Research studies

L’olivier des œufs, témoin de l’autonomie financière de la femme djerbienne

 

Prepared by the researche : Imed BEN SALAH – Université de Tunis

Democratic Arabic Center

Journal of Afro-Asian Studies : Twenty-First Issue – May 2024

A Periodical International Journal published by the “Democratic Arab Center” Germany – Berlin

Nationales ISSN-Zentrum für Deutschland
ISSN  2628-6475
Journal of Afro-Asian Studies

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Résumé

Située dans la petite Syrte, croisement des routes africaines et méditerranéennes depuis la plus haute Antiquité, l’île de Djerba fut un carrefour des routes commerciales, une plaque tournante entre l’Afrique et le reste du monde méditerranéen[1].Non loin du continent et grâce à ses 124 Km de côtes, Djerba baigne profondément dans le monde méditerranéen, berceau de grandes civilisations. Son insularité ne l’a pas isolée du continent, et sa morphologie a facilité son invasion[2]. L’île a de temps joué un rôle stratégique en tant que lieu de métissage culturel où se sont côtoyées de nombreuses civilisations.

[1] TMARZIZET, (Kamel), Si Djerba m’était contée, STD, Tunis, 1980, p 7.

[2]DELMAS, (Yves), « L’île de Djerba », in Les Cahiers d’Outre-Mer, n° 18, Paris, 1952, pp 149-168.

Introduction

 Commerçants par nature, les Djerbiens sillonnent les terres et les mers ; à l’époque Punique déjà, Djerba était capitale maritime. Ses multiples ports dont les vestiges sont encore visibles accueillaient les navires carthaginois qui venaient nombreux y chercher des produits localement manufacturés : des bijoux[1], des étoffes[2] et des énormes amphores de vin et de l’huile d’olive[3]. Par ailleurs, c’est d’El Kantara, appelée jadis « Tariq Al Jimal » signifiant la route des dromadaires, que les caravanes regagnaient le continent avant de s’enfoncer lentement dans le grand désert[4]. Elles revenaient chargées d’esclaves, de peaux de bêtes, d’œufs et de plumes d’autruches, d’ivoire et de métaux précieux. En contrepartie, elles emportaient divers produits agricoles et artisanaux : huiles d’olive, vin, poissons séchés, éponges, poteries, bijoux, étoffes richement teintées.[5]

Pleinement ouverte sur le monde méditerranéen par sa position stratégique, Djerba demeure l’île de l’originalité à plus d’un titre. Cette originalité peu controversée, est facilement remarquée par l’étranger à l’île. Ainsi, nulle part ailleurs on ne peut trouver autant de variété de maisons et de mosquées en parfaite harmonie avec le cadre naturel. Nulle part ailleurs, on ne voit d’ateliers dont le fronton surmontant la porte rappelle les chapeaux de paille des femmes djerbiennes[6]. Djerba reste enfin, l’un des rares berceaux des oliviers plusieurs fois centenaires mais encore féconds et productifs ainsi que des palmiers qui balancent leurs palmes au-dessus d’une mer au bleu incomparable.

Tombés sous le charme de l’île, plusieurs voyageurs et admirateurs sont tellement fascinés par sa remarquable beauté et son particularisme à telle enseigne qu’ils ont considéré Djerba comme un monde à part, ou comme « une entité différente du reste du pays »[7]. D’autres, croisant pour la première fois une femme djerbienne drapée dans un long voile de soie richement coloré et décoré qui la dissimule entièrement, furent frappés par la collection de bijou traditionnelle et le chapeau de paille à larges bords et à calotte pointue qui n’existe nulle part ailleurs et auquel ont attribué le nom de pétase au lieu de « Mdhalla ».

Si la singularité de l’île de Djerba apparaît à tous les niveaux du patrimoine matériel, elle se vérifie clairement au niveau de son patrimoine immatériel et notamment au niveau du mode de vie de ses habitants. Dans une île remarquablement conservatrice et dominée par une société insulaire et masculine, la femme ne s’éclipse pas de la vie publique. Ce paradoxe est justifié à la fois par plusieurs facteurs d’ordre historique et sociale. Ainsi, la femme djerbienne participe activement à l’économie de la famille, ce qui lui a permet de s’imposer et de réaliser une certaine autonomie financière. Ce constat attesté peut se vérifier à travers les mythes et les légendes tissés par l’imagination fertile de ses habitants autour de divers oliviers séculaires éparpillés arbitrairement dans tout le paysage djerbien. Parmi ces derniers citons notamment celui de Zitounet Laadham, situé au cœur du marché de Midoun et signifiant littéralement l’olivier des œufs.

Compte tenu de la spécificité de ce bel arbre béni dans l’imaginaire populaire tunisien et méditerranéen, du rapport de la Tunisie à son environnement économique, géographique et de l’importance de l’olivier dans la conscience populaire, nous accordons depuis plusieurs années une importance particulière à ce sujet novateur. C’est ainsi que nous nous sommes plongés dans l’étude des oliviers séculaires en Tunisie en général, et particulièrement sur l’île de Djerba, l’un des berceaux les plus anciens de ces arbres plusieurs fois millénaires. Outre la dominance des oliviers séculaires sur son oliveraie, ces derniers participent largement à la mise en scène du paysage djerbien et sont caractérisés surtout par leur éparpillement arbitraire sur toutes les régions de l’île.

L’olivier de Midoun était au centre de cette étude de terrain et un choix stratégique pour nous. En effet, c’est l’un des plus anciens oliviers de ce petit village, auquel sont attachées des histoires drôles et de beaux souvenirs, au point qu’il est devenu porteur de la mémoire de nombreuses générations d’habitants de Midoun. La détérioration de son état aujourd’hui suite au changement de sa fonction nous impose la responsabilité de présenter son passé prospère et de le comparer à son sombre présent. Notre objectif est d’attirer l’attention sur cet arbre vénérable, non seulement pour faire prendre conscience de sa valeur culturelle, mais aussi pour le sauver des griffes des usurpateurs, en élaborant un plan réfléchi pour lui redonner sa dignité en l’exploitant judicieusement de manière responsable. Dans cette recherche, nous aborderons les problèmes suivants :

  • Quel est le secret de cette appellation « l’olivier des œufs » ?
  • Quel est son rôle et comment a-t-il changé entre le passé et le présent ?

I – Djerba berceau des oliviers séculaires porteurs de mémoire

Remontant à la plus haute Antiquité, l’olivier est un arbre qui appartient à toute l’humanité. C’est aussi l’icône méditerranéenne par excellence. Georges Duhamel l’a considéré comme arbre marqueur de la Méditerranée en disant : « la Méditerranée s’arrête là où l’olivier ne pousse plus »[8]. Sa présence est tellement ancrée dans la culture de tous les peuples méditerranéens, qu’il devient sacré chez tous les peuples anciens et dans toutes les croyances. À partir de là, lorsque notre Maître Noé a navigué dans la rivière, il a d’abord relâché un corbeau pour explorer les lieux. Mais il s’est envolé et n’est pas revenu, et depuis cette date, le corbeau, avec sa couleur noire, est symbole de malchance et de fuite. Dans une nouvelle tentative, il a envoyé une colombe d’un blanc éclatant, qui est revenue au navire avec les pattes enduites de boue et un rameau d’olivier dans le bec comme preuve de leur proximité avec la terre. Depuis cette date, l’image de la colombe et du rameau d’olivier sont associés à l’idée du salut, et ils deviennent rapidement l’icône de la paix par excellence.

Les peuples ont hérité la sagesse selon laquelle l’olivier est un arbre sacré, comme l’ont fait les Cananéens, les Grecs, les Romains, les Amazighs et plusieurs autres peuples anciens. De nombreux mythes et légendes ont été tissés et ont formé une culture de vie avec la prégnance symbolique de l’arbre, le transformant d’un objet économique à un symbole social voire à une véritable icône culturelle. Dans ce contexte, ce bel arbre béni peut être considéré comme un livre d’histoire ouvert sur le passé, le présent et le futur, comme s’il s’agissait d’un voyage géoculturel pour mettre en valeur la présence de l’olivier dans l’imaginaire populaire et la mémoire collective des peuples.

Les mythes ont entouré l’olivier depuis la plus haute Antiquité, jusqu’à ce que ce bel arbre devienne le symbole de tout le bassin méditerranéen, « cet arbre enchanteur aux feuilles d’argent », comme l’appelait l’historien grec « l’Ancien Sophocle » depuis le Ve siècle avant JC. Djerba, compte tenu de sa situation au sud-est de la Tunisie, était le lien entre le monde méditerranéen et les routes du commerce caravanier transsaharien à travers l’arc romain.  A partir de là, elle a été largement influencée par les multiples civilisations méditerranéenne et saharienne. L’olivier est l’arbre roi par excellence qui règne sur tout le pourtour de l’ile, il participe largement de sa prospérité contribuant à nourrir sa population.[9]

Les habitants des îles étant en général attachés à leur spécificité identitaire, cela est tout à fait vrai pour les Djerbiens. En effet, ils sont connus dans tous les pays et à travers les âges pour leur tempérament doux, en particulier pour leur esprit et leurs caractéristiques insulaires profondément enracinées, y compris les anciennes coutumes et traditions.[10]. Autant ouverts sur la mer, et surtout sur l’autre, les Djerbiens ont prouvé qu’ils constituent un groupe authentique qui ne se nourrit pas uniquement de ses racines et ne renie pas ses coutumes profondément ancrées dans l’histoire.[11]

Lorsque nous parlons de coutumes, nous cherchons à étudier le code social et culturel associé à l’olivier, que ce soit dans l’imaginaire populaire ou dans le patrimoine culturel des habitants de l’île, qui bénéficient d’un climat et d’une histoire uniques. Il s’agit d’une caractéristique unique qui leur confère un modèle social, culturel et civilisationnel différent du reste du continent. Ce modèle se décline au travers de la réalité géographique et sociologique de l’île ainsi que par la nature de l’architecture et la formation de l’espace. Outre sa valeur matérielle et son rendement économique, l’olivier de l’île de Djerba n’est pas un arbre ordinaire, mais reste plutôt l’arbre symbole par excellence.

Contrairement aux autres arbres, la relation de l’homme avec l’olivier dépassait une relation étroite, utilitaire et pragmatique pour devenir une relation spirituelle et symbolique pleine de significations. Ce n’est pas un arbre ordinaire dont on prend soin pour récolter ses fruits et les utiliser comme nourriture, médicament et beauté. La profondeur de cette relation éternelle tient au fait que l’olivier de Djerba est l’arbre de vie par excellence. Il représente la vie dans sa permanence et sa continuité, comme en témoigne la présence de nombreuses coutumes et traditions transmises de génération en génération, et qui gravitent autour de cet arbre béni dans les différentes étapes du cycle de vie et pendant ses grandes stations.

Ainsi, l’olivier est un livre ouvert, contenant dans ses pages un ensemble de rituels, de coutumes et de comportements sociaux et culturels.  L’histoire de l’île de Djerba, cette île de charme imprégnée des profondeurs du patrimoine et de l’histoire méditerranéens, était un terrain fertile qui explique la quête des voyageurs depuis l’Antiquité pour visiter l’île. Elle a retenu leur attention en raison de sa situation stratégique dans le Golfe de Syrte Petit ou aujourd’hui le Golfe de Gabès[12]. Les oliviers sont connus sur l’île bien avant la période phénicienne, ce qui signifie qu’ils sont chargés d’histoire et ont contribué de manière efficace et significative à façonner l’espace et le paysage naturel de l’île. Tout au long de l’histoire, plusieurs rituels et légendes ont été tissés autour de ces beaux oliviers séculaires et se prolongent jusqu’à aujourd’hui à travers un certain nombre de coutumes, de traditions et d’héritage oral.[13]

II – L’olivier des œufs : lieu de rencontre, d’échange et de sociabilité

Il s’agit d’un immense olivier plusieurs fois centenaires qui trône majestueusement, au milieu du marché hebdomadaire qui se tient tous les vendredis à Midoun, Outre sa taille immense et sa situation dans une place stratégique au milieu du marché, il est remarquable à la fois par sa grande taille, la beauté de son allure et la diversité des formes sculptées sur son énorme tronc, qui en font non seulement un point de rencontre pour les habitants du village, mais plutôt un phare et un repère porteur de mémoire.[14]

Précisons d’emblée que tous les oliviers séculaires de l’île de Djerba portent des noms. Ce sont pour la plupart des noms très anciens et chargés de symboles et de significations. Bien entendu, notre olivier, objet de l’étude, ne fait pas exception à ce principe. Faute d’études dans ce domaine, et pour résoudre le mystère de ce nom, il a fallu interroger la mémoire collective. Nous avons donc mené un travail de terrain couronné par la réalisation d’une série d’entretiens avec les anciens de ce village. Les réponses ont été spontanées, nombreuses et variées, et confirment une hypothèse authentique. C’est que cet olivier abritait les femmes vendeuses des œufs le jour du marché hebdomadaire du village.

Ce témoignage se distingue à la fois par son humour et son caractère avant-gardiste et sérieux.Car ses auteurs nombreux attribuent l’origine du nom à un phénomène unique. En effet, cet olivier séculaire tire son nom du fait qu’il était le siège du marché aux œufs des femmes, qui se tenait chaque vendredi matin, jour de marché hebdomadaire à Midoun. Dans ce contexte, il convient de rappeler que les femmes de l’île de Djerba, autant qu’elles étaient conscientes, sages dans leur comportement, responsables et travailleuses dans leurs foyers, travaillaient dur dans divers métiers artisanaux tels que la broderie et le filage de la laine ou dans l’agriculture familiale. Elles ont monopolisé certains produits agricoles, qu’ils vendent eux-mêmes sur le marché et s’approprient la compensation financière. Pour citer sans s’y limiter, nous citerons ces exemples précis : le bétail, la volaille, le henné et les fleurs des grenadiers appelés localement « Lallouch », et qui sont utilisées notamment dans la teinture de la laine et des tissus. Ainsi, les Djerbiens se singularisent par cette particularité et se distinguaient du reste des sociétés traditionnelles qui opprimaient les femmes en les privant d’aller au marché.[15]

A l’instar de toutes les sociétés traditionnelles, la société djerbienne disposait d’un ensemble de réglementations et de lois fondées sur des conventions sociales coutumières. Parmi ces règles figurent l’abstention de l’homme de s’approprier certains produits agricoles, et son abandon volontaire en faveur de la femme, comme les brebis, les poules, le henné, les fleurs des grenadiers et autres. Cela nous confirme le leadership de la femme expérimentée dans ce domaine, car elle était libre et jouissait d’une autonomie financière indépendante de celle des hommes. Elle a la liberté absolue de disposer de tous ses biens en achetant, vendant, troquant, hypothéquant ou s’installant, sans aucune interférence de la part de l’homme. Divers témoignages oraux nous ont confirmé que la femme djerbienne tient à économiser l’argent qu’elle gagne pour s’acheter divers objets personnels, notamment des bijoux ou des cosmétiques traditionnels (khôl, parfum, encens, etc).

Toutes les informations collectées affirment également que les femmes portent souvent les fardeaux de la famille en cas de besoin, comme aider leur mari en cas de crise ou contribuer à préparer le trousseau de leurs filles avant le mariage. Comme par exemple leur acheter des bijoux, des vêtements traditionnels ou des couvertures en laine. La femme djerbienne travaille également dur et économise de l’argent pour collecter suffisamment d’argent pour accomplir le pèlerinage à la Mecque ou pour aller à la omra. Pendant de nombreuses décennies, les grands-mères se rassemblaient à l’ombre de cet olivier luxuriant et s’asseyaient fièrement pour vendre des œufs qui dépassaient les besoins de la famille pendant une semaine, et peut-être pour communiquer et échanger des nouvelles du village.

Ce témoignage est d’une importance primordiale, dans la mesure où il nous fournit une preuve ethnographique de la situation de la femme djerbienne et de son statut social dans une société insulaire et conservatrice. Héritière de la femme amazighe[16], la femme djerbienne disposait d’une certaine autonomie financière. Cela d’autant plus qu’elle était libre de sortir, d’exercer des transactions commerciales voire même de divorcer de son mari absent depuis plusieurs années. Ainsi, il lui suffisait de se présenter dans la mosquée devant un Imam et exprimer son désir de divorce en apportant la preuve de l’absence du mari pendant trois ans successifs. Notons que la jurisprudence est constante dans ce sujet.

III – Diversité des rôles : de l’économique au social et récréatif

Particulièrement fécond, le travail de terrain qui a duré plusieurs mois nous a permis de collecter de précieuses informations à notre étude. Ainsi, la richesse de la matière et la diversité des rôles confirment inévitablement l’importance de ce bel olivier étudié. Il s’est avéré qu’il occupe une place centrale dans le village tellement il domine l’espace du marché hebdomadaire, qu’il présente un lieu favori pour toutes les femmes du village qui viennent nombreuses chaque vendredi non seulement pour vendre les œufs récoltés durant une semaines, mais aussi pour se distraire, communiquer avec le monde extérieur et surtout pour échanger les nouvelles du village. Certes, cette diversité des rôles nous permet de découvrir l’importance de cet olivier exceptionnel qui plonge ses racines profondément à la fois dans le sol de l’île et dans la mémoire de ses habitants.[17]

Malgré de légères différences dans les détails des récits, il existe un consensus sur sa fonction économique, dans la mesure où l’olivier des œufs le jour du marché hebdomadaire, était la destination de tous les villageois : hommes et femmes, vieux et jeunes, musulmans et juifs. Par ailleurs, cette fonction économique, à son tour, n’est pas dénuée de dimensions sociales profondément ancrées, qui se manifestent sous de multiples formes. L’olivier est devenu bien plus qu’un simple arbre où les gens cherchent refuge et abri contre la chaleur en été et le froid en hiver. Il est devenu plutôt un lieu chargé de souvenirs et porteur de mémoire et de nobles valeurs. Car il représente un point de rencontre, d’acculturation, de prise de rendez-vous divers, de conclusion d’accords rentables, d’échange d’expériences et de communication avec les autres. Cet autre multiple qui dépasse le critère de race, de religion, de couleur et de sexe, embrasse l’humain et l’universel.

Dans ce même contexte, on ne peut manquer de rappeler que l’ensemble de ces fonctions se caractérise, outre la multiplicité et la diversité, par l’intégration et l’identification. En effet, chacune de ses fonctions est complémentaire de l’autre, et il n’y a pas de preuve plus claire de cela que cette belle harmonie entre le rôle économique et le rôle social, y compris le rôle culturel et de divertissement. Ensuite, ce qui marque la diversité de ces symboles c’est la progression de l’environnement le plus étroit vers l’environnement le plus complet. Cela va des dimensions locales et régionales aux dimensions nationales et mondiales.[18]

C’est le meilleur exemple vivant qui reflète en profondeur le mode de vie de l’île de Djerba, le caractère insulaire de ses habitants et l’originalité de leurs traditions et coutumes. C’est là où l’olivier est l’arbre roi par excellence. Il rayonne sur tous les aspects de la vie, couronne le cycle de la vie et siège humblement sur son trône. Il ne s’agit pas simplement d’un objet naturel ni d’un arbre ordinaire, mais il est plutôt traité avec amour et respect comme un être vivant qui s’élève au niveau d’un être humain en termes de valeur et d’être. Ici, l’olivier est élevé au rang d’être humain et traité exactement comme une belle femme. Il devient un symbole de beauté époustouflante par sa forme circulaire qui suggère les idées de fertilité, de générosité, de l’abondance, de don et de la vie au travers de la permanence et de la verdure continue.[19]

            Néanmoins de nos jours, ce bel olivier séculaire a changé de rôle depuis quelques décennies. Avec l’essor du tourisme dans l’île de Djerba, les vendeurs de céramique ont occupé les lieux et ont remplacé les femmes qui viennent chaque vendredi vendre leurs œufs et communiquer avec les autres femmes pour se distraire et échanger les nouvelles du village. Ces nouveaux occupants ont installé leurs étagères métalliques autour de son immense tronc pour exposer leurs articles. Cette pratique abusive a porté largement atteinte à l’olivier, dans la mesure où il devient tellement menotté et privé de l’air et de la lumière que son énorme tronc est attaqué par les insectes et les maladies. En changeant de rôle, l’olivier des œufs est agressé par ces nouveaux occupants qui ne sont pas conscient de sa valeur inestimable. Ils sont encore peu sensibles à ses souffrances et du mal qu’ils peuvent lui causer par l’installation de leurs étagères autour de son énorme tronc de plus de deux mètres de diamètres.

Certes, ce comportement irresponsable l’a privé de l’air et de la lumière voire asphyxier ses racines et porter atteinte à son tronc attaqué par l’humidité et rongé par les parasites. Tel était à Midoun ce bel olivier ancestral où se rencontrent les femmes vendeuses d’œufs. Chaque jour du marché elles venaient nombreuses s’installer sous son ombre pour vendre leurs œufs, gagner quelques sous pour subsister. De là, nous pouvons découvrir le rôle économique, social et culturel de cet olivier en détresse. Par ailleurs, nous soulignons le statut social de la femme djerbienne qui en remplaçant le mari absent, assume une grande responsabilité non seulement pour éduquer et nourrir les enfants mais aussi pour s’occuper des parents malades et âgés. Elle fait des économies et s’active pour améliorer les ressources familiales non seulement pour répondre à ses propres besoins, mais également pour participer au financement de divers projets familiaux. Si autrefois, sous l’ombre de cet olivier ancestral se concluaient des affaires et se déroulaient des transactions commerciales et symboliques[20] qui apportaient aux femmes de l’argent et des réjouissances originales, aujourd’hui nous sommes tous responsables de son état misérable et nous devons lutter contre ces agresseurs pour le sauver et valoriser son rôle culturel et civilisationnel.

IV – La femme Djerbienne victime d’un mode de vie conservateur

Face à la pauvreté du sol et au manque des pluies[21], l’économie de l’île ne peut plus compter sur l’agriculture. Pour diversifier leurs sources, les Djerbiens ont eu recours à d’autres métiers tels que l’artisanat et le commerce. Toutefois, l’économie local demeure limitée ce qui a obligé les hommes à quitter leur île natale à la cherche de nouveaux horizons dans d’autres villes en Tunisie et à l’étranger[22]. Depuis la plus haute antiquité, la migration était l’unique choix pour les hommes djerbiens pour subsister et gagner leur vie[23]. Ils voyageaient dans les contrées les plus lointaines pour exercer le commerce avec une grande habilité[24]. Grace à leurs qualités physiques et morales, ils excellaient au petit commerce, au point qu’ils monopolisaient le secteur du commerce de détail, en Tunisie. Selon le professeur Slah Eddine Tlatli, « Les commerçants djerbiens doivent leur succès à leur honnêteté scrupuleuse, à leur esprit d’organisation rationnelle (…) et à une grande souplesse dans l’adaptation aux circonstances économiques nouvelles »[25]. D’ailleurs, le terme « Jerbi » indique dans plusieurs villes en Tunisie, l’épicier de la citée chez lequel on peut s’approvisionner aisément à crédit !

Dans une société insulaire et particulièrement conservatrice, ce modèle économique a imposé des valeurs sociales rigides fondées sur des règles coutumières peu compréhensives. Ainsi, les traditions imposent le fait que les hommes devraient partir tous seuls, sans accompagner leurs femmes ni leurs enfants. Ces derniers devaient subir ce choix social, en restant dans l’île attendre avec patience le retour des maris absents[26]. Cette absence qui peut durer plusieurs mois, voire plusieurs années est particulièrement rude pour les jeunes couples. En effet, ils doivent supporter en plus de l’éloignement, le manque sentimental et la carence affective. Durant l’absence des hommes, les femmes supportent des charges sociales et économiques variées. En effet, elles assument une lourde responsabilité, puisqu’elles doivent s’occuper non seulement de l’agriculture familiale mais aussi de l’éducation des enfants et des multiples besoins des parents âgés et de plus en plus infirmes.[27]

Fruit d’un système économique et social rigide et d’une mentalité rigoureuse, ce modèle de vie imposé aux jeunes couples djerbiens n’est pas sans conséquences psychologiques et sociales désastreuses. Plusieurs générations ont payé cher la contrepartie de ce choix austère. Certes, les jeunes épouses sont les premières victimes, puisqu’elles doivent supporter le fardeau de nombreuses charges sociales dans une société masculine peu compréhensive. Elles sont privées non seulement de l’affection de leurs époux, mais elles sont également condamnées sur le plan social. Puisqu’elles sont contraintes à une vie ascétique en évitant toute manifestation de joie, de parure et surtout de maquillage[28]. Parallèlement, ces jeunes femmes solitaires font l’objet de concupiscence et d’harcèlement de la part de nombreux hommes arrogants qui n’hésitent pas à les traquer en offrant toute sorte de tentation. D’ailleurs, ce phénomène socialement néfaste, a fait l’objet de nombreuses recherches académiques[29]et travaux cinématographiques.[30]

Conclusion

De ce fait, nous pouvons conclure que la forte personnalité de la femme djerbienne lui a permis de s’imposer malgré les restrictions sociales et religieuses d’une société insulaire et particulièrement conservatrice. Ainsi, elle a arraché son autonomie financière bien méritée grâce à son sérieux, à ses compétences et ses sacrifices pour prêter main forte à son mari qui peut s’absenter durant plusieurs mois voire plusieurs années pour améliorer la fortune de la famille. Ainsi, pour assurer l’avenir des enfants, les couples djerbiens sont toujours prêts à des sacrifices en supportant l’éloignement physique et la précarité sentimentale[31]. Pour persévérer et survivre dans cette situation, la femme djerbienne se réfère à la nature de l’île pour s’inspirer de ses arbres, recevoir des leçons de résistance et particulièrement de l’olivier porteur des nobles valeurs communes.

Selon ce concept, L’olivier des œufs représente pour ces femmes résistantes un endroit de rencontre et un lieu chargé de mémoire. Ce n’est pas un arbre ordinaire, mais plutôt un lieu de rencontre, d’échange et de sociabilité. C’est un arbre mythique chargé de bénédiction et source de richesse pour ces femmes laborieuses et hautement responsables. Sous son ombre interminable, elles venaient nombreuses pour se rencontrer, se distraire, vendre leurs œufs, gagner de l’argent et reprendre l’espoir d’une vie meilleure et un avenir radieux. Par conséquent, elles ont cru en sa bénédiction et ont continué à se donner rendez-vous dans son ombre et sous ses rameaux verts qui se balancent sous l’effet d’une légère brise maritime et dansent sous un ciel au bleu incomparable.

Bibliographie

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5 – BEN SALAH, (Imed), « L’olivier porteur de mémoire et de valeurs d’usage », in Pensée Méditerranéenne, Université de Tlemcen, n° 4, mai 2013, pp 53-67.

6 – BEN SALAH, (Imed), Signes et symboles de l’olivier à l’île de Djerba, Thèse de Doctorat en médiation culturelle et techniques de l’animation, Institut Supérieur de l’Animation pour la Culture et la Jeunesse de Bir El Bey, 2021-2022.

7 – BEN SALAH, (Imed), « L’olivier rayon d’espoir des femmes djerbiennes solitaires épouses d’immigrés », in Femmes, Migration et Identité : Expériences et Perspectives, Faculté polydisciplinaire d’Errachidia, 2023, pp 71-97.

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11 – CAMPS, (Gabriel), Les berbères ; mémoire et identité, Parsi, Editions Errance, 1987.

12 – COMBES, (Jean-Louis) et LOUIS, (André), Les poteries de Djerba, Tunis, Centre des Arts et Traditions Populaires, 1967.

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14 – DELMAS, (Yves), « L’île de Djerba », in Les Cahiers d’Outre-Mer, n° 18, Paris, 1952, pp 149-168.

15 – DUHAMEL, (Georges), Homère au XXème siècle, Paris, Union Latine d’Editions, 1947.

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17 – GOLVIN, (Lucien), Aspects de l’artisanat en Afrique du Nord, Paris, P.U.F, 1957.

18 – GOUJA, (Zouheir), Communauté noire et traditions socioculturelles ibadhite de Djerba, thèse en ethno-musicologie, université de Paris VIII, 1996.

19 – H’BAIEB, (Mohamed Ali), « A propos des voies entre l’île de Djerba et la presqu’île de Zarzis ; des nouvelles données de la chaussée romaine et Tarîq al-gimâl », in Le réseau routier dans le Maghreb Antique et Médiéval, Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Sousse, 2015, pp 139-158.

20- LOUIS, (André), « Jerba », in Les costumes traditionnelles en Tunisie, MTE, Tunis, 1988.

21 – SIMON, (Gildas), L’espace des travailleurs tunisiens en France : structure et fonctionnement d’un champ migratoire international, Thèse de Doctorat en Sociologie, Université de Poitiers, 1978.

22 – STABLO, (René), Les djerbiens ; une communauté arabo-berbère dans une île de l’Afrique française, Tunis, S.A.P.I, 1941.

23 – TLATLI, (Slaheddine), Djerba l’île de Lotophage, Tunis, Céres Productions, 1967.

24 – TMARZIZET, (Kamel), Si Djerba m’était contée, STD, Tunis, 1980.

25 – TMARZIZET, (Kamel), Djerba l’île des rêves, Tunis, Editions Stag, 1997.

[1] BEN SALAH, (Imed), Les bijoux traditionnels djerbiens : patrimoine culturel et civilisationnel à préserver, Mémoire de DESS en Patrimoine et Archéologie, Faculté des Lettres de Manouba, 1997, p 24.

[2]GOLVIN, (Lucien), Aspects de l’artisanat en Afrique du Nord, Paris, P.U.F, 1957, p 81.

[3]COMBES, (Jean-Louis) et LOUIS, (André), Les poteries de Djerba, Tunis, Centre des Arts et Traditions Populaires, 1967, p 52.

[4]H’BAIEB, (Mohamed Ali), « A propos des voies entre l’île de Djerba et la presqu’île de Zarzis ; des nouvelles données de la chaussée romaine et Tarîq al-gimâl », in Le réseau routier dans le Maghreb Antique et Médiéval, Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Sousse, 2015, pp 139-158.

[5]LOUIS, (André), « Jerba », in Les costumes traditionnelles en Tunisie, MTE, Tunis, 1988, p 185.

[6]COURTIN, (Caroline), Djerba ; un regard de l’intérieur, Paris, 2002, p 112.

[7] GARGOURI, (Samira), « Le bijou traditionnel à Djerba », in DirassethaoulajaziratJerba, Association pour la Sauvegarde de l’Île de Djerba, 1996, p 35.

[8]DUHAMEL, (Georges), Homère au XXème siècle, Paris, Union Latine d’Editions, 1947, p 38.

[9] TLATLI, (Slaheddine), Djerba l’île de Lotophage, Tunis, Céres Productions, 1967, p 55.

[10]BERTHELON, (Lucien), « Exploration anthropologique de l’ile de Gerba », in L’anthropologie, Paris, Librairie de l’Académie de Médecine, 1890, pp 318-326.

[11]TMARZIZET, (Kamel), Djerba l’île des rêves, Tunis, Editions Stag, 1997, p 18.

[12]BEN OMRANE, (Sadok), La petite Syrte et la Tripolitaine à l’époque Punique, Thèse de Doctorat en Histoire, Université Paris-Sorbonne, 1995, p 24.

[13] AYOUB, (Abderrahman), Signes et Symboles en Tunisie, Tunis, Agence de Mise en Valeur du Patrimoine et de la Promotion Culturelle, 2001, p 46.

[14]BEN SALAH, (Imed), Signes et symboles de l’olivier à l’île de Djerba, Thèse de Doctorat en médiation culturelle et techniques de l’animation, Institut Supérieur de l’Animation pour la Culture et la Jeunesse de Bir El Bey, 2021-2022, p 268.

[15]GOUJA, (Zouheir), Communauté noire et traditions socioculturelles ibadhite de Djerba, thèse en ethno-musicologie, université de Paris VIII, 1996, p 69.

[16]CAMPS, (Gabriel), Les berbères ; mémoire et identité, Parsi, Editions Errance, 1987, p 28.

[17] BEN SALAH, (Imed), « L’olivier porteur de mémoire et de valeurs d’usage », in Pensée Méditerranéenne, Université de Tlemcen, n° 4, mai 2013, pp 53-67.

[18]BEN SALAH, (Imed), Signes et symboles de l’olivier à l’île de Djerba, Thèse de Doctorat en médiation culturelle et techniques de l’animation, Institut Supérieur de l’Animation pour la Culture et la Jeunesse de Bir El Bey, 2021-2022, p 314.

[19]BEN SALAH, (Imed), « L’olivier rayon d’espoir des femmes djerbiennes solitaires épouses d’immigrés », in Femmes, Migration et Identité : Expériences et Perspectives, Faculté polydisciplinaire d’Errachidia, 2023, pp 71-97.

[20] BAKLOUTI, (Naceur), “L’eau, l’œuf et le poisson ou la trilogie de la fécondité”, in La femme tunisienne à travers les âges, Tunis, Institut National du Patrimoine, 1997, pp 160-166.

[21]Appartenant à une zone aride, l’île de Djerba ne reçoit que 180 ml de pluie par an.

[22]BERNARD, (Elise), « Djerba, tourisme international et nouvelles logiques migratoires », in Revue Européenne des Migrations Internationales, n° 18, Marseille, 2002, pp 103-112.

[23] TMARZIZET, (K), Djerba l’île des rêves, Tunis, Editions Stag, 1997, p 95.

[24]BOUBAKRI, (Hassan), Le petit commerce immigré du sud Tunisien à Paris : espace, fonctionnement social et impact sur les régions natales, Thèse de Doctorat en géographie, Université de Strasbourg, 1985, p 147.

[25]TLATLI, (Slah Eddine), Djerba l’île de Lotophage, Tunis, Céres Productions, 1967, p 14.

[26]STABLO, (René), Les djerbiens ; une communauté arabo-berbère dans une île de l’Afrique française, Tunis, S.A.P.I, 1941, p 60.

[27]BEN SALAH, (Imed), « L’olivier rayon d’espoir des femmes djerbiennes solitaires épouses d’immigrés », in Femmes, Migration et Identité : Expériences et Perspectives, Faculté polydisciplinaire d’Errachidia, 2023, pp 71-97.

[28] ANDRE, (Louis), « Jerba », in Les costumes traditionnelles en Tunisie, MTE, Tunis, 1988, p 183.

[29]SIMON, (Gildas), L’espace des travailleurs tunisiens en France : structure et fonctionnement d’un champ migratoire international, Thèse de Doctorat en Sociologie, Université de Poitiers, 1978, p 245

[30] En décembre 2000, MoufidaTlatli, réalise son second long métrage tourné dans à Djerba. « La saison des hommes », qui retrace les sacrifices des femmes djerbiennes solitaires ainsi que l’impact du retour des maris à l’ile. Après une longue absence, la famille se regroupe et le couple reprend finalement sa vie conjugale. Durantce film la réalisatrice souligne les souffrances de ces femmes en focalisant l’objectif de sa caméra sur contrastes vécus dans une société insulaire et conservatrice. Toutefois, la rencontre chaleureuse de ce couple en manque ne va pas durer longtemps suite à des moments de tensions et de déceptions.

[31] Nous sommes en train de collecter des données et d’étudier un corpus des chansons populaires exprimant le statut social et l’état psychologique des couples éloignés.

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