissage du crowdsourcing, nouvelle pratique qui permet aux journalistes d’obtenir des informations provenant de différentes sources parmi leur audience en ligne, une expression d’étonnement se lisait sur les visages de l’échantillon d’étudiants. Ainsi, ils ont tous eu la même réponse catégorique : « Non, on ne l’a jamais étudié ou pratiqué ».

Figure 6- Codage de la compétence nouvelle de captation et de gestion de l’audience en ligne- Atlas.ti – 1er focus group

Relativement à la compétence nouvelle de captation et de captivation et de gestion de l’audience en ligne, cette citation est parlante : « On n’a jamais rien appris sur l’audience en ligne ». Ou encore celle-ci : « Pas de cours sur les réseaux sociaux, pas de cours sur l’audience en ligne ».

Figure 7 -Codification Emotions négatives décelées dans les résultats du 1er focus groupe, illustrée par 65 citations.

Dans le cadre du module Etudes quantitatives et mesures d’audience, une étudiante dit que ce qu’elle a appris en classe, ce sont des statistiques descriptives destinées à des économistes et non pas la mesure de l’audience.

Entre la définition du journaliste web et des compétences qu’il est censé maîtriser faite par les membres de ce groupe, leurs attentes et le constat qu’ils font des compétences acquises, il y a un grand fossé, une grande déception. Plus de théorie, très peu de travaux pratiques ou dirigés, intitulés de certains modules ne reflétant guère le contenu de la formation, manque d’encadrants et de professeurs expérimentés, voilà ce que ressentent et relèvent les étudiants. « Si l’Isic a développé un bon programme mais que nous, on n’a pas une bonne formation, c’est qu’il y a quelque chose qui ne va pas », s’écrit une étudiante. « Non. Tout ce qu’on a appris, c’est comment intégrer des plugins pour gérer les commentaires mais c’est purement technique », enchaîne une autre.

Ce qui conforte ce qui a été dit, c’est la réponse à la question suivante : «Etes-vous suffisamment dotés de compétences et techniques nouvelles pour exercer le journalisme web ?» En gros, c’est encore un sentiment d’amertume «. Nous sommes en mesures de produire des contenus audiovisuels numériques mais pas forcément avec un mobile », répond une étudiante en rapport aux techniques du journalisme mobile. Rien au sujet de la création d’un poadcast, la web TV, la gestion de l’audience en ligne, le microblogging et très peu sur le datajournalisme… Pour l’écriture journalistique en ligne, les étudiants en Master n’apprennent pas l’écriture journalistique en ligne. L’inquiétant, c’est que les étudiants qui n’ont pas suivi le premier cycle à l’Isic ignorent presque tout des bases du journalisme et de l’écriture journalistique.

  • Analyse des données du 2e focus group à l’aide du logiciel ATLAS.ti

L’analyse des résultats du 2e focus group auquel a participé 7 étudiants de 2ème année et de 3ème année Licence section arabe et française a été rendue efficiente à l’aide du logiciel ATALAS.ti. Le codage IA (Intelligence artificielle) du logiciel a décelé 112 codes et 60 citations.

Figure 8-  Codage de l’IA (Intelligence artificielle)- Atlas.ti – 2e focus group

Concernant l’acquisition des compétences nouvelles liées à la pratique du journalisme web, les étudiants de 2ème année et de 3ème année section française ont plus au moins appris et pratiqué la compétence de l’écriture journalistique en ligne sans que cela ne soit suffisant pour la maîtriser pour autant. Contrairement aux étudiants de 2ème année et de 3ème année section qui n’ont pas pratiqué cette compétence en classe. Concernant le datajournalisme, la réponse était identique « Rien », « Non, on ne l’a jamais étudié ou pratiqué ». Trois codages ressortent concernant cette compétence : formation insuffisante, frustration et ignorance.

Figure 9 – Codage Frustration-datajournalisme- Atlas.ti – 2e focus group

Dans le codage Frustration (voir illustration ci-dessus), nous relevons plus qu’une déception, une désillusion et une résignation dans cette citation d’une étudiante en 3ème année Licence : «Je suis déjà semestre 6 et il ne me reste que trois ou quatre mois avant de devenir lauréate de l’Institut, et pourtant, je n’ai jamais appris le datajournalisme». Concernant le journalisme mobile, la plupart des étudiants disent n’avoir jamais eu de module dédié au journalisme mobile et n’avoir jamais étudié ou pratiqué cette compétence. Deux d’entre eux, en 2me année section française, affirment avoir eu connaissance de ses bases, en dehors de la formation initiale. Cette citation d’une étudiante en 3ème année résume toute leur déception : « Je suis en troisième année de Licence, et on n’a jamais étudié ou pratiqué le journalisme mobile ».

Figure 10 – Codage Difficultés-Insatisfaction- Atla.ti- 2e focus group

Concernant le storytelling vidéo et audio numériques, durant les 3 années de Licence, il n’existe aucun module dédié. « Non, on n’a rien appris ou pratiqué en classe », cette citation a figuré dans la réponse de tout l’échantillon.

Figure 11 – Codage Formation insuffisante- Atlas.ti- 2e focus groupe

Pour ce qui est de la captation et la captivation de l’audience en ligne, le crowdsourcing et le journalisme participatif, (voir l’illustration ci-dessus) trois compétences qui se complètent et qui permettent aux journalistes d’élargir et de fidéliser son audience, cette citation est édifiante : « Non, jamais ». Exception faite d’une étudiante en 2ème année section française qui a pris connaissance des ba-a-ba de ces compétences sans les pratiquer en classe.

Figure 12 – Codage Compétences journalistiques- Atlas.ti- 2e focus group

Relativement à l’utilisation des plateformes de microblogging et de l’apprentissage de ses techniques, en dehors d’une séance ou deux dans le cadre d’un module sur le journalisme web au profit des étudiants 2ème année section française, la plupart des étudiants n’ont jamais rien appris. Cette citation reflète une déception et une résignation à la fois. « Nous n’avons jamais étudié le microblogging ni les plateformes de microblogging». Concernant le matériel et les équipements (connexion internet, caméras, enregistreurs, micros…) aidant à la pratique en cours du journalisme web (journalisme mobile, microblogging, datajournalisme…), il y a lieu de relever cette citation : « Il y a peu de caméras. Et la qualité de celles disponibles est médiocre. Quand on film avec son propre smartphone, la qualité de l’image est meilleure que celle obtenue par les caméras de l’Institut. Même chose pour les micros. Quant aux studios, on sent parfois que certains techniciens ne maîtrisent pas certaines techniques et technologies. Et puis les studios ne permettent pas d’accueillir un grand nombre d’étudiants. Il faut attendre beaucoup pour atteindre son tour ». Entre leur conception du métier de journaliste web et leurs attentes de formation, un grand écart existe. Deux citations l’illustrent parfaitement : « On a appris même pas le quart des compétences et techniques nouvelles liées à l’exercice du journalisme web », « L’emploi du temps est trop chargé par des modules théoriques et qui n’ont rien à voir avec la pratique du journalisme ».

IX- Test expérimental

Dans notre recherche, nos hypothèses sont centrées sur un double problème : l’apprentissage des compétences nouvelles liées au journalisme web et l’utilisation de ces compétences pour atteindre, capter et captiver une audience en ligne via les médias en ligne et les réseaux sociaux. Pour la majorité des étudiants de nos échantillons du questionnaire et du focus group, le manque de pratique en classe est souvent soulevé. Nous avons opté pour un test expérimental au sein de la classe de 2ème année Licence section française dont les résultats devront valider ou invalider ce constat. Il consiste à demander à deux groupes (expérimental et contrôle) de créer une vidéo numérique au cours de la semaine du 7 au 15 avril 2023. Des ateliers de formation ont été organisés du 13 au 17 mars 2023 par l’Institut en partenariat avec l’Al Jazeera Media Institute au profit des étudiants de 2ème année et 3ème année Licence et de 1ère année Master. Les ateliers visaient à doter les étudiants des compétences essentielles qui ne sont généralement pas couvertes par les programmes universitaires et qui sont indispensables à la pratique moderne du journalisme.

L’un de ces ateliers auquel nous avons assistés, à savoir le récit numérique visuel (vidéo) ou le storytelling visuel, a profité aux étudiants de cette classe (15 étudiants). La formation de cinq jours et de 25 heures contenait cinq heures de travaux pratiques de réalisation de vidéos factuelles, vidéos contextuels, une histoire humaine… A la fin de cette formation, nous avons parlé du projet à tous les étudiants de 2ème année Licence section française. L’idée les a intéressés surtout qu’ils avaient déjà entamé, au cours de cet atelier, la réalisation d’un projet de vidéos de différents genres et de différents formats. Notre but était de voir l’impact particulier de cette formation en parallèle de leurs études sur l’acquisition des compétences de storytelling visuel par la moitié des étudiants.

  • Population concernée et dispositif expérimental

Dans le groupe du dispositif « expérimental », nous avons sélectionné sept étudiants de cette classe (Etudiants 1, 2, 3, 4, 5, 6 et 7) qui ont profité du 1er au 7 avril d’un enseignement-apprentissage explicite ou d’un rappel des techniques du storytelling visuel (montage, mixage, synchronisation musique-texte-image…), et de l’écriture journalistique en ligne (techniques de référencement web, phrases courtes et percutantes…). Nous leur avons appris à utiliser la vidéo pour informer et quelle que soit sa forme (par ex. une story), une vidéo devant raconter une histoire courte, percutante, efficace et surtout accrocheuse. Là encore, les bons conseils se multiplient : ébaucher un storyboard, alterner et rendre cohérents les plans, penser à la dimension virale sur le web… Les huit autres étudiants (Etudiants 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14 et 15) du dispositif « contrôle » n’ont pas bénéficié de cet enseignement-apprentissage sur le storytelling visuel numérique et l’écriture pour le web. Nous allons nous limiter dans cette publication à exposer la lecture et l’analyse d’une vidéo par groupe.

  • Résultats du groupe « Expérimental »

Vidéo Etudiant 1

La première remarque saillante est l’absence de titre et de présentation succincte et accrocheuse  (description de l’objet) de la vidéo produite par l’Etudiant 1. Une bonne attaque avec une image réelle d’une manifestation contre la cherté de la vie et un sous-titrage (texte) parfaitement synchronisé. De la 9ème à la 23ème seconde, on entend une voix mais on ne voit pas qui parle. La synchronisation du sonore et de l’image est défaillante, ce qui impacte négativement le récit. Il y a lieu de noter aussi que l’habillage de la vidéo de 1 minute, évoquant la grogne populaire du fait de la cherté de la vie, est dépourvu d’un synthé (ou bandeau), une incrustation de texte présentant l’identité (nom et prénom) et la fonction de la personne qui apparaît et parle. A partir de la 32ème seconde jusqu’à la 60ème seconde (la fin), la tonalité change. La musique qui accompagne la vidéo aussi. Au lieu d’images vivantes, l’étudiant diffuse une carte mapping du Maroc pour indiquer les lieux de manifestations similaires. La chute n’est pas bien soignée.  La narration (storytelling) se retrouve un peu perturbée. L’audience en ligne, dit-on, retient toujours la fin.

  • Résultats du groupe « Contrôle »

Vidéo Etudiant 8

La première remarque saillante est l’absence de titre et de présentation succincte et accrocheuse  (description de l’objet) de la vidéo produite par l’Etudiant 8. C’est une vidéo de 2 minutes 51 secondes qui raconte une histoire humaine, l’histoire d’une jeune fille dont le physique n’aide pas à s’intégrer dans la société et à être socialement acceptée. Pas d’attaque percutante qui accroche l’audience en ligne. On ne découvre le nom de la jeune fille qu’à la 23ème seconde. On ignore tout de la réponse aux questions Où ? Mauvaise attaque (de la littérature, absence de texte qui accompagne la voix off pour les malentendants, sourds et personnes ne pouvant déclencher le son). Pas de sonores du personnage principal. Pas de personnages secondaires qui parlent de la jeune fille, sa vie ou ses souffrances. Un récit incohérent qui n’attire pas et n’incite pas à visualiser la vidéo de bout en bout. Il y a aussi des fautes d’orthographe et de langue qui réduisent la lisibilité, une absence de mots-clés dans le sous-titrage, une mauvaise qualité de son et d’image et un mauvais choix de la musique. Le format de la vidéo est inadapté. Il est rectangulaire. Il fallait le mettre e format 4×5 adapté à tous les réseaux sociaux et à cette vidéo en particulier.

  • Analyse des résultats

Somme toute, les vidéos des groupes « Expérimental » et « Contrôle » ont besoin d’amélioration en termes de storytelling visuel et d’écriture journalistique en ligne pour être plus engageantes et captiver l’audience en ligne. Elles présentent des lacunes comme l’absence d’attaque percutante pour accrocher l’audience en ligne, des erreurs de synchronisation et de qualité de son et d’image, ainsi qu’une rupture dans le fil conducteur narratif de certaines histoires présentées.

Les vidéos réalisées par les étudiants du groupe « Expérimental » ont, tout de même, un avantage patent sur leurs camarades du groupe « Contrôle ». Il s’agit de la profondeur des sujets choisis et de leur traitement ainsi que la cohérence du récit généralement bonne.

Les étudiants du groupe « Expérimental » ont retenu quelques consignes et conseils sur le storytelling visuel mais aussi l’écriture journalistique en ligne puisque la grande majorité a mis un titre informatif et des sous-titres relativement clairs et bien synchronisés avec la musique et les sonores.

Ce qui veut dire que se contenter de suivre les conseils prodigués pendant un temps réduit ne suffit pas et que l’apprentissage est un processus permanent.

Les étudiants du groupe « Contrôle » ont, pour leur écrasante majorité, choisi de raconter une histoire qui ne capte pas l’attention de l’audience en ligne, d’autant plus que leurs récits est perturbée par des synchronisations ou l’absence de texte accompagnant l’image ou encore une chronologie qui rompt avec la narration, sans compter les techniques d’écriture en ligne (phrases courtes) et de référencement (mots-clés).

Tout bien pensé, l’effet de l’intervention auprès des six étudiants du groupe « Expérimental » a donné son effet. Toutes choses égales par ailleurs, il faut reconnaître que les compétences des étudiants des deux groupes en storytelling visuel, en journalisme mobile et écriture journalistique en ligne sont faibles à moyennes. Il y a plusieurs éléments qui indiquent un manque de compétences en storytelling visuel et en écriture journalistique en ligne et en les techniques de captation de l’audience en ligne. Tout d’abord, l’absence de titre et de présentation succincte et accrocheuse nuit à l’attractivité de la vidéo. De plus, la synchronisation défaillante du sonore et de l’image, ainsi que l’absence d’un synthé ou bandeau pour présenter les personnes qui parlent, perturbent le récit et nuisent à la clarté de la vidéo. Des techniques qui sont considérées par ailleurs comme élémentaires. Aussi, l’absence d’une attaque percutante pour accrocher l’audience et l’absence de textes pour accompagner la voix off ou les sonores (pour l’audience malentendante ou qui, pour des raisons professionnelles, se passe de la fonction ‘’son’’). Enfin, le choix du format de la plupart des vidéos est inadapté pour les réseaux sociaux et peut rendre la vidéo moins attractive pour l’audience. 

X – Conclusion

Notre recherche s’est appuyée sur une étude empirique auprès de 125 étudiants dans un Institut de référence en formation au journalisme à Rabat. Trois instruments de recherche ont servi à réaliser cette étude, à savoir le questionnaire, le focus group et le test expérimental.

Il en ressort que les étudiants des trois années du cycle Licence ont une maîtrise faible des compétences nouvelles (microblogging, datajournalisme, crowdsourcing, interaction en ligne, storytelling visuel audio et vidéo numériques, journalisme mobile) et une maîtrise bancale des techniques de l’écriture journalistique en ligne ou l’écriture journalistique pour le web qui inclut celles du référencement web notamment.

Une bonne partie des étudiants de 3ème année ne poursuivent pas leurs études en deuxième cycle après avoir décroché leurs diplômes. Ils sont séduits par des offres de stages débouchant sur des contrats d’embauche. Leur faible maîtrise des compétences nouvelles liées au journalismes web risque alors de compromettre leur avenir.

Quant aux étudiants en Master, leur moitié n’a aucune idée des compétences journalistiques traditionnelles étant donné qu’ils sont lauréats d’autres instituts, universités ou écoles et que leurs domaines d’études initiaux n’ont quasiment aucun lien avec le journalisme et la communication. Le plus important est de savoir que leur grande majorité ont une maîtrise faible des compétences nouvelles liées au journalisme web (microblogging, datajournalisme, crowdsourcing, journalisme participatif, interaction en ligne, storytelling visuel audio et vidéo numériques).

XI- Bibliographie

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