Research studies

Women and Leadership: the negotiated body image

 

Prepared by the researcher

Dr. Aisha Berkaoui, Research Professor, Kingdom of Morocco
Dr. Abdel Quddous Al Houdzi, researcher in sociology, Kingdom of Morocco

Democratic Arab Center

Journal of African Studies and the Nile Basin : Thirteenth Issue – October 2021

A Periodical International Journal published by the “Democratic Arab Center” Germany – Berlin

Nationales ISSN-Zentrum für Deutschland
ISSN  2569-734X

Journal of African Studies and the Nile Basin

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Abstract

Leadership was long a male prerogative. Women are often seen as intruders in this arena, which involves a lot of effort on their part to confirm their leadership status. Appearance management is part of this effort because it represents such an essential dimension that connotes competence and promotes success.

This writing consists of the analysis of different representations, culturally constructed, that do not often recognize the legitimacy of women in leadership roles, which creates many problems, including the ambiguity around the body image of women leaders. In the first place, the internalized images of women are discussed, which make the body the main representative of the feminine identity, and then focus on the various negotiations of body image tacitly carried out by women in positions of power.

Comme mentionné Le Breton (2009), « toute relation de l’homme au monde implique la médiation du corps. Même la pensée est corporelle ». La corporéité est une dimension qui caractérise l’individualité, l’identité et la singularité d’une femme ou d’un homme. Cependant, cette dimension n’est pas si indépendante ou strictement individualisée. En effet, le corps est un produit social dont l’apparence est régie par la culture et évaluée par le jugement d’autrui. Pour emprunter les mots de Perrot (1984), « Le corps est porteur de sens : par diverses médiations, chaque société, à chaque époque, le marque, le modèle, le transmute, le fragmente et le recompose, réglant sa définition et ses usages, posant ses normes et ses fonctions, donnant à voir les effets entremêlés d’un ordre économique et d’une condition sociale, d’une vision du monde et d’une division des rôles ». Ainsi, la culture fabrique le corps ; elle dicte sans force de loi les règles qui définissent ses formes d’expression sur la scène sociale.

Le corps en fait est un construit social qui se révèle et transmet des messages : c’est un canal à travers lequel des codes et attributs sociaux, tels que les qualités du leadership, sont identifiés et déchiffrés. Cet aspect communicant du corps est particulièrement significatif pour les femmes leaderes[1]. Longtemps considérées comme des êtres inférieurs et inessentiels, vouées à l’immanence et à leur condition d’objet, (Beauvoir, 1976). Les femmes en position de pouvoir, plus que leurs homologues masculins, doivent mener un vrai combat pour confirmer leur leadership, et leur corps n’est pas en reste de ce combat, car il doit lui aussi se présenter comme compétent aux yeux des percepteurs.

Comme le corps est également le lieu d’inscription des normes de genre, le corps féminin a fait l’objet particulier de plusieurs restrictions telles que les règles relatives à la posture, la façon de rire et de parler ainsi que les choix vestimentaires, ce qu’appelle Bourdieu (1998) le confinement symbolique renvoyant à un certain contrôle exercé sur les mouvements des femmes dans l’espace et sur les usages de leur corps en général. Bien que ce confinement du corps féminin à la vie domestique tende à s’effacer dans un grand nombre de sociétés, certains rôles sociaux associés aux hommes ou aux femmes existent toujours. Encore aujourd’hui, « L’homme reste associé prioritairement aux rôles publics et “instrumentaux”, la femme aux rôles privés, esthétiques et affectifs », Lipovetsky (1997). Ainsi, il parait problématique d’inscrire les attributs de la féminité, le corps féminin en particulier, dans la sphère du leadership qui exige un corps « visible », « fort » et « imposant », or le fait que les femmes soient historiquement reliées à la sphère privée ou domestique, leur corps communément lié à l’esthétique ou à la maternité, sème le doute quant à l’aptitude des femmes dirigeantes à remplir les rôles du leadership. Il s’agit d’un lourd héritage culturel qui place les femmes, au fond de l’imaginaire collectif, hors l’exercice du pouvoir, ce qui implique des femmes qui ont su accéder à des postes de responsabilité de faire un travail de plus que leurs homologues masculins afin de prouver leur talent de leader. Pour ce faire, elles doivent également travailler leurs corps et gérer leurs apparences pour se légitimer et se mériter la reconnaissance en s’adaptant aux codes de l’apparence corporelle tacitement reconnue et acceptée dans le milieu professionnel.

Aux postes de pouvoir, le corps semble être susceptible de connoter la compétence, mais cette compétence, elle aussi, risque d’être associée plus aux traits masculins qu’à la féminité étant donné que les rôles de leadership étaient longtemps joués par les hommes. Est-ce cela n’implique pas donc des femmes dirigeantes de renoncer à la féminité et de mettre en parenthèses le corps sexué pour se conformer à un modèle corporel « masculinisé » ? Certaines études du monde anglo-saxon affirment que les femmes jugées trop féminines en comportement ou trop masculines en apparence reçoivent souvent une évaluation défavorable, et par conséquent manquent d’emplois ou de promotions, (Schneider et ses collaborateurs, 2010). Cependant, la situation des femmes leaderes diffère de celle des hommes, car les stéréotypes de genre ainsi que le rôle du leader, culturellement attribué au masculin, mettent les femmes dans une position à double contrainte dans laquelle il serait fondamental qu’elles soient perçues comme compétentes, mais aussi comme femmes. Dans de telle condition, l’image du corps des femmes doit à son tour concilier entre la féminité et la masculinité, ce qui sème l’ambiguïté autour du modèle corporel à adopter de la part des femmes leaderes qui se trouvent dans l’obligation de correspondre, à la fois, à un modèle féminin socialement admis et à un certain modèle corporel professionnellement valorisé. Comment peut-on donc caractériser cette relation « paradoxale » entre les femmes et le leadership ? Quel intérêt les femmes dirigeantes accordent-elles à l’image du corps par rapport à leur pratique professionnelle ?

Ces questions constituent le point de départ d’une recherche exploratoire qui sera présentée dans le cadre de cet article. Au cours de ce qui suit, nous essayerons tout d’abord d’analyser les différentes représentations des femmes, culturellement construites, qui l’écartent du rôle de leader. Par la suite, nous aborderons la notion de l’image du corps en relation avec l’activité professionnelle. Et finalement, afin de répondre aux questions posées plus haut, nous nous sommes adressés aux femmes occupant des postes de responsabilité pour tirer des renseignements de leurs expériences personnelles.

  1. La permanence des ségrégations genrées

Le lien entre les femmes et le leadership était, et l’est encore, paradoxal. Il semble inconcevable de reconnaitre le rôle du leader à une femme dont la vulnérabilité et du corps et de l’esprit lui confère communément un statut de subordonnée à l’homme. Au cours de l’histoire, le pouvoir a toujours été détenu par les hommes, dans la famille, dans la société civile, comme dans l’État (Vogel, 1998). Bien qu’actuellement des progrès considérables aient été réalisés concernant les égalités des sexes, des ségrégations genrées perdurent et gardent, du moins, leur caractère symbolique au niveau de certaines pratiques sociales dont le leadership exercé par les femmes en fait partie. Et malgré les études contemporaines qui attestent de l’utilité du leadership féminin et de la mixité au sein des organisations (McKinsey & Company, 2008), le leadership reste toujours perçu comme étant l’apanage des hommes, (Orse, 2004).

Pour comprendre les origines de cet état de fait, l’imaginaire collectif qui « intègre les images, les signes et les symboles par rapport à leurs acceptions spécifiques », (Grassi, 2005) constitue un terrain d’analyse pertinent. Dans l’imaginaire, les femmes sont situées à l’écart de la possession du pouvoir étant donné qu’elles ont constitué depuis toujours l’objet traditionnel du contrôle patriarcal. Des études féministes ont pu mettre en lumière plusieurs constituants de cet imaginaire qui ont marqué l’image des femmes, souvent restreintes à la corporéité. En effet, les femmes ont longtemps été reléguées à leur fonction biologique. Leur corps caractérisé par les menstruations, la grossesse et l’accouchement a donné lieu à une certaine vision stéréotypée des genres qui consacre aux femmes uniquement des rôles domestiques. Cette réduction des femmes à leur dimension physique est très significative, essentiellement dans les cultures où le corps est dénigré par rapport à l’esprit ; le corps fait référence à la chair périssable, à l’animalité, or que l’esprit (ou l’âme) est considéré comme le siège de la pensée, du raisonnement et de l’intelligence humaine qui constituent l’essence même de l’être humain à l’opposé de l’animal dénué d’esprit. Et comme étant toujours associées à leur corps, les femmes ne jouissent pas dans l’imaginaire d’une humanité complète. Les apercevoir d’après l’unique fonction de leur corps, (Chaponnière, 1989) fait d’elles, contrairement aux hommes, des êtres dépourvus d’intelligence et de compétences, en l’occurrence celles du leadership. Au-delà de ce déficit intellectuel accolé aux femmes, elles sont souvent associées à de nombreux symboles, parfois flatteurs, mais surtout méprisants dont le point commun est qu’ils font tous équivalence entre elles et leur corps. Certains symboles les ont chosifiées comme la poupée, le jouet et la chair, d’autres les ont identifiées comme l’un des éléments de la nature : « gazelle, biche, lis et roses, pêche duvetée, framboise parfumée ; elle est pierreries, nacre, agate, perle, soie, l’azur du ciel, la fraîcheur des sources, l’air, la flamme, la terre et l’eau. Tous les poètes d’Orient et d’Occident ont métamorphosé le corps des femmes en fleurs, en fruits, en oiseaux », (Beauvoir, 1976). Faut-il aussi mentionner d’autres analogies diminuantes avec la mante religieuse, l’araignée, la vipère, la cochonne, la chienne en rut, etc. Ces figures reflètent des appréhensions des femmes sous l’angle d’un corps qu’il faut maitriser et exploiter, tout en restant aux aguets. De la même manière que les hommes s’efforcent de subjuguer la nature qui fascine et fait peur, les femmes pour eux, comme la nature, dissimule derrière son charme séduisant la méchanceté et la ruse. Partant, il est nécessaire qu’elles soient contrôlées et surveillées afin de prendre garde de leurs méfaits et profiter en même temps de leurs bénéfices. Cette union symbolique entre les femmes et la nature connote leur rapprochement à l’état sauvage. Elles sont représentées imaginairement comme des êtres humains incomplets, des adultes non finis, ce qui implique qu’elles ont besoin d’être éduquées et disciplinées pour atteindre la maturité des hommes, comme on le fait avec un enfant. En fait, quoique cela paraisse saugrenu, l’enfant est une métaphore des femmes, (Dottin-Orsini, 1993). Du fait de la fragilité de leur corps et de ne plus être en mesure de subvenir à leurs besoins, les femmes ressembleraient donc à l’enfant faible physiquement et mentalement.

         Dans un autre sens, le corps des femmes est bien évidement un objet de désir sexuel. Les différents symboles attribués aux femmes montrent à quel point, dans l’imaginaire collectif, elles sont liées à leur corps ; ce dernier semble être l’unique reflet de leur identité, la chair sans esprit faite pour la sexualité. Dans l’imaginaire culturel tant occidental qu’oriental, la sexualité féminine est entourée de plusieurs stéréotypes : « Mère, vierge, prostituée, tels sont les rôles sociaux imposés aux femmes. Les caractères de la sexualité (dite) féminine en découlent : valorisation de la reproduction et du nourrissage ; pudeur, ignorance, voire désintérêt du plaisir ; acceptation passive de l’activité des hommes ; séduction pour susciter le désir des consommateurs », (Irigaray, 1977). L’association des femmes à la sexualité en tant qu’objet sexuel passif vient compléter ce portrait. Cette fois, elles se voient comme un objet de plaisir sans droit à éprouver le plaisir, et lorsqu’elles le font, elles seront condamnées d’être immondes, pécheresses et perverses. « Même chaste et travailleuse, c’est une impure, on l’entoure de tabous ; son témoignage n’est pas reçu en justice », (Beauvoir, 1976). Dans la culture arabe on trouve des figures similaires : « la femme est présentée comme une chercheuse de luxure, gouvernée par la « loi du corps » prévalant le désir sexuel »[2], (Elghaddami, 1998).          Ce survol des différents images et symboles des femmes, aussi bref qu’il soit, nous semble essentiel pour comprendre ce qu’est intériorisé, mais jamais ouvertement exprimé. La lecture de ces symboles peut mieux aider à saisir et à donner sens aux stéréotypes et aux représentations que les individus ont pu se faire des femmes, et qui par la suite affectent tacitement les interactions sociales. Ainsi, dépourvues de raison, perçues comme mineures ou enfants, faibles, fragiles et rusées, telles sont les images que les femmes portent dans l’imaginaire collectif. Il semble donc difficile de faire confiance aux femmes, encore moins si elles pourraient prendre les commandes et remplir le rôle d’un chef. En conséquence, il paraitrait normal de réserver le leadership aux hommes puisqu’ils requièrent des qualités que les femmes ne possèdent pas ; le charisme, l’intelligence, la rigueur et la décision sont strictement des traits masculins. Ces représentations sont intériorisées par les hommes, et parfois par des femmes, sans qu’on en parle trop, particulièrement dans la société actuelle dans laquelle les formes anciennes et flagrantes de discrimination envers les femmes se sont déguisées, transformées, mais gardent toujours leur aspect symbolique.          Toutes ces constructions culturelles montrent à quel point les femmes sont imaginairement reliées à la corporéité. Le corps est le principal représentant de leur être et de leur identité, d’où l’intérêt porté à l’image du corps féminin.

  1. La masculinisation des compétences

         Le corps est un objet culturellement construit, ses apparences et ses techniques sont socialement codées et reflètent une culture et une appartenance propre à un groupe. Attendu qu’il soit exhibé et offert au regard des autres qui le jugent et évaluent sa conformité avec les modèles acceptés, il est assujetti à la discipline définie par (Foucault (1993) comme une « technique spécifique d’un pouvoir que se donne les individus à la fois pour objets et pour instruments de son exercice ». En ce qui a trait aux femmes, toujours attachées à leur corporéité, elles doivent se surveiller parce qu’elles sont « sans cesse sous le regard des autres. Elles sont condamnées à éprouver constamment l’écart entre le corps réel, auquel elles sont enchaînées, et le corps idéal dont elles travaillent sans relâche à se rapprocher. Ayant besoin du regard d’autrui pour se constituer, elles sont continûment orientées dans leur pratique par l’évaluation anticipée du prix que leur apparence corporelle, leur manière de tenir leur corps et de le présenter, pourra recevoir (de là une propension plus ou moins marquée à l’autodénigrement et à l’incorporation du jugement social sous forme corporelle ou de timidité). », (Bourdieu, 1998). Pour les femmes leaderes, elles doivent donc travailler leur image afin d’atteindre l’idéal corporel valorisé et reconnu pour un leader.          Actuellement, les femmes ont gagné plus de terrains d’égalité à côté des hommes, plus d’indépendance économique et de positions de pouvoir dans la société. Le corps féminin par conséquent doit refléter la force et le dynamisme en rompant avec le stéréotype des femmes au foyer et en contredisant toutes les images portées d’elles dans l’imaginaire. Pour illustrer cette forme d’expression du corps, les femmes leaderes sont un très bon exemple puisque ce rôle était longtemps une prérogative masculine. Quelle est alors l’image du corps que les femmes leaderes doivent se faire pour réussir dans leur vie professionnelle ?

L’image corporelle peut être simplement comprise comme la perception de son propre corps ainsi que les pensées et les sentiments associés à ces perceptions. « C’est l’image de notre propre corps que nous formons dans notre esprit, autrement dit, la façon dont notre propre corps apparaît à nous-mêmes », (Schilder, 1950). Il en sort que l’estime du corps est étroitement liée à l’estime de soi en général. Les pensées autour de son corps font partie de la définition qu’on peut faire du caractère, des capacités et de la confiance en soi chez une personne. Le corps est aussi un communicateur de compétence, particulièrement pour une femme dont le corps était toujours compris comme sans pouvoir, et nécessairement en dehors du leadership. Les discours à l’égard des femmes qui ne respectent pas généralement les normes d’apparence renvoient souvent à des notions de paresse et d’insouciance qui sont des qualités fondamentalement opposées à celles associées au leadership et aux aptitudes qui en découlent. Il semble alors que la gestion de l’apparence est un élément essentiel dans l’exercice du leadership. Les femmes leaders doivent apprendre à se construire un physique adéquat à leur rôle, (Donzelli, 2007). Elles sont amenées à faire des choix à l’égard de leur corps au travail, de l’autocontrôler en incarnant les normes d’acceptabilité. Cependant, le choix semble être difficile. En fait, ce travail sur l’apparence du corps féminin risque de les écarter des attributs de la féminité, (Soral, 2007). Cette féminité qui renvoie communément à des notions telles que la douceur, la beauté, la soumission et la dépendance (ou encore à la pudeur comme c’est le cas dans la culture arabo-musulmane) risque d’être remise en cause si les femmes tentent d’adopter les attributs masculins valorisés dans le domaine du leadership et qui connotent la compétence. S’il parait que la gestion de l’apparence soit une dimension essentielle pour exprimer la féminité, valorisée par les femmes en tant que facteur protecteur de l’identité, cela n’empêche qu’une femme leadere peut être fustigée tantôt pour un intérêt excessif à l’auto-toilette tantôt pour avoir porté le costume masculin.

Bien que la régulation du corps au travail devienne fondamentale pour le succès des femmes et leur avancement, il est à noter que l’image corporelle peut aussi être façonnée selon le contexte professionnel, voire culturel. Dans le domaine des services par exemple, où la bonne esthétique et le comportement corporel passif et docile sont souvent sollicités, les femmes se transforment en une partie du produit. Leurs attributs physiques devraient refléter les attributs de la marque. Ceci dit, il y a une certaine ambiguïté concernant la description de l’image du corps et le modèle corporel que les femmes leaderes considèrent comme étant appropriés selon les divers contextes professionnels.

Dans le même ordre d’idées, plusieurs études ont exploré le comportement des femmes à l’égard de leur apparence corporelle, notamment leur style vestimentaire dans le lieu de travail (Kimle & Damhorst, 1997). Selon ces auteurs, le choix des vêtements et la gestion de l’apparence de la part des femmes employées de bureau sont en partie sous l’emprise des manières dont leur genre est saisi, surtout dans ces arènes traditionnellement dominées par les hommes. Bien que les descripteurs d’apparence restent ambigus, ils suggèrent que l’attractivité et l’expression de la féminité sont propices au leadership exercé par une femme. Cependant, les femmes leaderes ont la tâche difficile parce qu’elles doivent aussi exprimer un côté masculin pour paraitre crédibles face à leurs subordonnés : un style vestimentaire trop féminisé fait beaucoup remarquer les différences entre les hommes et les femmes et suggère peut-être que les femmes n’appartiennent pas au monde du leadership. En revanche, un style vestimentaire trop masculin peut être interprété comme une transgression des normes de genre. Tout bien considéré, le corps peut généralement être perçu comme étant sexué indépendamment des vêtements. Ainsi, les femmes leaderes devraient travailler leur corps d’une façon à produire des apparences qui sont authentiquement « business-like » ainsi que conventionnellement sexuées.

  1. Les mots pour le dire : collecte de témoignages

Pour poursuivre cette analyse, nous nous sommes appuyés sur des témoignages de femmes occupant des postes de responsabilité que nous avons pu interviewer dans le but d’identifier les préjugés récurrents à leur égard et de savoir dans quelle mesure elles arrivent à gérer leur apparence dans le lieu de travail. Il s’agit d’expériences personnelles qui sont difficiles à saisir dans le cadre d’une approche quantitative. A cet égard, L’entretien semi-directif est l’outil le plus approprié à la nature du sujet et à cette démarche exploratoire. Le guide d’entretien a comporté deux axes principaux : d’abord, le premier objectif est de savoir comment les femmes dirigeantes se sentent perçues dans le milieu professionnel, ce qu’elles affrontent comme pressions ou obstacles du fait de leur statut féminin. Deuxièmement, il s’agit d’identifier les normes de l’apparence et de préciser l’importance que les femmes accordent à leur image du corps.

  • Les stéréotypes et préjugés caractérisant le rapport femmes/leadership

Toutes les interviewées citent souvent des stéréotypes de genre récurrents dans leurs milieux de travail. Plus que les hommes, elles doivent sans relâche faire preuve de leurs talents de leader. Leur statut féminin sème le doute de leurs compétences et laisse à penser qu’elles peuvent possiblement faire des mauvais choix ou prendre les mauvaises décisions. En conséquence, elles se sentent mises en permanence sous les projecteurs, elles n’ont pas le droit à l’erreur, car cela peut confirmer les préjugée et les stéréotypes véhiculés à leur égard. Par conséquent, le mérite du poste de chef est souvent contesté. Et malgré les efforts et le travail acharné que les femmes leaderes fournissent, elles ressentent quand même que le jugement porté par la majorité de leurs collègues reste péjoratif. Une des enquêtées a même signalé une idée relativement récurrente dans son milieu de travail que beaucoup de femmes bien positionnées sur l’échelle du pouvoir dans les organisations et entreprises n’ont réussi à accéder aux postes de leaders que grâce aux « faveurs » de leurs corps.

Témoignages :

 « En tant que chef de service dans une boite à majorité d’hommes, mon droit à ce poste était toujours remis en question malgré mes qualités et mon niveau de formation […] Mes années d’expérience ne m’ont jamais été une excuse, ce qui n’aurait pas été le cas si j’étais un homme ».

 « Nombreux sont ceux qui considèrent que le poste de chef, pour une femme, passe forcément par le canapé… “Une promotion du canapé ” ».

Un autre aspect également invoqué par certaines interviewées concerne les difficultés à gérer l’équipe de travail. Les femmes leaderes affrontent des obstacles au niveau de la relation avec leurs subordonnées. Quand elles s’expriment à travers leurs paroles et gestes (corps), avec courtoisie et affabilité, leur attitude est interprétée comme signe de faiblesse. La sympathie et la bienveillance n’ont ainsi pas le même impact dans le domaine du leadership s’ils proviennent d’un homme ou d’une femme. Ces difficultés relationnelles et communicationnelles renseignent sur une certaine résistance masculine qui tente de protéger ses frontières ; une masculinité qui accapare la pratique du pouvoir et refuse de le reconnaitre aux femmes. De ce fait, un surplus de la charge psychologique du travail est infligé aux femmes leaderes, ce qui provoque chez elles plus de stress.

Dans le prolongement de cette idée, l’un des témoignages a évoqué un autre caractère de la relation interpersonnelle entre la femme leadere et les membres de l’équipe de travail, notamment lors des conflits ou des situations critiques. Les hommes face à une femme se montrent généralement respectueux et n’osent pas agir violemment pour défendre leurs positions et points de vue. À l’inverse, les femmes subalternes se portent moins aidantes.

Témoignage :

« Dans mes relations avec les employés, j’essaye toujours d’être professionnelle. Ma féminité ne m’a jamais été une devise, mais tout de même, j’ai l’impression que les hommes me traitent différemment.  Le fait d’avoir une femme en face les engage à se comporter avec respect. Ils sont généralement polis même dans des situations de conflit. J’ai eu plutôt des problèmes avec d’autres femmes ».

         Ces différents témoignages regorgent de sens. Une chose est claire, c’est que les femmes exerçant le leadership, au-delà de toute évaluation objective en termes de compétences requises pour le poste, doivent faire face à la cruauté de leur sort en tant que femmes et puis en tant que leaders. Nonobstant, elles se sentent comme intruses dans la sphère du leadership, voire dans la scène professionnelle en général ; leur potentiel de compétences n’est plus tenu en compte dans les jugements que l’on fait de leur performance. Le fait d’appartenir au genre féminin suffit pour les étiqueter. Les différentes perceptions et le ressenti des femmes leaderes questionnées renvoient à des constructions culturelles incarnées qui ont un sens dans l’imaginaire collectif. Il est à considérer qu’il y a une certaine correspondance entre les représentations des femmes dans la vie professionnelle et leurs clichés dans l’imaginaire.          Dans l’arène du leadership, l’image des femmes et leurs symboles dans l’imaginaire collectif se réveillent, renaissent et réapparaissent sur la scène en changeant de tenue. Déguisée pour garder un caractère d’évidence dans la conscience des hommes modernes, l’idée des femmes dépourvues de raison ou d’esprit est exprimée en manque de compétence ou d’intelligence. La métaphore de l’enfant résonne toujours, car les femmes, comme les enfants, sont faibles et dépendantes à tel point qu’elles ne peuvent avoir ni l’aptitude ni la capacité à se donner pour des leaderes. Cela entraine chez elles un besoin accru de tout faire à la perfection parce qu’elles estiment que c’est ce qu’on attend d’elles. Contrairement aux hommes, elles se trouvent sous la contrainte d’être appelées à confirmer, sans fin, leur potentiel de leader. Leur condition rappelle le calvaire de Sisyphe : même au summum, elles seront condamnées à descendre parce qu’en fait leur place est au pied de la montagne.

Dans un autre sens, les paradoxes des hommes marquent leur comportement à l’égard des femmes d’une certaine ambivalence. Bien que les femmes soient chosifiées et symbolisées dédaigneusement dans l’imaginaire, il se trouve qu’elles sont aussi vénérées et admirées. Les femmes en effet reflètent tout ce qui est beau et romantique dans la nature ; c’est « le rayon de la lumière divine » comme disait Djalal Ad-Dîn Rûmi. Il en ressort qu’elles doivent être traitées avec délicatesse en se portant respectueux en sa présence. Mais cela n’impose pas d’abandonner l’idée imaginaire que la ruse est féminine, de redouter leur compétence et de contester leur légitimité d’avoir le poste du patron. Contre toute raison, il n’est jamais question de mérite quand on veut évaluer la performance et l’avancement dans la carrière des femmes qui ont su se positionner à côté des hommes en tant que leaderes, mais plutôt leur pouvoir à séduire et leur corps utilisé comme monnaie d’échange qui leur ont permis de gravir l’échelle du leadership. Ainsi donc, les femmes se voient encore réduites à leur corporéité, leurs intentions sont soupçonnées et leurs prouesses sont perçues comme les manœuvres de leur unique atout qui n’est que leur corps.

  • Image du corps des femmes leaderes

      Bien que toutes les interviewées admettent l’importance de l’image du corps pour une femme, elles la considèrent également comme facultative, et estiment que la réussite d’une femme dirigeante repose en premier lieu sur ses capacités à organiser et guider ses subordonnés vers l’atteinte des objectifs fixés, en particulier dans les moments difficiles ou critiques. Cependant, elles avouent également que l’image qu’on se donne joue un rôle dans les entretiens de recrutement ou encore dans le contact avec les collègues et les subalternes.

Témoignage :

« Parfois, cela aide d’être attrayante, cela aide dans les entretiens d’embauche. Mais ça ne permet pas de recevoir le respect et la confiance en ses capacités ».

         Tout en relativisant le rôle de l’apparence corporelle, les femmes leaderes reconnaissent son importance au niveau des interactions interpersonnelles. Les attributs du corps et les manières avec lesquelles il se présente peuvent faciliter ou entraver la communication avec autrui dans le milieu de travail. Pour un leader, le bon contact et la communication efficiente sont plus que nécessaires pour réussir à fédérer les efforts des subalternes en les amenant à adopter sa vision de procéder et à suivre ses instructions, ce qui implique de communiquer aussi avec le langage du corps. Une femme leadere qui travaille son image du corps peut s’offrir la confiance en soi et celle des autres. Pourtant, cela semble problématique pour elle, notamment lorsqu’elle tente de trop faire parler sa féminité au risque d’être perçue comme superficielle, ou encore de rappeler aux esprits sa féminité qui connote souvent certains attributs tels que la douceur, la soumission et la maternité. Or, l’exercice du leadership exige des femmes de s’imposer, de gagner le respect et surtout de préserver leur statut de leader. En revanche, s’il parait que les interviewées sont répulsives à l’idée selon laquelle leur apparence corporelle soit si déterminante, c’est parce qu’elles rechignent à lui accorder trop d’attention pour ne plus être vues sous cet angle et être réduites encore une fois à leur matérialité.         Compte tenu de cette imprécision quant à l’importance accordée à l’image du corps, la gestion de l’apparence est entourée aussi d’ambiguïté. Lorsque les interviewées sont interrogées sur le style vestimentaire approprié, leurs réponses divergent nettement. Bien qu’elles soient toutes d’accord sur l’idée qu’il n’y a pas de normes ou règles strictes à respecter, étant donné que cette question relève des choix de chaque personne, elles soulignent que l’apparence doit répondre à un certain nombre de restrictions.

Témoignage :

« On doit s’habiller professionnellement. Par exemple, pas de minijupe, trop de maquillage peut amener les autres à vous considérer comme n’être plus professionnelle ».         L’identité professionnelle d’une femme leader requiert certaines qualités et renvoie donc à un certain modèle de l’apparence corporelle. Certes, il y a relativement des limites de décence qu’il ne faut pas franchir, mais les termes descriptifs de cette identité demeurent flous et ce professionnalisme corporel, lui, reste non défini. Ainsi, l’image du corps semble être négociée dans le contexte professionnel et dépendre de plusieurs critères. Le type d’activité professionnelle, entre autres, peut avoir un effet sur la définition des normes de l’apparence souhaitée. A titre d’exemple, dans le domaine des services, du commerce et du marketing, il serait avantageux de faire apparaitre son côté féminin, car convaincre le consommateur et gagner des clients potentiels implique la bonne présentation de son image. Par conséquent, la féminité caractérisée par le gout poussé à l’esthétique correspond mieux à cette catégorie d’activités. Cependant, même en absence du client, la conformité aux normes du genre selon cette description de la féminité est une partie intégrante de la relation avec les collègues et les subalternes qui peuvent aussi être compris comme des « consommateurs » internes. Par ailleurs, les femmes occupant des postes de pouvoir sont inspirées par le besoin d’être vues comme compétentes et professionnelles, une gestion de l’apparence trop féminisée peut donc mettre en cause leur image de leader habituellement teintée de couleurs masculines. En conséquence, les femmes leaderes sont exposées à une double contrainte, car elles cherchent à préserver leur identité féminine tout en véhiculant un air masculin rappelant qu’elles sont aussi des cheffes. Pour ce faire, elles devraient choisir minutieusement leur « robe masculine » et négocier soigneusement leur image du corps avec les observateurs sans, d’une façon ou d’une autre, tomber dans une quelconque forme de transgression de genre.         Le nombre des cas traités constitue une limite à la généralisation des conclusions tirées. La poursuite des entretiens pourrait les préciser davantage en fonction d’autres variables telles que l’âge, le secteur d’activité, la culture de l’entreprise, etc. Les représentations des subordonnés, hommes et femmes, permettraient également de définir l’écart entre leurs perceptions et ce que pensent les femmes leaderes de leurs images du corps. Néanmoins, ce qui a été réalisé jusqu’ici renseigne qu’au plan de l’imaginaire, l’union symbolique entre les femmes et le corps n’a jamais cessé d’être. Si la société moderne est arrivée à rompre avec maintes formes de ségrégations envers les femmes, ces ruptures ne détruisent pas tout, car le refoulé peut toujours revenir avec une allure toute moderne. Aujourd’hui, les femmes sont représentées dans tous les niveaux de la hiérarchie sociale, on ne peut leur refuser leur droit au leadership. Cependant, cela risque d’être une simple façade, ne serait-ce qu’une mince pellicule qui cache une réalité culturelle bourrée de stéréotypes qui réduit encore les femmes à leur corps.             Bibliographie

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المركز الثقافي العربي. الدار البيضاء

[1] Tout au long de cet article, le terme « leadere » sera employé pour désigner le féminin du mot « leader ».

[2] Traduction libre de la langue arabe réalisée par les auteurs.

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