Research studies

Les Prisonniers d’Opinion en Syrie: Une Analyse Sociologique de la Domination, de la Déshumanisation et du Contrôle Social à travers le  Modèle de la Prison de Saydnaya

 

Prepared by the researche  : 1 Maissène Ben Arab  – Institut Supérieur du Sport et de l’Education Physique, Sfax, Tunisie.

DAC Democratic Arabic Center GmbH

Journal of Asian Issues : Twenty-fifth Issue – July 2025

A Periodical International Journal published by the “Democratic Arab Center” Germany – Berlin

Nationales ISSN-Zentrum für Deutschland
ISSN  2629-6616
Journal of Asian Issues

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Abstract

Saydnaya Prison, near Damascus, stands as a symbol of the systematic violence employed by the Syrian regime to assert its dominance. Initially intended for conscience and military prisoners, it now represents a state strategy of total dehumanization. Accounts from survivors and reports from specialized organizations reveal practices of physical and psychological torture aimed at breaking prisoners’ identities and instilling a climate of collective fear and terror. More than just a carceral space, Saydnaya has transformed into a sociopolitical tool, extending the regime’s repressive logic beyond its walls. This place signifies absolute control over bodies, minds, and Syrian society as a whole.

  1. Introduction

Dans la prison de Saydnaya, les prisonniers d’opinion détiennent un intérêt particulier. Ces personnes sont souvent arrêtées pour leurs opinions politiques, leurs actes pacifiques de dissidence ou parfois même leur foi et soumises à une torture physique et psychologique constante sans aucune forme de procès (Amnesty International, 2017). Ces personnes sont particulièrement maltraitées car le régime syrien emprisonne tous les opposants d’opinion et les utilise comme un outil de répression pour maintenir son contrôle autoritaire (Amnesty International, 2016). Ils se classifient en tant que prisonniers d’opinion, ce qui fait d’eux les victimes parfaites car ils sont en dehors du cadre juridique traditionnel, les privant de tous droits (Amnesty International, 2016).

L’objectif de cette violence est de ne pas seulement briser ces prisonniers d’opinion physiquement, mais d’anéantir entièrement leur identité (Amnesty International, 2017). Ce type de déshumanisation est utilisé pour maintenir le pouvoir et éradiquer toute forme d’opposition. Leurs souffrances qui sont pourtant si réelles deviennent à la place un symbole de la colère et de l’injustice constante présente dans ce système. Ainsi, la prison de Saydnaya devient bien plus qu’un simple lieu de détention : elle se transforme en un instrument de domination sociale et politique, où les prisonniers d’opinion sont délibérément réduits à des objets de contrôle et de soumission (Amnesty International, 2016).

Les récits des anciens détenus et les enquêtes menées par des organisations internationales, telles qu’Amnesty International, révèlent des pratiques systématiques qui s’apparentent à une industrialisation de la violence (Amnesty International, 2017). Les détenus, souvent arrêtés arbitrairement, sont plongés dans un univers où la notion même de droit disparaît, laissant place à une structure relationnelle asymétrique entre les bourreaux et les victimes. Ce système repose sur des mécanismes qui vont au-delà de la simple punition physique : la torture devient un dispositif visant à produire une obéissance absolue, un effacement de l’identité personnelle et une destruction de toute capacité de résistance (Amnesty International, 2016).

Du point de vue sociologique, les pratiques de torture à Saydnaya s’inscrivent dans une logique de biopolitique où le pouvoir souverain exerce un contrôle non seulement sur la vie, mais également sur la mort des individus (Amnesty International, 2016). En soumettant les détenus à des conditions de vie inhumaines – surpopulation, privations alimentaires et médicales, humiliation constante –, l’institution pénitentiaire opère une sélection brutale entre ceux qui sont destinés à survivre dans un état de dégradation physique et psychologique, et ceux qui sont condamnés à une mort lente et silencieuse (Amnesty International, 2017). Cette dynamique reflète la transformation du pouvoir en un dispositif qui ne se contente pas de punir, mais qui cherche à réguler et produire des sujets brisés, dépossédés de toute agentivité.

La variété des formes de torture infligées – coups répétés, postures forcées, privation sensorielle, viol, et autres supplices – souligne le caractère performatif de la violence. Elle ne se limite pas à infliger de la douleur, mais agit comme un moyen de communication, une sorte de langage institutionnalisé destiné à instaurer un climat de terreur aussi bien à l’intérieur de la prison qu’au-delà (Amnesty International, 2017). Les corps torturés deviennent des supports d’inscription du pouvoir : chaque cicatrice, chaque mutilation, chaque cri résonne comme un rappel de la domination totale de l’État sur l’individu (Amnesty International, 2025).

En sociologie carcérale, ces pratiques peuvent être analysées à travers le prisme des théories interactionnistes et structuralistes. Dans les interactions entre gardiens et détenus, les rôles sont distribués selon une dramaturgie où les tortionnaires incarnent le monopole de la violence légitime, tandis que les détenus sont réduits au statut de « corps sans voix » (Goffman, 1961 ; Foucault, 1975). Cette dynamique s’exacerbe dans des espaces clos comme Saydnaya, où l’isolement physique et social des détenus favorise l’émergence d’un environnement dépourvu de tout contre-pouvoir (Amnesty International, 2017).

En outre, la violence de Saydnaya s’étend au-delà de ses murs. Elle agit comme un dispositif symbolique destiné à discipliner la société syrienne dans son ensemble. Les récits des survivants, bien qu’ils soient réduits au silence à l’intérieur de la prison, trouvent écho dans les communautés extérieures, instaurant une peur diffuse et omniprésente (Amnesty International, 2016 ; Butler, 2004). Cette peur fonctionne comme un mécanisme de contrôle social, visant à prévenir toute tentative d’opposition au régime en rappelant les conséquences extrêmes de la dissidence (Agamben, 1998).

Ainsi, la prison de Saydnaya ne se limite pas à être un espace carcéral : elle incarne une logique répressive qui dépasse la dimension individuelle pour s’étendre à la société tout entière. En cela, elle illustre la capacité des régimes autoritaires à instrumentaliser les institutions pénales non pas pour corriger ou réhabiliter, mais pour maintenir leur domination par une gestion stratégique de la terreur (Foucault, 1975 ; Amnesty International, 2017). Ce faisant, Saydnaya devient un laboratoire sociopolitique où s’expérimente une violence totale, repoussant les frontières de l’humain pour en faire un instrument de contrôle absolu (Agamben, 1998 ; Amnesty International, 2016).

La prison de Saydnaya n’est pas seulement un espace clos où règne l’arbitraire, mais elle fonctionne comme une micro-société oppressive où les relations de pouvoir sont amplifiées par l’isolement, la peur et la violence (Fassin, 2015 ; Amnesty International, 2017). Les cellules surpeuplées, dépourvues de lumière naturelle, les rations alimentaires insuffisantes et les privations médicales constituent autant de moyens de contrôle et de punition (Amnesty International, 2016). Cependant, ce sont les supplices eux-mêmes, orchestrés avec une précision effroyable, qui témoignent de la volonté de réduire les détenus à l’état d’objets déshumanisés. Les cris étouffés, les corps mutilés et les silences imposés deviennent des éléments constitutifs d’une atmosphère où la souffrance est omniprésente et institutionnalisée (Amnesty International, 2017 ; Butler, 2004).

Au-delà des corps, ce sont les esprits qui sont méthodiquement attaqués. L’utilisation de techniques de torture psychologique, telles que l’isolement prolongé, l’interdiction de parler ou le fait de forcer les détenus à assister à l’exécution d’autres prisonniers, vise à anéantir la capacité de résistance et à briser tout espoir de survie (Amnesty International, 2016). À travers ces pratiques, le régime syrien ne se contente pas de punir ceux qu’il considère comme des opposants ou des menaces potentielles : il cherche à imposer un climat de terreur généralisée qui dépasse les murs de la prison et s’étend à l’ensemble de la société (Foucault, 1975 ; Amnesty International, 2025).

Dans cette introduction, il est essentiel de situer Saydnaya dans un contexte plus large, où la violence carcérale devient une extension des logiques politiques du régime. Les supplices pratiqués à Saydnaya ne sont pas de simples déviations ou abus individuels, mais le reflet d’une stratégie étatique visant à affirmer une domination totale sur les corps et les esprits (Agamben, 1998 ; Fassin, 2015). Cette violence dépasse le cadre de la prison elle-même et s’inscrit dans une politique de répression systématique qui cible non seulement les détenus, mais aussi leurs familles et leurs communautés (Amnesty International, 2017 ; Amnesty International, 2025).

Cet article propose une analyse sociologique approfondie de cette violence carcérale, en s’appuyant sur des récits de survivants, des rapports d’enquêtes internationales et des théories sociologiques pertinentes (Amnesty International, 2016 ; Foucault, 1975 ; Goffman, 1961). L’objectif est de comprendre les mécanismes à travers lesquels le supplice est utilisé non seulement comme une punition, mais aussi comme un instrument de contrôle social et politique. Il s’agira également d’explorer les conséquences de cette violence sur les individus et sur les dynamiques sociales, tout en interrogeant la manière dont ces pratiques reflètent les logiques d’un régime autoritaire qui s’inscrit dans une tradition plus large de répression au Moyen-Orient (Agamben, 1998 ; Fassin, 2015 ; Amnesty International, 2025).

  1. La prison comme microcosme de la domination: Violence institutionnalisée et contrôle des corps à Saydnaya

Les récits des survivants de Saydnaya ne se contentent pas de décrire une brutalité physique ; ils révèlent également une structure complexe de domination où chaque aspect de l’existence des détenus est minutieusement contrôlé pour les réduire à une condition d’absolue vulnérabilité (Amnesty International, 2017 ; Fassin, 2015). Ces témoignages mettent en lumière une violence systémique qui va bien au-delà des sévices corporels, inscrivant les pratiques de torture dans une stratégie globale de déshumanisation et de contrôle total (Foucault, 1975 ; Amnesty International, 2016).

L’entassement dans des espaces exigus, évoqué par un survivant, illustre cette dynamique. Dans une cellule bondée, où les prisonniers sont contraints de se partager un espace à peine suffisant pour se tenir debout, l’expérience quotidienne devient une lutte contre la suffocation physique et psychologique. Cette promiscuité imposée, combinée au manque d’hygiène, aux infestations et à l’absence de lumière naturelle, est une forme de punition collective (Amnesty International, 2016). Un détenu raconte : « Nous ne savions jamais si c’était le jour ou la nuit. L’obscurité permanente devenait une torture pour l’esprit, nous rendant incapables de nous situer dans le temps ou de trouver un quelconque repère » (Amnesty International, 2017).

Ce type de condition reflète ce que Michel Foucault décrit comme le « bio-pouvoir », où le contrôle de l’État s’exerce non seulement sur les actes des individus, mais aussi sur leurs corps et leurs fonctions biologiques (Foucault, 1976). À Saydnaya, cette logique atteint un degré extrême, où les besoins fondamentaux – respirer, boire, manger, dormir – sont manipulés pour maintenir les détenus dans un état constant de dépendance et de souffrance (Agamben, 1998 ; Amnesty International, 2016).

Les privations alimentaires témoignent également de cette volonté d’exercer une domination absolue. Les témoignages rapportent que les repas, rarement distribués, se limitaient à quelques morceaux de pain rassis ou à une soupe aqueuse (Amnesty International, 2017). Un survivant décrit : « Nous étions tellement affamés que nous cherchions des miettes sur le sol, malgré la saleté et les insectes. La faim nous poussait à faire des choses que nous n’aurions jamais imaginées » (Amnesty International, 2025). Cette privation de nourriture dépasse la simple négligence ; elle agit comme un outil de torture silencieuse, affaiblissant les corps et exacerbant les tensions entre les détenus (Fassin, 2015).

Parallèlement à cette violence physique, les humiliations psychologiques jouent un rôle central dans la mécanique de domination. Les gardiens imposent des règles absurdes, comme l’interdiction de regarder un garde dans les yeux ou l’obligation de réciter des slogans en faveur du régime (Amnesty International, 2017). Un ancien prisonnier témoigne : « Si quelqu’un osait lever les yeux ou ne répétait pas les slogans, la punition était immédiate. Ils faisaient de nous des ombres, des êtres sans volonté » (Amnesty International, 2025). Ces humiliations quotidiennes, bien que paraissant anodines, participent à un processus de désubjectivisation, où les détenus perdent progressivement toute capacité à se percevoir comme des individus (Butler, 2004 ; Foucault, 1975).

L’interdiction de parler, fréquemment mentionnée dans les témoignages, illustre cette dynamique. Le silence imposé brise les liens sociaux et empêche toute forme de solidarité entre détenus (Amnesty International, 2016). Un survivant raconte : « Nous étions entourés de gens, mais nous étions complètement seuls. Ce silence, c’était comme une mort lente, une isolation de l’esprit autant que du corps » (Amnesty International, 2025). Cette stratégie, en isolant les individus dans un environnement collectif, empêche l’émergence d’une résistance collective et renforce la fragmentation des individus (Goffman, 1961 ; Foucault, 1975).

La violence à Saydnaya ne se limite pas aux sévices infligés directement par les gardiens. Les détenus sont contraints d’être des témoins impuissants des tortures infligées à leurs compagnons d’infortune. Un ancien prisonnier décrit : « Ils nous forçaient à regarder les autres se faire battre à mort. Ils voulaient que nous sachions que cela pouvait nous arriver à tout moment. C’était une façon de nous rappeler que nous n’étions rien, juste des corps qu’ils pouvaient détruire quand ils le voulaient » (Amnesty International, 2017). Ces spectacles de violence, qui dépassent la simple punition, agissent comme un moyen de briser la volonté des détenus et de maintenir un climat de terreur permanente (Agamben, 1998 ; Butler, 2004).

Ainsi, les récits des survivants révèlent que la violence institutionnalisée à Saydnaya est à la fois physique, psychologique et symbolique. Chaque aspect de la vie carcérale est conçu pour annihiler l’individu, transformer les corps en outils dociles et projeter une ombre de terreur bien au-delà des murs de la prison. Cette mécanique de domination totale illustre les rouages d’un système répressif qui ne cherche pas seulement à punir, mais à éradiquer toute forme d’humanité et de résistance. En analysant ces témoignages à travers une perspective sociologique, il devient clair que Saydnaya n’est pas seulement une prison, mais un espace où l’État met en scène sa capacité de contrôle absolu sur les vies qu’il emprisonne (Amnesty International, 2017 ; Rejali, 2007).

Les pratiques de torture, omniprésentes, sont décrites avec une précision terrifiante par les anciens détenus. « Ils nous forçaient à rester dans des positions impossibles pendant des heures, et si nous bougions, ils nous frappaient jusqu’à l’évanouissement. » Ces paroles mettent en évidence l’utilisation de la douleur comme moyen de contrôle des corps. Dans une analyse sociologique, ces pratiques peuvent être vues comme des outils performatifs, où la souffrance physique sert à établir une relation asymétrique entre les tortionnaires et leurs victimes, ancrant ainsi la domination dans le quotidien (Scarry, 1985 ; Butler, 2004).

L’aspect psychologique de la violence est également souligné dans de nombreux récits. « Pendant des mois, je n’ai pas entendu le son de ma propre voix. Nous n’avions pas le droit de parler, pas même de chuchoter. Ce silence imposé était pire que les coups. » Ce témoignage illustre l’impact de l’isolement social et sensoriel sur les détenus, qui sont privés de toute interaction humaine, renforçant ainsi leur vulnérabilité et leur désespoir. D’un point de vue sociologique, cette stratégie vise à détruire non seulement le lien social, mais aussi l’identité personnelle, rendant les détenus incapables de se reconstruire psychologiquement (Haney, 2003 ; Goffman, 1961).

La prison de Saydnaya se présente comme un dispositif répressif où la violence, loin d’être arbitraire, suit une logique structurée et rationnalisée, servant des objectifs politiques et sociaux précis. À travers les témoignages des survivants, il devient évident que ce lieu ne se limite pas à une fonction punitive ; il incarne un espace de fabrication et de perpétuation du pouvoir autoritaire, où la violence systématique est utilisée pour maintenir un ordre social fondé sur la peur, la soumission et le contrôle total (Foucault, 1975/1993 ; Wedeen, 1999).

La mise en scène des exécutions, évoquée par les détenus, illustre l’usage symbolique et performatif de la violence. Lorsque les prisonniers sont contraints d’assister à ces actes, ils ne sont pas seulement témoins passifs de la brutalité, mais également participants forcés d’une dramaturgie de la terreur. Cette dimension théâtrale de la répression carcérale s’inscrit dans ce que Goffman (1959) pourrait qualifier de « mise en scène de la domination » : chaque exécution, chaque cri, chaque coup de matraque devient un message destiné non seulement à l’individu directement visé, mais à l’ensemble des détenus et, par extension, à la société extérieure (Mbembe, 2003).

En sociologie, cette violence orchestrée peut être interprétée à travers la théorie du pouvoir disciplinaire développée par Michel Foucault. Dans Surveiller et punir, Foucault (1975/1993) explique comment le pouvoir moderne s’exerce non seulement en infligeant des souffrances visibles, mais en insérant cette souffrance dans une logique de normalisation et de contrôle. À Saydnaya, la violence ne vise pas simplement à punir les détenus pour des transgressions spécifiques, mais à conditionner leur comportement, à réécrire leur rapport à leur propre corps et à leur propre esprit. Comme l’explique un survivant : « Après des mois là-bas, nous n’étions plus des personnes, mais des ombres. Nous ne pouvions plus penser par nous-mêmes ; nous ne faisions que survivre, minute après minute. » (Amnesty International, 2017).

La peur collective instaurée à Saydnaya ne s’arrête pas aux murs de la prison. Les récits des survivants montrent comment la terreur se diffuse dans les communautés. Cette diffusion est intentionnelle et stratégique : les récits des tortures et des exécutions qui circulent parmi la population créent un climat de paralysie sociale. Un ancien détenu raconte : « Quand je suis sorti, tout le monde autour de moi avait peur de poser des questions. Ils savaient que même parler de Saydnaya pouvait les y conduire. » Cette observation révèle une forme de contrôle social indirect, où la prison devient un outil de dissuasion pour toute contestation politique ou sociale (Wedeen, 1999 ; Human Rights Watch, 2009).

La sociologie peut ici mobiliser les travaux de Pierre Bourdieu sur la violence symbolique pour approfondir l’analyse. À Saydnaya, la violence physique est doublée d’une violence symbolique, où le simple fait de savoir que de telles horreurs se produisent sert à légitimer l’autorité absolue du régime. Cette violence symbolique agit subtilement, en inculquant la peur et la résignation dans les esprits, même chez ceux qui n’ont jamais mis les pieds dans une prison. Elle produit ce que Bourdieu (1990) appelle un habitus de soumission, où les individus intériorisent l’idée qu’il n’existe pas d’alternative au pouvoir dominant. Ce mécanisme d’intériorisation rend la domination presque invisible, car elle est perçue comme naturelle, évidente et inévitable.

Par ailleurs, le rôle de Saydnaya en tant qu’instrument de domination dépasse le cadre individuel et touche à la structure même de la société syrienne. La prison, comme microcosme de la domination, est une métaphore des relations de pouvoir dans l’ensemble du pays. Les détenus, réduits à des corps obéissants et silencieux, incarnent la condition de la population syrienne sous un régime autoritaire : une masse soumise, disciplinée, et empêchée de toute résistance collective (Wedeen, 1999 ; Amnesty International, 2017). Cette configuration répressive reflète ce que certains sociologues appellent un « état de siège permanent » (Agamben, 2005), où chaque individu est potentiellement un suspect, chaque espace un lieu de contrôle, et chaque interaction une opportunité pour le pouvoir de s’imposer.

En définitive, les récits des survivants de Saydnaya permettent de comprendre comment la prison devient un espace totalitaire, où la domination ne s’arrête pas aux actes de violence physique, mais s’insinue dans tous les aspects de l’existence humaine. En projetant une ombre de terreur sur l’ensemble de la société, Saydnaya transcende son rôle de lieu de détention pour incarner un mécanisme de pouvoir destiné à maintenir l’ordre autoritaire par la peur et la soumission (Foucault, 1975/1993 ; Mbembe, 2003). Cette analyse sociologique révèle que la violence exercée à Saydnaya n’est pas une aberration ou une déviance, mais une composante essentielle du fonctionnement d’un régime dont la pérennité repose sur la destruction méthodique de l’individu et de la collectivité (Butler, 2004 ; Rejali, 2007).

  1. L’effacement de l’identité et la déshumanisation: Analyse des mécanismes de torture à Saydnaya

La prison de Saydnaya illustre un processus systématique d’effacement de l’identité et de déshumanisation, où chaque aspect de l’existence des détenus est manipulé pour annihiler leur humanité. Ce lieu de détention ne se limite pas à la privation de liberté : il est conçu pour réduire les individus à une condition où ils ne sont plus perçus, ni même perçus par eux-mêmes, comme des êtres humains. Les pratiques de torture physique, les humiliations psychologiques, et les privations élémentaires constituent autant de moyens d’éroder l’identité et la dignité des prisonniers (Amnesty International, 2017 ; Rejali, 2007).

Les témoignages des survivants révèlent une intention délibérée de détruire toute trace d’autonomie ou de reconnaissance de soi. Un ancien détenu raconte : « Ils nous appelaient par des numéros, jamais par nos noms. C’était comme si nous n’avions plus d’identité. » Cette substitution du nom par un simple numéro est une stratégie qui vise à désindividualiser les prisonniers, les rendant interchangeables et invisibles en tant que personnes. Cette désignation anonyme, couplée à un isolement extrême, efface progressivement les frontières entre l’identité individuelle et la masse indistincte des détenus (Goffman, 1961 ; Bourdieu, 1990).

L’organisation des conditions de vie participe également à ce processus. Les cellules surpeuplées, sombres et insalubres sont décrites comme des espaces où la dignité humaine est intentionnellement bafouée. Un témoin rapporte : « Nous dormions sur le sol, entassés comme des animaux. Nous ne pouvions ni bouger ni parler. » Cette description souligne la réduction des prisonniers à une existence purement biologique, où les besoins les plus élémentaires – respirer, boire, manger – deviennent des luttes quotidiennes (Haney, 2003 ; Agamben, 2005). Ce nivellement par la souffrance abolit les distinctions sociales et personnelles, laissant place à une condition uniforme et dégradée.

Les humiliations psychologiques jouent également un rôle central dans ce processus de déshumanisation. Les gardiens infligent des insultes répétées et des violences gratuites pour briser toute résistance morale ou émotionnelle. Un ancien prisonnier se souvient : « Ils nous faisaient nous insulter les uns les autres. Ils voulaient que nous nous haïssions, que nous nous trahissions. » En instaurant un climat de méfiance et de division, les tortionnaires détruisent non seulement les liens sociaux entre détenus, mais aussi leur propre estime de soi. Cette manipulation des relations sociales dans un contexte de répression extrême renforce l’isolement intérieur des individus, les plongeant dans un état de désespoir total (Zimbardo, 2007 ; Goffman, 1961).

La violence physique, quant à elle, s’inscrit dans une logique visant à réduire le corps à un objet de douleur et de contrôle. Les sévices infligés ne sont pas seulement des actes de punition, mais des outils pour fragmenter l’expérience humaine. Un survivant témoigne : « Ils frappaient toujours au même endroit, encore et encore, jusqu’à ce que tu ne ressentes plus ton corps. » Cette destruction méthodique du lien entre le corps et la conscience prive les détenus de leur propre corporéité, les rendant étrangers à eux-mêmes (Scarry, 1985 ; Foucault, 1975/1993).

La privation de tout repère temporel et spatial accentue également cet effacement de l’identité. Dans l’obscurité constante et l’absence de contact avec le monde extérieur, les détenus perdent la notion du temps et de leur place dans l’univers. Un ancien prisonnier décrit : « Les jours et les nuits se confondaient. Je ne savais plus qui j’étais ni depuis combien de temps j’étais là. » Cette désorientation complète renforce la dissolution de l’individu dans un vide où l’identité, les souvenirs, et les aspirations disparaissent (Grassian, 2006 ; Haney, 2003).

Les mécanismes de déshumanisation à Saydnaya ne s’arrêtent pas à l’intérieur de ses murs. Ils s’étendent au-delà, impactant les familles et les communautés des détenus. Les stigmates de l’expérience carcérale marquent durablement les survivants, les isolant parfois socialement. Un ancien détenu confi : « Quand je suis sorti, je n’étais plus la même personne. J’avais peur de tout, même de mes proches. » Cette rupture avec le monde extérieur, imposée par les années de violence et de privation, transforme les prisonniers en êtres marginalisés, incapables de réintégrer pleinement la société (Cohen & Taylor, 1972 ; Wedeen, 1999).

Ainsi, la prison de Saydnaya fonctionne comme un lieu où chaque interaction, chaque condition, et chaque acte est orienté vers la destruction de l’identité humaine. L’effacement progressif des dimensions personnelles et sociales des détenus reflète une stratégie de contrôle total, où la déshumanisation devient un instrument de pouvoir et de domination absolus (Mbembe, 2003 ; Foucault, 1975/1993).

  1. Foucault et le pouvoir disciplinaire

À Saydnaya, les mécanismes de pouvoir décrits par Michel Foucault trouvent une application extrême et déshumanisante, où la torture et la discipline s’entrelacent pour instaurer une domination totale. La coexistence du pouvoir souverain et du pouvoir disciplinaire crée un espace où la violence spectaculaire et la discipline invisible se renforcent mutuellement. Cette dynamique produit une forme unique de contrôle absolu, où le corps des détenus devient à la fois un instrument de punition exemplaire et un objet de régulation méthodique (Foucault, 1975/1993).

La torture spectaculaire, comme les exécutions publiques forcées, illustre l’affirmation brute du pouvoir souverain. Elle sert à rappeler à la fois aux détenus et, par ricochet, à la société entière, la capacité de l’État à infliger la mort de manière arbitraire. Ces actes, bien que ponctuels, ont un impact durable sur les spectateurs contraints. Un survivant témoigne : « Ils nous obligeaient à regarder les pendaisons. C’était un message : nous pouvions être les prochains. » Cette mise en scène de la violence agit comme un langage de la terreur, inculquant une peur collective et un sentiment d’impuissance totale. Elle transforme la prison en un théâtre où le pouvoir souverain se manifeste par des démonstrations de force brute (Mbembe, 2003 ; Rejali, 2007).

Cependant, cette violence spectaculaire est complétée par un pouvoir disciplinaire omniprésent qui structure la vie quotidienne des détenus. Le règlement tacite et strict mentionné par les témoins, où chaque geste, posture et respiration est régulé, illustre cette microphysique du pouvoir (Foucault, 1975/1993). Cette discipline ne se contente pas d’ordonner le comportement ; elle agit en profondeur sur les corps et les esprits des prisonniers, remodelant leur expérience de l’existence elle-même. Un ancien détenu rapporte : « Nous devions rester immobiles pendant des heures. Si l’un de nous bougeait, tout le monde était puni. » Cette régulation collective ne vise pas seulement à imposer l’obéissance, mais à créer une intériorisation de la discipline, où les détenus deviennent leurs propres surveillants, craignant en permanence les représailles (Haney, 2003 ; Goffman, 1961).

Cette forme de pouvoir disciplinaire dépasse le simple contrôle des corps pour atteindre leur subjectivité. En fragmentant l’autonomie des détenus et en détruisant les liens sociaux, elle vise à produire des corps “dociles”, conformes aux attentes de l’autorité carcérale (Foucault, 1975/1993). Cependant, à Saydnaya, cette docilité prend une dimension perverse : l’objectif n’est pas d’optimiser les corps pour des fonctions productives, mais de les dépouiller de toute humanité. La réduction à un état de survie biologique est omniprésente, comme le montrent les privations alimentaires, les conditions insalubres et l’isolement sensoriel. Un témoin décrit : « Ils nous donnaient de la nourriture pour nous maintenir en vie, mais pas assez pour nous sentir humains. » Ce témoignage reflète une gestion des corps où l’existence minimale est tolérée uniquement pour prolonger la souffrance (Agamben, 2005 ; Scarry, 1985).

Le pouvoir disciplinaire à Saydnaya ne s’arrête pas à la gestion des individus, mais s’étend également à la structure sociale des détenus. En instaurant des punitions collectives et en favorisant la méfiance entre les prisonniers, les gardiens brisent les solidarités potentielles et empêchent toute forme de résistance. Un ancien détenu raconte : « Si l’un de nous parlait, tout le monde était battu. Alors, nous sommes restés silencieux, même entre nous. » Ce climat de suspicion mutuelle annihile les relations interpersonnelles, transformant les détenus en entités isolées, incapables de se soutenir les uns les autres (Zimbardo, 2007 ; Amnesty International, 2017).

Ainsi, à Saydnaya, le pouvoir disciplinaire ne se contente pas de contrôler ; il détruit. La cohabitation du pouvoir souverain et disciplinaire amplifie cette destruction, rendant la violence spectaculaire inséparable de la régulation quotidienne. Ce dispositif, où chaque aspect de l’existence est soumis à une domination totale, incarne une forme extrême d’exercice du pouvoir, où la discipline devient une arme pour effacer toute trace d’humanité. Cette analyse montre comment la prison de Saydnaya, bien qu’apparemment confinée à ses murs, agit comme un miroir déformant des logiques de pouvoir qui peuvent exister dans des contextes extrêmes, révélant les limites et les dangers de la rationalisation systématique de la domination (Foucault, 1975/1993 ; Mbembe, 2003).

  1. Goffman et l’institution totale

Dans cet endroit diabolique, les mécanismes de contrôle et de domination incarnent pleinement la notion d’institution totale qu’Erving Goffman développe dans Asiles. Ces institutions, selon Goffman (1961), enferment des individus dans un espace clos où chaque aspect de leur vie est minutieusement surveillé et réglementé, effaçant ainsi leur autonomie et leur identité individuelle. Saydnaya pousse cette logique à son paroxysme, en combinant un isolement absolu, une surveillance constante et une violence systématique, transformant les détenus en objets dépourvus d’agence et de liens sociaux (Amnesty International, 2017).

La séparation radicale du monde extérieur constitue l’un des premiers niveaux de contrôle. Les détenus sont coupés de leur famille, de leur communauté et de toute interaction avec l’extérieur, ce qui les plonge dans un isolement social total. Un ancien détenu raconte : « Nous étions comme morts pour le monde. Personne ne savait si nous étions vivants ou morts, et nous non plus. » Cette coupure délibérée contribue à désorienter les prisonniers et à les priver des repères sociaux qui définissent leur identité. Goffman (1961) souligne que ce type de séparation s’accompagne souvent d’un processus de dépersonnalisation, où les individus perdent non seulement leur liberté physique, mais également les rôles sociaux qui leur donnent un sens et une place dans la société.

À Saydnaya, cette dépersonnalisation s’accentue par la régulation extrême des comportements et des interactions. Les règles strictes imposées aux détenus, telles que l’interdiction de parler, de se regarder ou même de pleurer, illustrent ce que Goffman (1961) appelle la mort de soi. Ces restrictions ne visent pas seulement à maintenir l’ordre, mais à annihiler toute possibilité de résistance ou de solidarité. Un survivant témoigne : « Nous étions des ombres. Chaque fois que nous tentions de nous connecter, ils nous brisaient encore plus. » Le silence forcé devient ainsi un outil de désocialisation, empêchant les détenus de s’organiser ou même de se reconnaître comme des êtres humains dignes de compassion (Haney, 2003).

Le quotidien à Saydnaya est structuré par des routines humiliantes et déshumanisantes qui renforcent l’effacement de l’identité. Les prisonniers sont soumis à des actes répétitifs et dégradants qui n’ont d’autre but que de les réduire à une condition de soumission totale. Par exemple, un ancien détenu rapporte : « On nous forçait à ramper dans les couloirs, nus, sous les coups et les insultes. Ce n’était pas seulement pour nous punir, mais pour nous rappeler que nous ne valions rien. » Ces pratiques s’inscrivent dans ce que Goffman (1961) décrit comme des cérémonies d’abaissement, des rituels qui symbolisent la dégradation de l’individu et l’assujettissement à l’autorité de l’institution (Scarry, 1985).

Un autre aspect central des institutions totales selon Goffman est l’utilisation de la surveillance constante comme moyen de contrôle. À Saydnaya, cette surveillance prend une forme extrême, où même les pensées des détenus semblent sous contrôle. Un prisonnier témoigne : « Ils savaient quand nous avions peur, quand nous étions en colère, et ils utilisaient cela contre nous. » Cette omniprésence de l’autorité crée un climat de terreur permanente, où les détenus sont forcés d’auto-censurer leurs émotions et comportements. Cela renforce leur aliénation et contribue à la dissolution de leur identité personnelle (Foucault, 1975/1993 ; Zimbardo, 2007).

Enfin, l’absence de solidarité entre détenus, imposée par la violence collective et les punitions arbitraires, est une caractéristique clé de la dynamique de pouvoir à Saydnaya. La méfiance mutuelle, induite par les gardiens, annihile tout effort collectif pour résister ou se soutenir. Un témoin explique : « Si l’un de nous bougeait ou parlait, tout le monde était puni. Nous ne savions pas à qui faire confiance. » Cette fragmentation des relations sociales reflète l’objectif ultime de l’institution totale : isoler chaque individu pour le rendre totalement dépendant de l’autorité (Goffman, 1961 ; Amnesty International, 2017).

L’expérience de Saydnaya illustre ainsi une forme extrême d’institution totale, où chaque aspect de la vie des détenus est contrôlé dans le but de les transformer en objets de domination. La dissolution de l’identité, la destruction des relations sociales et l’omniprésence de la violence ne servent pas seulement à maintenir l’ordre carcéral, mais à établir un système de pouvoir absolu qui réduit les individus à des existences fragmentées, dépourvues de toute autonomie ou humanité (Goffman, 1961; Agamben, 2005).

  1. Bourdieu et la violence symbolique

La notion de violence symbolique développée par Pierre Bourdieu trouve une résonance troublante dans l’expérience des détenus de Saydnaya. Dans cet espace de répression extrême, la domination ne s’exerce pas uniquement par des actes physiques de torture, mais également par une violence insidieuse qui agit sur les perceptions et les significations, reconfigurant l’identité des détenus à travers des humiliations systématiques et des discours dévalorisants (Bourdieu, 1991).

La violence symbolique se manifeste d’abord par l’usage d’un langage dégradant et répétitif, conçu pour réduire les prisonniers à un statut d’êtres inférieurs. Les gardiens, par leurs insultes quotidiennes, imposent une vision déshumanisante des détenus, les comparant à des animaux ou à des objets sans valeur. Un ancien prisonnier témoigne : « Ils nous appelaient des chiens, des cafards. Après un certain temps, tu cesses de te sentir humain. » Ces mots, répétés inlassablement, ne sont pas de simples injures ; ils constituent un outil de domination qui agit sur le psychisme des détenus, érodant leur perception de soi et leur résistance intérieure (Amnesty International, 2017 ; Butler, 1997).

Cette stratégie s’appuie sur la capacité de la violence symbolique à naturaliser les rapports de domination. Comme Bourdieu le souligne, la violence symbolique ne s’impose pas par la contrainte brute, mais par l’intériorisation d’un ordre social hiérarchisé, accepté même par ceux qui le subissent (Bourdieu & Passeron, 1970). À Saydnaya, cette intériorisation se fait sous la contrainte physique, certes, mais surtout par l’imposition de rituels humiliants et d’interactions conçues pour inculquer aux détenus un sentiment de leur propre insignifiance. Par exemple, certains survivants rapportent avoir été contraints de ramper en silence devant les gardiens, sous les coups et les rires. Ces pratiques ne sont pas seulement des actes de cruauté ; elles symbolisent et renforcent un message : le détenu est un être subalterne, indigne de dignité ou de respect (Scarry, 1985).

Un autre aspect crucial de cette violence symbolique réside dans la destruction de toute possibilité de solidarité ou d’appartenance collective. Les gardiens orchestrent des humiliations publiques où les détenus sont forcés d’assister aux punitions ou aux humiliations de leurs pairs, souvent sous la menace d’un châtiment collectif. Un survivant raconte : « Si l’un de nous regardait un gardien dans les yeux ou osait parler, tout le groupe était battu. À force, tu commences à te méfier des autres. » En brisant les liens sociaux et en encourageant la méfiance mutuelle, cette dynamique empêche toute forme de résistance collective, tout en renforçant l’intériorisation de la domination (Haney, 2003).

La violence symbolique à Saydnaya s’étend également au corps des détenus, qui devient un terrain d’expression de cette domination. Les privations alimentaires, les postures forcées et les actes de torture sont accompagnés d’un discours sous-jacent qui vise à convaincre les prisonniers qu’ils méritent ce traitement. « Ils disaient que nous étions là parce que nous avions trahi le pays, que nous étions des ennemis. Au bout d’un moment, tu te demandes si ce n’est pas vrai, si tu n’as pas fait quelque chose de mal, même si tu sais que ce n’est pas le cas. » Ce témoignage illustre comment la violence symbolique, en modifiant la perception qu’un individu a de lui-même, devient une arme encore plus puissante que la violence physique (Foucault, 1975 ; Bourdieu, 1991).

Enfin, cette violence symbolique s’inscrit dans une logique de reproduction de la domination au-delà des murs de la prison. Les survivants, marqués par l’expérience de Saydnaya, rapportent que leur retour à la société est souvent accompagné d’un sentiment de honte et d’indignité, renforcé par la stigmatisation sociale. Certains témoignent : « Même dehors, je ne pouvais pas regarder les gens dans les yeux. J’avais l’impression qu’ils voyaient à quel point j’avais été brisé. » Ici, la violence symbolique dépasse le cadre carcéral, en prolongeant ses effets sur la perception que les anciens détenus ont d’eux-mêmes et sur leur capacité à réintégrer leur communauté (Bourdieu, 1993 ; Amnesty International, 2017).

Ainsi, l’analyse sociologique de Saydnaya à travers le concept de violence symbolique montre comment la domination dépasse le seul usage de la force physique. Elle s’ancre dans des pratiques et des discours qui façonnent les identités, altèrent les perceptions et perpétuent l’ordre social répressif en rendant les détenus eux-mêmes complices involontaires de leur subordination. Cette forme de violence, subtile mais dévastatrice, révèle la profondeur de la mécanique de contrôle et de répression exercée dans cette institution carcérale (Bourdieu, 1991 ; Fassin, 2015).

  1. Agamben et la “vie nue”

La condition des détenus de Saydnaya, à travers le prisme du concept de “vie nue” proposé par Giorgio Agamben, illustre une des formes les plus radicales de domination et de marginalisation. La vie nue représente une existence dépouillée de toute protection juridique, sociale ou politique, où l’individu est réduit à sa seule dimension biologique (Agamben, 1998). À Saydnaya, ce concept prend une dimension tragique, révélée par les témoignages de survivants et par les pratiques institutionnelles de ce lieu de détention.

Les détenus de Saydnaya sont littéralement effacés du tissu social et politique. Ils ne figurent dans aucun registre officiel, ne bénéficient d’aucun procès équitable, et ne peuvent compter sur aucune forme de recours. Un survivant témoigne : « Nous étions des morts-vivants. Aucun de nos proches ne savait si nous étions encore en vie, et nous-mêmes, nous avions cessé d’espérer. » Ce témoignage incarne l’idée d’Agamben selon laquelle les individus en vie nue sont exclus de l’ordre juridique et politique, devenant des existences invisibles, sacrifiables, et totalement contrôlées par le pouvoir souverain (Agamben, 1998 ; Butler, 2004).

Cette invisibilisation est une stratégie politique majeure. En rendant les détenus inexistants aux yeux de la société, le régime syrien s’autorise toutes les violences possibles, sans crainte de représailles ou d’interventions extérieures (Amnesty International, 2017). Les corps des détenus deviennent des objets manipulables à volonté, soumis à une violence sans limite. Un ancien détenu explique : « Ils nous battaient jusqu’à ce que nous perdions connaissance, puis recommençaient. Ils ne cherchaient pas à nous tuer immédiatement, mais à nous maintenir dans un état de souffrance continue. » Ici, la vie nue prend une forme tangible : les détenus ne sont pas considérés comme des êtres humains dotés de droits, mais comme des corps sur lesquels le pouvoir peut s’exercer sans restriction (Fassin & Rechtman, 2007).

La privation des droits élémentaires et l’arbitraire du pouvoir sont des aspects centraux de cette condition. Les détenus de Saydnaya n’ont aucun contrôle sur leur existence : ils ne savent ni pourquoi ils sont emprisonnés, ni combien de temps leur détention durera. Cette absence totale de repères temporels ou juridiques est décrite par un autre survivant : « Chaque jour était le même enfer. On ne savait pas si on allait mourir, être torturé, ou simplement survivre pour endurer une autre journée. » Cette suspension du temps et des droits place les détenus dans une zone grise, une zone d’exception, où les normes habituelles de la justice et de l’humanité sont abolies (Agamben, 2005 ; Foucault, 1975).

Cette condition de vie nue à Saydnaya est renforcée par des pratiques visant à anéantir toute forme d’identité individuelle ou collective. Les détenus sont souvent appelés par des numéros ou des insultes, et non par leurs noms. Les humiliations quotidiennes, combinées à une privation sensorielle et sociale, visent à effacer leur subjectivité. « Je ne savais plus qui j’étais », confie un ancien prisonnier. « Nous n’avions plus de noms, plus de visages. Nous étions des ombres, rien de plus. » Ce processus de déshumanisation complète révèle comment le pouvoir cherche à réduire les individus à une existence purement biologique, privée de toute valeur symbolique ou sociale (Goffman, 1961 ; Scarry, 1985).

Enfin, la condition de vie nue à Saydnaya ne s’arrête pas aux murs de la prison. Elle s’étend à l’impact durable sur les survivants, qui, même après leur libération, restent marqués par leur exclusion et leur invisibilité. Certains expriment leur incapacité à se réinsérer dans la société : « Quand je suis sorti, je n’étais plus le même. J’avais l’impression d’être encore un prisonnier, enfermé dans ma propre tête. » Cette persistance de la marginalisation illustre l’efficacité du dispositif de pouvoir, qui maintient ses effets bien au-delà de l’espace carcéral (Agamben, 1998 ; Fassin, 2015).

Ainsi, l’analyse sociologique de Saydnaya à travers le concept de vie nue montre comment cette prison représente un espace d’exclusion totale, où la domination atteint son paroxysme. En réduisant les détenus à une existence dépouillée de toute humanité et de tout droit, Saydnaya devient non seulement un outil de répression, mais aussi un instrument politique visant à perpétuer la peur, la soumission et le contrôle sur l’ensemble de la société.

Les mécanismes de torture à Saydnaya, tels qu’ils émergent des récits des survivants, ne se limitent pas à des actes de brutalité ponctuelle. Ils forment un système structuré où la violence physique, psychologique et symbolique s’articule pour produire une déshumanisation totale. Les théories sociologiques de Foucault, Goffman, Bourdieu, Agamben, et bien d’autres permettent d’éclairer ces dynamiques en montrant comment elles servent à effacer l’identité des détenus, à annihiler leur autonomie, et à projeter une ombre de terreur sur l’ensemble de la société syrienne. Saydnaya devient ainsi plus qu’une prison : elle incarne un modèle de domination, où l’humain est réduit à l’état d’objet, soumis à une autorité absolue et arbitraire. Cette analyse révèle les mécanismes par lesquels un régime autoritaire transforme la violence en un outil de contrôle social à la fois destructeur et durable (Foucault, 1975 ; Agamben, 1998 ; Bourdieu, 1993 ; Goffman, 1961).

  • La terreur au-delà des murs: La prison de Saydnaya comme instrument de contrôle social et politique

La prison de Saydnaya, au-delà de son rôle formel de réclusion et de punition, incarne un mécanisme de contrôle social et politique profondément ancré dans la structure du régime syrien. En déployant une terreur systémique qui traverse non seulement les murs de la prison, mais aussi les tissus sociaux et les consciences individuelles, Saydnaya devient un instrument de régulation, un espace où la peur est cultivée et normalisée pour maintenir l’ordre établi (Foucault, 1975/1993 ; Wedeen, 1999).

La notion de contrôle social dans le contexte de Saydnaya repose sur une gestion de l’angoisse et de l’incertitude. À travers l’isolement, la torture physique et psychologique, le régime impose une terreur qui plonge les détenus dans un état permanent d’inconfort et de soumission. Un ancien détenu témoigne: « À Saydnaya, chaque jour était une épreuve, non pas parce que l’on savait ce qui allait arriver, mais parce que l’on ne savait jamais si l’on allait survivre jusqu’au lendemain. » Cette incertitude s’étend au-delà des murs de la prison, influençant la manière dont les citoyens perçoivent la sécurité et l’existence sous un régime autoritaire (Agamben, 2005 ; Butler, 2004). La société est ainsi traversée par une forme de paralysie morale et sociale, où la peur de l’arbitraire empêche la formation de mouvements de résistance ou de contestation.

Les liens sociaux, au sein des familles et des communautés, sont profondément dégradés par cette violence institutionnalisée. La prison de Saydnaya impose une rupture fondamentale entre les détenus et leur monde d’origine. Les proches subissent une sort d’ostracisation sociale : « Ma famille a été évitée par tout le quartier. On nous traitait comme des parias. » Cette ostracisation découle d’un système de contrôle social visant à effacer toute forme de solidarité ou soutien envers les opposants du régime (Wedeen, 1999 ; Fassin, 2015). Ainsi, chaque individu devient une cible potentielle de répression, et la solidarité est perçue comme un acte de subversion.

Ce processus d’individualisation forcée conduit à un effritement du tissu social. Les relations humaines sont détruites ou subordonnées à la logique de la peur. L’expérience carcérale est décrite ainsi : « On nous a fait perdre tout ce qui faisait de nous des humains. » Ce processus d’effacement de l’humanité est au cœur du pouvoir disciplinaire exercé par le régime, où les détenus deviennent des entités anonymes, et leurs souffrances participent à la continuité sociétale du système (Foucault, 1975/1993).

La peur générée par Saydnaya, en tant qu’outil de dissuasion, fonctionne comme un dispositif social de contrôle qui va bien au‑delà de l’institution carcérale. La violence incarnée dans la prison devient une norme sociale invisible, modifiant durablement la dynamique de la société syrienne : elle structure les rapports sociaux et influence les comportements des prisonniers, de leurs familles et de l’ensemble des citoyens (Amnesty International, 2017 ; Bourdieu, 1991). La prison devient un modèle de gouvernance par la peur, transformant chaque individu en agent de surveillance de soi et des autres, affaiblissant ainsi liens sociaux et autonomie individuelle.

L’atmosphère de peur qui se répand à l’extérieur produit une « vigilance sociale » permanente. La possibilité de n’être associé qu’à un détenu ou de manifester une opinion divergente devient un risque à haut prix : « J’ai vu des gens se taire, non parce qu’ils étaient d’accord avec le régime, mais parce qu’ils avaient peur d’être entendus. » Cette auto-censure, exacerbée par la surveillance omniprésente, efface l’espace de débat public ou de résistance indirecte (Haney, 2003 ; Agamben, 2005).

En sociologie, cela s’analyse à travers les notions de surveillance généralisée et de normalisation de la peur. Le phénomène Saydnaya produit une normalisation comportementale : la population adapte son comportement pour minimiser les risques, cristallisant des normes de prudence acceptée (Foucault, 1977 ; Wedeen, 1999). Cette normalization contribue à l’instauration d’un ordre social où l’initiative personnelle, l’expression publique et la solidarité sont neutralisées par la crainte.

L’isolement psychologique s’étend au-delà des murs, fragmentant la société. L’expérience de Saydnaya — par la brutalité qu’elle exerce contre la solidarité des prisonniers — trouve écho dans une société atomisée et méfiante. Le régime dissout les réseaux d’entraide, transforme les individus en unités isolées dépendantes du conformisme pour survivre (Goffman, 1961 ; Foucault, 1975).

La peur de la répression, fondée sur des actes violents spectaculaires, devient un phénomène social global. Elle structure non seulement les actions, mais modifie également la perception de l’espace public et privé, transformant les esprits et les comportements individuels. Ainsi, Saydnaya n’incarcère pas seulement des corps, elle incarcère aussi les esprits et la société entière (Mbembe, 2003 ; Butler, 2004).

  1. Conclusion

La prison de Saydnaya, à travers ses pratiques de torture systématique et sa violence institutionnalisée, s’impose comme un microcosme de domination et de contrôle, non seulement pour les détenus qui y sont enfermés, mais aussi pour la société syrienne dans son ensemble. Les récits des survivants permettent d’appréhender cette violence comme un instrument de régulation sociale et politique, où la terreur devient un mécanisme fondamental pour maintenir l’ordre et empêcher toute forme de contestation. Ces témoignages exposent la manière dont la violence n’est pas seulement physique, mais aussi psychologique, symbolique et sociale, transformant les individus en objets déshumanisés et invisibilisés, soumis à un pouvoir arbitraire qui efface leur humanité.

Sociologiquement, l’étude de Saydnaya révèle les dynamiques complexes entre pouvoir, soumission et résistance. La peur générée par la prison se diffuse dans la société, produisant une normalisation de l’autocensure et de la soumission. La violence spectaculaire, comme les exécutions publiques, et la violence quotidienne, exercée à travers des humiliations, l’isolement, et la privation des droits fondamentaux, constituent un système de régulation où la société elle-même devient complice de son silence. En ce sens, la prison ne se limite pas à un lieu de punition, mais devient un outil de dissuasion collective, une sorte de « discipline invisible » qui traverse l’ensemble des rapports sociaux.

La dissuasion ne se cantonne pas à une simple répression des actes de résistance, mais touche à une structuration de l’espace social, un remodelage des relations humaines où la crainte du pouvoir s’insinue dans la conscience collective. En effet, ce processus de marginalisation et de soumission s’étend au-delà de la prison, englobant la société dans une sphère de contrôle généralisé. Les témoignages des anciens détenus, en dépeignant la peur et l’impossibilité de s’opposer, soulignent la manière dont l’autocensure devient une réponse quasi instinctive à la menace omniprésente, paralysant ainsi les capacités de résistance ou de critique sociale.

Les théories sociologiques, qu’elles soient inspirées de Foucault, Goffman, Bourdieu ou Agamben, éclairent la manière dont Saydnaya fonctionne non seulement comme un lieu d’enfermement physique, mais aussi comme une matrice de pouvoir symbolique, social et politique. La prison s’y inscrit comme un modèle de contrôle social total, où les individus sont contraints de se soumettre, d’intérioriser l’ordre imposé et de réprimer toute forme de contestation. Cette normalisation de la peur engendre un processus de déshumanisation systématique, où la vie, réduite à sa simple existence biologique, devient une « vie nue », privée de droits et d’identité. À travers cette logique, Saydnaya ne sert pas seulement à punir, mais à modeler une société entière, où la terreur d’un lieu d’enfermement devient l’arme la plus puissante du régime pour maintenir son pouvoir.

L’analyse sociologique de Saydnaya révèle non seulement les mécanismes immédiats de la violence physique, mais aussi les couches plus subtiles de contrôle social qui agissent à un niveau collectif, plus large et souvent invisible. Ce contrôle va bien au-delà des murs de la prison et se diffuse dans la société tout entière. Dans ce contexte, la violence devient un outil multifonctionnel, permettant au régime non seulement de réprimer l’opposition, mais de structurer une société qui accepte la soumission comme une norme. Cela implique un processus de normalisation de la peur, où les individus intègrent cette violence dans leurs pratiques quotidiennes et modifient leurs comportements en fonction des risques et des menaces perçus.

La violence symbolique, au-delà de la violence physique subie par les détenus de Saydnaya, joue un rôle clé dans ce processus. Elle se manifeste par les humiliations, les dégradations, mais aussi par la mise en place d’un système de valeurs et de hiérarchies où les individus sont constamment confrontés à leur propre insignifiance. Par l’imposition de cette violence symbolique, le pouvoir ne se contente pas de briser le corps, mais s’attaque à l’âme et à l’esprit des détenus. C’est ce que Bourdieu qualifie de « violence symbolique », où l’individu, par le biais de l’intériorisation de sa propre subordination, devient non seulement victime, mais aussi complice de son propre écrasement. Ainsi, la prison de Saydnaya agit comme un laboratoire social dans lequel la domination se reproduit et s’étend à l’ensemble de la société, par un processus lent et insidieux d’acculturation de la peur.

L’autocensure, omniprésente dans ce contexte de répression, devient une réponse aux menaces du pouvoir, et ce processus ne se limite pas à un simple état de soumission passive, mais crée un cycle de contrôle et d’auto-régulation. Les citoyens, tout comme les détenus, prennent eux-mêmes en charge le maintien de l’ordre social par la peur, construisant ainsi un environnement où la contestation est non seulement risquée mais perçue comme impensable. L’individu, craintif et dépossédé de son pouvoir d’agir, finit par internaliser l’autorité, et c’est ainsi qu’une société disciplinée se constitue, non par des chaînes visibles, mais par la psyché collective qui consent à la domination.

Cette dynamique de soumission silencieuse ne se réduit pas à un simple mécanisme de contrôle social. Elle opère dans une logique de désolidarisation, où toute forme de résistance collective est annihilée par l’individualisation de la peur et par la destruction des liens sociaux. L’absence de solidarité entre les détenus, exacerbée par le système carcéral de Saydnaya, trouve un reflet dans la société syrienne dans son ensemble, où les relations interpersonnelles sont fragilisées et où l’expression de solidarité est réprimée. Par cette fragmentation sociale, le pouvoir établit un modèle d’individualisme extrême où chacun, même en dehors des murs de la prison, est poussé à se surveiller, à s’autocensurer et à se soumettre aux normes imposées.

En définitive, cette analyse sociologique met en évidence un contrôle social qui, loin de se limiter à une répression directe et évidente, s’inscrit dans une forme de domination plus subtile et durable. La violence à Saydnaya fonctionne comme un instrument pour remodeler l’ordre social dans son ensemble, où la terreur crée un cadre d’oppression invisible mais omniprésent. Ce processus contribue à instaurer une forme de soumission silencieuse où la peur, la marginalisation et l’effacement de la solidarité collective jouent un rôle central dans la perpétuation du pouvoir. Cette logique de soumission se transforme ainsi en une dynamique de reproduction de l’ordre établi, assurant une société où la résistance devient presque impensable, et où l’individu, de la prison à la société civile, est amené à se conformer sans même en être pleinement conscient.

  1. Liste des sources et des références
  • Agamben, G. (1998). Homo Sacer: Le pouvoir souverain et la vie nue.
  • Agamben, G. (2005). L’État d’exception. Seuil.
  • Amnesty International. (2017). Human Slaughterhouse: Mass Hangings and Extermination at Saydnaya Prison, Syria. https://www.amnesty.org
  • Bourdieu, P. (1991). Langage et pouvoir symbolique. Seuil.
  • Bourdieu, P. (1993). La misère du monde. Seuil.
  • Bourdieu, P., & Passeron, J.-C. (1970). La reproduction. Éléments pour une théorie du système d’éducation.
  • Butler, J. (1997). Excitable Speech : A Politics of the Performative. Routledge.
  • Butler, J. (2004). Precarious Life : The Powers of Mourning and Violence.
  • Fassin, D. (2015). La force de l’ordre. Une anthropologie de la police des quartiers. Seuil.
  • Fassin, D., & Rechtman, R. (2007). L’empire du traumatisme. Flammarion.
  • Foucault, M. (1975). Surveiller et punir : Naissance de la prison (trad. française de l’édition de 1975). Gallimard.
  • Foucault, M. (1977). Surveiller et punir : Naissance de la prison (réédition).
  • Goffman, E. (1961). Asylums : Essays on the Social Situation of Mental Patients and Other Inmates. Anchor Books.
  • Haney, C. (2003). The psychological impact of incarceration: Implications for post‑prison adjustment. In J. Travis & M. Waul (Eds.), Prisoners Once Removed (pp. 33–66). Urban Institute Press.
  • Mbembe, A. (2003). Necropolitics. Public Culture, 15(1), 11–40.
  • Scarry, E. (1985). The Body in Pain : The Making and Unmaking of the World. Oxford University Press.
  • Wedeen, L. (1999). Ambiguities of Domination : Politics, Rhetoric, and Symbols in Contemporary Syria. University of Chicago Press.
  • Zimbardo, P. G. (2007). The Lucifer Effect : Understanding How Good People Turn Evil. Random House.
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