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Organisation de l’Etat Islamique Rationalité de la violence extrême

By Dr. Dalia Ghanem Yazbeck
Research Analyst
Carnegie Middle East Cent

L’organisation de l’Etat islamique a annoncé le 4 février, avoir brulé vif le pilote jordanien Moaz el Kasasbeh capturé après la chute de son F-16 près de Raqqa (Syrie). Le meurtre de ce jeune pilote de 26 ans, a été diffusé dans une vidéo intitulée « shifa’ el soudour » [litt. La guérison des poitrines. Fig. l’apaisement des croyants]. Cette nouvelle vidéo, à l’instar des précédentes, montre les capacités audiovisuelles et la stratégie de communication exceptionnelles dont dispose le groupe. Tout y est étudié: en commençant par la lumière, l’étalonnage des couleurs, le cadrage et la qualité de l’image, passant par les prises de vue, gros plans, ralentis, effets spéciaux et autre images de synthèse, jusqu’au sous-titres et bruitages. Pourquoi avoir brûlé le pilote ? Quelle est la rationalité de ces actes qui semblent si irrationnels ?

La vidéo débute avec des extraits de discours du Roi de Jordanie, Abdallah II, appelant les pilotes jordaniens à participer aux bombardements menés par la coalition contre l’EI en Iraq et en Syrie. La narration est basée sur un vocabulaire qui sert à construire les représentations des victimes, et de ce fait à justifier les actes de violence à leur encontre. Ces actes sont rationalisés : ainsi la Jordanie est ciblée car elle est un pays gouverné par un « taghout » [impie], elle est un « pays traitre », «suppôt des croisés » dont l’assistance a contribué aux « meurtres de près de 20 000 musulmans ».

La parole est ensuite donnée à l’otage, Moaz El Kasasbeh. Après s’être présenté, le jeune pilote donne des détails sur sa mission en Syrie, les pays intervenants, le type d’armes utilisés ainsi que les aéroports de ravitaillement des avions. Puis, l’otage s’adresse directement au peuple jordanien : « Notre gouvernement est un gouvernement de marionnettes dirigées par les sionistes […] je vous demande d’arrêter d’envoyer vos enfants et de les empêcher de participer à ce type de mission […] et ce pour éviter qu’ils connaissent le même sort que le mien […] ». En utilisant la victime pour justifier les actes de ceux-là même qui vont l’assassiner, les djihadistes de l’EI renforcent leur exposé et donne une plus grande légitimité à leurs actes. Ils se veulent au service de la parole divine, c’est elle qui les guide pour tuer les « mourtadine » [apostats], les « tawaghit » [impies], les « nousayriyat » [alaouites] et les « rafidah » [chiites]. C’est là, la justification religieuse du meurtre. Les convictions du « in-group » se nouent à l’encontre du « out-group » dans une mystification islamiste où le réel disparaît.

Le plan suivant montre l’otage, habillé de la fameuse tenue orange des prisonniers de Guantanamo, marchant dans un décor de désolation et de ruines. Sous fond de bruits d’avions et de cris d’enfants, des plans de coupe montrent des bombardements, des images d’enfants calcinés et de corps ensevelis. À travers ces images, l’EI justifie encore une fois son ultra-violence et la présente comme défensive. Elle est un devoir envers la « oumma » [communauté des croyants], pour sa survie et celle de « l’unique religion ».

Dans la séquence suivante, des djihadistes, portant un uniforme similaire (treillis kaki), visages masqués et mains dissimulées, arme en bandoulière apparaissent en arrière-plan. Cette homogénéité vestimentaire a pour but la dépersonnalisation, on n’est plus « un », mais « nous », on fait corps avec le groupe. L’uniforme est là pour marquer l’esprit de corps, renforcer la cohésion groupale et surtout préparer à la violence. Il participe également à la mise en condition du passage à l’acte.

Dans le plan suivant, l’otage, tête baissée, est dans une cage et sa tenue de prisonnier est mouillée. Un gros plan est fait sur le bourreau (présenté comme étant le capitaine d’une phalange attaquée par les avions de la coalition), tenant une torche. Lorsque celui-ci met le feu à la poudre, la caméra filme la flamme qui fait son chemin et aussitôt un « nashid islami » [psalmodies religieuses] portant le titre « ilaykoum sa ne’ti bidhabhi wa mawt » [à vous l’on viendra en égorgeant et en tuant] débute. Ce type de chants est très important dans l’univers sonore de l’organisation. Ces chants produisent un véritable enivrement, voire une exaltation chez les djihadistes et leurs admirateurs. Ils sont une célébration de l’existence du groupe. L’écoute de ces chants réactive la passion que l’individu a pour l’organisation de l’État Islamique. Par leurs paroles, ces psalmodies religieuses participent aussi au conditionnement à la violence.

La séquence suivante consiste en un gros plan sur la flamme qui fait son chemin vers la cage de la victime. Elle arrive rapidement : l’otage hurle, se tortille. Son agonie est lente. Il finit par tomber à genou puis en arrière. Le meurtre de Moaz El Kasasbeh est vu et présenté comme une mission divine de « tathir » [purification] ; les djihadistes d’IS sont là pour « épurer la face de la terre des impies », les offrir en sacrifice à Allah car l’exécutant pense être la main de Dieu. Le feu anéantit cet « autre », cet «ennemi dangereux » qu’il faut tuer car comme l’a expliqué Ibn Taymiyya «Si la mort horrible permet de repousser l’agression […] il s’agit d’un jihad légitime ». Le sacrifice est lisible aussi pour la victime qui appartient à la même religion. Bourreaux et victimes partagent du sens. C’est ce partage qui rend l’acte encore plus effroyable à supporter pour l’otage jordanien. Dans un geste ultime de déni de l’« autre », des gravats sont jetés sur la cage du pilote à l’aide d’un bulldozer. Il y a ici un déni de l’« autre », de son humanité, un désir de le supprimer, de l’abolir, de l’avilir.

La vidéo se termine avec des appels au meurtre des pilotes jordaniens de la coalition. Leurs photos, leurs grades ainsi que leurs adresses sont publiés. Une récompense de 100 dirhams en or est promise à celui qui exécutera la mission.

Bien que cette vidéo diffère des autres dans le moyen de la mise à mort de la victime, elle sert les mêmes objectifs. A travers cette vidéo, l’EI veut mettre en scène son omnipotence ainsi que la détermination de ses djihadistes. La vidéo est une démonstration de force et de terreur visant à pousser les populations à faire pression sur leurs gouvernements pour qu’ils se retirent de la coalition. D’autre part, la vidéo sert à justifier l’ultra-violente du groupe et sa banalisation en la justifiant par un objectif moral transcendant, l’avènement du Califat.

L’ultra violence de l’organisation de l’Etat islamique est un moyen par lequel le groupe s’est fait un nom, une réputation et s’est assuré des allégeances. Il est certain qu’à l’heure actuelle, il faut s’attendre à davantage de violence. En effet, afin de maintenir sa réputation, prévenir les défections et essentiellement préserver son monopole du djihadisme, le groupe va probablement multiplier et intensifier les assassinats et possiblement retourner sa violence sur les populations locales.

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