Les perspectives de la gouvernance territoriale en Tunisie
Prospects for territorial governance in Tunisia
Prepared by the researcher : Mohamed HELLAL – Maitre-Assistant à l’université de Carthage
Democratic Arab Center
Journal of Urban and Territorial Planning : Eighth Issue – June 2021
A Periodical International Journal published by the “Democratic Arab Center” Germany – Berlin.
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Résumé
À l’époque médiévale, la Tunisie a vécu un certain équilibre entre les territoires ruraux, notamment tribaux, et les villes qui constituaient les lieux d’échanges commerciaux et de développement des activités artisanales. Par ailleurs, la conjoncture économique de la méditerranée au milieu de XIXè siècle et la politique du protectorat français (1881-1956) favorisaient les villes littorales par l’installation des équipements et des services. Ainsi, la Tunisie a hérité de la France un système politique centralisé. Après l’indépendance, le système politico-administratif est maintenu hiérarchique et concentré à Tunis. Cette centralisation de l’appareil de l’État et le contexte de la mondialisation des années 1990 ont accentué le clivage de développement entre le littoral et l’intérieur de la Tunisie.
La révolution tunisienne et la nouvelle constitution constituent une occasion pour instaurer une décentralisation du système politico-administrative au profit d’une certaine gouvernance territoriale. L’étude de la perspective de gouvernance territoriale en Tunisie nous montre que le nouveau découpage territorial, qui ne se base qu’en partie sur les territoires d’identité et de vie, pourrait générer des confusions dans les prérogatives entre les structures territoriales (commune, région, district) et des difficultés de contrôle. Ainsi, cette tendance de décentralisation n’est pas sans risques dans le sens où la corruption peut menacer ce processus qui s’avère long.
Abstract
In the medieval period, Tunisia witnessed a certain balance between rural territories, especially tribal ones, and the cities which constituted places of commercial exchange and development of handicraft activities. Furthermore, the economic situation of the Mediterranean in the mid XIXth century and the policy of the French protectorate (1881-1956) favored coastal towns by the installation of public amenities and services. Hence, the legacy left by France to Tunisia is a centralized political system. After independence, the political and administrative system is kept hierarchical and concentrated in the capital Tunis. This centralization of the state machinery and tools, together with the context of the globalization of the 1990s, accentuated the wide chasm between the coastline and inner Tunisia.
The Tunisian revolution and the new constitution offer an opportunity to establish the decentralization of the political and administrative system in favor of a certain territorial authority. The study of the perspective of territorial governance in Tunisia shows that the new territorial division, which is based partly on the territories of identity and life, could generate confusion in the prerogatives between the territorial structures, (town, region, and district) and the control difficulties. Thus, this trend of decentralization is not without risks in the sense that corruption can threaten this long-term process.
Introduction
Le territoire Tunisien a été forgé par une société et un pouvoir politique ayant « une longue tradition centralisatrice » (Signoles, 2005). Le déséquilibre régional en termes de hiérarchie urbaine et de développement, qui trouve ses origines dans la période précoloniale, n’a pas cessé de prendre de l’ampleur après l’indépendance de la Tunisie, en 1956. La centralisation excessive du système politico-administratif et les différents contextes économiques ont participé à la désharmonie territoriale : macrocéphalie de la capitale et déséquilibre entre l’intérieur et le littoral du pays, etc. La révolution tunisienne, qui s’est déclenchée, en partie, à cause de l’injustice spatiale en Tunisie, se présente comme une opportunité pour rétablir l’équilibre territorial (Hellal, 2015). La nouvelle constitution qui adopte le principe de la décentralisation du système politique constitue une aubaine pour que les territoires locaux et régionaux forment des structures de pouvoir et des bases de développement, dans le cadre d’une nouvelle gouvernance territoriale. De ce fait, à travers les textes officiels, nous tentons de savoir : quelles sont les grandes perspectives de cette gouvernance territoriale en Tunisie?
Historicité du territoire tunisien
La Tunisie, comme étant un territoire, « un espace correspondant à la logique de l’Etat, avec son exhaustivité interne et ses frontières externes » (Lévy et Lussault, 2003, p.908), est forgé par système sociétal contraint par des contextes politiques et économiques variés.
La Tunisie a été présentée, dans la plupart des études historiques, comme le territoire le plus urbanisé et le plus maillé en Afrique du Nord. Les comptoirs phéniciens et les cités puniques ont constitué les premières pièces sur lesquelles la colonisation romaine a conçu l’armature du territoire de la Tunisie antique. À l’époque romaine, l’urbanisation et les réseaux routiers se sont développés sur deux axes, un littoral et l’autre à l’intérieur, pour structurer un territoire à grande vocation agricole, « le grenier de Rome » (voir Figure 1). La principale articulation entre les deux axes a été créée à travers le Tell moyen où s’étendaient les grands domaines céréaliers (MEAT-DGAT, 1996).
Les conquêtes arabes, à partir du VIIè siècle, a favorisé l’apparition d’une nouvelle structure territoriale. En fait, « la fondation de Kairouan et la large autonomie de l’émirat aghlabide au IXè siècle permirent de restructurer l’espace ifriqiyen autour de nouveaux centres urbains : Kairouan et Tunis » (MEAT-DGAT, 1996, U5). Ainsi, les cités oasiennes se sont prospérés, à cette époque, pour devenir de véritables portes du Sahara, dont Gabès, Tozeur et Gafsa, points de ralliement des caravaniers, qui ont connu un grand essor (Voir Figure 2).
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Le processus de centralisation politique a pris son chemin au profit de la ville de Tunis, à partir du XIIè siècle, à l’époque Hafside, au moment où cette ville émerge comme capitale au détriment de Kairouan. La conquête ottomane, à partir de 1574, allait participer à plus de centralisation du système politique et administratif, à Tunis. D’ailleurs, à travers ce système politique centralisé à la capitale, l’État Husseinite a pu construire l’unité territoriale indépendamment d’Istanbul. Les voies de la « Mah’alla », les « camps des beys » dessinaient en gros les voies de communication entre les différentes régions économiques et les seuls rapports entre le pouvoir politique et la population autochtone. Le commandement des régions qu’ils assuraient les Beys et ses « Maha’alla » n’est pu se faire sans l’intermédiaire des représentants des tribus et « Caïds lezzma » à qui les revenus fiscaux étaient affermés. À cette époque, « il y avait deux « Mh’alla » une d’été qui visitait les pays céréaliers du nord (Ifriqiya) et une d’hiver qui visitait le sud (pays des dattes) en passant par le centre » (MEAT-DGAT, 1996, p. U8).
Jusqu’au début de XIXè siècle, derrière Tunis, on trouve tout un système des villes moyennes et centres urbains régionaux qui organise les territoires régionaux et les échanges intérieurs et extérieurs : Kairouan et Sfax ayant chacune 20 000 habitants, Tozeur et Gabès ayant chacune près de 15 000 habitants, etc. Ainsi, Béja et le Kef, continuaient à jouer leur rôle de gros marchés agricoles régionaux, voire nationaux. Ces deux villes avaient entre 8 et 9000 habitants. Le souk Bousdira, près de Béja, est parmi les marchés ruraux annuels autour duquel s’organisent les territoires de production. Il s’agissait d’une véritable foire annuelle qui assurait un véritable courant d’échanges entre les trois grandes régions économiques de la Tunisie (MEAT-DGAT, 1996, p. U9).
Selon les sources du XVIIIè siècle, il exista une « économie de relations » entre les trois ensembles régionaux de production complémentaires. Ces échanges inter-régionaux mettaient à travers un réseau de marchés réguliers : à bled « Friguia » qui est le grenier à blé de la Tunisie, au Sahel qui est producteur d’huile et au Sud qui est la région de dattes.
Dans cette époque médiévale, les régions-mêmes constituaient des systèmes territoriaux d’équilibre. La ville de Kairouan, comme étant un centre commercial et artisanal, constituait un exemple frappant de complémentarité entre la cité et son territoire agricole. Le kairouanais reste essentiellement un territoire de céréaliculture et d’élevage semi-nomade dominé par les Zlass.
À ce temps, le système foncier bien différencié (melk, beylical, makhzen, habbous) reflète la diversité des genres économiques et implique des rapports sociaux spécifiques. Dans son rapport à la terre, la tribu matérialisait généralement son unité par la possession d’un territoire commun « Wat’an » partagé entre les fractions, mais défendu en commun.
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À cette époque médiévale, la Tunisie a vécu un certain équilibre entre les territoires ruraux, notamment tribaux et les villes qui constituaient les lieux d’échanges commerciaux et de développement des activités artisanales. Toutefois, les transformations du système économique sous l’effet de l’ouverture sur la méditerranée et par la suite sur le commerce avec l’Europe ne manquent pas à se traduire par une progression des villes littorales, notamment portuaires, aux dépens des agglomérations de l’intérieur (MEAT-DGAT, 1996). Ainsi, la politique du protectorat français (1881-1956) favorisait davantage les villes littorales – dont la plupart étaient portuaires – par l’installation des équipements et des services. Ceci était à l’origine du renforcement du déséquilibre socio-économique et spatial de la Tunisie. En fait, « c’est au cours de cette période que s’est réalisée la transition de l’ancien au nouveau régime démographique, qu’une croissance économique soutenue s’est consolidée par le développement de secteurs modernes dans l’agriculture et l’industrie, par les équipements matériels et par une réorganisation profonde de l’État et de l’administration ». Le système de l’agriculture traditionnelle et l’artisanat est entré en crise, au profit d’un autre système économique extraverti. En dehors du développement du secteur minier, l’intérieur de la Tunisie est resté en marge de la nouvelle économie coloniale. En fait, « c’est au cours de cette période que sont apparus les symptômes du sous-développement » (MEAT-DGAT, 1996, p.29).
À l’époque coloniale, la dichotomie entre un littoral urbain et ouvert sur l’extérieur et un intérieur à dominance rurale et pauvre a été soulignée par plusieurs chroniqueurs et géographes, dont J. Depois, en 1942.
Le processus de structuration du territoire tunisien depuis l’indépendante
La politique économique du protectorat français (1881-1956) a favorisé surtout le littoral ville-ports et leurs arrière-pays : Tunis, Sfax, Sousse, Bizerte et Ferry-ville (Menzel Bourguiba aujourd’hui), où l’occupation coloniale était forte, par l’installation des équipements et des services. Ces villes ont été liées avec la vallée de la Medjerda, la plaine de Grombalia, le Cap-Bon et le bassin phosphatier de Gafsa par les infrastructures routières et ferroviaires pour exporter les productions agricoles et minières (Signoles, 2005). L’État de l’indépendance n’a pas voulu bouleverser ce système spatioéconomique.
Outre les infrastructures concentrées sur le littoral et le modèle économique extraverti, la Tunisie a hérité de la France un système politique centralisé. Après l’indépendance, le système politico-administratif est maintenu hiérarchique et concentré à Tunis. À cette époque, le jeune État issu du mouvement de libération nationale s’est attaqué immédiatement aux structures tribales archaïques. « Nourrie par une idéologie réformiste et moderniste l’élite dirigeante s’engagea sur la voie de réformes profondes autour du thème de l’unité nationale. (…) Le régime caidal aboli laissa la place à un nouveau découpage du territoire en gouvernorats, subdivisés à leur tour en délégations, le tout intégré dans un système de contrôle centralisé » (MEAT-DGAT, 1996, p.U36).
L’État central, garant de l’unité nationale, est apparu comme étant le principal acteur du développement économique et de la planification. Le premier président de la Tunisie indépendante, Bourguiba, « le père de la nation », a vu que l’unité de décision derrière le « leader suprême » qui est « un leader éclairé » est importante face à l’ignorance. Durant les 30 ans de pouvoir d’Habib Bourguiba, le régime n’a jamais favorisé le pluralisme politique et la décentralisation du pouvoir. La priorité pour Bourguiba a été la diffusion des écoles sur le territoire tunisien afin « d’avoir une génération instruite qui pourrait discuter les affaires politiques ». Les premières élites de l’État indépendant ont immergé dans les régions bien nanties depuis le protectorat ; ce qui est encore en faveur de Tunis et des villes littorales (M. Hellal, 2015).
Si pendant les premières années de l’indépendance, l’économie nationale a été le relai de l’économie coloniale, qui a été libérale, alors à partir de 1961 et sous la houlette du ministre Ahmed Ben Salah, l’État tunisien s’engageait dans l’économie socialiste. Pour aboutir à la consolidation du marché intérieur et pour minimiser les dangers résultant d’une excessive concentration de l’appareil productif surtout à Tunis, l’État a mis en place une stratégie visant la promotion de l’industrie par la création des « pôles » de développement introduisant une nouvelle dimension spatiale et un certain équilibre régional. Il s’agit essentiellement de la création de la Société Nationale de Cellulose à Kasserine (SNC, 1960), de la Société tunisienne de Sucre de Béja (1961), de la Société de Transformation des Phosphates, NPK à Sfax (1963), de la Société tunisienne de Raffinage de Bizerte (1964), de la Société El Fouladh à Menzel Bourguiba (1964), du Complexe Chimique de Gabès… (Tizaoui, 2013)
Sur le plan de la restructuration agraire, dans les années 1960, les politiques menées ont centrées sur la création de coopératives de services et de production. La liquidation des terres habous, la clarification du statut des terres collectives de tribus et la récupération des terres de la colonisation créèrent les conditions de l’intervention de l’État dans le domaine agraire. Mais l’échec de cette expérience a changé le destin de ces terres qui deviennent des outils de clientélisme et de marchandage aux mains des tenants du pouvoir politique, depuis cette époque-là.
Dans le contexte libéral des années 1970, l’État tunisien a essayé de faire une transition d’une économie de production et de valorisation des produits agricoles et miniers à une économie plus industrielle et de services. C’est depuis, la politique d’ouverture adoptée par la Tunisie a favorisé les sociétés exportatrices par des avantages et des exonérations fiscales. Elle a entraîné un développement industriel soutenu avec la création de nombreuses petites et moyennes industries (PMI), essentiellement dans les villes littorales, en aggravant davantage le déséquilibre entre littoral et intérieur du pays.
En termes du développement touristique, la Tunisie, pendant les années 1970, voulait se spécialiser dans le tourisme balnéaire et renforcer sa position en Méditerranée dans ce créneau. Toutefois, le succès d’une destination touristique dépend en grande partie à des motivations créées par les grands tours opérateurs et par les modes du moment, le produit méditerranéen. À cette époque, il a été urgent de répondre à la demande massive par des hôtels de grande capacité implantée dans des zones touristiques planifiées et équipées par l’État central, sous l’incitation de la banque mondiale.
En 1973, en adaptant une politique d’aménagement sectoriel, l’Etat a créé 3 agences l’AFT (l’Agence Foncière Touristique), l’AFI (l’Agence Foncière Industrielle) et l’AFH (Agence Foncière d’Habitat). Pour réussir les missions de ces agences, en 1976, l’État leur a doté des outils juridiques et techniques nécessaires : la loi d’expropriation, le PIF (le Périmètre d’Intervention Foncière) et le PAD (le Plan d’Aménagement de Détail). La projection de l’État en termes de planification sectorielle, notamment pour le tourisme et l’industrie, a suivi la demande des investisseurs qui préfèrent naturellement les agglomérations urbaines situées près des ports et des aéroports (voir figures 3 et 4). Cette politique a favorisé le développement d’une économie libérale, constituant le relai de l’économie de l’Europe, le premier partenaire économique de la Tunisie.
Depuis son indépendance, la Tunisie a opté pour une planification centralisatrice de son économie. Déjà, jusqu’à la révolution du 14 janvier 2011, douze plans de développement économique et social qui ont été déjà réalisés. Quant à la planification spatiale, dans les années 1980, le souci de rééquilibrage territorial a été présent dans les documents stratégiques d’aménagement qui orientent, naturellement, les plans quinquennaux de développement économique et social. L’idée maitresse de PNAT (Plan National d’Aménagement de Territoire) de 1985 a été l’assurance d’un certain équilibre territorial est-ouest à travers le rééquilibrage du réseau urbain (Ajroud-Mrad, 2002).
Après le changement politique de 1987, le PNAT de 1985, qui pour sa réalisation a mobilisé des énergies a été mis au tiroir. D’ailleurs, la promulgation d’un nouveau CATU, en 1994, a favorisé le remplacement du PNAT de 1985 par un SDAT (Schéma Directeur d’Aménagement de Territoire). Selon le discours de l’État, il était de même impossible de réformer ce PNAT de 1985, car les priorités dans l’aménagement du territoire avaient changé ; en 1985, l’on pensait beaucoup plus équilibre inter-régions et élimination de l’exode rural, alors, qu’en 1994, cette idée apparaissait comme dépassé puisque la croissance des grandes villes s’était modérée et celle de la population stabilisée (Ajroud-Mrad., 2002). De ce fait, un nouveau document prospectif, le SDAT de 1997 a pris la suite du « Plan National d’Aménagement du Territoire » (PNAT) lancé en 1985 et qui devait normalement s’appliquer durant 20 ans.
Plus ou moins sous l’influence du PAS (Plan d’Ajustement Structurel), imposé par la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International (FMI), le SDAT (Schéma Directeur d’Aménagement du Territoire) de 1997 a initié au renforcement du rôle de la capitale et des villes littorales qui sont seules capables de s’imposer dans un contexte de concurrence internationale et de mondialisation, afin atteindre une certaine efficacité d’investissement étatique. Cette orientation a intensifié le déséquilibre, déjà existant, entre le littoral et l’intérieur de la Tunisie, notamment en matière du système urbain : la macrocéphalie de Tunis, la faiblesse des villes moyennes et de l’intérieur…
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Quant aux Schémas Directeurs d’Aménagement (SDA)[1], notamment d’agglomérations urbaines, qui fixent les orientations fondamentales d’aménagement du territoire à l’échelle régionale, leur élaboration reste tributaire à une décision ministérielle et centrale et leur approbation nécessiteun décret toujours présidentiel. Ainsi, les conseils municipaux et régionaux n’ont pas une grande marge de manœuvre et se contentent de donner leurs avis sur des projets décidés au niveau ministériel et dans les bureaux d’études.D’ailleurs, les conseils régionaux sont toujours présidés par les gouverneurs qui sont les représentants du pouvoir central. La centralisation, qui a été fort présente dans le discours officiel depuis la fin des années 1980, a été vigoureuse et remportée par la déconcentration du système administratif, ce qui prouve une hésitation du pouvoir politique de décentraliser la prise de décision. La réforme de la régionalisation de 1989 n’a conduit qu’à l’inefficacité, voire à la marginalisation de l’institution régionale en tant qu’organe d’action (Luchaire 1998 et Marcou 1998).
Finalement, la centralisation de l’appareil de l’État et le contexte de la mondialisation des années 1990 ont accentué le décalage de développement entre le littoral et l’intérieur de la Tunisie. Ce clivage régional a été une des causes de déclenchement de la révolution du 14 janvier 2011.
Le découpage territorial dans le contexte de l’après-révolution
Le déséquilibre régional, l’exclusion et le partage inégal des richesses entre les classes sociales, les générations et les régions du pays sont les faits marquants de la révolution tunisienne. Le feu de la révolte a pris dans les régions de l’intérieur à Sidi Bouzid le 17 décembre 2010, après les premières étincelles à Rédaïef (Gouvernorat de Gafsa) en 2008, pour propager Tala, Kasserine, etc. Ces agglomérations, qui ont vu des mouvements populaires contre l’exclusion et la dictature, sont, en réalité, toutes des localités peu articulées au système économique national. Ainsi, elles abritent des catégories sociales délaissées ; notamment les jeunes et la classe moyenne qui glisse vers la pauvreté. La révolution tunisienne a bien démontré que l’excès de frustration et de marginalisation finit par déboucher sur un problème politique majeur, la chute d’un régime, qui est concrétisé par la fuite du Président Ben Ali à l’Arabie Saoudite, le 14 janvier 2011. Pour récupérer un des principes de base de la citoyenneté : le peuple tunisien a opté le libre choix de son destin. En fait, le vrai développement est désormais perçu comme étant un processus qui associe la croissance économique et la justice sociale et spatiale. De ce fait, le contexte d’après révolution constitue une occasion pour que la « région » devienne une structure de contre-pouvoir et une entité politique qui possède une marge de manœuvre afin de constituer une base de développement. (Hellal, 2015).
La nouvelle constitution de la deuxième république, réalisée par l’Assemblée nationale constituante et promulguée le 27 janvier 2014, essaye de répondre aux objectifs de la révolution. Dans le chapitre VII consacré au pouvoir local, on mentionne clairement dans l’article 132, qu’en Tunisie, « le pouvoir local est fondé sur la décentralisation », qui sera « concrétisée par des collectivités locales comprenant des municipalités, des régions et des districts qui couvrent l’ensemble du territoire de la république conformément à un découpage déterminé par la loi ». Dans le même chapitre, la constitution n’exclut pas la possibilité « d’autres catégories spécifiques de collectivités locales (qui) peuvent être créées par la loi » pour concrétiser des principes comme la solidarité locale, régionale ou même entre les régions.
L’article 132 insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une simple déconcentration, comme il fut déjà dans les décennies antérieures, puisque « les collectivités locales jouissent de la personnalité juridique et de l’autonomie financière et administrative. Elles gèrent les affaires locales conformément au principe de la libre administration ». Cette liberté est garantie, selon l’article 133, par les élections des élus de conseils municipaux, régionaux et de districts.
Pour assurer un certain niveau de coopération et du contrôle réciproque entre les entités de pouvoir, l’article 134 assure que « les collectivités locales ont des compétences propres, des compétences qu’elles exercent conjointement avec l’autorité centrale et des compétences qui leur sont transférées par elle ». En fait, la décentralisation, ici, n’empêche pas de penser globalement et d’agir au niveau du territoire. Ainsi, dans le cadre de cette nouvelle orientation de décentralisatrice la constitution responsabilise les acteurs territoriaux.
En jouissant de son rôle de gouvernance pour assurer un certain niveau d’équité territoriale, selon l’article 136 « l’autorité centrale fournit des ressources complémentaires aux collectivités locales, en application du principe de solidarité et suivant les modalités de la régulation et de l’adéquation ». Ainsi qu’elle « œuvre à la création d’un équilibre entre les revenues et les charges locales ». De plus, en appliquant les principes de la subsidence et de la justice spatiale l’article 136 précise qu’« une part des revenus provenant de l’exploitation des ressources naturelles peut être consacrée à la promotion du développement régional sur l’ensemble du territoire national ».
À travers la nouvelle constitution, nous relevons une tendance de renouvellement de la modalité de gouverner le territoire ; en passant d’un exercice de pouvoir vertical à une gouvernance participative et de concertation où le territoire devient un lieu de l’exercice de la démocratie. Mais, avant de passer à la concrétisation de cette orientation, un exercice difficile s’impose aux autorités tunisiennes qu’est le nouveau découpage territorial.
L’institut tunisien des études stratégique, rattaché au Présidence de la république, a pris l’initiative de faire un nouveau découpage territorial. Il a œuvré pour l’élaboration d’une nouvelle territorialisation du territoire tunisien pour « corriger les disparités régionales en permettant aux ressources disponibles d’être plus dynamiques et de favoriser des synergies entre les différents secteurs de l’économie » (IES, 2014). Par ailleurs, ce découpage est contraint de favoriser une construction de la territorialité et d’appropriation des ressources au profit d’une gouvernance territoriale et un processus de coordination entre les acteurs. Selon Leloup et all (2005, p.324) : « cette forme de gouvernance s’adosse dès lors sur une situation de proximité mixte qui combine proximité géographique et proximité institutionnelle des acteurs ».
À son état actuel, le territoire tunisien s’organise en 24 gouvernorats répartis en 264 délégations, elles-mêmes réparties en 2 073 secteurs (imadas). Il s’agit des circonscriptions administratives, c’est-à-dire les espaces de de la déconcentration administrative. Ils couvrent l’ensemble du territoire et sont dirigés respectivement par des Gouverneurs, des Délégués et des Chefs de secteur (Omdas). L’armature institutionnelle comporte également des collectivités territoriales : conseil municipal et conseil régional. Sauf que ce dernier est géré par le gouverneur qui est, en réalité, le représentant du pouvoir central, d’où le flou entre circonscriptions administratives et les collectivités territoriales.
L’IES a opté pour que les limites géographiques de futures régions qui doivent coïncider avec le tracé actuel des gouvernorats pour ne pas bouleverser le système administratif existant, surtout en termes d’organisation des agences publiques, commissariats et administrations publiques. Sauf que ces régions seront également gérées par des conseils régionaux élus par le suffrage universel conjointement à un Gouverneur qui reste le relai du pouvoir central. Ainsi, la constitution de janvier 2014 indique une échelle plus importante : les districts correspondant à des entités régionales dotées d’un conseil élu par les membres des conseils municipaux et régionaux, ce qui fait d’elles une innovation institutionnelle sans équivalent dans l’architecture administrative précédente. À ce niveau, les questions qui se posent sont de savoir quelles sont les régions à regrouper au sein d’une même collectivité locale et quelle sera leur capitale de district ?
Les experts de l’IES ont utilisé l’approche du polycentrisme complémentaire pour dégager une nouvelle structure. Au sein des districts, ils envisagent de certaines complémentarités entre les grands centres urbains et leurs territoires, ce qui pourrait générer des effets d’entrainement et de diffusion exercés par les grandes agglomérations des régions dynamiques sur les régions défavorisées. À cet effet, on a retenu six critères qui se conforment à l’objectif de développement régional et qui se plient à la nécessité de former des ensembles cohérents et équilibrés sur le plan économique et politique : l’ancrage régional et international, la fonctionnalité, l’efficience, l’accessibilité, la proximité.
Finalement, on a esquissé un nouveau découpage du territoire national en 5 districts. Ce découpage, qui tient compte qu’en partie les identités et les spécificités des territoires, prend en considération la complémentarité entre l’intérieur et le littoral en créant « des districts couloirs », dans le cadre d’une solidarité et d’une intégration est/ouest. Le choix de cette structure permet aux grandes et aux moyennes villes du littoral de donner des radiations de développement aux régions de l’intérieur. Cette orientation a conduit à une structure du territoire national autour des districts suivants : Medjerda (les gouvernorats de Bizerte, Béja, Jendouba, Kef et Seliana), Carthage (les 4 gouvernorats du grand Tunis et le gouvernorat de Zaghouan), Cap-Bon et Sahel (les gouvernorats de Nabeul, Sousse, Monastir Mahdia et Kairouan), Grand Centre (Sfax, Sidi Bouzid et Kasserine), Oasis et Ksour (Gabès, Gafsa, Médenine, Tozeur, Tataouine et Kebeli).
Naturellement, chaque district doit avoir une capitale qui correspond à la ville qui accueillera, avant tout, le siège du conseil du district, mais également les administrations déconcentrées en lien avec les affaires du district.
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Selon l’IES, il existe plusieurs approches pour définir la capitale d’une collectivité territoriale, dont on peut dégager deux principales. Une première consiste à choisir l’agglomération urbaine qui a le statut du pôle régional dans la mesure où celui-ci renvoie à une ville qui abrite les universités, les laboratoires de recherche, les plus grandes entreprises, les équipements et les services spécialisés. Une deuxième approche consiste à faire le choix rationnel de la ville qui bénéficie d’une position de centralité et qui permet de répondre à une logique de desserte optimale par rapport à l’ensemble du district. Toutefois, l’approche retenue ici selon les experts de l’IES se plie, plutôt, à l’objectif de développement régional. Elle répond au souci de mettre à niveau les régions les plus défavorisées et de créer les conditions propices à une convergence socio-économique entre l’intérieur et le littoral du territoire national. En effet, « elle consiste à établir la capitale de district dans la ville chef-lieu de la région la plus en retard du district. L’établissement de la capitale dans la région la plus défavorisée permettra à celle-ci d’accueillir de nouveaux emplois publics, de nouvelles infrastructures publiques. Ainsi une autre raison qui justifie cette approche est celle la volonté de ne pas participer à encombrer davantage les grandes agglomérations par de nouvelles administrations ».
Pour identifier la région la plus en retard, l’IES a retenu comme référence l’Indicateur de Développement Régional (IRD) calculé par le Ministère du Développement, en 2012. Il s’agit d’un indicateur qui correspond à la moyenne simple de 18 variables se référant à quatre domaines : savoir, richesse/emploi, santé/population et justice/équité. Selon ce critère de l’IDR, la capitale de district de Medjerda devient Jendouba, alors pour le district de Carthage on trouve Zaghouan, ainsi pour le district du Sahel et Cap-Bon on trouve Kairouan, pour le district du grand centre on choisit Kasserine et finalement pour le district des Oasis et des Ksour on trouve Médenine.
Dans le contexte de reterritorialisation du territoire tunisien, on assiste à un nouveau découpage communal qui donne une nouvelle structure d’un territoire national totalement communalisé et qui compte 350 communes : création de 61 nouvelles municipalités et 190 nouvelles délimitations en 2016.
Selon le discours officiel, le découpage communal opéré par le Ministère des Affaires locales s’est fait selon des critères techniques, basés sur des indices scientifiques, géographiques et démographiques de développement durable et d’inclusion. Par ailleurs, la société civile, notamment l’association Albawsala, dénonce l’exclusion de l’Assemblé de Représentants du Peuple (ARP) de cette opération du découpage qui ne tient pas compte les spécificités culturelles et sociales des territoires (Rebhi, 2016).
Devant la multitude des échelons territoriaux et pour la répartition des compétences, on a opté pour le principe de regroupement des tâches au sein d’un niveau institutionnel donné pour répondre à un souci de cohérence qui se lit à travers des objectifs socio-économiques spécifiques à atteindre. L’Etat reste chargé d’une partie de la programmation, dans le temps et dans l’espace, et de la réalisation de grands équipements, d’investissements lourds ou de grands projets de restructuration spatiale, en concertation avec l’ensemble des collectivités locales dans le cadre de l’élaboration du schéma d’aménagement national. Mais, on se demande ici qu’elles sont les compétences des autres échelons territoriaux infranationaux ?
Les compétences dans les nouveaux échelons territoriaux : atouts, contraintes et risques
La nouvelle hiérarchie des structures territoriales nécessite de grands efforts législatifs et organisationnels pour aboutir à une meilleure coordination entre les acteurs d’aménagement et à une gouvernance territoriale efficace.
Le nouveau code des collectivités territoriales, qui a été adopté par l’Assemblée des Représentants du Peuple en avril 2018, remplace celui de 1975. Il a pour rôle de fixer les règles de fonctionnement et les compétences, en conformité avec les principes de la constitution de la nouvelle république (de 27 janvier 2014). Selon l’article 13 de ce code, les collectivités locales possèdent, en référence à la règlementation, des compétences propres exercées directement et d’autres transférées du pouvoir central. Ainsi l’article 16 du même code indique que : « la loi précise chaque transfère ou élargissement des compétences au profit des collectivités locales ». Ainsi, on ajoute que « chaque transfert ou élargissement de compétences est accompagné par un transfert des ressources et des moyens conséquents ».
Selon l’IES, le rôle des districts, la première échelle, est d’œuvrer au développement régional. Dans cette perspective, les districts devront se constituer en des « administrations de missions » chargées d’améliorer l’attractivité et la compétitivité de leurs territoires, en impliquant dans cette dynamique toutes les régions qui les composent pour aboutir à un développement intégré. L’article 20 du nouveau code de collectivités locales indique ainsi que le District « exerce les compétences de développement ayant cette dimension du district et qui veille à la planification, au suivi des études ainsi à leur concrétisation et à la coordination entre les acteurs… ». Les conseils des districts seront votés par les élus locaux et régionaux et pas par le suffrage universel, ce qui pourrait favoriser la montée des élites intellectuelles.Ainsi, nous estimons que le District pourrait constituer un bassin de développement, où s’organisent les flux des marchandises, des personnes et des capitaux à travers les infrastructures réalisées à cet effet : routes, chemins de fer, marché de gros d’intérêt régional, sociétés de transport régionales.
Quant à « la région »,l’équivalent d’actuels gouvernorats, selon l’IES cette entité territoriale « devra se muter en une administration de gestion au service d’un objectif de mise à niveau des territoires dans le cadre d’une stratégie nationale de réduction des disparités économiques, sociales et spatiales, qui fait appel à la solidarité nationale ». De ce fait, nous relevons une ressemblance dans les compétences de la région et de district, d’où le risque de confusion des rôles. Pour autant, le code de collectivités prévoit l’interventionnisme du tribunal administratif en cas des conflits de spécialités. Ainsi, les deux conseils (de région et de district) ont pour mission d’élaborer chacun un Schéma Directeur d’aménagement qui couvre les territoires qui les correspondent.
Dans l’article 115 de CCL on lit : « Les districts et les régions préparent leurs plans d’aménagement et de développement indiqués par la loi, qui font partis de leurs compétences et qui sont approuvés par les conseils élus et ceci en collaboration avec le pouvoir central… ». Bien qu’on relève ici, une vraie perspective de décentralisation de la politique de développement, nous constatons un risque de chevauchement des compétences entre les deux échelons : district et région, ce qui pourrait poser des problèmes de gouvernance territoriale.
Le Code des collectivités territoriales a été assez révolutionnaire, en termes des compétences et de liberté accordées aux communes. Selon son article 200 « La commune est une collectivité territoriale ayant un statut juridique et possède une liberté dans la gestion libre des affaires municipales et œuvre pour le développement économique, social, culturel, environnemental et urbain…».
Dans l’article 114 de CCL, on lit que c’est la municipalité qui prépare son Plan d’Aménagement Urbain et c’est son conseil élu qui l’approuve. Cette décentralisation de la politique urbaine, qui s’avère courageuse, permettrait à la commune de valoriser son originalité urbaine et de forger une certaine marque territoriale pour améliorer son attractivité. Toutefois, la réussite de ces perspectives restes subordonnés aux moyens financiers et techniques à accorder aux communes.
Les conseils municipaux seraient élus par le suffrage universel. Ainsi, les élections municipales restent les élections les plus importantes pour réussir le processus de décentralisation, car la commune demeure la première école de la démocratie participative. Il s’agit également du principal niveau d’apprentissage de la bonne gouvernance locale. D’ailleurs, CCL insiste sur l’importance de la concertation avec les citoyens et la transparence à travers la publication des PV (Procès-Verbaux) sur les sites internet des communes. Toutefois, nous soulignons la faiblesse de la culture communale en Tunisie – en comparaisant avec la France par exemple où la commune est ancienne -, surtout dans les régions de l’intérieur, où le sentiment de l’appartenance tribale reste assez vif. Les actes de violence survenus à Metlaoui entre deux groupes tribaux, juste après la révolution de 14 janvier 2011, confirment que la concurrence tribale remporte sur la concurrence communale, au moins à l’intérieur de la Tunisie. Toutefois, la réussite des élections municipales organisées le 6 Mai 2016 constitue un signe positif pour réussir le processus démocratique au niveau le plus bas, qui est la commune.
Face à la multitude des échelles et des acteurs, le CCL prévoit une structure d’arbitrage qui est le Conseil Supérieur des Collectivités Territoriales, l’équivalent de DATAR (Délégation interministérielle à l’Aménagement du Territoire et à l’Attractivité Régionale) en France, qui joue le rôle de régulateur, de coordinateur et de facilitateur.
Il convient de souligner, ici, qu’un des objectifs de la décentralisation est l’établissement de la concurrence entre les territoires en termes de développement. L’appartenance collective à un territoire incite ses habitants d’œuvrer mutuellement pour développer ses ressources. À cet effet, les institutions de gestion de ces territoires sont contraintes de s’adapter avec les limites sociales de ces territoires. Dans ce sens Leloup et all. (2005, p.326) voient que le territoire « ne correspond pas à un niveau administratif neutre où une politique s’applique selon une démarche hiérarchique descendent. Le territoire s’impose au contraire comme un construit social permanent, en constante appropriation. Dans ce sens, il peut être apparenté à un système dynamique complexe. Il se construit grâce aux relations de « voisinage » peuvent mener à des actions concrètes voire à l’élaboration commune de normes ».
Bien que la différenciation des territoires paraissait une base de développement, nous insistons à la nécessité d’amélioration de coordination entre les différentes échelles (locale, régionale, nationale), en favorisant la solidarité territoriale et le partenariat entre les régions et les communes. À cet effet, l’État central est contraint de changer son rôle et ses rapports avec les différentes institutions des échelons territoriaux. Ici on doit rendre compte « du rôle des politiques publiques dans le processus de régulation macroéconomique et territoriale (qui) ne peut se réduire à l’opposition classique entre État central et collectivités locales. Elle doit au contraire être élargie aux dispositifs de gouvernance de chacun des échelons territoriaux et du caractère innovant de leur enchevêtrement dynamique. Dans cette perspective, les espaces infranationaux apparaissent alors comme des lieux où les dispositifs de gouvernance décrivent des configurations hétérogènes d’acteurs et de coordinations mettant en œuvre des modèles différenciés de développement et de cohésion » (Gilly et Wallet, 2005, p.718).
Le code de collectivités territoriales dans sa version actuelle favorise une certaine modalité de solidarité et de cohésion territoriale : intercommunalité, contrat inter-régions et région-commune, etc. Par ailleurs, il ne prévoit pas des modalités de solidarités entre des structures mixtes, par exemple des communes de différentes régions- comme il fut déjà en France – pour couvrir un bassin de vie ou un territoire traditionnel. D’ailleurs, les experts et les hauts Cadres au Ministère chargé de développement insistent sur le fait que cette décentralisation doit être progressive, car elle serait couteuse pour l’ensemble national, surtout dans ce contexte de crise économique. A cet effet, pour réussir la gouvernance territoriale, on est contraint de renforcer les moyens des structures de développement régional sur le plan matériel et humain. Ainsi, on se demande ici : est-ce que les contrôles administratifs et judiciaires habituels sont suffisants pour épargner les ressources transférées du niveau national vers les niveaux local et régional de la mauvaise gestion, surtout que le phénomène de corruption n’est pas atténué depuis la révolution ? Ainsi, est-ce que le système du contrôle vertical (au niveau administratif) et réciproque (à la même échelle) (voir figure 6) serait suffisant pour éviter la corruption et maintenir l’intérêt général ?
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La société civile lui incombe une grande responsabilité pour exercer le contrôle de proximité ou le contrôle « ultérieur », dont s’intéresse le CCL. Dans le cadre d’une démocratie participative, les associations permettent aux citoyensde s’impliquer dans la politique qui touche leurs territoires de vie. Cette démocratie participative complète la démocratie représentative en faveur d’une transaction entre l’individu et la communauté. En fait, le modèle de la démocratie représentative ne serait pas suffisant, car elle « réduit la citoyenneté au droit de vote et de sanction électorale ».
Conclusion
Jusqu’au début de XIX siècle, la Tunisie se dotait d’un système territorial plus ou moins équilibré qui se structurent autour des régions ayant des activités économiques complémentaires : agriculture, artisanat et commerce. L’ouverture sur l’économie méditerranéenne et la colonisation française ont renversé le système économique existant, ce qui a inauguré un déséquilibre territoire en Tunisie en matière d’infrastructures et de services. L’État de l’indépendance a maintenu un système politico-économique hiérarchisé et sous l’influence des bailleurs de fonds, il a constitué une économie relais de celle du monde occidental. Depuis la fin des années 1980, l’hésitation de l’État tunisien pour décentraliser le système politique et administratif et les impératifs d’adaptation à la mondialisation ont contribué à l’intensification du déséquilibre interrégional. La révolution tunisienne et la nouvelle constitution constituent une occasion pour instaurer une décentralisation du système politico-administrative au profit d’une nouvelle action publique et d’une certaine gouvernance territoriale. L’étude de la perspective de gouvernance territoriale en Tunisie nous montre que le nouveau découpage territorial, qui ne se base qu’en partie sur les territoires d’identité et de vie, pourrait générer des confusions dans les compétences entre les entités territoriales (commune, région, district). Ainsi, en ce moment, en 2016, les autorités tunisiennes sont contraintes de fournir de grands efforts législatifs et faire de réformes pour lutter contre la corruption qui peut menacer le processus de décentralisation, qui s’avère long.
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[1] Il existe 3 types de SDA : pour les agglomérations, pour les zones sensibles et pour les zones restantes.