Le réalisme et la critique dans les Bouts de Bois de Dieu et O Pays, mon beau peuple De Sembene Ousmane : Etude comparative
Prepared by the researcher : Mhamed ABDELMOUNA – Etudiant doctorant – Centre d’Etudes Doctorales : Langue, Patrimoine et Aménagement du Territoire – Laboratoire de Recherches : Langue, Littérature, Imaginaire et Esthétique Université Sidi Mohamed Ben Abdellah. Faculté des Lettres et des Sciences Humaines – Sais-Fès.
Democratic Arabic Center
Journal of cultural linguistic and artistic studies : Twenty-ninth Issue – September 2023
A Periodical International Journal published by the “Democratic Arab Center” Germany – Berlin
Journal of cultural linguistic and artistic studies
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Abstract
The analysis proposed here is rather about the militant commitment of the author Sembène Ousmane. It is in a comparative perspective gathering two of his works to analyze in critical and realistic that we propose to study this article.
Inspired by Marxist ideas, Sembène Ousmane is a man of social. He writes not only for his people, but also for Africa in order to show its problems. The adoption of these ideas brings his wrote closer to the artistic and literary movement of the 19th century, realism like ‘Honoré de Balzac and Stendhal… Etc.
Their works were described as socio-realist. They present an inner view of African society. His writings are considered sensitive to the social, economic and political realities of the African world, living in the period of transition between the colonial era and independence. His panoramic description of real emphasized the daily life of the people of Senegal.
His only problem is for the difficult life that his country is living as discussed in “Les Bouts de Bois de Dieu and O Mon Pays Mon Beau Peuple”. For Sembene, the presence of colonialism traumatized his country to the point of losing its profound identity. The author proposes the collective and individual revolt so as to have their dignity
Introduction :
- Regards sur la littérature négro-africaine.
Comme tous les pays colonisateurs, la France a colonisé le continent d’Afrique. La rencontre entre ces deux cultures de l’Europe et de l’Afrique a donné naissance à une littérature négro-africaine. Cette littérature est devenue une plate-forme pour beaucoup d’écrivains africains d’exprimer leurs pensées, de transmettre la réalité de leurs peuples pour dénoncer les diverses exploitations de l’Afrique sous le masque de civiliser ce continent. « Cette veine réaliste est nettement dominante dans le roman nègre » (Kesteloot 2020, 310). Le roman négro-africain paraît comme le miroir des problèmes du milieu social et des situations politiques où les écrivains « concevaient le monde en termes guerriers. Ils avaient une mission. Ils partaient en croisade […] pour une littérature de combat qui porte sur les débats sur l’indépendance, sur le socialisme africain et de la négritude », (Ibid, 478). Pour Léopold Senghor, la négritude est définie en ces termes : « La négritude est le patrimoine culturel, les valeurs et surtout l’esprit de la civilisation négro-africaine» (SENGHOR 1969, 277).
Les écrivains africains comme le cas de Sembene Ousmane inspirés par « les idées marxistes» (Dambrine, Littérature) ont été enracinés dans la transmission de la réalité par le truchement de la littérature. « Le roman et la nouvelle deviennent le miroir éclaté des mille expériences des nouveaux États» (Lilyan Kesteloot, 2020 p15). Leurs rôles étaient d’informer et d’éveiller la conscience de leurs peuples contre l’exploitation de l’homme et de combattre les inégalités sociales menées par l’idéologie colonialiste. La littérature de contestation d’Ousmane est orientée contre la présence métropolitaine, mais aussi contre les siens qu’il veut amener à se reconnaître, à reconnaître leurs propres tares et à prendre conscience de leur réalité contre les maux de la colonisation.
Notre travail tournera essentiellement autour de l’idéologie chez l’un des plus grands auteurs dans l’activité littéraire et cinématographique négro-africaine. Il s’agit de l’écrivain Ousmane Sembene, le romancier socio-réaliste dont les œuvres présentent un tableau sur la société africaine. Pour Sembene, 1a présence coloniale a ébranlé l’homme Noir au point que celui-ci est entré dans la crise d’identité.
Dans cet article, nous essaierons de dégager à partir de deux ouvrages sur lesquels nous avons centré notre étude à savoir : les Bouts de Bois de Dieu et O Pays Mon Beau Peuple, « l’aspect réaliste» (Dambrine, Littérature) afin de mieux faire ressortir cette inquiétude constante de décrire la réalité sociale tout à fait différente de son pays, à savoir la thématique de colonialisme, la présence métropolitaine, le racisme anti-noir et le capitalisme occidental. Ensuite, nous procéderons à la mise en évidence de la critique d’Ousmane Sembène dans les deux ouvrages cités ci-dessus, critique qui portera sur le pouvoir, dans le large sens du terme, que ce soit le pouvoir colonialiste, le pouvoir capitaliste, le pouvoir de la puissance occidentale et de la civilisation matérialiste.
2 – société de référence.
La socialité du roman se nourrit de la société qui met la lumière sur l’organisation de la production littéraire. La production littéraire du fait social nous invoque aux romans réalistes du XIXe siècle, dont l’objet fondamental est de reproduire strictement que possible la société sous divers angles romanesques ; la socialité est tout « ce qui manifeste dans le roman la présence hors du roman d’une société de référence et d’une pratique sociale, ce par quoi le roman s’affirme dépendant d’une réalité socio-historique antérieure et extérieure à lui » (Vrinat-Nikolov, 2018).
Notre but est l’étude de la socialité du roman pour lire le social d’une période donnée comme « société de référence» (Vrinat-Nikolov, 2018), c’est à dire que le roman représente la société par le discours littéraire comme référence à une époque donnée de l’histoire de la société par la représentation du réel, par la référentialisation, d’où la socialité de l’œuvre qui facilite l’adhésion du lecteur. Si nous prenons l’exemple des deux romans de littératures africaines, ils sont inspirés de l’histoire authentique du Sénégal qui reflète les réalités socio-historiques dans un cadre du récit réel ou dans un moule fictif. Ces œuvres dissimulent l’espace conflictuel et la sobriété d’une société. Cet univers d’écriture (la littérature) aborde le non dit d’une manière implicite ou explicite en se référant à des « chronotopes » (Hans Färnlöf 2007 p2) réels de la société sénégalaise. Ce concept est un facteur mélioratif pour comprendre la société à travers le texte, c’est-à-dire que dans ce texte existe le détail spécifié de chaque communauté. Pour éclairer cette notion, l’écrivain joue le rôle de médiateur entre l’époque historique identique et le lecteur. Dans un autre sens, le document littéraire en tant que produit romanesque reflète par éminence le monde extérieur.
- Le Réalisme dans les Bouts de Bois de Dieu, et O Pays, mon beau peuple.
Le Réalisme est un mouvement littéraire qui cherche à représenter le monde tel qu’il est, sans l’embellir ni l’idéaliser. Ousmane Sembene à plusieurs reprises met l’accent sur son souci du réalisme. Ce souci constant de faire une œuvre réaliste entraîne certaines conséquences avant la rédaction dont l’écrivain doit effectuer une recherche approfondie pour avoir une documentation minutieuse et des informations précises.
Dans les Bouts de Bois de Dieu, Sembene puise le sujet de son œuvre dans la réalité: Il s’agit de la fameuse grève des cheminots du Dakar-Niger qui se sont révoltés contre la présence métropolitaine, contre l’injustice coloniale, contre l’exploitation de l’homme Noir par l’homme Blanc. Cette grève était le plus difficile que l’histoire africaine a jamais connue ; elle avait duré cinq mois du 10 d’octobre 1947 jusqu’au 19 mars 1948. L’histoire se déroule du Sénégal au Soudan par des ouvriers noirs travaillant dans la construction du chemin de fer. La caractéristique de cette grève dont le romancier tire la plus grande partie est qu’elle fut non seulement soutenue, mais dirigée par les femmes ainsi que par la participation de lui-même à cette pénible grève : « J’étais disponible, il fallait bien faire quelque chose » (Sembène, les Bouts de Bois de Dieu, 1960, p 29).
Par contre dans O Pays, Mon Beau Peuple, c’est l’auteur lui-même qu’on retrouve présenté par le personnage principal Omar Faye. Ces deux références nous montrent donc que la référence à la réalité est une caractéristique fondamentale dans l’œuvre de Sembène. L’auteur refuse de faire de son œuvre une fiction ou bien un travail d’imagination pure. Le présent roman est considéré comme une œuvre militante par le fait qu’elle s’attaque aux problèmes que pose le passage d’une structure à une autre, d’une société ancienne patriarcale mystique à une société nouvelle fondée sur la raison et sur le respect de la liberté individuelle. On peut donc décrypter les conflits du roman social, c’est ainsi qu’on qualifié l’œuvre de Sembene, supposé entre les différents générations aussi bien qu’entre les sages des anciens temps, les Imams et les nouveaux intellectuels d’aujourd’hui. L’œuvre de Sembene s’intéresse aussi bien aux problèmes de la liberté, de la condition de femmes noires, de ses émancipations et des structures socio économiques. Son roman est donc un roman engagé, souciant de la réalité sociale du pays.
En effet, l’auteur fait de son roman un espace pour dénoncer les problèmes que se pose son peuple et d’inciter une prise de conscience chez les Africaines en particuliers et chez tous les autres peuples dont les conditions sont semblables à celle du Sénégal.
- Analyse de la réalité socio-économique dans O Pays, Mon Beau Peuple.
Dans O Pays, c’est d’un autre type de société dont Sembène traite. Il s’agit d’une société rurale. Il est question d’une société de bidonvilles vivant essentiellement de la pêche. C’est donc une « société Lébou » (Fall, 2006) qui maintient cependant son contact avec la ville. La société de Ziguinchor-Région de Casamance est une société rurale, société matériellement pauvre où Sembène décrit le « casamancienne» (La langue française) « Rien n’avait changé, les sentiers en éventail, les paillotes toujours prêtes à s’écrouler les tas d’immondices, une vie grouillante » (Sembène, O Pays, mon beau peuple 1990, p 29).Ousmane met l’accent sur la dureté du travail au Sénégal comme l’un des aspects les plus touchants de la réalité sénégalaise. L’auteur souligne cet aspect dans le passage ci-après:
Elle chantait à la manière des opprimés. L’existence leur avait appris à chanter pour tromper la réalité .En chœur, ces femmes chantaient comme on étouffe un sanglot pour ne pas sentir la fatigue. Elles chantaient comme au moment des excisions et c’était une chanson qui n’exprimait pas la joie, mais la douleur elle commençait où elle finissait car elle incarnait la misère et leur misère ne finissait jamais. (Ibid p79).
Sembene poursuit sa description de cette réalité de femmes « qui chargeaient l’un des trois bateaux » (Ibid p78) qui se trouvaient dans le même rang de l’homme. Faye contemple cette scène qui a été un leitmotiv pour lui.
Depuis son enfance il voyait cela pourtant il eut un pincement au cœur. C’était mal, c’était odieux que des femmes besognent de la sorte! Le fait que personne ne réagissait devant cet état de choses lui donnait une espèce de malaise. (Ibid,p 78).
Diagne souligne la crise d’emploi qui est l’un des aspects du sous développement économique : « Combien y a-t-il de bacheliers en chômage » (Ibid,p 84). Cette société se trouve également écrasée économiquement et socialement par la direction métropolitaine. La situation dans la société casamancienne est en pleine interrogation, une situation qui demande à être changée sur le plan économique. Le personnage principal du roman cherche à défier les siens, à transformer leurs traditions, leurs coutumes en renonçant au métier de pêcheur pour entreprendre le travail de la terre. C’est dans ce sens que Rokhaye, la mère de Faye dit : « Il n’y a jamais eu de cultivateurs dans ma famille ni dans celle de son père, ni du père de ton père » (Ibid, p 63) Quant à la direction métropolitaine, il va l’affronter en introduisant cette coopérative agricole qui permettra aux cultivateurs et aux paysans d’assurer leurs terres et la bonne récolte. Aussi, cette coopérative agricole leur permettra-t-elle de décider eux-mêmes du prix de leur récolte : « créer une coopérative agricole avec un bureau de vente qui sera responsable devant les cultivateurs et qui soutiendra, leurs intérêts. Il ne faut pas que le prix du quintal nous soit imposé, il faut que nous puissions le débattre » (Ibid, p 158).
Quant au plan social, Omar Faye en revenant de l’étranger se révolte contre certaines traditions, contre certaines mentalités nuisibles pour le progrès essentiellement celle de Rokhaye et du vieux Moussa Faye qui freinent le développement du pays. C’est dans ce sens qu’il s’adressa à sa mère pour lui dire « Il y a des choses qui ne doivent plus être. Toutes celles qui entretiennent la fainéantise de ces gens ». (Ibid, p38).
- Analyse de la réalité sénégalaise à travers les Bouts de Bois de Dieu.
Il s’agit d’une société rurale en voie de prolétarisation. C’est une autre forme de société qui est mise en question, une société « où le temps de vieilles coutumes féodales n’était plus de mise » (sembeme 1960,p 317). Le climat des bouts de bois de Dieu est un climat nouveau jusqu’ici dans l’œuvre de Sembène. Il s’agit d’un climat de la « Fumée de savane » (Ibid p126), de la machine, du monde ouvrier, du syndicalisme, du capitalisme, de la tentative de l’industrialisation, un climat du bruit de la ferraille et du sifflet des locomotives. Le roman traite le problème du passage de l’individu issu d’une société rurale traditionnelle d’une structure agricole à la classe ouvrière au moyen de l’introduction de la machine. « Ce réalisme consista à considérer plus lucidement leur situation, à dénoncer l’amas d’injustices et de préjugés » (Lilyan Kesteloot 2020 p 95). Le roman pose entre autres, le problème de l’aliénation de l’individu par cette machine qui « était leur bien commun » (sembene1960 p 127), ce qui souligne qu’il s’agit d’une société en marche vers l’industrialisation :
C’était la machine qui maintenant régnait sur leur pays”. En arrêtant sa marche sur plus de 1500 Kilemètres, ils prirent conscience de leurs forces mais aussi de leur dépendance. En vérité la machine était en train de faire d’eux des hommes nouveaux. Elle ne leur appartenait pas ; c’étaient eux qui lui appartenaient. (ibid,p 63 ).
C’est dans ce sens que Bakayoko, le personnage principal, déclare que « l’homme que nous étions est mort et notre seul salut pour une nouvelle vie est dans la machine » (Ibid. p 127). Il s’agit donc d’une société tiraillée entre deux époques « le passé et l’avenir étaient en train de s’étreindre pour féconder un nouveau type d’homme » (Ibid. p127) un homme optant pour la technique, pour le progrès et le machinisme. En effet, l’intrus de la machine a effacé et changé beaucoup de choses comme « Il n’y a plus de castes, plus de griots, plus de forgerons, plus de cordonniers, plus de tisserands. Je pense que c’est l’œuvre de la machine qui brave tout ainsi ». (Ibid. pp 153.154).
- Différences sociales et de classes.
Parmi les conséquences de la société néocoloniale est évidemment la naissance d’une société de classes et des conflits sociaux. Sembene cherche à atteindre cette confrontation de deux niveaux sociaux disparates, entre le colon et son peuple; thématique qu’on trouve d’ailleurs dans l’ensemble de ses ouvrages. Dans les bouts de bois de Dieu, la bourgeoisie nationale s’allie à la direction métropolitaine au préjudice des masses populaires alors que le peuple indigène des paysans représente la couche prolétaire des pauvres. En effet, c’est à cause de la domination occidentale que :
L’Afrique s’est trouvée devant un choc culturel qui a déstabilisé ses codes sociaux en créant un tiraillement identitaire dont les contrées noires ont profondément souffert Cela provient du fait que les structures africaines traditionnelles ont été menacées par l’invasion de la modernité durant la période coloniale. (FANON 1970, p 35)
Cette société est composée d’une part des capitalistes, et des prolétaires de l’autre part. En effet, Sembène à travers son roman les bouts des bois de Dieu devance la nation de race et du colonialisme pour s’attacher beaucoup plus à la notion d’exploitions pour s’intéresser à la notion de classe. C’est ainsi qu’on trouve Lahbib s’adressant au directeur « Monsieur le Directeur, vous ne représentez ici ni, une nation, ni une race, mais une classe. Et nous aussi nous représentons une classe dont les intérêts sont différents de ceux de la votre » (Sembène 1960 p 281). En d’autres termes, le problème dans une même société réside entre les autochtones ;
L’une avec son congénère, l’autre avec le Blanc. Un Noir se comporte différemment avec un Blanc et avec un autre Noir. Que cette scissiparité soit la conséquence directe de l’aventure colonialiste, nul doute… Qu’elle nourrisse sa veine principale au cœur des différentes théories qui ont voulu faire du Noir le lent acheminement du singe à l’homme, personne ne songe à le contester. Ce sont des évidences objectives, qui expriment la réalité. (Fanon, 1952 p 13)
Ousmane met l’accent sur la grande différence nettement au niveau de modes de vie. Le chapitre de la cité évoque le mode de vie des indigènes et celui des affamés, celui des prolétaires et celui « des capitaliste des gosses nus perpétuellement affamés promenaient leurs omoplates saillantes, leurs ventres gonflés » (Sembène 1960, pp 35.36).
L’auteur reste fidèle à la conception des romans négro- africains qui adoptent « un style réaliste qui leurs donnent une valeur de vrai documentaire » (Lilyan Kesteloot 2020, p 310) des problèmes et situations traités, Sembene continue à peindre cet espace d’une manière péjorative :
Il y avait des maisons branlantes, étayées de poutres nu de troncs d’arbres prêtes à s’effondrer aux premières rafales mais des maisons quand même avec leur appentis de toile goudronnée dont les trous étaient bouchés par des chiffrons du carton, des bouts de planches des estragons et dont les tritures étaient consolidées à l’aide de grosses pierres de barre de fer. (Sembène, 1960, P 36),
Cette description réaliste met la lumière sur le quartier indigène comme une sorte de bidonvilles et de taudis écroulés. Son outil cinématographique est omniprésent du moment que ce lieu apparaît comme « un immense terrain vague où s’accumulent tous les résidus de la ville des pieux des traverses, des roues de locomotive, des fûts rouillés, des bidons défoncés, des ressorts de sommiers, des plaques de tôle cabossées et lacérées » (Ibid. p 35) et celui qu’habitent les Blancs au sein des « villas blanches au milieu des fleurs et les enfants aux joues roses qui jouaient sur les marches des vérandas » (Ibid. pp 59. 60) elles sont toutes similaires avec leurs couvertures de série, leurs verdures bien entretenues.
Ainsi, Ousmane Sembène par cette description met l’accent sur le coté pauvre de la réalité sénégalaise : « des mendiants, il y’en avait de tous les âges qui clamaient leur misère quant aux mouches, de grosse mouches d’un vert bleuté elles allaient des plaies que les mendiants partaient sur leur visage ou sur leurs membre » (Ibid. p 39).
- la démarche critique d’Ousmane.
On a pu constater dans la partie précédente qu’Ousmane Sembene dans les deux ouvrages sur lesquels nous avons centré notre étude bien qu’ils traitent chaque fois d’une forme sociale tout à fait différente de toutes les autres abordés, les Bouts que dans mon pays mon beau peuple, la même thématique à savoir la présence métropolitaine, le racisme et le colonialisme.
- La critique du colonialisme dans les bouts bois de Dieu.
La démarche critique d’Ousmane est centrée sur la dénonciation des injustices sociales et politiques subies par les Africains, sous la domination coloniale française. Ses romans abordent des thèmes tels que la pauvreté, l’exploitation économique, la corruption politique, et la discrimination raciale. Ousmane met en évidence la manière dont les systèmes coloniaux et néocoloniaux ont participé à l’humiliation des conditions de vie des Africains.
Nous proposons de reconstituer les thèmes sur lesquels partent la critique d’Ousmane un à un selon telle ou telle œuvre dans laquelle apparaissent le plus. Nous allons étudier la critique orientée contre l’autre (le colon). Les éléments sur lesquels portera cette critique sont : le colonialisme, l’Occident, le racisme, la civilisation matérialiste, le néocolonialisme et la bureaucratie…
La dénonciation du colonialisme aussi bien dans les Bouts que dans O mon pays s’effectue moins par une revalorisation d’un passé glorieux, ou par l’évocation des personnages précoloniaux par une contestation violente de l’ordre subi et enduré. On ne nie aucunement par le chant de « Maimouna l’aveugle » (Ngombé, 2016) dans les Bouts de bois de Dieu ou la vieille Niakoro Ccissé qui gémit constamment de ce temps passé si glorieux. Cette femme de Maimouna qui « perd un de ses enfants pendant un affrontement, se révèlera leader dans le comité des femmes » (Ngombé, 2016). Sembene choisit l’épopée de Maimouna comme figuration de la grève en lui donnant le flambeau de guider la marche des femmes.
Dans O mon pays, mon beau peuple, ces vieux et l’imam évoquent également ce temps d’autrefois « le temps de feu mon père» (Sembene 1990 p17). Cependant, la contestation du colonialisme se fait dans les deux romans d’une façon très violente et plus explicite. L’auteur offre une critique acerbe de la colonisation française en utilisant le roman comme une référence de la domination coloniale française en Afrique et de ses conséquences sur la société sénégalaise. Le héros Ommar Faye dès le début répond à la violence métropolitaine par le même style que dans les Bouts où la manifestation de la violence physique chez le noir, chez l’indigène est une volonté, bien réfléchie de mettre fin à son écrasement.
- Confrontation de deux mondes : colonialiste (blanc) et d’indigène (noir).
Afin de mieux décrire cette situation coloniale qui oppose ces personnages en deux groupes, répartit en deux clans antagonistes colon et colonisé, nous voyons que la richesse et les privilèges de l’un reposent sur l’asservissement et la pauvreté de l’autre. Ce qui caractérise la situation coloniale est le racisme et la haine qui condamnent la division de la société en hommes et en indigènes. C’est dans ce sens que Dejean le Directeur de l’administration coloniale veut « avoir le droit à l’autorité absolue sur des êtres dont la couleur de leur peau faisait non des subordonnés avec qui l’on peut discuter, mais des hommes d’une autre condition inférieure, vouée à l’obéissance sans conditions» (Sembene 1960 p274).
Sembène abhorre la préférence et le favoritisme qui renforce cette inégalité de droits entre l’homme Blanc et l’indigène Noir. Cette inégalité se manifeste dès les premières pages de son roman dans le fait que pour un même travail exécuté dans les mêmes conditions, le Blanc est mieux payé que le Noir «C’est nous qui faisans le boulot et c’est le même que celui des Blancs alors pourquoi ont-ils de droit de gagner plus? Par ce qu’ils sont des blancs» (Ibid. p24). Hic et nunc, apparait donc nettement cette notion de race. Ces ouvriers noirs sont méprisés, traités de sauvages par les Blancs, la race noire est considérée comme étant une race inférieure « vous insultez une nation, une race qui vaut cent fois la vôtre » (Ibid. p281), Ces cheminots noirs sont ainsi présentés dans les Bouts frustrés et privés de leurs droits au profit du capitalisme Métropolitaine, l’auteur dénonce et critique cette injustice de traiter les indigènes pour avoir le droit d’accès au soin. « Pourquoi sont-ils mieux soignés alors que nous et nos familles avons le droit de crever? Parce que nous sommes des Noirs. En quoi un enfant blanc est-il supérieur à un enfant noir? En quoi un ouvrier blanc est-il supérieur à un ouvrier noir? (Ibid. P24). Ce favoritisme blanc va jusqu’à permettre aux siens l’accès à de temps de repos par contre il les interdits aux ouvriers noirs. C’est ainsi qu’Isnard le collaborateur au Dakar-Niger dit à Doudou « va te faire blanchir et tu auras les 10 min de repos » (Ibid. p 234). La rémunération d’ouvriers noirs est si modérée et eux-mêmes sont si avilis et humiliés qu’il n’y a plus de différence entre eux et les bêtes « Il n’y a plus de différence entre les bêtes et nous tant nos salaires sont bas » (Ibid. p.24).
Comme nous avons cité supra, la confrontation entre deux groupes se révèle assez nettement dès notre 1ère lecture du roman tant elle est évidente: le groupe des représentants de l’administration coloniale, les toubabs et les blancs d’une part et les indigènes, les exploités et les opprimés d’autre part. Sembene expose ainsi une dégénérescence totale de l’homme noir dans son roman réaliste par ces colons, ces capitalistes qui exploitent impudents et inhumains les ouvriers en les montrant comme des mauvaises gens avec des tares et des vices, sembène atteint par ricochet le système colonial et raciste qui aliène et humilie les ouvriers en grève, ces indigènes frustrés de leurs droits, victimes du racisme et des privilèges du capitalisme. Le romancier oppose donc deux principes antinomiques du parfait et du mal : le parfait serait tout ce qui plaide en faveur de l’insurrection du progrès de la résistance, de la prise de conscience et le Mal au contraire serait destiné aux gens aisés qui s’allient à la direction métropolitaine ceux comme Bakayoko le héros principal des Bouts, définit comme étant des vrais esclaves « ce ne sont pas ceux qui sont pris par force, enchainés et vendus qui sont les vrais esclaves, ce sont ceux qui acceptent physiquement et moralement de l’être » (Ibid. p 45) Et ceux-ci sont bien des types représentés par le député maire, le chef religieux, les bourgeois et les commerçants, des types qui sont les véritables auteurs de la colonisation et les premiers responsables du sous développement du pays, ceux qui préfèrent trahir leurs frères de race et vendre leur pays au préjudice de l’homme Blanc.
En effet, le Mal dans les Bouts serait la présence métropolitaine avec tous ses alliés. Sembène nous montre ainsi que ces colons enfermés dans leurs bureaux ou dans leur « Vatican »[1] en train de discuter l’avenir de leur Afrique et d’envisager comment conserver le prestige de la vieille Afrique.
- Le colonialisme et le racisme dans o pays, mon beau peuple!
L’un des aspects les plus frappants du roman est la capacité d’Ousmane à brosser un tableau vivant de la vie du Sénégal à l’époque coloniale. Il décrit la pauvreté, l’oppression et l’exploitation auxquelles le peuple sénégalais était confronté sous la domination française. Il aborde les questions complexes entourant le colonialisme et son impact sur les sociétés africaines. À travers ses œuvres, Ousmane critique le système colonial français en Afrique et expose ses injustices, notamment en ce qui concerne l’exploitation de la main-d’œuvre et les ressources africaines.
Dans mon pays, mon beau peuple Sembène traite exactement la même thématique de la critique mais d’une façon moins dynamique que celle illustrée dans les Bouts à savoir le colonialisme, capitaliste et le racisme, seulement là où réside la différence c’est que dans les Bouts c’est toute une collectivité représentant d’ailleurs la grande majorité de la population noire qui s’insurge contre la présence métropolitaine alors que dans O mon pays, Sembène décrit plutôt un combat individuel d’un jeune casamançais aux prises avec les forces coloniales.
Omar Faye, le héros principal de l’œuvre est bien solitaire dans son combat, combat à la fois contre les représentants de la métropolitaine et contre les siens et contre la tradition, décide alors, de créer une coopérative pour concurrencer les capitalistes. Ce dernier, nous le trouvons assassiné dans la forêt. Son essai de changement a été aboli brusquement. « Nous avons trop d’habitude du vieux noir que nos activités laissaient indifférent. Ces vieux sont en voie de disparition, c’est cela que vous devez comprendre. Il ne suffit plus de dicter des lois, qui d’ailleurs ne sont pas des lois ». (Sembene 1990, p 155).
Cette lutte individuelle à la différence de la lutte en masse exprimée dans les bouts sera plus ou moins destinée à l’échec, par contre celle des cheminots du Dakar-Niger atteint son but justement par ce qu’elle est collective et solidaire. En effet, il s’agit bien de la révolte personnelle car le protagoniste se trouve seul face aux tares du colonialisme et du racisme qui se marre à la vue d’un nègre :
Quand un Noir leur parle ils battent des cils comme si les mots leur tombaient du firmament. Dans la salle de spectacles. Il y en a qui changent de place car la présence d’un sac de charbon les compromet…et c’est pareil dans le bus ou dans le métro. (Ibid. p 87).
Le romancier dénonce donc, le racisme et la discrimination qui ont été imposés aux Africains par les colons français. Sembene utilise son personnage pour illustrer les préjugés que les Africains ont dû subir en raison de leur couleur de peau. L’homme noir est confronté à des attitudes racistes et paternalistes de la part des Français, qui le considèrent comme inférieur en raison de sa race. Pour Césaire, dit Senghor, « le Blanc symbolise le capital, comme le nègre le travail», (Fanon, Frantz 1952 p107), cela exprime les injustices du système colonial et met l’accent sur la résilience des peuples africains dans leur lutte pour la liberté et l’égalité.
Conclusion,
Ousmane Sembene est l’un des rares écrivains sénégalais qui transmit le mieux la réalité pauvre de son pays ainsi que le problème africain. Il se montre le défenseur des opprimés et des ouvriers. Les thèmes abordés dans ses œuvres traitent de la situation socioéconomique. Ousmane peint la réalité de son pays parce qu’il veut faire de son roman une œuvre engagée, assignée et destinée aux peuples pour les informer de leurs réalités et de les placer devant une situation réelle afin de connaître leur vécu avec un style réaliste. Les deux romans cités abordent le même thème dans un milieu différent : l’un dans un espace rural et l’autre dans un espace urbain qui ont, par conséquent, le même sort de l’exploitation de l’homme africain, par le colon français.
En effet, ses œuvres traduisent un cri de violence sismique. C’est un rejet de l’élément négatif qui serait ici le colonialisme, le capitalisme et le racisme. La critique d’Ousmane met surtout en lumière la résistance des Africains au colonialisme. À travers ses personnages, il montre que les Africains ne sont pas des victimes passives du colonialisme, mais plutôt des agents actifs du changement qui luttent pour leurs droits et leur liberté. Il vise aussi à réveiller les consciences et à inciter les Africains à prendre en main leur destinée.
Bibliogtaphie :
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[1] Le quartier des Blancs s’appelle le Vatican. Là on trouve l’électricité l’hôpital et des belles maisons.