Research studies

Le potentiel du texte littéraire : du laboratoire langagier à l’arsenal culturel

 

Prepared by the researcher  – Youcef BACHA, Laboratoire de Didactique de la Langue et des Textes (L.D.L.T), Université de Ali Lounici-Blida 2, Faculté des Lettres et des Langues, département de français, Algérie

Democratic Arab Center

Journal of cultural linguistic and artistic studies : Seventeenth Issue – February 2021

A Periodical International Journal published by the “Democratic Arab Center” Germany – Berlin

Nationales ISSN-Zentrum für Deutschland
 ISSN  2625-8943

Journal of cultural linguistic and artistic studies

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Résumé

Le texte littéraire est une scénarisation linguistique et une théâtralisation culturelle. Dans le présent article, nous nous penchons sur la problématique de l’interculturel en rapport avec le texte littéraire. Cette réflexion sera axée sur l’analyse de quatre extraits traitant des sujets communs. Elle tend à amorcer une nouvelle appréhension du texte par la mise en avant des traits culturels.

Abstract

The literary text is a linguistic screenplay and a cultural theatricalization. In this article, we lean on the problem of interculturality in relation with the literary text. This reflection will focus on the analysis of four extracts dealing common subjects. It tends to initiate a new apprehension of the text by highlighting cultural traits.

Introduction

Notre présent article propose un positionnement réflexif sur la dimension (inter)culturelle s’insinuant dans le texte littéraire. Ce dernier est considéré comme un « laboratoire d’idées », où maintes cultures se dialoguent et se métissent. En effet, au-delà de sa dimension linguistique, le texte pourrait être un tremplin efficient et un outil performant pour la transmissibilité des cultures à la fois endogènes et exogènes. Afin de mettre en lumière les référents culturels, nous passons en revue quatre textes écrits par des auteurs différents. Ceux-ci sont répertoriés en fonction de leurs thématiques. Un texte de J. de La Fontaine et un autre de A. de Saint-Exupéry traitent le thème de la représentation et de la position du Renard en tant qu’actant principal, et les deux autres textes de Kateb Y. et de P. Coelho abordent le thème du pèlerinage.

Nous nous attelons tout d’abord à définir le concept de l’interculturalité liée au texte littéraire, puis nous analysons quatre textes écrits par des auteurs différents pour mettre en lumière les  traits de divergence et de convergence.

  1. Interculturalité et texte littéraire

L’interculturel est l’un des thèmes centripètes des méthodes actuelles d’enseignement des langues. Son importance le rend universel et singulier en passant d’un simple habillage sémantique à une approche d’analyse dans la mesure où il devient une mouvance traversant de nombreuses disciplines.

Il favorise l’intercompréhension entre les groupes sociaux et la mutualisation culturelle, Martine Abdallah-Pretceille (citée par De Carlo, 1989 : 40) le définit comme « construction susceptible de favoriser la compréhension des problèmes sociaux et éducatifs, en liaison avec la diversité culturelle.»

Dans cette perspective, l’auteure fait un distinguo entre l’interculturel et le multiculturalisme qui s’identifie, à son tour, comme juxtaposition et superposition de maintes cultures à l’intérieur d’une communauté.             « […] Tandis que le multiculturel, tout en reconnaissant « la pluralité des groupes » et se préoccupant d’éviter « l’éclatement de l’unité collective », n’a pas de visée clairement éducative. » (Ibid., 40)

Le multiculturalisme apparaît donc comme « une mosaïque ou la coexistence de plusieurs communautés comme constitutive d’une société » (Cuq et Gruca, 2005 : 59).

L’interculturel est autant un problème d’éducation que d’enseignement-apprentissage, en d’autres mots il relève de l’éducation familiale et véhicule des valeurs universelles telles que la cohabitation, l’acceptation de l’Autre, l’hospitalité, la décentration…

Dans ce contexte, l’interculturalité comprend des composantes des cultures et des subcultures qui sont en contact permanent dans des aires géographiquement éloignées ou proches, dont l’objectif principal est de réduire, voire bannir, le « choc des cultures ». (Abdellah-Bretceille, 1999 : 83)

Ce faisant, l’une des voies ambitieuses de l’enseignement interculturel est/demeure le texte littéraire par sa complexité, sa qualité informative et ses informations quantitatives. De Carlo en énumère quelques traits intrinsèques saillants (1989 : 64) :

-Texte qui représente des situations conflictuelles et contradictoires.

-Texte capable d’engendrer l’étonnement et se concentrant sur un regard croisé entre l’auteur, les personnages et le lecteur.

-Texte contenant des indices représentant une (dé)valorisation d’un groupe d’ethnie.

-Texte se focalisant sur les objets culturels et non sur les objets eux-mêmes.

Ces critères supra font du texte littéraire un lieu à la fois emblématique et problématique de l’interculturel du fait qu’il est marqué du sceau de la polysémie et de la polyphonie, de la littérarité et de l’intertextualité recomposant l’éternel conflit entre mêmeté[1] et ipséité.

In fine, le recours à la littérature et/ou au texte littéraire en particulier permet d’engendrer une (méta)réflexion altéritaire en réduisant la distance entre l’Un et l’Autre, entre l’Ici et l’Ailleurs et en éradiquant la vision exotique, le rapport de xénité et l’acte de xénophobie.

  1. Modalités de travail

S’interroger sur l’importance de la littérature dans la transmission de la/les culture(s) nous a amené à exploiter le contenu de quatre textes. Pour ce faire, nous avons procédé à un classement en nous référant à trois critères :

  1. Ventilation des textes en fonction thématique (thème abordé).
  2. Classement des textes en fonction de leur genre (roman /récit/fable).
  3. Analyse herméneutique des textes visant le contenu plus que le contenant.
  4. Corpus étudié

Nous avons choisi d’analyser quatre extraits écrits par des auteurs différents. Nous décrirons tout d’abord deux textes : l’un écrit par Kateb Y. et l’autre par P. Coelho. Ces derniers développent le même thème à savoir la description de la culture musulmane (le pèlerinage). Les deux autres textes de Jean de La Fontaine et d’Antoine de Saint-Exupéry traitent de la représentation et de la position du personnage « Renard » en tant qu’actant principal (personnage protagoniste).

Nous décrirons les textes afin de mettre en lumière l’entrelacement culturel et le croisement représentationnel. En effet, le texte n’est pas seulement une structure linguistique tout court mais aussi une culture arlequinée et zébrée, car écrire ou lire un texte donné c’est s’insinuer dans une culture particulière.

  1. Interprétation des textes de K. Yacine et de P. Coelho

Extrait n° 1

        Si Mokhtar partait pour la Mecque, à soixante-quinze ans, chargé de tant de péchés que, quarante-huit heures avant de s’embarquer à destination de la Terre sainte, il respira une fiole d’éther, « pour me purifier », dit-il à Rachid.

        Rachid était déserteur à l’époque ; retour de Tripolitaine, il vivait dans les bois du Rimmis, non loin d’une grotte de sinistre mémoire… Si Mokhtar rendait visite aux parias du Rimmis, et il s’attardais de préférence avec Rachid ; ce n’étaient que festins à la lueur des torches, festins monstrueux (certain jour, ils assommèrent un poulain), au cour desquels se renforçait encore l’extravagance amitié entre le septuagénaire et le blanc-bec portant fièrement ses habits de soldat en rupture de ban, jusqu’au vendredi où Si Mokhtar cessa soudain de boire, se fixa une ration donnée de tabac à prise, fit ses ablutions et ses prières, acheta de l’eau de Cologne, lava énergiquement sa tunique, à grands coups de pied dans l’eau glacée de la cascade, parlant de la Terre sainte qu’il avait déjà visitée un demi-siècle auparavant, et qu’il voulait « revoir une dernière fois ». Rachid le regardait faire d’un air pensif, sans cesser de boire et de fumer, sans laver sa chemise militaire ; puis il quitta subrepticement le bivouac, revint la semaine suivante, exhibant sous le nez du vieillard un fascicule de navigateur tamponné avec un bouchon ; la photographie de Rachid (en étrange tenue de maritime) figurait dans le faux livret, mais avec un autre nom, une autre date de naissance, tout cela grâce aux bons offices d’un navigateur en chômage qui avait consenti à lui vendre le fascicule, et Si Mokhtar trouva au bout de quelques jours les deux mille francs que Rachid avait promis.

                           Kateb Yacine, Nedjma, Éditions du Seuil, p. 119.

Les deux extraits que nous allons aborder développent une dimension culturelle : l’un se réfère à la culture dite endogène et l’autre décrit une culture exogène.

  • Interprétation

Dans cet extrait, le choix onomastique est à la fois significatif et suggestif : le nom de Si Mokhtar connote dans la tradition musulmane une personne vertueuse et celui de Rachid se rapporte à une personne vénérée montrant la voie juste et loyale. Le péché et la Terre sainte suggèrent une dimension théologique (la religion islamique) ; la terre sainte ou la Mecque connotée comme « espace ouvert » où le musulman pourrait se purifier des péchés commis.

La grotte comme lieu hermétique de méditation renvoyant principalement à une culture purement orientale dans la mesure où les soufis s’isolent pour adorer Dieu. Le jour de Vendredi est qualifié à la fois comme temps et espace : un temps déterminé par l’heure de prière et un lieu désignant le regroupement des musulmans pour l’accomplissement de leur devoir envers Dieu (acte de prier). (Si Mokhtar, ce jour-là, cessa de boire et lava sa tunique pour répondre à cet acte obligatoire). Ainsi, le pèlerinage est à ses yeux une mission accomplie. Le lieu de la Mecque est conçu comme espace ouvert (Terre sainte).

L’emploi du discours indirect libre, dans le texte, se réfère à un moment de l’énonciation où l’action et la description vont concomitamment pour revivifier le système de valeur auquel se sont confrontés les personnages.

Outre ces éléments culturels émergents, le pèlerinage est replongé dans un décor habituel dans le sens où le voyage à la Mecque devient acte itératif. « qu’il avait déjà visitée un demi-siècle auparavant… ».

Extrait n° 2

Le vieux resta un moment sans rien dire. Puis :

« Le Prophète nous a donné le Coran, et nous a imposé seulement cinq obligations à observer au cours de notre existence. La plus importante est celle-ci : il n’existe qu’un Dieu et un seul. Les autres obligations sont : la prière cinq fois par jour, le jeûne du Ramadan, et le devoir de charité envers les pauvres.»

Il se tut. Ses yeux s’emplirent de larmes tandis qu’il parlait du Prophète. C’était un homme plein de ferveur et, même s’il se montrait souvent impatient, il s’efforçait de vivre en accord avec la loi musulmane.

«Et quelle est la cinquième obligation ? demanda le jeune homme.

— Voici deux jours, tu m’as dit que je n’avais jamais fait de rêves de voyage, répondit le Marchand. La cinquième obligation de tout bon musulman est de faire un voyage. Nous devons, au moins une fois dans notre vie, aller à la ville sainte de La Mecque. « La Mecque est encore bien plus loin que les Pyramides. Quand j’étais jeune, j’ai préféré investir le peu d’argent que j’avais dans l’ouverture de ce commerce. J’espérais être un jour assez riche pour aller à La Mecque. J’ai commencé en effet à gagner de l’argent, mais je ne pouvais confier à personne le soin des cristaux, car les cristaux sont des objets délicats. Pendant ce temps, je voyais passer dans ma boutique des quantités de gens qui étaient en route pour La Mecque. Il y avait des pèlerins fortunés, qui étaient accompagnés de tout un cortège de domestiques et de chameaux, mais la plupart étaient bien plus pauvres que moi. «Tous partaient et revenaient heureux, et plaçaient à la porte de leur demeure les symboles du pèlerinage effectué. L’un de ces pèlerins, un cordonnier qui gagnait sa vie à réparer les chaussures des uns et des autres, m’a dit qu’il avait marché près d’un an dans le désert, mais qu’il se sentait beaucoup plus fatigué quand il avait dû parcourir quelques pâtés de maisons à Tanger pour aller acheter du cuir.

Paul Coelho, L’Alchimiste, p.74.

  • Interprétation

Dans le deuxième extrait de P. Coelho, nous constatons que les deux personnages sont anonymes (le jeune homme et le vieux), la variable de l’âge semble ici un facteur déterminant dans la réalisation de l’action en ce sens que le vieux, par sa longue expérience, enseigne la vertu du pèlerinage au jeune homme.

Le rôle du narrateur se borne uniquement ici à la description extrinsèque et apparente de ses personnes. Les rites religieux décrits sont étrangers à l’énonciateur, c’est pourquoi il prend une distance à travers la « démonopolisation » de la parole dans le texte en usant du discours direct. En outre, la mission de La Mecque n’est pas encore accomplie. Elle est qualifiée, en fait, d’un endroit clos qui est la ville sainte. Cet enfermement spatial est exprimé par un discours d’étonnement : distance par rapport au fait de description  et choc culturel.

Aussi, nous remarquons que l’auteur relègue le système culturel dans un univers simplifié sans aucune précision par le fait de l’exotisme que ces réalités distribuées présentent à ses yeux. (cinq obligations /symboles du pèlerinage)

Interprétation des textes d’Antoine de Saint-Exupéry et de J. de La Fontaine

Bonjour, dit le renard. Je suis un renard.

Je ne puis pas jouer avec toi. Je ne suis pas apprivoisé.

Tu n’es pas d’ici, que cherches-tu ? Les hommes ont des fusils et ils chassent. C’est bien gênant !

Ils élèvent aussi des poules. C’est leur seul intérêt. “Apprivoiser” c’est une chose trop oubliée. Ça signifie “créer des liens…” bien sûr. Tu es pour moi qu’un petit garçon tout semblable à cent mille petits garçons. Et je n’ai pas besoin de toi. Et n’as pas besoin de moi non plus. Je ne suis pour toi qu’un renard semblable à mille renards. Mais si tu m’apprivoises, nous aurons besoin l’un de l’autre. Tu seras pour moi unique au monde.

C’est possible. Rien n’est parfait. Ma vie est monotone. Je chasse les poules, les hommes me chassent. Toutes les poules se ressemblent et tous les hommes se ressemblent. Je m’ennuie donc un peu. Mais si tu m’apprivoises, ma vie sera comme ensoleillée. Je connaîtrai un bruit de pas qui sera différent de tous les autres.

Je ne mange pas de pain. Le blé pour moi est inutile. Les champs de blé ne me rappellent rien. Le renard se tue et regarda longtemps le petit prince : – s’il te plaît… apprivoise-moi !

On ne connaît que les choses que l’on apprivoise, les hommes n’ont plus le temps de rien connaître. Ils achètent des choses toutes faites chez les marchands. Mais comme il n’existe point de marchands d’amis, les hommes n’ont plus d’amis. Si tu veux un ami apprivoise-moi. Il faut être très patient. Tu t’assoiras d’abord un peu de moi, comme ça, dans l’herbe. Je te regarderai du coin de l’œil et tu ne diras rien. Mais chaque jour, tu pourras t’asseoir un peu plus près…

Il eût mieux valu revenir à la même heure. Si tu viens après-midi, dès trois heures je commencerai d’être heureux. Plus l’heure avancera, plus je me sentirai heureux. A quatre heures, déjà, je m’agiterai et m’inquiéterai ; je découvrirai le prix du bonheur ! Mais si tu viens n’importe quand, je ne saurai jamais à quelle heure m’habiller le cœur… il faut des rites.

Les rites quelque chose trop oubliée. C’est ce qui fait qu’un jour est différent des autres jours, une heure, des autres heures. Il y a un rite chez mes chasseurs. Ils dansent le jeudi avec les filles du village. Alors le jeudi merveilleux ! Je vais me promener jusqu’à la vigne. Si les chasseurs dansaient n’importe quand, les jours se ressemblaient tous, et je n’aurais point de vacances. Ah ! dit le renard… je pleurai. J’y gagne à cause de la couleur du blé. Adieu voici mon secret. Il est très simple : on ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux. C’est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante. Les hommes ont oublié cette vérité, mais tu ne dois pas l’oublier. Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé. Tu es responsable de ta rose…

Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince, pp. 79, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 86.

  • Interprétation

Ce texte est extrait de l’ouvrage Le Petit Prince développe une visée pédagogique “maître-élève”, dans lequel le renard fait apprendre au petit prince le sens de « l’apprivoisement » (créer des liens). “Le rituel” s’explique par la variation de l’axe temporel (c’est ce qui fait qu’un jour est différent des autres jours, une heure, des autres heures). Ce rapport est dynamisé par le couple questionnement-réponse. Néanmoins, le processus d’enseignement-apprentissage ne s’arrête pas uniquement au verbal mais se traduit en acte à travers l’emploi itératif du mode injonctif (tu t’assoiras/ apprivoise-moi…). Cet apprivoisement fait apprendre au renard le rituel et les traditions des chasseurs (dansent avec les filles).

Le renard s’avère comme sujet actant qui agit face à un objet (petit prince) étant donné que ce dernier se comporte comme « sujet passif » qui interroge pour savoir. Toutefois, le renard, au départ, se révèle comme un sujet qui ne sait pas faire et quoi faire, mais au fur et à mesure il se montre sage en passant paradoxalement du « savoir» au « faire savoir », de « l’être » à « l’apparaître » et du  « je » au « tu ».

Sur le plan relationnel, nous constatons que l’aspect psychologique joue un rôle déterminant en mettant l’accent sur l’émotion « l’être » (je suis/ tu n’es/ si tu veux…), car, au début, c’est le sensuel qui lie les acteurs, mais progressivement cette relation insatiable se déchaine et se développe promptement jusqu’au dévoilement de l’aspect latent (on ne voit qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux. )

Le Coq et le Renard

Sur la branche d’un arbre était en sentinelle

Un vieux coq adroit et matois.

« Frère, dit un renard, adoucissant sa voix,

Nous ne sommes plus en querelle :

Paix générale cette fois.

Je viens te l’annoncer, descends, que je t’embrasse.

Ne me retarde point, de grâce ;

Je dois faire aujourd’hui vingt postes sans manquer.

Les tiens et toi pouvez vaquer,

Sans nulle crainte, à vos affaires ;

Nous vous y servirons en frères.

Faites-en les feux dès ce soir,

Et cependant, viens recevoir

Le baiser d’amour fraternel.

– Ami, reprit le coq, je ne pouvais jamais

Apprendre une plus douce et meilleure nouvelle

Que celle de cette paix ;

Et ce m’est une double joie

De la tenir de toi. Je vois deux Lévriers,

Qui, je m’assure, sont courriers

Que pour ce sujet on m’envoie.

Ils vont vite et seront dans un moment à nous

Je descends : nous pourrons nous entre-baiser tous.

– Adieu, dit le Renard, ma traite est longue à faire,

Nous nous réjouirons du succès de l’affaire

Une autre fois. »

Le Galand aussitôt

Tire ses grègues, gagne au haut,

Mal content de son stratagème.

Et notre vieux coq en soi-même

Se mit à rire de sa peur ;

Car c’est double plaisir de tromper le trompeur.

Le Renard et la Cigogne

Compère le Renard se mit un jour en frais,

Et retint à dîner commère la Cigogne.

Le régal fut petit et sans beaucoup d’apprêts :

Le galand, pour toute besogne,

Avait un brouet clair : il vivait chichement.

Ce brouet fut par lui servi sur une assiette :

La Cigogne au long bec n’en put attraper miette,

Et le drôle eut lapé le tout en un moment.

Pour se venger de cette tromperie,

A quelque temps de là, la Cigogne le prie.

« Volontiers, lui dit-il, car avec mes amis,

Je ne fais point cérémonie. »

A l’heure dite, il courut au logis

De la Cigogne son hôtesse ;

Loua très fort sa politesse ;

Trouva le dîner cuit à point :

Bon appétit surtout, renards n’en manquent point.

Il se réjouissait l’odeur de la viande

Mise en menus morceaux, et qu’il croyait friande.

On servit pour l’embarrasser,

En un vase à long col et d’étroite embouchure.

Le bec de la cigogne y pouvait bien passer ;

Mais le museau du sire était d’autre mesure.

Il lui fallut à jeun retourner au logis,

Honteux comme un renard qu’une poule aurait pris,

Serrant la queue, et portant bas l’oreille.

Trompeurs, c’est pour vous que j’écris :

Attendez-vous à la pareille.

Le Corbeau et le Renard

Maître corbeau, sur un arbre perché

Tenait en son bec un fromage.

Maître Renard par l’odeur alléché

Lui tint à peu près ce langage :

«Hé ! bonjour Monsieur du Corbeau

Que vous êtes joli! que vous me semblez beau !

Sans mentir, si votre ramage

Se rapporte à votre plumage

Vous êtes le phénix des hôtes de ces bois »

A ces mots le corbeau ne se sent pas de joie

Et pour montrer sa belle voix

Il ouvre un large bec laisse tomber sa proie.

Le renard s’en saisit et dit : « Mon bon Monsieur

Apprenez que tout flatteur

Vit aux dépens de celui qui l’écoute :

Cette leçon vaut bien un fromage sans doute. »

Le Corbeau honteux et confus

Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus.

  • Interprétation

Jean de la Fontaine, dans la trilogie fabuliste, illustre le caractère malin du Renard : au début, il montre son amitié et sa fratrie en jouant sur « l’être » à travers l’usage des sèmes élogieux : frère, ami, beau… pour manipuler le comportement de son « adversaire ». A la fin, ce jeu d’amitié se déconstruit en changeant de comportement.

En outre, le Renard joue immédiatement sur la “sensualité” pour persuader son adversaire. À la fin de chaque aventure, le “sensuel” se transforme en “rationnel”. En effet, le renard prend la position d’un actant dans la mesure où l’action se mobilise par le biais d’un registre déontique pour mieux exciter/inciter son homologue à l’acte.

Le jeu du « je » est alternatif dans le texte : il apparaît au début, puis disparaît dans le discours ; ensuite, il reprend au fur et à mesure sa position en tant qu’actant principal.

Le Renard s’identifie à travers le rituel de son adversaire, autrement dit il mime le comportement du Coq, du Cigogne et du Corbeau.

Cette posture de “mimesis” a pour objet de faire entendre sa voix et de capter l’attention de l’autre en usant du discours panégyrique et dithyrambique qui s’achève, finalement,  sur une relation rompue (état dysphorique).

Conclusion 

Sans travail sur la dimension sémio-culturelle, une exploitation intelligente du texte est impossible. Effectivement, le texte est un lieu fertile et terra cognita qui condense les faits culturels et le fonctionnement langagier impliquant une analyse tout à la fois sémasiologique et onomasiologique pour le déconstruire et le reconstruire.

Les textes analysés nous montrent la divergence de description du même sujet par des auteurs différents. Cet écart descriptif est dû à la distance prise par les auteurs par rapport à la culture présentée ou la représentation qu’ils s’en font.

Les premiers textes analysés de Kateb Y. et de P. Coelho organisent et distribuent les mêmes réalités de façon différente : Kateb Y. traite de près sa culture (culture dite anthropologique) en faisant le point sur la description minuscule et minutieuse des faits, tel le voyage au pèlerinage où l’auteur fait rapprocher son lecteur du sujet par le biais de la description-action afin de lui faire (re)vivre cette aventure interminable « espace ouvert ». Tandis que P. Coelho prend une distance en accordant aux personnages l’acte de la narration des évènements, qui se décrivent de façon superficielle et se déroulent dans un espace clos (la ville sainte).

Les textes de A. de Saint-Exupéry et de J. de La Fontaine décrivent la position du Renard en tant qu’actant principal. Les auteurs y associent des représentations et des positions distinctes : A. de Saint-Exupéry le conçoit comme actant qui mobilise l’action et qui s’évertue ingénieusement à transmettre des valeurs nobles telles que l’apprivoisement, l’importance de « l’être » sur « l’apparaître »…

Toutefois, J. de La Fontaine le décrit comme futé et rusé qui trompe à chaque fois son adversaire et que sa naïveté, en revanche, n’est qu’une astuce et un biais pour trahir l’Autre.

Enfin, de cette lecture herméneutique nous déduisons que le texte littéraire est à la fois un objet de description (fait linguistique) et un tremplin pour véhiculer une culture et une représentation particulière. Lire un texte consiste à saisir les faits culturels véhiculés et les valeurs transmises par le biais de l’analyse de ses invariants et de ses étonnements (Cuq et Gruca, 2005 : 423). Cette multiplicité de perceptions sur la même réalité examinée permet de développer la capacité cognitive, en l’occurrence de l’apprenant, et de se rendre compte de la diversité culturelle du monde environnant.

Références bibliographiques

Antoine de Saint-Exépury. Le petit Prince. Paris, Gallimard, 1999.

Jean-Pierre Cuq et Isabelle Gruca. Cours de didactique du français langue étrangère et seconde. Grenoble, PUG, 2005.

Kateb Yacine. Nedjma, Seuil, 1996.

Maddalena De Carlo. L’interculturel. Paris, CLE-International, 1998.

Martine Abdellah-Bretceille. L’éducation interculturelle. Paris, PUF, 1999.

Paul Coelho. L’Alchimiste. Éditions Anne Carrière, 1994.

[1] Nous introduisons les deux termes, proposés par P. Ricœur, à la place de « soi » et de « l’Autre ».

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