SENSIBILITE DE LA CEDRAIE AU CHANGEMENT CLIMATIQUE : DEPERISSEMENT ET REGRESSION CAS DE LA FORET DE SIDI M’GUILDE AU MOYEN ATLAS CENTRO-MERIDIONAL
Prepared by the researche : AZIZ SEGHIR – Docteur chercheur en Géographie ; Maroc
Democratic Arabic Center
Journal of Strategic and Military Studies : Twenty-fifth Issue – December 2024
A Periodical International Journal published by the “Democratic Arab Center” Germany – Berlin
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Résumé
La forêt de Sidi M’Guild est soumise à diverses pressions environnementales, dont la plus préoccupante demeure le phénomène de dépérissement du cèdre.
Pour mieux comprendre l’évolution spatiale et temporelle de ce déclin et déterminer son lien avec les facteurs environnementaux, notre étude s’est concentrée sur la forêt de Sidi M’Guild à Azrou, qui connaît aujourd’hui une détérioration de la qualité de son couvert forestier.
Ce travail vise donc à suivre et évaluer l’ampleur de la dégradation de la forêt, en analysant les conditions bioclimatiques de la région, tout en étudiant la distribution des arbres dépérissants en fonction de l’altitude, de la pente et de l’orientation. Il inclut également une analyse de l’état des arbres (diamètre et hauteur) et de leur santé (taux de défoliation) ainsi que leur sensibilité aux conditions climatiques arides.
Les résultats montrent que le dépérissement du cèdre de l’Atlas est particulièrement marqué sur les versants sud de la forêt, notamment dans les zones situées à basse altitude, sur des pentes abruptes et exposées à des conditions ensoleillées et chaudes. Ce phénomène, à un stade avancé, affecte principalement les arbres adultes ou âgés, qui se caractérisent par une croissance faible et une sensibilité élevée aux conditions climatiques.
Introduction :
Le dépérissement du cèdre de l’Atlas au Maroc est un phénomène complexe qui a affecté les forêts de cèdres dans la région du Moyen Atlas depuis les années 1980, et dont les causes restent souvent inconnues et relativement compliqué.
Il est important de noter que la forêt de Sidi M’Guild, dans la région du Moyen Atlas central et méridional, connaît aujourd’hui un déclin de son écosystème.
Le dépérissement du cèdre n’est pas récent. Des écrits cités par Boudy (1950) indiquent que des sécheresses exceptionnelles de 1875 à 1888 avaient déjà causé de graves dégâts aux cèdres du Maroc et d’Algérie. Au Maroc, la maladie du dépérissement du cèdre est apparue vers les années 1940 et s’est aggravée ces dernières années.
Le diagnostic montre que la pénurie d’eau reste la principale raison de ce déclin. Cependant, ce phénomène varie d’une forêt à l’autre, mais sa gravité a commencé à apparaître dans la forêt de Sidi M’Guild à Ain Leuh. Le déclin actuel affecte tous les arbres de la région, mais à des degrés divers. Les zones les plus touchées sont les zones situées dans la région orientale de la forêt, qui sont soumises à des influences biogéographiques qui se chevauchent, ainsi que les zones situées à l’extrême sud, situées à faible altitude, et celles également situées sur les pentes orientées vers l’ouest et le sud.
1 : Situation de la zone d’étude
La forêt de Sidi M’Guild est située dans le Moyen Atlas central. Elle est circonscrite dans un quadrilatère limité par : Azrou – Timahdit – Sources d’Oum Erabia – Aïn Leuh.
La forêt de Sidi M’Guild, représente environ 12 % de la superficie de la cédraie du Moyen Atlas central et 22 % en termes de production annuelle de bois d’œuvre.
Figure1 : situation de la zone d’étude et son occupation de sol
2 : Matériels et Méthode
2-1 : Le dépérissement
Le dépérissement est un phénomène qui n’est pas nouveau au Maroc, mais il a surgi avec force ces dernières années, puisqu’il a touché des zones considérées depuis longtemps comme étant à labri de ce phénomène. En effet, ce n’est qu’en 1984 qu’il a été signalé le premier constat d’un dépérissement localisé dans la forêt d’Azrou.
Entre 1985 et 2000, ce dépérissement dit « localisé » ne touchait que les zones à expositions chaudes (est et sud), sur sols squelettiques et peu profonds avec différents degrés d’attaques.
En 2001, l’ampleur de ce phénomène a pris des dimensions alarmantes puisqu’un dépérissement qualifié de « dispersé » a touché les belles cédraies de basses altitudes (forêt d’Azrou), sur différentes expositions et substrats et concernant toutes les catégories d’âges.
Le dépérissement des forêts est un phénomène complexe qui a affecté plusieurs régions du monde depuis les années 1970, en particulier l’Amérique du Nord, l’Europe et l’Afrique du Nord (Allen et al., 2010). Selon (Manion 1991), « le dépérissement est un phénomène causé par un ensemble de facteurs interagissant et se succédant d’une façon particulière, et qui entraînent une détérioration générale, et graduelle, se terminant souvent par la mort de l’arbre ».
Figure 2 : carte de la sensibilité de la cédraie au dépérissement dans la forêt de Sidi M’guild
D’après cette définition, le dépérissement est un phénomène de complexe qui conduit à une détérioration graduelle des arbres dans le temps, se traduisant par des symptômes visibles sur le terrain notamment :
- une modification de la structure du houppier suite à un défaut de ramification et d’une croissance faible des rameaux ;
- la mortalité d’une portion de la couronne aux cimes une allure irrégulier ;
- des jaunissements automnaux précoces ou liés à des carences minérales ;
- une réduction de la croissance de quelques années à plusieurs décennies avant l’apparition des symptômes visibles ;
On peut distinguer entre trois types de dépérissement selon leurs rapidités : le dépérissement brusque dont les symptômes apparaissent en quelques semaines ; le dépérissement rapide qui se manifeste en une ou deux années et le dépérissement lent qui s’étale sur plusieurs années, c’est ce dernier type qui est le plus fréquent.
2-2 : Facteurs responsables du dépérissement
2-2-1 : Facteurs prédisposants
Ces facteurs contribuent à l’affaiblissement général de l’arbre, ils sont définis comme des facteurs qui regroupent des variables à caractère permanent qui provoquent des stress de faible intensité en agissant à long terme. Parmi lesquelles, on cite :
– La pollution atmosphérique : affecte le végétal et le sol par une perte en ions échangeables nécessaires à la nutrition minérale des arbres. En effet, l’acide sulfurique détruit les minéraux et peut causer l’absorption par les plantes des métaux lourds comme l’aluminium ou le mercure. (Gilmanov. T.G1991)
– La gestion forestière, elle intervient par la sylviculture (dépressage, éclaircie, norme de densité) qui désigne l’ensemble des opérations mises en œuvre dans les peuplements forestiers pour qu’ils remplissent au mieux les fonctions qui leurs sont assignées, dans la mesure que ces peuplements soient en bonne santé.
2–2-2: Facteurs déclenchants
Ces variables provoquent des stress de forte intensité mais agissent à court terme. Ils sont accidentels, ponctuels et limités dans l’espace et dans le temps. Dans ce groupe, on rencontre les insectes défoliateurs, les accidents climatiques et les sources locales de pollution.
Les facteurs climatiques et stationnels sont presque toujours impliqués comme facteurs prédisposant ou déclenchant. Les facteurs climatiques les plus souvent invoqués sont la sécheresse et les dégâts du froid. Les facteurs stationnels les plus souvent cités sont les caractéristiques physiques (plutôt que chimiques) du sol (Landmann 1994)
- Le stress hydrique
Les stress hydriques fragilisent les peuplements forestiers, ils se manifestent, soit par un changement de la distribution de l’eau au cours des saisons pour une même quantité de précipitations annuelles, soit par une diminution du volume annuel des précipitations. Donc, la sécheresse semble être une des causes du stress des plantes.
- Insectes défoliateurs :
Tableau 1. Classes de sensibilité au dépérissement du cèdre.
Caractéristiques stationnelles |
Classes de sensibilité au dépérissement | |||
(I)
Sensibilité nulle |
(II)
Sensibilité faible |
(III) Sensibilité moyenne |
(IV) Sensibilité élevée |
|
RU (mm)
|
>150 | 100 – 150 | 50 – 100 | <50 |
Substrat | Argile, basalte | Blocs et cailloux de dolomie discontinus | Sable | Dolmie massive |
sable 30- 60cm (%)
|
0 – 20 | 20 – 40 | 40 – 60 | >60 |
CaCO3 30 – 60cm(%)
|
0 – 10 | 10 – 25 | 25 – 50 | >50 |
Pente ( %)
|
0 – 5 | 5 – 10 | 10 – 25 | >25 |
Exposition
|
N, W, NW, | NE, SW | – | S, E, SE |
L’indice de sensibilité (IS) est la somme pondérée des six paramètres selon la formule suivante :
2-3- Influence des descripteurs topoclimatiques
2-3-1 : Exigences climatiques
Le cèdre individualise des peuplements forestiers principalement en ambiance bioclimatique subhumide, humide et perhumide, sous étage froid et très froid. Le cèdre de l’atlas se développe dans une tranche pluviométrique qui varie de 500 à 1 700 mm/an. Cette valeur peut atteindre 2 000 mm pour la cédraie du rif qui bénéficie de l’influence conjuguée de la méditerranée et de l’atlantique.
Les cédraies d’altitude situées entre 2 200 et 2 500 m s’individualisent dans la variance extrêmement froide au Moyen Atlas et au Haut Atlas.
Selon la classification d’Emberger (1955) et Sauvage (1963), la valeur du coefficient d’Emberger (Q 2) varie de 50 à 330 et la température minimale du mois le plus froid varie de –1 à –9 °.
2-3-2 : L’altitude
C’est une variable écologique qui exerce une action sur le bioclimat. Son effet s’exprime au niveau des températures, la persistance des neiges et l’étagement de la végétation en montagne.
3 : Résultats et discussion
D’après nos constatations les superficies de cèdre touchées par ce phénomène dans la forêt de Sidi M’Guild l’objet de l’étude sont de l’ordre de 971,85 ha (DREFMA, 2017).
L’analyse du tableau 2 montre que le dépérissement du cèdre touche toutes les classes d’altitudes. Le cèdre de l’Atlas, au niveau de la forêt, appartient à la même tranche altitudinale (1600 -2000 m) qui relève de l’étage supraméditérranéen.
Tableau 2 : Influence de l’altitude sur le dépérissement du cèdre (DREFMA 2017)
Classes d’altitude en (m) |
Nombre de placettes échantillons |
Nombre de tiges de cèdre sain à l’ha |
Nombre de tiges de cèdre dépérissant (y compris les cèdres morts à l’ha) |
Total (tiges/ha) |
||
Nombre | % | Nombre | % | |||
1600-1700 |
23 |
120 |
56 |
94 |
44 |
214 |
1701-1750 |
16 |
139 |
55 |
111 |
45 |
250 |
1751-1800 |
28 |
139 |
52 |
130 |
48 |
269 |
1800- 2000 |
34 |
135 |
55 |
110 |
45 |
245 |
TOTAL | 101 |
D’après nos observations, on souligne toutefois que le dépérissement du cèdre ne se produit pas de façon homogène sur toute l’étendue de la forêt (Figure 3). Car :
- Il est plus prononcé dans la tranche orientale correspondante à la Forêt où les conditions écologiques sont marginales (continentalité accusée, hautes altitudes, fortes pentes, substrats calcaires, sols peu profonds et érodés par l’érosion,…) que dans les portions de l’Ouest.
- Il est plus accentué sur des substrats dolomitiques, moins sur substrats calcaires et plutôt rare ou absent sur substrats siliceux (basaltes, schistes, grès) ; les substrats calcaires et surtout siliceux donnent naissance à des sols riches en argiles ce qui leur confère une bonne capacité de rétention de réserves hydriques ;
- Il est plus nuancé sur revers Sud que sur revers Nord, les versants Ouest et Est étant des situations intermédiaires. (figure 3)
- Il est plus accusé sur les fortes pentes que sur terrains des replats ou des dépressions.
Figure 3 : classe de dépérissement des arbres de céder dans la forêt de Sidi M’Guild
Conclusion
L’étude du dépérissement des peuplements de cèdre de l’Atlas au niveau de la cédraie de Sidi M’Guild constitue une contribution visant à établir une typologie des différents milieux touchés par le dépérissement et à identifier les facteurs responsables de ce phénomène. Ce type d’investigation permet de mettre en évidence un itinéraire sylvicole pour une meilleure planification et gestion des cédraies du Moyen Atlas.
Les changements climatiques jouent un rôle majeur dans l’aggravation de ce déclin, notamment à travers des sécheresses récurrentes, une augmentation progressive des températures et des modifications des régimes de précipitations, ce qui affaiblit la capacité de régénération naturelle du cèdre. En outre, la pression humaine continue, exercée par des activités non durables telles que le surpâturage, l’abattage illégal et l’exploitation excessive des ressources, contribue à l’épuisement du couvert forestier et à la dégradation de l’écosystème de la région. Ainsi, comprendre ces facteurs interdépendants constitue une étape essentielle pour développer des stratégies efficaces visant à protéger et à préserver les forêts de cèdre
Bibliographie
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- Plan Directeur d’Aménagement et de Gestion du Parc National d’Ifrane, 2017 (PDAGPNI)