De l’assimilation à l’intégration à travers la sociologie de l’immigration: ruptures et continuités
From assimilation to integration through the sociology of immigration: ruptures and continuities
Prepared by the researcher : Abdallah AZRRAR – Doctorant en sociologie – Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Mohammedia – Université Hassan II de Casablanca – Centre d’Etude Doctorale : Espaces, Sociétés et Cultures – Formation Doctorale : Sociologie, Psychologie et Savoir
Democratic Arab Center
Journal of Social Sciences : Twenty Issue – September 2021
A Periodical International Journal published by the “Democratic Arab Center” Germany – Berlin
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Résumé
Dans cet article, nous présentons les théories sociologiques les plus importantes portant sur les processus d’assimilation et d’intégration des immigrés dans le pays d’installation. Ce cadrage théorique consiste à passer du premier concept (assimilation), qui a été largement employé aux Etats-Unis dans le sillage de l’école de Chicago, au second concept (intégration) élaboré dans le cadre de la sociologie de l’immigration en France qui a conservé l’héritage durkheimien. Il ne s’agit pas de parcourir de manière exhaustive l’ensemble des analyses sociologiques sur l’intégration, mais de retracer les grandes lignes ayant marqué l’évolution de la sociologie de l’immigration dans les contextes américains et français. Atravers ce cadre conceptuel, nous repérons ainsi les formes de rupture et de continuité qui ont façonné et traverséces deux traditions sociologiques.
Abstract
In this paper,wediscuss the most important sociological theories related to the processes of assimilation and integration of immigrants in their country of settlement. This theoretical framework consists of moving from the first concept (assimilation), which was widely used in the United States of America in the wake of the Chicago school, to the second concept (integration) developed within the framework of the sociology of immigration in France which has preserved the durkheimian heritage. The objective is to construct the main lines that have marked the evolution of the sociology of immigration in the American and French contexts.Through this conceptual framework, we identify the forms of rupture and continuity which have crossed these two sociological traditions.
Introduction
L’immigration internationale introduit des changements politiques, économiques, sociaux, culturels et démographiques à travers les pays d’origine, de transit et d’installation. Avec le développement des moyens de communication et de transport, les flux migratoires touchent toutes les régions du monde à travers la création des réseaux sociaux transnationaux. Ces nouvelles formes migratoires favorisent des échanges, des interactions, des métissages et des rapprochements entre les cultures. Ainsi, le fait migratoire a également des incidences sur les perceptions et les représentations sociales associées à l’étranger. Il interroge la capacité de la société d’accueil à intégrer les immigrés dans les différentes domaines de la vie sociale, y compris l’emploi, le logement, la santé, l’école, les loisirs, la vie associative, syndicale et politique. De même, elle dévoile les mécanismes de discrimination, d’exclusion et de xénophobie auxquels les immigrés sont confrontés. Ces mécanismes sociaux constituent des barrières matérielles et symboliques qui compromettent l’insertion des communautés immigrées dans la société réceptrice. Cette migration internationale questionne la société de résidence sur ses capacités d’accueil et sur ses attitudes d’inclusion et d’exclusion, d’acceptation et de rejet des altérités.
Dans cet article, nous présentons les théories sociologiques les plus importantes portant sur les processus d’assimilation et d’intégration des immigrés dans le pays d’installation. Ce cadrage théorique consiste à passer du premier concept (assimilation), qui a été largement employé aux Etats-Unis dans le sillage de l’école de Chicago, au second concept (intégration) élaboré dans le cadre de la sociologie de l’immigration en France qui a conservé l’héritage durkheimien. Il ne s’agit pas de parcourir de manière exhaustive l’ensemble des analyses sociologiques sur l’intégration, mais de retracer les grandes lignes ayant marqué l’évolution de la sociologie de l’immigration dans les contextes américains et français. A travers ce cadre conceptuel, nous repérons les formes de rupture et de continuité qui ont façonné et traversé ces deux traditions sociologiques. Ainsi, il ne s’agit pas de présenter les résultats d’une étude empirique, mais plutôt de proposer un état des lieux en se basant sur l’analyse bibliographique de références, d’ouvrages et d’études de terrain portant sur les dynamiques d’assimilation et d’intégration des immigrés dans la société d’accueil. Il s’agit de discuter des définitions, des modèles théoriques, des variables et des indicateurs concernant le lien immigration-intégration dans le pays hôte.
I. L’assimilation : les apports de l’école de Chicago et de la sociologie américaine
1. L’école de Chicago : la théorie classique de l’assimilation convergente
C’est l’ensemble de travaux de l’école de Chicago qui attestent d’une genèse indissociable de la sociologie des migrations et la sociologie urbaine américaines, dont le concept d’assimilation occupe une position centrale. Comme le propose Alain Coulon : « L’école de Chicago est une sociologie urbaine qui a entrepris une série impressionnante d’études sur les problèmes auxquels la ville de Chicago était confrontée. Mais elle a surtout consacré nombre de ses travaux à un problème politique et social majeur, qui concernait alors toutes les grandes villes américaines et débordait le seul cadre d’une sociologie de la ville : celui de l’immigration et de l’assimilation des millions d’immigrants à la société américaine »(Alain Coulon, 2012, p.6)
Ces recherches sur l’immigration sont une partie constitutive de la construction de la sociologie américaine entre 1890 et 1950. Dans cette période, la théorie classique de l’assimilation convergenteest une des modèles conceptuels qui a façonné et dominé la sociologie de l’immigration pendant une grande partie du XXe siècle. Cette théorie introduit une vision individualiste de l’immigration et du processus d’adaptation des communautés ethniques au pays d’installation. Elle considère l’intégration comme un processus individuel dont la vitesse et le résultat dépendent des caractéristiques des migrants et de leur durée de séjour (Mirna Safi, 2006, p. 3). De ce fait, il anticipe qu’au fil du temps et des générations, les communautés issues de l’immigration se rapprocheraient de plus en plus des natifs en s’identifiant à leurs valeurs collectives et en adoptant leurs modèles culturels. Ce processus consisterait en une perte progressive de l’ancienne culture d’origine à l’avantage de la nouvelleculture de la société d’accueil, et une fois démarré, il mènerait inévitablement et irréversiblement à l’assimilation (Mirna Safi, 2006, p.4).Les premiers travaux de l’école de Chicago s’inscrivent dans cette perspective théorique. Celle-ci s’intéresse aux logiques sociales de réduction des hétérogénéités culturelles entre les populations issues de l’immigration et la population native.
L’ouvrage classique « The polish peasant in Europe and America, mongraph of an immigrant group », rédigé par William Thomas et Florian Znaniecki et publié en cinq volumes entre 1918 et 1920, reste indiscutablement une étude monographique pionnière dans le domaine des relations interethniques. Cette monographie inaugure la méthode dite « histoires de vie ». Elle s’appuie sur un matériau riche et fécond, constitué en particulier d’articles de journaux, d’observation participante, de documents institutionnels, de récits autobiographiques ainsi que de lettres échangées avec la famille restée en Pologne. A partir d’une analyse fine de ce matériau, les auteurs interprètent sociologiquement le cycle migratoire « organisation-désorganisation-réorganisation ».Comme le décrit Jocelyne Streiff-Fénart : « L’immigrant polonais de William Thomas et Florian Znaniecki est avant tout un « paysan » dont le nouveau self en immigration se forme dans le processus de désorganisation des groupes primaires de la famille et de la communauté, du délitement des normes sociales qu’ils transmettaient, et de la réorganisation des fragments épars de cette organisation locale ancienne selon des formes d’organisation (l’association volontaire) propres aux sociétés urbaines modernes » (Jocelyne Streiff-Fénart, 2013, p.39).
Les deux figures de Chicago ont montré comment dans un nouveau contexte urbain l’immigrant polonais rural peut se réinventer une identité nouvelle basée sur une vie communautaire, étape nécessaire à l’assimilation[1] (Ducheny Marie, 2004, p.170). Car elle seule peut sortir, dans un premier temps, l’immigré de son isolement social, due en partie à la perte de ses repères et ses liens qu’il entretenait avec les membres de sa famille et de son groupe d’origine. Dans les quartiers polonais de Chicago, la communauté constitue le fondement du lien social et de solidarité ethnique. Ce regroupement communautaire joue un rôle de médiation en sens qu’elle permet aux immigrés d’entrer en contact avec la culture dominante et de s’en approprier. (Gérard Noiriel, 1993, p.38)
Dans le livre intitulé « Introduction to the science of sociology » publié en 1921, Ezra Park et Ernest Burgess consacrent une partie de l’ouvrage aux processus qui concernent la théorie du cycle des relations ethniques. Celle-ci est constituée de quatre phases :compétition, conflit, accommodement et assimilation. Selon eux, lorsque plusieurs communautés vivent dans un même espace, leurs rapports suivent un cycle « général, évolutif et universel » caractérisé par le contact, la compétition, l’adaptation et l’assimilation. Cette dernière étape du cycle désigne un processus d’interpénétration et de fusion au cours duquel les individus et les groupes intègrent la mémoire, les sentiments et les attitudes des autres individus et groupes, et en viennent à créer une culture commune basée sur le partage de leurs expériences et leur histoire(Andrea Réa, 2010, p.44).
Ces deux sociologues sont convaincus qu’il y a toujours assimilation au final. L’assimilation est un processus inéluctable du cycle de relations interethniques. Elle est un processus d’ajustement qui anticipe, affaiblit les conflits, surveille la compétition et garantit la stabilité du système social (AndreaRéa et Maryse Tripier, 2003, p. 12). Les auteurs suivent en cela le modèle philosophique et politique du melting-pot, en considérantles Etats-Unis comme un mélange de cultures. Celles-ci se fusionnent et se reconfigurent pour former une nouvelle identité. Comme le suggère Andrea Réa : « Il faut donc en arriver à ce moment où les groupes se dissolvent dans une entité commune par création d’une identité nouvelle au lieu de garder une distinction entre culture majoritaire et culture minoritaire. L’assimilation suppose donc aussi une adaptation du groupe majoritaire »(Andrea Réa, 2010, p.44).
Selon Ezra Parket Ernest Burgess, l’apprentissage de la langue et la connaissance de l’histoire du pays d’installation sont les deux dimensions essentielles du processus d’assimilation des communautés issues de l’immigration. C’est dans ce sens qu’ils définissent l’assimilation comme « le partage d’une mémoire historique commune »(Mirna Safi, 2006, p.5).Ces dimensions constituent les deux facteurs accélérateurs du processus d’assimilation des immigrés. Celle-ci se traduit via leur acquisition d’une position sociale, économique et politique dans le nouvel espace national du pays d’arrivée. De ce fait,les immigrés deviennent membres de la société d’accueil. Ce processus d’assimilation s’accélère à la deuxième et à la troisième génération. Car les enfants issues de l’immigration incorporent, dès le départ via la socialisation, les valeurs collectives et les codes linguistiques, les modèles culturels et les symboles du pays d’installation. De même,ils adoptent les règles de conduite et les normes dominantes de la société réceptrice.
A cette époque, les écrits scientifiques sur l’assimilation sont fortement influencés par la théorie de l’écologie urbaine. Dans son ouvrage « The ghetto » publié en 1928, Louis Wirth retrace l’histoire sociale de la formation du ghetto juif dans la ville de Chicago. Il repère une forme physique et spatiale et culturelle, en l’occurrence le ghetto en tant que première étape du processus d’intégration dans la société américaine. Ainsi, Il étudie les trajectoires de mobilité résidentielle dans les quartiers urbains à forte densité juive. Son hypothèse est formulée comme suite : « Le ghetto juif remplit une fonction d’adaptation de la culture de la minorité juive à un environnement étranger ; il permet l’élaboration d’un modus vivendi avec d’autres groupes aux cultures très différentes » (Guillaume Yon, 2008, p.78).
Louis Wirth s’inspire de la théorie de l’écologie urbaine selon laquelle la concurrence économique est le principal facteur de répartition de la population dans l’espace urbain. Cette concurrence produit la concentration socio-spatiale des plus pauvres dans les zones les plus marginalisées. Ces quartiers précaires sont les lieux de cohabitation des immigrés venus d’horizons différents pour de multiples motifs. Les populations issues de l’immigration sont distribuées/regroupées sur la base du critère ethnique et religieux. Ces modalités sociales d’occupation de l’espace témoignent du phénomène de ségrégation urbaine. Sur le plan sociologique, ces immigrés adoptent des stratégies de sortie du ghetto, réussissent à s’installer dans la zone de deuxième peuplement. Ce faisant, la mobilité spatiale reflète ainsi la mobilité sociale et témoigne de la réussite de l’assimilation (Stéphane Beaud et Gérard Noiriel, 1989, p. 69).Néanmoins, Louis Wirth en tire des conclusions beaucoup plus pessimistes que ses devanciers, puisqu’il conclut finalement à l’échec de l’assimilation des Juifs aux États-Unis (Guillaume Yon, 2008, p.76).
- Milton Gordon : la théorie des sept étapes de l’assimilation
Dans son ouvrage « Assimilation in American life :the role of race, religion and national origins » publié en 1964,Milton Gordonélabore une théorie du processus d’assimilation en le décomposant en sept étapes. Celle-ci est nommée la théorie des sept étapes de l’assimilation, car elle est constituée de sept indicateurs qui structurent ce processus multidimensionnel.Milton fut le premier à théoriser le processus d’assimilation des immigrés dans la société d’installation. Il s’agit là d’un premier effort d’élaboration de concepts opérationnels qui permettent de mesurer l’intégration des immigrés et d’en caractériser les trajectoires.Les sept étapes sont composées par l’assimilationculturelle, l’assimilation structurelle, l’assimilation conjugale, l’assimilation identificatoire, l’assimilation réceptionnelle de l’attitude, l’assimilation réceptionnelle du comportement et l’assimilation civique.Dans ce cadre, nous proposons des définitions sommaires concernant les dimensions constitutives de ce modèle d’assimilation :
1) L’assimilation culturelleou l’acculturation désignela phase dans laquelle les immigrés issus du groupe minoritaire adoptent les modèles et les standards culturels de la société d’installation. 2) L’assimilation structurelle signifie la participation des minorités ethniques dans les groupes primaires (relations familiales, amicales…). Et leur intégration dans les groupes secondaires de la société d’accueil (associations, clubs, syndicats et partis politiques…). 3) L’assimilation maritaleou conjugale désigne les mariages mixtes entre les membres du groupe minoritaire et ceux de la société d’accueil. 4) L’assimilation identificatoire désigne l’identification des membres du groupe minoritaire aux symboles du pays d’accueil, comme le drapeau et l’hymne national. Cela implique une distanciation par rapport à la culture d’origine. Cette assimilation identificatoire s’opère au fil du temps et des générations. 5) L’assimilation réceptionnelle de l’attitude estune situation dans laquelle le groupe minoritaire ne rencontre plus d’hostilité ou de préjugés à son égard. Elle est ainsi marquée par la réduction du discours de racisme et de xénophobie. 6) L’assimilation réceptionnelle du comportement est une situation dans laquelle le groupe minoritaire ne subit plus les pratiques de discrimination ethniques ou autres. 7) L’assimilation civique désigne l’absence de conflit politique entre le groupe minoritaire et la société réceptrice. Elle est l’inclusion dans la société d’accueil de la dimension symbolique et culturelle des communautés minoritaires, et la participation de ces dernières dans la gestion de la chose publique (Mirna Safi, 2006, p.37). Ce modèle théoriquese situe entre la conception classique de l’assimilation convergente et la conception contemporaine de l’assimilation segmentée.
- La sociologie américaine contemporaine : la théorie de l’assimilation segmentée
Dans le contexte américain des années 1960 et 1970, plusieurs études sociologiques ont démontré la persistance des différences ethniques à travers les générations. En effet, les valeurs sociales et les modèles culturels des communautés d’origine ne sont pas disparues en contexte d’immigration. Bien au contraire, ils subissent des modifications et prennent des formes nouvelles dans la société d’accueil. Ces références culturelles ont été utiles pour l’immigré dans son adaptation à un nouvel environnement. Dans son ouvrage « Bleu collar community » publié en 1974, William Kornblum illustre l’importance de l’ethnicité parmi les ouvriers de l’industrie sidérurgique du Sud de Chicago. Il montre une très forte identification avec leur groupe ethnique et une forte solidarité communautaire entre ces travailleurs dans le syndicat, dans l’usine et en politique(Michel Del Balso, 1984, p.61).
Abordant d’autres thématiques, certaines recherches ont souligné les rapports entre la formation des communautés ethniques – en provenance d’Amérique latine, d’Asie et d’Afrique- et la reproduction des inégalités intergénérationnelles liées à l’origine socioculturelle. D’autres ont soulevé les effets de discrimination et de marginalisation de certaines communautés ethniques, principalement les Noirs et les Latinos : les vulnérabilités face à l’emploi, la ségrégation spatiale et la précarité du logement, les inégalités ethniques face à l’école et à la mobilité sociale. Ainsi, les questions sociales de pauvreté, de délinquance, de violence urbaine et de déviance ont été également analysées.
Dans ce contexte de renouveau ethnique, la perspective de l’assimilation classique confronte de nouveaux défis. Ceux-ci imposent le renouvellement du cadre théorique et la reformulation des problématiques traitant de l’intégration des populations issues de l’immigration. Parmi les critiques adressées au paradigme classique de l’assimilation, on peut citer sa conception individualiste du processus d’intégration des immigrés dans la société d’accueil. Cette vision conduit simultanément à responsabiliser l’immigré et à déresponsabiliser la société d’installation, dans le sens où elle occulte de s’interroger sur les dysfonctionnements et les attitudes relatives à la société majoritaire. Ce faisant, elle ignore l’existence des mécanismes discriminatoires et inégalitaires qui freinent l’intégration de certaines communautés ethniques dans la société américaine.
Dans cette optique, les sociologues américains ont cherché à expliquer l’accentuation des différences ethniques au fil des générations, la très faible mobilité sociale et la reproduction des inégalités liées à l’origine sociale et ethnique (Mirna Safi, 2011, p.54). En d’autres termes, ils ont démontré la présence d’un modèle opposé à la conception linaire et irréversible de l’assimilation classique. Comme le souligne Mirna Safi : « Plus la durée de séjour est longue et plus l’inadaptation mesurée en termes de performances scolaires, d’aspirations et de poids du groupe d’immigrés est forte. En d’autres termes, les désavantages se reproduisent au lieu de diminuer ( …) Les rendements de l’intégration varient en fonction de l’espace où les immigrants s’installent »(Mirna Safi, 2006, p.6). Contrairement aux descriptions des premières enquêtes de l’école de Chicago ayant véhiculé une image optimiste et positive sur le devenir des immigrés, les études récentes ont révélé l’existence des dysfonctionnements qui bloquent, ou du moins ralentissent, le processus d’assimilation des immigrés. Ces dysfonctionnements concernent l’exclusion et la marginalisation des communautés issues de l’immigration, l’échec scolaire parmi les enfants d’immigrés, la ségrégation spatiale et la ghettoïsation ethnique des quartiers à forte densité migratoire.
Dans ce cadre, les sociologues américains ont pensé aux modèles alternatifs à l’assimilation classique. Selon Mirna Safi, on peut distinguer schématiquement deux courants théoriques, l’un culturaliste et l’autre structuraliste : Les sociologues d’inspiration culturaliste insistent sur le caractère « choisie » de la perpétuation des différences ethniques. Ainsi, ils ont montré que la participation des groupes issus de l’immigration à l’American way of life n’entrainait pas la fin de l’ethnicité. Les appartenances ethno-sociales à des communautés historiques particulières sont loin de disparaitre. Celles-ci prennent au fil des générations des formes sociales nouvelles, en témoignant d’une capacité d’adaptation et de réajustement permanente dans la société américaine. De leur côté, les sociologues d’inspiration structuraliste insistent sur le caractère « subie » du maintien des différences ethniques. Ils privilégient l’analyse sociologique des dynamiques migratoires en termes d’inégalité. Ces chercheurs postulent l’existence des mécanismes structurels inégalitaires qui freinent le processus d’intégration des communautés immigrées. Ainsi, ils montrent les effets de discrimination et de catégorisation ethno-raciale quant à l’accès au logement et à l’emploi. Ces logiques sociales discriminatoires produisent des stratifications ethniques face au marché du travail, et des inégalités spatiales face au marché résidentiel au sein de la ville(Mirna Safi, 2011, p.155). Ces conditions nourrissent plus généralement les rapports de domination sous-jacents aux relations interethniques dans la société américaine (Douglas Massey, 2007, p.120).
Durant les années 90 du siècle dernier, le sociologue Alejandro Portes et ses collègues ont élaboré une théorie originale du processus d’absorption des communautés immigrées. Leur modèle explicatif est connu sous le nom de la théorie de l’assimilation segmentée (segmented assimilation). Celle-ci met l’accent sur le caractère pluridimensionnel et multidirectionnel du processus d’intégration des immigrés dans la société américaine, constituée de segments ségrégués et inégaux en termes d’éducation, de logement, de formation professionnelle et de revenu. Cette théorie envisage l’assimilation comme le résultat d’une combinaison de facteurs individuels, collectifs et institutionnels. Cette vision peut aboutir à l’observation et à l’interprétation de fortes inégalités dans le devenir des communautés immigrées.
Ce faisant, la théorie de l’assimilation segmentée part d’une hypothèse selon laquelle elle repère une multiplicité de facteurs qui déterminent le mode d’incorporation des immigrés. D’après Mirna Safi, ces facteurs sont d’ordre individuel et contextuel. Les facteurs individuels les plus déterminants sont la scolarisation et le niveau d’étude, les aspirations des individus par rapport à leur devenir, la maitrise de la langue du pays d’immigration, les motivations à s’intégrer dans la société d’accueil, le lieu de naissance, l’âge d’arrivée et la durée de séjour, le mariage mixte. Les facteurs contextuels sont le statut social et ethnique de la famille, le milieu et le lieu de résidence, la condition de vie de la famille, les caractéristiques socio-économiques de la communauté à laquelle appartient l’individu, le poids collectif du groupe ethnique et l’attitude du pays d’accueil vis-à-vis de l’immigré et de sa communauté (Mirna Safi, 2006, p.9). En analysant l’articulation entre ces différents facteurs, les chercheurs insistent sur le caractère différencié des modalités de l’incorporation des immigrés et des minorités ethnoculturelles dans la société américaine. Dans cette perspective, ils ont construit une typologie du processus d’assimilation, dont le modèle classique de l’assimilation linaire apparait comme un cas particulier au sein de trois modes d’incorporation (Mirna Safi, 2011, p.157) :
- Le modèle uniforme de l’assimilation classique est représenté par la première typologie de l’incorporation des immigrés dans la société d’accueil. Celle-ci se caractérise par une intégration économique dans les sphères de la classe moyenne via une mobilité sociale ascendante. Elle est également accompagnée d’une assimilation culturelle progressive et d’une adoption des valeurs et normes dominantes de la société réceptrice.
- La deuxième typologie contredit le modèle classique de l’assimilation, dans la mesure où le processus d’acculturation réussie des immigrés aux Etats-Unis ne s’accompagne pas nécessairement d’une amélioration de leurs conditions socioéconomiques. Celle-ci se caractérise par une mobilité sociale descendante et une intégration économique dans la structure des classes défavorisées et marginalisées. En dépit de leurs adoptions des modèles culturels et symboliques de la société d’accueil. Cette dernière témoigne d’une degré d’hostilité vis-à-vis de certaines origines migratoires et ethniques. Cette attitude violente de la société hôte se traduit, le plus souvent, par des mécanismes discriminatoires et racistes. Le cas de la population noire et latino-américaine illustre ce caractère infériorisant de ce mode d’intégration qualifié de « downward assimilation ».
- La troisième typologie se caractérise par une mobilité sociale ascendante, une intégration économique dans les structures de la classe moyenne combinée au maintien de la spécificité culturelle du groupe ethnique. Ainsi, elle se caractérise par une acculturation retardée par rapport à la société d’installation et un fort attachement à la culture de la communauté d’origine à laquelle appartient l’immigré. Cela se traduit par des pratiques internes d’endogamie, une forte solidarité communautaire associée à d’importants capitaux économiques et sociaux au sein du groupe. La préservation des modes de vie de la communauté ethnique n’entraine pas des conflits avec la culture de la société réceptrice. Le maintien de la spécificité culturelle n’implique pas des conséquences entravant l’accès des immigrés aux biens socioéconomiques : le travail, le logement, les soins de santé, les loisirs et les services publics. L’exemple des communautés vietnamiennes et coréennes illustrent parfaitement ce mode d’incorporation, appelé parfois intégration sur le mode du pluralisme culturel.
- L’intégration : les contributions de la sociologie de l’immigration en France
Si les sociologues américains ont conservé la notion de l’assimilation sans connotation péjorative, leurs collègues français ont abandonné progressivement ce concept qui a maintenu son sens négatif et ethnocentrique en rapport avec le poids du passé colonial. Les sociologues français ont opté pour la notion d’intégration. Ce choix terminologique et conceptuel s’inscrit dans la continuité de l’héritage intellectuelle d’Emile Durkheim. Dans cette perspective classique, le concept d’intégration est employé pour rendre compte de l’état de la société dans sa totalité, en le considérant comme un processus social holiste. Son ouvrage « De la division du travail social » illustre parfaitement cette approche macrosociologique et holiste. Durkheim distingue la solidarité mécanique caractérisant les sociétés traditionnelles de la solidarité organique caractérisant les sociétés modernes (Emile Durkheim, 1893, p.p.4-5). Ces formes divergentes de solidarité constituent deux principes fondateurs de l’intégration de la société tout entière (Beate Collet, 2006, p.4).
Dans la perspective durkheimienne, l’intégration est une question très peu liée à des groupes sociaux particuliers au sein de la société. Les dimensions et les modes d’intégration (sociale, économique, religieuse et politique) exercent des effets sur les comportements des individus et groupes sociaux. C’est ce que Durkheim a démontré dans son étude sociologique sur le suicide, en examinant le poids déterminant des institutions sociales, telles que la famille, le travail, l’Eglise, le droit et l’Etat. Ces instances socialisatrices prédisposent l’individu à vivre en société. Ce faisant, le fondateur de la sociologie française étudie l’intégration de la société dans son ensemble. Il n’a jamais traité explicitement du problème de l’immigration et de l’intégration des immigrés dans la société française (Stéphane Beaud et Gérard Noiriel, 1989, p.69). De même, il n’a pas réfléchi à la spécificité de la situation des immigrés qui est au cœur des mutations sociétales de l’époque. Or, ses écrits ont impacté les différentes spécialités de la sociologie, y compris la sociologie de l’immigration.
Même si la France a connu une tradition ancienne d’accueil des flux migratoires liée à l’expérience historique coloniale, la sociologie de l’immigration en France tarde à voir le jour. En effet, la république française se perçoit plutôt comme un pays d’émigration. Cependant, elle est un pays d’immigration qui s’ignore. Elle a du mal à comprendre, que depuis 1850, elle a été le seul pays européen à recevoir régulièrement et successivement des populations étrangères (Dominique Schnapper, 1991, p.1010). Dans son introduction Philipe Dwitte nous rappelle que « en France, les études sur l’immigration et l’intégration sont somme toute assez récentes »(Varro Gabrielle et al, 2000, p.261). Ce n’est qu’aux années 1960 que la sociologie de l’immigration, dans sa version française, va naitre et se développer avec les travaux fondateurs d’Abdelmalek Sayad sur la migration algérienne en France. C’est la présence des immigrés issus des anciennes colonies qui a fait évoluer les recherches sociologiques sur l’immigration et les problèmes de discrimination, de désintégration et d’exclusion en France (Kateb Kamel et Patrick Simon, 2004, p.624).
Cette naissance tardive de la sociologie de l’immigration en France s’inscrit dans un contexte marqué par l’immigration massive de travailleurs. En fait, la France avait besoin de la force de travail pour répondre aux besoinsdu marché de l’emploi. Celui-ci est marqué par un fort processus d’industrialisation et d’urbanisation, en tant que deux moteurs de changement social caractérisant les sociétés industrielles, impliquant une forte demande de main d’œuvre issue de la migration interne et internationale. Cette immigration de travail s’est transformée ensuite en immigration de peuplement dans le cadre des politiques de regroupement familial pendant les années 1970. C’est dans ce contexte que l’immigration est traitée comme un problème politique national. La remise en cause de la migration s’est nourri avec la crise économique, la faible croissance et l’augmentation du taux de chômage. A cela s’ajoute l’incapacité de l’Etat providence de prendre en charge la question des populations nationales et migrantes qui se retrouvent en bas de la hiérarchie sociale, vu les conséquences du premier choc pétrolier en 1973 et la fin de ce qui est communément appelé les « trente glorieuses ». Dès cette époque, les Etats européens ont commencé à adopter des mesures restrictives en matière de gestion migratoire. Ce faisant, le processus d’intégration doit être interprété, en prenant en considération les transformations structurelles à l’œuvre dans la société française, afin de comprendre les capacités d’accueil pour les populations étrangères. Avec la crise économique, l’effritement du lien social et l’émergence de poches de pauvreté et d’exclusion sociale, l’intégration qui fut longtemps associée aux populations immigrées est devenue une préoccupation majeure dans la société française qui voit sa cohésion sociale menacée par un nombre croissant de groupes sociaux précarisés (Marie Poir, 1991, p.99).
Les usages et les significations attribuées au concept d’assimilation ou d’intégration varient selon les contextes politico-historiques et nationaux, voire même scientifiques, dont lequel il s’insère. Car, chaque Etat a ses traditions migratoires particulières.Chaque Etat institue sa propre politique migratoire qui traduit ses conceptions nationales en matière d’intégration des étrangers. Pour Abdelmalek Sayad, le processus d’intégration revête plusieurs spécificités. Dans un premier lieu, il est impossible de l’orienter, de le contrôler, de le diriger ou même de le favoriser. Ainsi, l’intégration est un processus social invisible, de chaque instant, qui prend forme dans des actions apparemment insignifiantes. Ce processus d’intégration n’est pas exempte d’obstacles psychologiques et matérielles, de violences sociales, de conflits politiques et de résistances culturelles. Car il oblige l’immigré à s’adapter avec sa nouvelle situation en exil. L’adaptation avec son nouvel environnement social oblige l’immigré à réconcilier entre sa communauté d’origine et sa société d’accueil. Enfin, l’intégration est le produit d’un travail permanent de socialisation et de re-socialisation. A chaque instant de la vie individuelle et collective, l’intégration est un processus anonyme, souterrain, infini, sans commencement ni aboutissement (Alexandre Fabry, 2000, p.p. 18-19). Ce sociologue franco-algérien ajoute que l’intégration est un « processus dont on ne peut parler qu’après coup, pour dire qu’elle a réussi ou qu’elle a échoué, un processus qui consiste à passer de l’altérité la plus radicale à l’identité la plus totale »(Abdelmalek Sayad, 2006, p.18).
Dans un sens convergent et global, les concepts d’assimilation et d’intégration désignent, pour l’école de Chicago et l’école française, un processus sociologique par lequel les individus et les groupes sociaux – immigrés ou non immigrés – prennent leur place dans une société donnée, en participant activement aux différentes instances intégratrices de la société. Ce processus d’insertion demande du temps et implique l’adaptation de la société toute entière. D’abord sur le plan économique avec l’accès à l’emploi, il se poursuit par l’apprentissage des normes et par l’incorporation des règles dominantes de la société d’installation. Cette socialisation permanente se fait principalement dans le cadre des instances intégratrices, telles que la famille, l’école, le groupe de pairs, le voisinage, les groupes professionnels, associatifs et politiques.
En dépit des convergences, la différence entre ces deux perspectives de recherche concerne les échelles d’analyse de l’intégration. L’objet observé et le point de vue des observateurs sont divergents. Contrairement aux sociologues américains, de Chicago en particulier, qui se focalisent sur l’analyse des stratégies de groupe au sein de la ville, en s’intéressant plus spécifiquement aux problèmes d’intégration à l’échelle locale au niveau des quartiers urbains. Emile Durkheim et ses disciples insistent sur l’intégration nationale, en montrant le rôle primordial de l’Etat. De manière schématique, on peut admettre que les sociologues américains partent du bas, en centrant leur analyse sur les immigrés et leurs communautés et les stratégies collectives des groupes ethniques. A l’inverse, les sociologues français partent du haut, en accordant la priorité à l’Etat et ses institutions en matière d’intégration des populations immigrées. Ensuite, ils se dirigent vers les marchés du travail et du logement et les positions occupées par les immigrés (Kateb Kamel et Patrick Simon, 2004, p.623).
Dans leur perspective, le droit est perçu comme le lien fondamental qui unit les membres de la communauté nationale. La naturalisation, en tant qu’acte juridique, est considérée comme l’acte privilégiée sanctionnant l’intégration des étrangers dans la société d’installation. Le rôle intégrateur de l’Etat est renforcé grâce à l’école républicaine. Celle-ci joue un rôle primordial dans la diffusion et la transmission de la culture citoyenne et démocratique aux élèves français et immigrés (Gérard Noiriel, 1993, p.39). Cette transmission culturelle via l’école favorise la socialisation et l’assimilation des étrangers à leur nouvelle société de résidence. C’est l’école qui diffuse le modèle d’intégration, souhaité par la république française, en faveur des enfants issus de l’immigration. Par sa fonction intégratrice, l’école fabrique des futurs citoyens et des statuts leur permettant d’occuper une place légitime au sein de la société française. Elle leur reconnaitre une position sociale et professionnelle en tant que citoyens et en tant que nationaux.
S’agissant du processus d’intégration des immigrés dans la société d’installation, la plupart de travaux théoriques et empiriques ont insisté sur la pluralité de significations et de dimensions que recouvre le concept d’intégration. Celui-ci est en effet une notion polysémique, ambigüe et floue, car il appartient simultanément au discours politico-médiatique et au discours scientifique sociologique. De ce fait, le terme intégration est à la fois descriptif et normatif, empirique et idéologique. Ainsi, il est à la fois état, processus et résultat, un commencement et un aboutissement (Abdelmalek Sayad, 1994, p.p.11-12). Ces multiples facettes complexifient davantage les tâches de définition et de mesure du concept, car ces dimensions sont diverses, plurielles et incontrôlables.
Dans tous les cas, en France et ailleurs, l’intégration est posée comme le contraire de désintégration, anomie, exclusion, délinquance, déviance, dissociation, dissidence, émiettement, aliénation, ségrégation et désaffiliation(Faouzi Boukhriss, 2015, p.5). Ces antonymes variés révèlent la diversité des usages d’intégration dans le champ académique. Ces usages multiples peuvent se rapporter à la nature de la problématique posée, aux objectifs de recherche, aux méthodologies employées et au modèle théorique mobilisé. De ce point de vue, il est difficile d’élaborer une définition globale et unique de l’intégration. Sa construction théorique et opératoire ne peut être que spécifique, contextuelle et non généralisable.
Dans le débat public, l’intégration renvoie à la fois à un enjeu politique qui se traduit par la crise du modèle d’intégration et à un objectif qui se matérialise par les politiques d’intégration (Vincent Tiberj, 2010, p.p.77-78). Partant de cela, il convient de distinguer clairement entre la politique d’intégration et le processus d’intégration. Pour Dominique Schnapper, les politiques de l’intégration se sont l’ensemble de procédures et de dispositions prises pour définir et appliquer une volonté politique. De ce fait, l’intégration est considérée comme un résultat recherché ou proclamé des politiques publiques (Dominique Schnapper, 2008, p.2). Alors que le processus d’intégration est un processus sociologique désignant « les formes de participation [ des populations migrantes ] à la société globale par l’activité professionnelle, l’apprentissage des normes de consommation matérielle, l’adoption des comportements familiaux et culturels, les échanges avec les autres, la participation aux institutions communes. »(BernardCazes, 1991, p.1010).Schnapper réactualise la tradition durkheimienne qui a pensé l’intégration de la société comme le produit de l’intégration des individus et des groupes à diverses instances : la famille, l’école, l’église, le groupe professionnel et syndical et la société politique (Beate Collet, 2006, p.97). Des enseignements pertinents pour l’analyse de l’intégration découlent de la sociologie de Durkheim. Ce dernier considère qu’un groupe social est intégré dans le sens où ses membres possèdent une conscience commune, partagent les mêmes croyances et pratiques. Ils sont ainsi intégrés lorsqu’ils sont en interaction les uns avec les autres et se sentent voués à des buts communs(Soufiane Lachheb, 2017, p.58).
Sur ce plan sociologique, Dominique Schnapper distingue l’intégration de la société dans son ensemble de l’intégration des individus et groupes particuliers – immigrés ou non-immigrés – à la société. En ce sens, le concept d’intégration renvoi en effet à deux sens différents. Dans le premier cas, on parle de l’intégration systémique qui désigne les propriétés du groupe dans son ensemble. Dans le second cas, on parle de l’intégration tropique qui renvoie à la propriété de l’individu ou d’un groupe spécifique à l’intérieur d’un ensemble plus large. Or, ces deux dimensions de l’intégration sont indissociables, dans le sens où ce qui est perçu dans la scène publique comme « le problème des immigrés/de l’immigration » est avant tout un problème de la société nationale elle-même (Dominique Schnapper, 2008, p.3).
En effet, L’immigration interroge la capacité de la société d’accueil à intégrer les immigrés dans les différentes domaines de la vie sociale, y compris l’emploi, le logement, la santé, l’école, les loisirs, la vie associative et politique. De même, elle dévoile les mécanismes de discrimination, d’exclusion et de xénophobie auxquels les immigrés sont confrontés. Ces mécanismes latents constituent des barrières matérielles et symboliques qui compromettent l’insertion des communautés immigrées dans la société réceptrice. C’est dans ce sens que Serge Paugam a rappelé que la notion d’intégration ne saurait se réduire à la question de l’immigration et que « l’explication des problèmes de l’intégration est recherché, non plus seulement dans les difficultés intrinsèques des populations immigrées au regard des normes en vigueur dans le pays d’installation, mais dans le fonctionnement – ou plutôt, le dysfonctionnement – des institutions censées permettre l’intégration »( Serge Paugam, 2014, p.5).
Conclusion
En paraphrasant Abdelmalek Sayad, la notion d’intégration a hérité des sens des autres notions proches comme celles d’adaptation, d’assimilation et d’insertion, en produisant ce qu’il appelle des sédimentations sémantiques. Chacune de ses désignations ne sont toutes que des expressions différentes, à des moments différents, dans des contextes différents et pour des usages sociaux différents, d’une même réalité sociale et du même processus sociologique (Abdelmalek Sayad, 1999, p.182). Selon Mirna Safi, les deux notions d’assimilation et d’intégration peuvent être utilisées de manière interchangeable, car désignent un même objet de recherche en sociologie : le devenir des immigrés dans la société d’accueil(Mirna Safi, 2011, p.150).
La différence entre la perspective microsociologique américaine et la perspective macrosociologique française concerne les échelles d’analyse de l’intégration. En effet, les sociologues américains partent du bas, en se focalisant sur l’analyse des stratégies individuelles et collectives des groupes ethniques au sein de la ville, en s’intéressant plus spécifiquement aux problèmes de l’intégration à l’échelle locale au niveau des quartiers urbains. Alors que les sociologues français partent du haut, en accordant la priorité à l’Etat et ses institutions en matière d’intégration des populations immigrées. Ensuite, ils se dirigent vers les marchés du travail et du logement et les positions occupées par les immigrés.
Dans un sens convergent et global, les concepts d’assimilation et d’intégration désignent, pour l’école américaine et l’école française, un processus sociologique par lequel les individus et les groupes sociaux – immigrés ou non immigrés – prennent leur place dans une société donnée, en participant activement aux différentes instances intégratrices et socialisatrices de la société, telles que la famille, l’école, le voisinage, le groupe de pairs, les groupes professionnels, associatifs et politiques.
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[1] Ducheny Marie, « Andrea Rea et Maryse Tripier, sociologie de l’immigration »,les annales de la recherche urbaine, N°96, 2004,p.170 (170-171)(collection «Repères »). Disponible sur : « www.persee.fr/doc/aru_0180-930x_2004_num_96_1_2568_t1_0170_0000_2 »
Vincent Caradec, « Le paysan polonais en Europe et en Amérique : récit de vie d’un migrant »