Research studies

The Recognition of the Cultural and Historical Values of the Landscape in Tunisia: A New Stage in the Preservation of Cultural Heritage

La Reconnaissance des valeurs culturelles et historiques du paysage en Tu- nisie: Une nouvelle étape en matière de préservation du patrimoine culturel

 

Prepared by the researcher  :   Hend Ben Mahfoudh Université de Carthage. Institut Supérieur des Technologies de l’Environnement, de l’Urbanisme et du Bâtiment- Tunis, Tunisie

Democratic Arab Center

Journal of Urban and Territorial Planning : Ninth Issue – September 2021

A Periodical International Journal published by the “Democratic Arab Center” Germany – Berlin

Nationales ISSN-Zentrum für Deutschland
ISSN (Online) 2698-6159
ISSN   (Print)  2699-2604 
Journal of Urban and Territorial Planning

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Résumé

Depuis l’adoption de la convention pour la protection du patrimoine mondial en 1972, la notion de patrimoine n’a cessé de s’élargir tout en s’ouvrant à de nouvelles catégories. Après la période des inscriptions des sites archéologiques, des monuments et tissus historiques, des paysages naturels, voilà, qu’aujourd’hui, le Comité du patrimoine mondial se préoccupe des Paysages Culturels et des Paysages Urbains Historiques (PUH). Cette diversification des concepts et des pratiques de la con- servation révèle une prise de conscience de plus en plus grande de l’importance du paysage dans toutes ses acceptions. Elle montre également le rôle que peuvent jouer les différents États parties, et à travers eux les experts de l’UNESCO et les différentes institutions nationales et internationales dans la protection du patrimoine.
Cet article questionne la patrimonialisation du paysage dans le contexte tunisien, notamment à travers le double processus de la protection et de la sauvegarde des Paysages Culturels et des Paysages Urbains Historiques. L’hypothèse soutenue considère que ces deux étapes de patrimonialisation du paysage constituent des moments importants d’un processus global de protection du patrimoine cul- turel en Tunisie et qui s’inscrit dans la stratégie de patrimonialisation des biens culturels de l’UNESCO. La Protection des Paysages Urbains Historiques, au même titre que les Paysages Cul- turels, offre des opportunités pour répondre, non seulement aux problématiques identitaires, mais aussi aux différents enjeux du développement durable.

Abstract

Since the adoption of the Convention for the Protection of the World Cultural and Natural Heritage in 1972, the notion of heritage has continued to broaden while opening up to new categories. After the period of inscription of archaeological sites, historic monuments and fabrics, and natural landscapes, the World Heritage Committee is now concerned with Cultural Landscapes and Historic Urban Landscapes (HUL). This diversification of concepts and practices of conservation reveals a growing awareness of the importance of landscape in all its meanings. It also shows the role that the different States Parties, and through them the UNESCO experts and the different national and international institutions, can play in the protection of heritage.
This article questions the heritage of the landscape in the Tunisian context, in particular through the double process of the protection and safeguarding of Cultural Landscapes and Historic Urban Landscapes. The supported hypothesis considers that these two stages of landscape heritage are important moments of a global process of protection of cultural heritage in Tunisia, which is part of the UNESCO strategy of heritage of cultural goods. The protection of Historic Urban Landscapes, in the same way as Cultural Landscapes, offers opportunities to respond not only to identity issues, but also to the various challenges of sustainable development.

Introduction

Depuis la signature de la convention sur le patrimoine mondial de l’UNESCO en 1972, la notion de patrimoine n’a cessé d’évoluer et de s’élargir. À côté des textes fondamentaux de la convention du patrimoine mondial et des orientations devant guider sa mise en œuvre, d’autres textes : recomman- dations, chartes, mémorandum, etc. ont été mis en place. La Charte de Washington de 1987 pour la sauvegarde des villes historiques (ICOMOS, 1987), le mémorandum de Vienne de 2005 et plus ré- cemment la recommandation de Paris de 2011 ne sont que quelques exemples des textes normatifs ayant contribué à l’enrichissement de la convention de 1972 (Tableau1). Avec les Conférences HA- BITAT II et HABITAT III et l’Agenda 21, ils constituent, également, des instruments importants en relation avec la gestion du patrimoine mondial1. Ces instruments ont, en effet, contribué à l’élargis- sement du concept de patrimoine montrant, ainsi, une réelle conscience de la nécessité de prendre en compte le patrimoine dans toutes ses dimensions, en intégrant entre autres ses divers enjeux et défis. En 2011, l’adoption par la Conférence générale de l’UNESCO de la Recommandation sur les Pay- sages Urbains Historiques (PUH) montre que la théorie et la pratique de la conservation du patri- moine culturel continuent d’évoluer. L’élargissement du patrimoine culturel à une nouvelle catégorie de biens n’est pas une première. Après la reconnaissance du Patrimoine Urbain et du Paysage Natu- rel, les Paysages Culturels et les Paysages Urbains Historiques trouvent leur place dans les catégo- ries définies par le Comité du Patrimoine Mondial de l’UNESCO pour l’inscription des biens cultu- rels.
Mais la consécration d’une nouvelle catégorie n’est pas instantanée, elle suit un long processus de reconnaissance et se construit progressivement en rapport avec les évènements, les contextes et les opportunités. Ainsi, si la reconnaissance du patrimoine immatériel est officialisée par l’UNESCO en 20032, la genèse de cette catégorie spécifique du patrimoine culturel remonte aux années 90. L’ex- pression patrimoine culturel immatériel est officialisée en 1993, lors de la conférence internationale sur les nouvelles perspectives du programme du patrimoine immatériel de l’UNESCO.
De la même façon, la reconnaissance des Paysages Culturels, par le Comité du patrimoine mondial en 1992, a suivi un long processus marqué par des contextes favorables et des enjeux multiples ayant conduit à l’introduction de cette nouvelle catégorie dans les orientations devant guider la mise en œuvre de la convention pour le patrimoine mondial. La naissance de la catégorie des paysages cultu- rels en droit international a également eu un impact régional sur la gestion du patrimoine et du pay- sage, en partie, à travers l’adoption de la Convention européenne du paysage (Florence, 2000) et de la Charte de la Renaissance culturelle africaine (Khartoum, 2006).
En Tunisie, la politique du patrimoine est largement inspirée de celle de l’UNESCO et suit les mêmes étapes dans l’évolution du processus de patrimonialisation. Il existe, cependant, des différences en raison des contextes politiques et économiques spécifiques au pays. Alors que la catégorie « Paysages Urbains Historiques (PUH) »3 est très vite adoptée en Tunisie, la reconnaissance des Paysages Cul- turels (œuvre conjuguée de l’homme et de la nature) suit des temporalités différentes. Introduit dans les Orientations devant guider la mise en œuvre de la Convention pour le patrimoine mondial en 1992, le concept de paysage culturel a encore du mal à s’imposer en Tunisie et cela même si certains paysages inscrits sur la liste indicative du patrimoine mondial pourraient en faire partie. Néanmoins, par exemple, l’inscription de l’Oasis de Gabès en 2008 sur cette liste témoigne d’une reconnaissance lente et implicite de ce concept et par conséquent de la catégorie Paysages culturels.

1 Les Conférences HABITAT II et HABITAT III ont eu lieu successivement en 1996 (Istanbul-Turquie) et en 2016 (Quito-Equateur). L’Agenda 21 est un plan d’actions pour le XXIe siècle. Il a été adopté en 1992 lors du sommet de la Terre à Rio de Janeiro en juin 1992.
2 En 2003, les traditions et expressions vivantes héritées de nos ancêtres et transmises à nos descendants, comme les traditions orales, les arts du spectacle et les pratiques sociales, rituels et évènements festifs, les connaissances et pratiques concernant la nature et l’univers et les connaissances et le savoir-faire nécessaires à l’artisanat ont été reconnus comme patrimoine culturel immatériel.
3 Le concept de Paysage Urbain Historique est cité à l’occasion de l’inscription de la Médina de Sfax sur la liste indicative du patrimoine mondial en 2012 (un an après la mise en place de la recommandation de Paris portant sur les paysages urbains historiques (2011).

En s’appuyant sur le processus d’inscription de l’Oasis de Gabès, de l’île de Djerba et de la médina de Sfax sur la liste indicative du patrimoine mondial, ainsi que sur les politiques de préservation et de protection du patrimoine culturel et naturel en Tunisie, cet article questionne la patrimonialisation du paysage dans le contexte tunisien, à travers l’élargissement de la préservation du patrimoine cul- turel aux catégories Paysages Culturels et Paysages Urbains Historiques. L’hypothèse soutenue con- sidère que, le paysage constitue un facteur important de maintien de la diversité culturelle et des cultures locales, face à la mondialisation et au besoin de développer des liens interculturels. Le Pay- sage Urbain Historique, au même titre que le Paysage Culturel, offre des opportunités pour répondre non seulement aux problématiques identitaires, mais aussi aux enjeux du développement durable.
Deux parties seront développées. La première est consacrée aux aspects théoriques de la patrimonia- lisation du paysage. Elle s’intéresse plus spécifiquement aux concepts de Paysage Culturel et de Pay- sage Urbain Historique. La seconde partie traite, à travers trois études de cas, de la question du pro- cessus de patrimonialisation des paysages culturels et des Paysages Urbains Historiques en Tunisie. Son objectif est d’identifier les enjeux de ce processus et le rôle du paysage dans la stratégie actuelle du développement.

1. La patrimonialisation du paysage en Tunisie
Étudier le processus de patrimonialisation du paysage nécessite d’une part, de revenir aux origines et fondements des concepts de patrimoine, de patrimonialisation et de paysage et leurs histoires, essen- tiellement occidentales, et d’autre part, de rattacher ces concepts à leurs objets dans le contexte terri- torial et culturel tunisien. En effet, en Tunisie, comme partout dans le monde, les interventions portant sur le patrimoine et sur le paysage sont marquées par les acceptions liées à ces concepts, leurs évolu- tions, le sens qu’une société peut leur donner, mais aussi l’insertion de ces termes dans les politiques d’aménagement et leurs textes juridiques et réglementaires.
1.1. Approche théorique : Paysage, Patrimoine et Patrimonialisation
Le paysage qui à l’origine signifiait une partie d’un pays que la nature présente à un observateur, s’est avec le temps élargi pour englober les espaces transformés par l’Homme et en particulier les paysages urbains.
Le patrimoine4 désignait un bien immobilier puis des monuments historiques. Il s’est par la suite élargi pour inclure les espaces publics, les espaces verts et les paysages naturels.
Aujourd’hui, le patrimoine comprend les paysages naturels et culturels. Le paysage, quant à lui, peut porter une valeur patrimoniale en plus de ses dimensions esthétiques et écologiques.
Objet matériel ou immatériel, le patrimoine est également lié aux notions de bien, d’héritage et de valeur. Ainsi un bien est considéré patrimoine s’il présente des valeurs esthétiques, historiques, sym- boliques, scientifiques ou économiques.
Il semblerait donc logique de pouvoir reconnaître la valeur patrimoniale d’un paysage. Mais cette reconnaissance n’est pas automatique en raison du contexte culturel, de l’imprécision des concepts et de l’absence de définitions claires.
En Tunisie, la reconnaissance explicite de la valeur patrimoniale des paysages s’est révélée beaucoup plus tardivement que celle des éléments plus classiques du patrimoine (monuments et objets d’art). Depuis 1977, date de classement du premier parc national (Iles Zembra et Zembretta) au patrimoine national et jusqu’à la fin de la première décennie des années deux mille, tous les biens inscrits patri- moine naturel l’ont été sous l’intitulé de sites naturels. Le terme de paysage naturel, même s’il était devenu familier, n’apparaît pas dans les textes juridiques relatifs aux inscriptions au titre de patri- moine. Cette exclusion pourrait trouver une réponse dans le fait qu’il s’agit d’un terme français, qui jusqu’à ce jour, n’a pas de traduction équivalente en arabe.

4 Le concept de patrimoine désignant à l’origine un bien hérité de la famille (MOHEN, 1999) n’a cessé de se développer sous le double effet de l’évolution juridique et idéologique. De son acception juridico-économique, il en est venu à dési- gner l’ensemble des biens d’ordre culturels et/ou naturels hérités du passé (Mohen, 1999). Les paysages crées et organisés par l’Homme sont considérés comme paysage culturels et font partie du patrimoine culturel. En revanche, les paysages vierges de toute intervention humaine sont considérés comme paysages naturels et font partie du patrimoine naturel (MERLIN&CHOAY, 2000).

Cependant, l’absence d’un concept équivalent en langue arabe n’a pas empêché les Tunisiens de s’y intéresser et de l’intégrer dans certains textes juridiques rédigés en français. C’est ainsi que le terme paysage se retrouve dans le Code de l’Urbanisme de 1986 ou le Code du Patrimoine de 1994.
Plus récemment, et même si le paysage n’a toujours pas été conceptualisé par la législation tunisienne, des paysages culturels et des paysages urbains historiques ont été proposés pour l’inscription au titre de patrimoine culturel. Cet intérêt pour ces nouvelles catégories du patrimoine culturel, bien que timide, témoigne de la mise en place d’étapes importantes dans le processus de patrimonialisation qui, comme pour les phases antérieures, sont étroitement liées à la politique de l’UNESCO et des institutions internationales dans le domaine du patrimoine.
1.2. La reconnaissance des valeurs patrimoniales du paysage
Une lecture chronologique des politiques publiques de la Tunisie, depuis le protectorat jusqu’à ce jour, montre un intérêt plus ou moins important pour les questions du paysage et du patrimoine. Mais alors que la protection du patrimoine dispose d’outils et instruments juridiques qui lui sont spéci- fiques, il n’en est pas de même pour ce qui est du paysage qui emprunte, très souvent, les outils et instruments qui lui sont proches. Il faudra attendre 1998, et la réponse des experts à l’appel d’offre du Ministère de l’Environnement portant sur l’inventaire des paysages naturels, pour voir un intérêt explicite pour le paysage en tant que concept, objet et bien porteur de valeurs patrimoniales. C’est, en effet, à partir de cette date que le processus de patrimonialisation du paysage prend son vrai sens. Il faudra, tout de même, attendre la fin de la décennie 2000-2010 pour voir des paysages candidats à l’inscription au titre de paysages naturels et culturels. Avec la reconnaissance des catégories de Pay- sages Culturels et de Paysages Urbains Historiques, le processus de patrimonialisation du paysage en Tunisie prend un tournant décisif. Enfin le paysage est reconnu comme concept et comme bien cul- turel. Le paysage n’est plus, uniquement, protégé pour sa dimension naturelle. On lui reconnaît enfin une dimension culturelle. Il n’est plus noyé dans des termes voisins, mais reconnu pour son identité propre. Par ailleurs, divers objets immatériels sont classés patrimoine ce qui ouvre également la voie à la reconnaissance des paysages-patrimoine5. Cette avancée significative dans le processus de patri- monialisation est liée à l’évolution « idéologique » de l’UNESCO en matière de préservation du pa- trimoine.
Tableau1. Principaux textes normatifs et orientations ayant contribué à l’évolution des idéologies en matière de conservation et de protection du patrimoine de 1933 à 2017
Dates Paysages Culturels Paysages Urbains Historiques Idéologie
1933 Chartes d’Athènes Politique moderne de la conserva- tion
1962 Recommandation concernant la sauvegarde de la beauté et du caractère des paysages et des sites (11 décembre 1962)

1964 Charte internationale pour la conser- vation et la restauration des monu- ments et des sites (UNESCO, Ve- nise 1964) :
Conservation Urbaine

1972
Convention de l’UNESCO concernant la protection du patrimoine mon- dial culturel et naturel (définissant clairement le patrimoine) Protection du Patrimoine Cultu- rel et Naturel (Internationalisation de la conser-
vation)

1976 Habitat I
Reconnaissance de l’importance des villes et de l’urbanisation
La « Recommandation de l’UNESCO concernant la sauve- garde des ensembles historiques ou traditionnels et leur rôle dans la vie contemporaine » 26 novembre 1976
Sauvegarde des ensembles histo- riques et traditionnels
1982 La Charte internationale des jar- dins historiques de l’ICOMOS- Conservation des Jardins histo- riques
5 Le paysage étant en effet, considéré à la fois comme un objet matériel et immatériel.

IFLA (Charte de Florence,
1982)

1987 La Charte internationale pour la sau- vegarde des villes historiques de l’ICOMOS (Charte de Washington,
1987)
Planification et protection des zones urbaines historiques

1992 Adoption de la politique de Développement Durable (Agenda 21)
Reconnaissance officielle des
paysages culturels Début de la période de Globalisa-
tion

1994 Charte d’Aalborg adoptée par les participants à la conférence euro- péenne sur les villes durables
Danemark 27 mai 1994
Le Document de Nara sur l’authenticité (1994)

1996 Habitat II : La Conférence souligne l’importance du développement durable
Et
L’Agenda 21 ratifié par les États membres à Istanbul (Turquie) en juin 1996
2000 Convention européenne du paysage

2003 Convention pour la sauve- garde du patrimoine culturel immatériel (Paris, le 17 oc- tobre 2003)6 Décision d’organiser une conférence sur le Patrimoine mondial et l’ar- chitecture contemporaine : ges- tion du paysage urbain historique
(UNESCO 2003)7

2005 Convention UNESCO pour la protection et promotion de la di- versité des expressions cultu-
relles (Paris) Mémorandum de Vienne : Adoption de la déclaration sur les paysages ur- bains historiques (octobre 2011)

2008
Charte ICOMOS (ENAME) pour l’interprétation des sites patrimo- niaux L’interprétation des sites patrimo- niaux met en lumière la relation plus large des sites avec leur con- texte et leur environnement social,
culturel, historique et naturel.
2010 Charte de l’ICOMOS (Nouvelle-Zé-
lande) Conservation des lieux de valeur
patrimoniale culturelle

2011 Recommandation de l’UNESCO concernant les Paysages Urbains Historiques (Paris-10 novembre
2011)
Paysages Urbains Historiques

2016 Habitat III (UN Habitat)
Conférence des Nations Unies sur le logement et le développement urbain durable
(Quito-Equateur du 17 au 20 octobre 2016)

2017 Principes ICOMOS-IFLA con- cernant les paysages ruraux comme patrimoine Document ICOMOS-IFLA sur les parcs publics urbains historiques Reconnaissance de la valeur patri- moniale des paysages ruraux et de la valeur patrimoniale des parcs
publics urbains historiques
©: Hend Ben Mahfoudh-2021

2. Dimensions et enjeux des concepts de Paysage Culturel et du Paysage Urbain Historique
Longtemps rattaché à l’environnement et à l’aménagement du territoire, le paysage serait aujourd’hui, enfin considéré comme un patrimoine culturel que la Tunisie essaye de préserver et de valoriser8. L’élargissement du patrimoine culturel aux paysages a pour fondement la Convention mondiale pour la protection du patrimoine naturel et culturel de l’UNESCO. Depuis 1992, deux nouveaux concepts

7 Mémorandum de Vienne sur le Patrimoine mondial et l’architecture contemporaine : gestion du paysage urbain histo- rique et décision 29 COM 5D. Paris, 23 septembre 2005.
8 Même si le paysage ne fait pas encore l’objet d’une définition claire dans les textes juridiques tunisiens et n’est pas l’objet d’une politique spécifique et qu’il ne soit pas intégré au même titre que le patrimoine ou l’environnement dans le droit constitutionnel de la Tunisie et dans les axes de l’ODD, il fait l’objet de tentatives d’inscription au titre de patrimoine culturel.

permettant de concilier le patrimoine, la nature et la culture, sont venus enrichir autant les théories du paysage que celles du patrimoine.
Le premier est celui de Paysage Culturel. Au sens de la Convention mondiale sur le patrimoine cul- turel et naturel de l’UNESCO, il est représentatif d’une région du monde. Il est défini comme « des œuvres conjuguées de l’être humain et de la nature », qui « expriment une longue et intime relation des peuples avec leur environnement ».
Le deuxième concept est celui de Paysage Urbain Historique (PUH). La Recommandation concer- nant le Patrimoine Urbain Historique l’attache au territoire et le conçoit comme la résultante d’une stratification historique de valeurs et d’attributs culturels et naturels (UNESCO, 2011). Ce dernier concept dépasse les notions de centre historique et d’ensemble historique pour inclure un contexte urbain plus large ainsi que son environnement géographique. Fabrication du temps, inscrite par l’homme sur un territoire et résultant d’un site et d’une conjoncture historique, économique, socio- culturelle et politique (DONADIEU, 2007), le paysage est à la fois un environnement historique et culturel (DRURY, 2002). Il constitue le fondement de l’identité́ culturelle, et en ce sens, est un patri- moine susceptible de porter des valeurs universelles.
En Tunisie, le patrimoine-paysage a connu une évolution progressive marquée par les politiques na- tionales (économiques, sociales, environnementales, et culturelles), et par le rôle des institutions in- ternationales en charge de la conservation et de la protection du patrimoine. Ces politiques ont eu, à chaque fois, un impact direct aussi bien sur la gestion du patrimoine que sur l’appropriation de nou- veaux concepts et idéologies diffusés et adoptés par les institutions internationales.
2.1. Les Paysages Culturels
À la suite de la révision des “Orientations devant guider la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial”, en 1992, le concept de paysage culturel est apparu dans le but de créer un nouveau cadre pour l’inscription des biens qui n’étaient ni purement naturels ni purement culturels. Depuis 1993, date de la première inscription sous cette catégorie, 119 biens sont inscrits au titre de paysages culturels9 dont 14 se trouvent en Afrique et 4 dans des pays arabes (Palestine, Syrie, Liban et le dernier en Arabie Saoudite en 2018). Aucun paysage culturel des pays du Maghreb n’est inscrit sur la liste définitive.
L’ensemble des paysages culturels sont classés, par l’UNESCO, en trois types :
– Les paysages clairement définis, conçus et créés intentionnellement par l’homme (comme les jardins historiques),
– Les paysages culturels évolutifs résultent d’une exigence à l’origine sociale, économique, adminis- trative et/ou religieuse et atteignent leur forme actuelle par association et en réponse à leur environ- nement naturel. Ils peuvent être reliques (fossiles) ou vivants (comme les paysages agricoles).
– Et les paysages associatifs qui reflètent la force d’association de phénomènes religieux, artistiques ou culturels à un élément naturel (comme la montagne Sainte-Victoire en France).
Cette typologie permet de reconnaitre la dimension culturelle des paysages ruraux et des paysages urbains. Pourtant, l’idée de paysage culturel 10 est souvent limitée aux paysages ruraux ou ne

9 Le nombre total de biens inscrits dans le monde est aujourd’hui de 1121 dont 869 culturels en Europe et Amérique du Nord, 96 en Afrique et 86 dans les pays arabes.
10 Les critères de sélection d’un paysage culturel renvoient à ceux qui s’appliquent aux biens culturels10 (P.M. Tricaud, 2010) :« – Critère (i) : représenter un chef-d’œuvre du génie créateur humain ;
– Critère 2 (ii) : témoigner d’un échange d’influences considérable pendant une période donnée ou dans une aire culturelle
déterminée, sur le développement de l’architecture ou de la technologie, des arts monumentaux, de la planification des villes ou de la création de paysages ;
– Critère (iii) : apporter un témoignage unique ou du moins exceptionnel sur une tradition culturelle ou une civilisation vivante ou disparue ;
– Critère (iv) : offrir un exemple éminent d’un type de construction ou d’ensemble architectural ou technologique ou de paysage illustrant une ou des périodes significative(s) de l’histoire humaine ;
– Critère (v) : être un exemple éminent d’établissement humain traditionnel, de l’utilisation traditionnelle du territoire ou de la mer, qui soit représentatif d’une culture (ou de cultures), ou de l’interaction humaine avec l’environnement, spécia- lement quand celui-ci est devenu vulnérable sous l’impact d’une mutation irréversible ;

concerne dans, le meilleur des cas, que les parcs et jardins historiques dans les villes. Ce n’est qu’en 2011 et avec la naissance du concept de Paysage Urbain Historique, que la dimension culturelle du paysage urbain dans toutes ses acceptions est enfin reconnue.
2.2. Les Paysages Urbains Historiques (PUH)
La catégorie de « Paysage Urbain Historique » est formellement consacrée, suite à l’adoption de la Recommandation de l’UNESCO en 2011, même si le concept est apparu depuis 2003 dans les docu- ments de l’ICOMOS et de l’UNESCO. La Recommandation l’envisage dans les paragraphes 8, 9, et 10 en ces termes:« Le Paysage Urbain Historique s’entend du territoire urbain conçu comme la ré- sultante d’une stratification historique de valeurs et d’attributs culturels et naturels, dépassant les notions de « centre historique » ou d’« ensemble historique » pour inclure le contexte urbain plus large ainsi que son environnement géographique. Ce contexte plus large comprend notamment la topographie, la géomorphologie, l’hydrologie et les caractéristiques naturelles du site ; son environ- nement bâti, tant historique que contemporain ; ses infrastructures de surface et souterraines ; ses espaces verts et ses jardins ; ses plans d’occupation des sols et son organisation de l’espace ; les perceptions et les relations visuelles ; et tous les autres éléments constitutifs de la structure urbaine. Il englobe également les pratiques et valeurs sociales et culturelles, les processus économiques et les dimensions immatérielles du patrimoine en tant que vecteur de diversité et d’identité. » (UNESCO, 2011).
Alors que le degré d’intervention de l’Homme sur le paysage constitue le critère principal de classi- fication d’un paysage culturel, la classification d’un paysage urbain historique se base sur le rapport entre le paysage urbain, la composante culturelle et le patrimoine historique à travers les processus économiques, socio-culturels et environnementaux dans une perspective de développement durable. Cette approche centrée sur le paysage urbain historique s’inspire des traditions et conceptions des communautés locales tout en respectant les valeurs des communautés nationales et internationales. Elle considère, au demeurant, la diversité et la créativité culturelles comme des atouts pour le déve- loppement humain, social et économique. Elle offre, à ce titre, des outils pour gérer les transforma- tions physiques et sociales, de sorte que les interventions contemporaines s’intègrent au patrimoine de façon harmonieuse avec le cadre historique, tout en s’adaptant, bien entendu, aux contextes régio- naux (UNESCO, 2011).
Cette même approche intègre les objectifs de la conservation du patrimoine urbain à ceux du déve- loppement socioéconomique (UNESCO, 2011). Elle incite à préserver la qualité de l’environnement humain et renforce l’utilisation productive et durable des espaces urbains. Elle combine plusieurs facteurs comme la reconnaissance du caractère dynamique des paysages urbains historiques et la pro- motion de la diversité sociale et fonctionnelle de ces biens. Vecteur de diversité et d’identité, le Pay- sage Urbain Historique, par ses dimensions immatérielles, devient un enjeu incontournable de toute politique du patrimoine aspirant au développement durable11.

Au-delà de leurs différences et du contexte de leur création, les concepts de Paysages Culturels et Paysages Urbains Historiques constituent aussi des innovations majeures, non seulement dans le domaine du patrimoine, mais aussi dans ceux du paysage et de l’urbanisme. Cependant, le processus d’appropriation de ces deux concepts diffère entre les États parties du Nord et ceux du Sud en raison de leurs différences culturelles et contextuelles12. Un déphasage est également, très souvent, observé

– Critère (vi) : être directement ou matériellement associé à des événements ou des traditions vivantes, des idées, des croyances ou des œuvres artistiques et littéraires ayant une signification universelle exceptionnelle (Le Comité considère que ce critère doit préférablement être utilisé en conjonction avec d’autres critères) »
11 D’après le texte de la recommandation concernant le paysage urbain historique, le PUH, fournirait la base d’une ap- proche globale et intégrée pour l’identification, l’évaluation, la conservation et la gestion des paysages urbains historiques dans le cadre global du développement durable.
12 À titre d’exemple, avec 869 biens inscrits au titre de paysages culturels contre 96, l’Europe jouit d’un avantage certain sur l’Afrique. La Tunisie ne dispose donc jusqu’à ce jour d’aucun bien inscrit officiellement sur cette catégorie. En revanche, certains biens comme l’île de Djerba ou de l’Oasis de Gabès invoquent le paysage culturel dans leurs démarches d’inscription.

entre le moment où une catégorie apparaît dans les textes de la convention et le moment où elle bénéficie formellement de cette reconnaissance.
Les inscriptions de l’Oasis de Gabès, de l’Ile de Djerba et de la Médina de Sfax sur la liste indicative du patrimoine mondial de l’UNESCO sont à ce titre riches en enseignements.

Figure 1. Sfax, Gabès et Djerba – Situation et chiffres clés.

3. La patrimonialisation des Paysages Culturels et des Paysages Urbains Historiques : Études de cas
L’analyse d’un processus de patrimonialisation d’un bien, et la reconnaissance de sa valeur patrimo- niale, nécessite un repérage des indices de reconnaissance de cette valeur en rapport avec les diffé- rentes étapes du processus. La première étape est la reconnaissance sociale. La dernière est la recon- naissance juridique officielle qui est, dans le cas d’un bien candidat au titre de patrimoine mondial, son inscription sur la liste définitive du patrimoine naturel et culturel de l’UNESCO. L’étape inter- médiaire étant celle de l’inscription du bien sur la liste indicative. Cet article se limite aux deux pre- mières étapes, car à ce jour aucun des trois bien n’est officiellement inscrit sur la liste définitive du patrimoine mondial aux titres de paysages culturels et de paysages urbains historiques. Chaque cas sera étudié en fonction de ses caractéristiques propres, de son contexte temporel et territorial et des données disponibles.
Le cas de l’Oasis de Gabès présente un intérêt pour cet article du fait qu’il corresponde à un paysage culturel évolutif. La ville de Sfax a été clairement reconnue comme un Paysage Urbain Historique. L’île de Djerba représente à la fois un paysage culturel, mais aussi un territoire riche de ses paysages urbains et ruraux historiques. Son processus d’inscription sur la liste définitive est le plus avancé.
3.1. La protection du paysage culturel de l’Oasis de Gabès
L’Oasis de Gabès est une oasis balnéaire parmi les unités paysagères les plus remarquables de la ville. Avec les plages, la montagne et le désert, elle constitue un patrimoine pour la population et une at- traction pour le touriste. Cependant, en raison du développement de l’activité industrielle, et notam- ment des industries chimiques, ce paysage subit, depuis plusieurs années, une dégradation de son environnement. En plus de la pollution, cette oasis est également confrontée à la surexploitation des ressources en eau, la salinisation des sols, la perte de la biodiversité et l’urbanisation anarchique. Ces problèmes ont eu un impact négatif aussi bien sur le plan économique que social (Ministère de l’En- vironnement, 2012)13.

13https://www.scribd.com/document/360660543/Les-oasis-de-Tunisie-a-prote-ger-contre-le-changement-climatique

Pour protéger l’Oasis de Gabès et valoriser son rôle environnemental, économique, social et patrimo- nial, les autorités tunisiennes ont proposé, en 2008, son inscription sur la liste indicative du patrimoine mondial. Cette inscription14 repose sur la définition de la valeur exceptionnelle de ce bien.
Son caractère exceptionnel tient au fait qu’elle soit l’unique oasis littorale de la méditerranée et l’un des derniers exemples d’oasis de ce type dans le monde.
La brève description présentant ce bien souligne la pertinence et l’ingéniosité du système de cultures en étages et l’utilisation raisonnée du système de partage des eaux qui ont permis depuis des siècles de favoriser l’émergence d’espaces relativement grands de végétation luxuriante dans des régions arides qui ont fixé les populations aux alentours.
Bien qu’inscrite sous la catégorie patrimoine mixte, l’Oasis de Gabès aurait pu faire l’objet d’une inscription au titre de paysage culturel en se basant sur le critère (v) portant sur l’interaction humaine avec son environnement15. La brève description du bien souligne le caractère exceptionnel de ce pay- sage intimement lié à l’action de l’homme ce qui est la définition du critère (v). Cependant, le Comité du patrimoine mondial a choisi trois autres critères. Le critère (iv) qui renvoie à son importance dans l’histoire humaine, le critère (vii) qui invoque l’importance esthétique exceptionnelle et le critère
(x) qui porte sur la conservation in situ de la diversité biologique.
La brève description de l’Oasis de Gabès, telle qu’elle apparaît sur le site web de l’UNESCO, souligne le rôle important de l’agriculture en tant qu’activité pouvant contribuer au développement durable de la ville de Gabès et de sa région16. Alors que pendant des décennies le pouvoir public a choisi de développer l’industrie au point d’occulter l’agriculture ou même de la gêner par les diverses pollu- tions, avec la proposition d’inscription de l’Oasis sur la liste du patrimoine mondial, il semblerait que la Tunisie reprend conscience de l’importance du paysage et de la nécessité de le protéger pour sa valeur esthétique, mais aussi et surtout pour son rôle dans le développement économique, social et environnemental. Ainsi, pour la gestion future de l’oasis, et la conservation de la richesse biologique, et l’optimisation des différents types d’usages (agriculture, irrigation, pêche, tourisme, etc.)17, un plan de gestion intégrée des zones côtières (GIZC) est adopté. Ce plan de gestion définira un modèle de développement durable et les modalités de protection, d’utilisation et de gestion du site.
En plus de la valorisation de l’agriculture et des ressources halieutiques, la protection de l’Oasis de Gabès a également pour objectif de développer le tourisme écologique. En témoignent la charte na- tionale pour la conservation dynamique et le développement des oasis historiques de Tunisie de fé- vrier 201318 et le projet de stratégie de préservation et de développement de l’Oasis de Gabès.

14 Cette inscription est suivie, en 2012, par la mise en place d’une stratégie pour la protection des oasis tunisiennes contre le changement climatique. Cette stratégie repose sur trois axes principaux : La sauvegarde et l’amélioration des écosys- tèmes oasiens et une meilleure intégration des zones oasiennes avec leur environnement, un développement durable des oasis dans le cadre d’une gouvernance environnementale locale et une gestion décentralisée des ressources naturelles.
15 Le critère (v) est très souvent utilisé pour justifier de l’inscription d’un paysage culturel évolutif
(Être un exemple éminent d’établissement humain traditionnel, de l’utilisation traditionnelle du territoire ou de la mer, qui soit représentatif d’une culture (ou de cultures), ou de l’interaction humaine avec l’environnement, spécialement quand celui-ci est devenu vulnérable sous l’impact d’une mutation irréversible);
16 Dans le texte de description de l’Oasis de Gabès il est énoncé que : « L’agriculture, en effet, était un sous-système complexe qui ne pouvait être dissocié de la ville et de sa région. Elle était une activité traditionnelle très riche et très variée, intégrant à la fois l’élevage et les cultures, les cultures arbustives et les cultures au sol, les cultures vivrières et les cultures industrielles et, enfin, les cultures spéculatives et les cultures d’autoconsommation. Le lien entre l’agriculture oasienne et la ville était d’autant plus étroit qu’il a permis l’emploi d’une fraction importante de la population occupée, et favorisé l’émergence et le développement de beaucoup d’autres activités (commerce de fruits et légumes frais, com- merce de légumes déchets et des céréales, commerce de la luzerne et des fourrages secs, commerce du henné, commerces des semences et des engrais, artisanat de la sparterie et de la vannerie, forge et menuiserie traditionnelles, etc.)”.
17 Dans le cadre du Projet GEF/Banque Mondiale « Protection des ressources marines et côtières du Golfe de Gabès ». 18 La Charte a pour objectif d’intégrer le patrimoine naturel oasien dans une stratégie de développement durable à travers notamment la promotion du tourisme écologique, la protection des terres agricoles, l’encouragement de l’investissement privé, le renforcement de la coopération internationale et la lutte contre la pollution et l’amélioration des conditions de vie ainsi que la préservation du patrimoine naturel et culturel.

3.2. La protection du Paysage Culturel de l’Ile de Djerba
Située au sud du Golfe de Gabès et à l’est de la côte orientale tunisienne, Djerba est une île de la mer Méditerranée célèbre pour ses palmeraies, ses paysages ruraux singuliers, ses vergers et ses beaux villages à la blancheur captivante. Célèbre, depuis les années soixante-dix, pour son activité touris- tique, Djerba est également une destination de pèlerinage prisée par les communautés juives de d’Eu- rope et d’Afrique du Nord.
Caractérisée par son histoire démographique riche, l’île de Djerba a toujours constitué une terre d’ac- cueil pour diverses communautés19. Ile refuge, elle a également été une terre d’émigration20. Juifs et musulmans ont quitté Djerba pour aller s’installer au Nord de la Tunisie ou à l’étranger et plus parti- culièrement en Europe et en France21. Les départs ont engendré des dégradations multiples (terres agricoles abandonnées, dégradation de l’environnement bâti, désertification, etc.). Avec la promotion des investissements dans le secteur touristique ces dégradations se sont accentuées entrainant, au milieu des années soixante-dix, une prise de conscience de la nécessité de sauvegarder l’architecture et l’environnement de l’île. C’est ainsi qu’en 1976, l’association de sauvegarde de Djerba (ASSIDJE) est née. À partir des années quatre-vingt, de nombreux travaux de restauration et de valorisation du patrimoine de l’île sont engagés. En 1994 s’engagent les premières tentatives pour inscrire l’île de Djerba sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. En 2012, une série de sites et de monuments sont inscrits au patrimoine national et l’île de Djerba est inscrite sur la liste indicative du patrimoine mondial de l’UNESCO. En 2019, le Comité National du Patrimoine classe douze nouveaux monu- ments historiques. La demande d’inscription au titre de patrimoine mondial est alors modifiée. Ce n’est plus l’ensemble de l’île qui candidate à l’inscription au titre de patrimoine mondial, mais d’un bien en série regroupant cinq sites ruraux, deux sites urbains (La Hara Sghira et le centre ancien de Houmt Souk), 21 mosquées, la synagogue de la Ghriba et une église chrétienne orthodoxe (Ministère des Affaires Culturelles, 2021). Le 27 janvier 2020, le dossier de candidature de l’île de Djerba est enfin déposé officiellement sous l’intitulé « Djerba, Témoignage d’une île-jardin au système urbain éclaté et refuge de minorités ».
Le processus d’inscription de l’île de Djerba sur la liste du patrimoine mondial révèle à la fois des enjeux économiques, environnementaux et sociaux liés au développement local durable, mais aussi un enjeu politique à portée globale ou internationale.
– Sur le plan économique : l’inscription a pour objectif de protéger et de valoriser un exemple d’utilisation « traditionnelle » et durable de l’espace insulaire, issue d’une interaction entre l’Homme et son environnement. La brève description de ce bien invoque les modes d’occu- pation du sol de l’île de Djerba et un habitat dispersé typique illustrant une grande capacité d’adaptation de l’homme à son milieu naturel.
– Sur le plan environnemental : l’inscription en série a pour objectif de retrouver un équilibre entre zones urbaines et zones rurales dont la structure a été bouleversée, depuis les années soixante-dix, en raison du développement massif de l’activité touristique.
– Sur le plan politique : l’inscription de l’île, vient dix ans après les attentats de la synagogue de la Ghriba. Elle apparaît comme un acte symbolique de paix et de réconciliation des diverses communautés ayant longtemps cohabité sur ce territoire et comme un message fort contre les idéologies extrémistes. Décrite comme un refuge pour les minorités, cette île-jardin est au- jourd’hui, au cœur d’un processus de réappropriation territorial et identitaire (JARRASSÉ,

19 Décrite comme un territoire où régnait l’harmonie entre les diverses communautés (musulmane, juive et catholique) vivant dans le respect mutuel des différences religieuses et culturelles, Djerba a pourtant connu le long de son histoire, différentes invasions et luttes pour le territoire (Delmas, 1952).
20 Depuis la naissance de l’État juif sur les territoires palestiniens en 1948 et l’indépendance de la Tunisie en 1956, plusieurs vagues d’émigrations ont été observées et ont touché plus particulièrement la communauté juive.
21 Les vagues d’émigration les plus connues sont celles qui ont touché essentiellement la communauté juive. Alors qu’en 1946, cette communauté comptait 4300 personnes, aujourd’hui, elle ne compte plus que 700 personnes. Néanmoins, la communauté musulmane a toujours émigré aussi et depuis la révolution, elle est également touchée par le phénomène d’immigration clandestine.

2019)22. Cependant, le bien en série proposé à l’inscription au titre de patrimoine mondial comporte beaucoup plus de mosquées que de lieux saints juifs ou chrétiens.
– Sur le plan socioculturel : l’inscription de l’île de Djerba est une reconnaissance des identités multiples de l’île, qui depuis toujours, participent de la richesse de ce territoire. Les percep- tions et les représentations du paysage et du patrimoine par les différentes communautés et par conséquent une reconnaissance sociale de la valeur patrimoniale a certainement une in- fluence sur la reconnaissance juridique de ce patrimoine (Ben Mahfoudh, 2006).
Ainsi, la candidature de l’île de Djerba au titre de patrimoine mondial témoigne de l’attachement des Tunisiens, dans leur diversité, à leur patrimoine, mais aussi l’impact d’une idéologie mondiale portant sur la conservation et la préservation des identités culturelles et religieuses. En protégeant l’île de Djerba, c’est à la fois l’expression de la protection du patrimoine et du paysage porteur de valeurs historiques, mémorielles, symboliques et culturelles par les autorités tunisiennes ; mais également, une reconnaissance hautement symbolique de l’UNESCO dont l’implication dans la protection des droits et intérêts des minorités ethniques et religieuses et plus particulièrement des communautés juives ne sont plus à démontrer. L’inscription de l’île de Djerba devait permettre à la Synagogue de la Ghriba et, au même titre que l’île, de devenir un patrimoine universel et donc de ne plus appartenir uniquement à la Tunisie, mais d’appartenir à l’ensemble des pays et des communautés de la planète. Le choix de 2019 de modifier la demande de candidature de l’île de Djerba au profit d’un bien en série privilégiant essentiellement les mosquées devrait permettre de rétablir l’équilibre et de recons- truire l’identité Djerbienne en s’appuyant sur des référents arabo-musulmans. Réconciliation entre les diverses communautés et réappropriation de ce territoire par les autorités tunisiennes, tels sont les enjeux de cette inscription.
En dehors des significations culturelles et politiques, cette action porte également une signification conceptuelle. Même si Djerba est décrite comme une île-Jardin, cette candidature privilégie le patri- moine architectural au détriment du paysage culturel. Sur l’ensemble des trente biens23 proposés à l’inscription, 23 sont des monuments religieux. Ce bien en série ignore également les aspects imma- tériels. Il est Considéré comme seulement un patrimoine matériel24.
À la fois patrimoine culturel, mais aussi matériel et immatériel, l’île de Djerba est aussi dotée de paysages urbains et de paysages ruraux historiques exceptionnels. Son patrimoine culturel et naturel exceptionnel, au même titre que son patrimoine immatériel, se doit d’être préservé. Plusieurs possi- bilités s’offrent à l’État tunisien, pour faire le meilleur choix quant à la catégorie la plus pertinente.
3.3. La protection du Paysage Urbain Historique de la ville de Sfax
Fondée en 849 après JC sur les ruines de Roman Taparura, la ville de Sfax est la capitale du Sud et la deuxième ville du pays. Cité commerciale et industrielle, elle est également connue pour son grand port de pêche et pour son activité agricole. Le paysage de la ville de Sfax est marqué par la géométrie de ses oliveraies dont certaines datent du XVIIIᵉ siècle et par sa majestueuse médina entourée de murs d’enceinte et dont la conservation est exceptionnelle.

22 Dominique Jarrassé conteste des appropriations indues. En analysant les conditions et les enjeux de l’inscription de la synagogue de la Ghriba, elle montre que le processus de patrimonialisation de ce bien révèle une démarche ambiguë. Au lieu d’intégrer les richesses architecturales et culturelles exceptionnelles du judaïsme djerbien, cette inscription trans- forme ce monument en un lieu saint hybride partagé entre les communautés juives et musulmanes et transforme, au nom de la protection du patrimoine, l’essence même de ce bien.
23 L’île de Djerba a été inscrite sous les critères (v) et (vi), et décrite comme l’exemple même d’un Paysage Culturel tel qu’il est défini par la Convention du patrimoine mondial culturel et naturel (critère (v)). L’île de Djerba est également implicitement considérée comme un patrimoine matériel23 et immatériel même si, sur le plan officiel, les experts tunisiens ont choisi la catégorie patrimoine matériel culturel.
24 L’aspect matériel de ce bien est évoqué dans le critère (v) spécifiant que pour qu’un bien soit inscrit sous ce critère, il faudrait qu’il soit « un exemple éminent d’établissement humain traditionnel… ». Alors que l’immatérialité est évoquée par le critère (vi) qui dit que : « un bien directement ou matériellement associé à des événements ou des traditions vivantes, des idées, des croyances ou des œuvres artistiques et littéraires ayant une signification universelle exceptionnelle. »

Malgré les nombreuses atteintes à son environnement, la médina de Sfax a su conserver son tissu urbain25, ses remparts qui conservent leur tracé originel et qui sont classés monuments historiques depuis 1912, son patrimoine monumental religieux (mosquées et zaouïas) et ses souks.
Depuis les années soixante-dix, la médina est touchée par un phénomène caractérisé par le recul de la fonction résidentielle au profit des activités commerciales et de l’artisanat. Ces mutations affectent le bâti et la composition socio-spatiale. Plusieurs familles quittent la médina et s’installent dans des quartiers périphériques entrainant une mutation irréversible du noyau historique et une dégradation du bâti existant. La nécessité de mettre en place des mesures de protection de ce patrimoine com- mence à se faire sentir.
En 2012, la médina de Sfax est inscrite sur la liste indicative du patrimoine mondial. Elle justifie de son caractère exceptionnel par le fait qu’elle soit un port et une porte de l’Ifrikyia vers le Levant durant une longue période, et qu’elle représente, par sa fondation et son plan régulier, un exemple éminent de transfert sur les bords de la Méditerranée de la conception arabo-musulmane de l’urbanisme après son expérimentation pour la première fois avec la fondation de Koufa en Irak.
Son inscription se base sur les critères (ii), (iv) et (v). Le premier renvoie à l’échange de valeurs26, le second à son importance dans l’histoire humaine27 et le troisième à l’interaction humaine avec son environnement (spécialement quand celui-ci est devenu vulnérable sous l’impact d’une mutation ir- réversible)28.
La démarche d’inscription de la médina de Sfax au titre de patrimoine mondial se base sur les enjeux et opportunités des Paysages Urbains Historiques tels qu’énoncés par la Recommandation de l’UNESCO29. Dans l’argument d’inscription, il est indiqué que « La ville de Sfax est un cas intéres- sant d’ensemble urbain qui a connu une évolution présentant la plupart des grands défis que pose l’urbanisation exponentielle des territoires depuis plus d’un siècle : démographie, développement économique, mutations socioculturelles, etc. L’intérêt de cette ville dépasse le périmètre de sa partie ancienne (la médina) pour concerner ses faubourgs et son territoire plus large, y compris la côte. La ville pourrait donc faire l’objet d’une application pratique de la Recommandation de l’UNESCO concernant le paysage urbain historique, qui apporterait plusieurs éléments de réflexion quant au territoire qui sera éventuellement proposé pour inscription au patrimoine mondial, mais également par rapport à sa gestion et son développement ».
Le choix de cette catégorie (PUH) a été confirmé en 2013 contribuant à la justification de la valeur universelle exceptionnelle et au renforcement du patrimoine moderne et contemporain dans les poli- tiques de développement.
Ainsi, et comme pour les cas de Gabès et de Djerba, le processus d’inscription de la médina de Sfax semble lié, d’une part, à l’impact de la politique des institutions internationales (ICOMOS et UNESCO) sur la gestion du patrimoine en Tunisie et d’autre part, à l’impact du contexte historique, politique et économique national sur la gestion du patrimoine en Tunisie entre 2000 en 2010 (Figure 2).

25 Le tissu urbain comprend aussi bien le tissu médina que le tissu colonial français.
26 « La médina de Sfax rappelle par son tissu régulier, l’urbanisme arabo-musulman naissant et présente le plus ortho- gonal des plans de médinas maghrébines. La position centrale de la grande mosquée fait d’elle pratiquement l’unique ville qui rappelle l’urbanisme de Koufa, première cité arabo-musulmane.”
27 “La médina de Sfax est l’exemple le plus représentatif et le mieux conservé dans tout le bassin méditerranéen de l’ur- banisme arabo-islamique tel qu’il a été défini à ses débuts.”
28 “Médina atypique, Sfax s’inscrit aujourd’hui dans un contexte socio-économique en profonde mutation. Le développe- ment économique rapide des dernières décennies a profondément modifié les besoins des Sfaxiens en termes de logement, de confort et de salubrité.”
29 Le texte de la recommandation stipule que dans de nombreuses régions du monde, les établissements urbains et leurs territoires historiques sont devenus des centres et des moteurs de la croissance économique et ont assumé un nouveau rôle dans la vie culturelle et sociale ce qui a provoqué de nouvelles pressions sur ces territoires. Ces pressions renvoient aux phénomènes d’urbanisation et de mondialisation et en conséquence à la question de l’identité, au problème de dévelop- pement et son corolaire la croissance économique et aux questions environnementales et par conséquent aux trois prin- cipes du développement durable.

Pendant les années 2000, la politique de la Tunisie est affectée par le processus de mondialisation qui impose une économie libre basée sur l’encouragement de l’investissement étranger30 ce qui conduit à la politique de marketing territorial et en parallèle, et paradoxalement, à la standardisation des pay- sages résultat de la mondialisation, une résurgence des questions identitaires qui ne tardera pas à se refléter dans la politique du patrimoine (Ben Mahfoudh, 2006).
Profitant du texte de la Recommandation de 2011 de Paris sur les Paysages Urbains Historiques, l’inscription de la médina de Sfax, peut être considérée comme une « opportunité » pour s’opposer aux dégradations du bâti et des tissus urbains (médina et ville européenne) particulièrement intenses après la révolution de 2011 et aux diverses atteintes à l’environnement, qu’elle continue de subir depuis l’indépendance.
De même, la protection du paysage urbain historique de la ville de Sfax apparaît comme une volonté, de la part de la population Sfaxienne, de renouer avec la prospérité des traditions socio-économiques et culturelles qui ont marqué ce territoire à travers les civilisations.
Contrairement, à l’île de Djerba, l’inscription de la médina de Sfax n’a pas de portée politique liée à un pouvoir global. Ce sont les Sfaxiens qui se mobilisent pour la protection de leur ville et à leur tête l’association de sauvegarde de la médina de Sfax.
Dans les années soixante-dix, les autorités tunisiennes se sont préoccupées de la protection de la médina de Tunis en tant que tissu ancien montrant un retour vers la culture arabo-musulmane sans abandonner l’intérêt pour les sites et monuments archéologiques datant des époques puniques et ro- maines. Aujourd’hui avec l’inscription sur la liste indicative de la Médina de Sfax au titre de patri- moine mondial de l’UNESCO, la protection du patrimoine ne se limite plus à « La préservation des biens archéologiques, des monuments historiques, des sites naturels et urbains situés dans les villes et les zones rurales et ceci, dans le but de la sauvegarde de son patrimoine civilisationnel et culturel ainsi que la beauté de ses paysages hérités des générations qui se sont succédées dans le pays »31 telle que spécifiée par le Code du Patrimoine de 1994. Elle ne se limite plus aux objets matériels, elle englobe aussi les éléments immatériels.
De la même façon, la patrimonialisation des paysages ne se limite plus aux sites naturels, telle que définie par le code de l’urbanisme de 1986, elle s’étend à d’autres acceptions du paysage y compris celle des Paysages Urbains Historiques et des Paysages Culturels.
Par ailleurs, divers objets immatériels sont classés patrimoine ce qui ouvre également la voie à la reconnaissance des paysages-patrimoine. Le paysage étant, en effet, considéré à la fois comme un objet matériel et immatériel.

30 Cette politique engendre la déstructuration du tissu économique due à l’encouragement de certains secteurs (par des privilèges fiscaux) et la fragilisation d’autres.
31 Code de l’Urbanisme 1986, loi n 86-35, relative à la protection des biens archéologiques, des monuments historiques et des sites naturels et urbanisme, p. 88.

Figure 2. Justification d’inscription des sites de l’Oasis de Gabès, Ile de Djerba, et Médina de Sfax.
Oasis de Gabès (2008) Ile de Djerba (2012) Médina de Sfax (2012)

Site
Source : https://habibayeb.files.word- press.com/2014/02/gabes-1.jpg
Source : https://www.face- book.com/JerBa.HoLidayS/pho- tos/a.492382750856845/2637191
239709308/
Source : https://en.wikipe- dia.org/wiki/Sfax#/me- dia/File:Sfaz_ISS_satfoto_2015.jpg

Photo
Source : https://www.pinte- rest.com/pin/389068855302198
802/
Source : https://www.voyage- virtuel.info/tunisie/photo/djerba- ghriba-091.php
Source : https://www.you- tube.com/watch?app=desk- top&v=GwFTPhm-9xQ
Critères (iv), (vii) et (x) (v) et (vi) (ii), (iv) et (v)
Catégorie
(Inscription) Patrimoine Mixte Patrimoine Culturel (bien en série) Patrimoine Culturel
Catégories possibles Paysage Culturel Paysage Culturel & Paysage Urbain Historique Paysage Urbain Historique
©: Hend Ben Mahfoudh-2021

Conclusion
L’analyse des processus de patrimonialisation de l’Oasis de Gabès, de l’île de Djerba et de la Médina de Sfax montre que la dégradation de l’environnement et une prise de conscience des potentialités du paysage – pour le développement d’une diversité de systèmes économiques fondés sur le tourisme, l’agriculture durable ou le marketing territorial – sont des facteurs communs aux trois inscriptions au titre de patrimoine mondial.
L’aspect identitaire apparaît, également, comme un facteur important ayant contribué à la reconnais- sance de la valeur patrimoniale. L’analyse du processus de patrimonialisation de ces trois biens montre un attachement des Tunisiens à leur patrimoine et une volonté de s’ouvrir sur les pratiques et concepts innovants de l’UNESCO.
Par ailleurs, la reconnaissance de la valeur patrimoniale est un processus qui suppose, à la fois, une reconnaissance sociale de la société civile et des experts nationaux avant d’aboutir à une reconnais- sance juridique et institutionnelle nationale ou internationale.
À côté de la reconnaissance officielle de chacun de ces patrimoines sur la liste indicative qui consti- tue, en soi, une étape dans le processus de patrimonialisation du paysage en Tunisie, les différents actes (juridiques ou institutionnels) ou évènements ayant eu lieu avant et après l’inscription et ayant des implications sur la reconnaissance sociale de ce patrimoine participent à la construction du pro- cessus de patrimonialisation de chaque bien. La naissance d’une association de sauvegarde, l’élabo- ration d’un document de planification urbaine ou territoriale32 et la signature de Chartes spécifiques au patrimoine montrent une évolution dans le processus de patrimonialisation de chaque bien.
De même, l’inventaire des paysages naturels de la Tunisie qui, en 1998, a marqué la reconnaissance de la valeur patrimoniale des paysages naturels et culturels et mis en valeur le caractère patrimonial

32 Il y a plusieurs types de documents de planification qui ont un rôle important dans la protection et la mise en valeur du patrimoine. C’est le cas du plan de gestion de l’Oasis de Gabès, du plan de protection et de gestion de l’île de Djerba (2021) et le Schéma Directeur d’Aménagement de la zone sensible de l’île de Djerba (2020).

de ces trois biens, constitue une étape importante de ce processus de patrimonialisation (Ministère de l’Environnement et de l’Aménagement du Territoire, 1998).
L’analyse des processus de patrimonialisation de l’Oasis de Gabès, de l’île de Djerba et de la Médina de Sfax, montre également que la notion de conservation – et avec elle la représentation des biens à valeur patrimoniale – n’a cessé d’évoluer. Les contextes politiques, culturels, et socio-économiques ont eu, à chaque fois, un impact sur la protection internationale, nationale et locale du patrimoine.
La Tunisie, comme l’ensemble des États parties, a globalement suivi les différentes étapes de la pa- trimonialisation du paysage. Cependant, l’appropriation de nouvelles idéologies et de nouveaux con- cepts n’a pas toujours été immédiate. Ces différences sont dues à la représentation de ce que pouvait être le patrimoine, mais aussi des concepts concernés comme celui de paysage culturel ou paysage urbain historique. Elles sont également dues au contexte local et national et aux crises environnemen- tales, sociales et économiques qui constituent les enjeux de la patrimonialisation.
Très souvent, les crises imposent des changements politiques, économiques et des recompositions identitaires. Le patrimoine paysage, vecteur de mixité et de diversité culturelle, constitue un facteur essentiel qui permet de légitimer cette recomposition identitaire. Bien commun, il constitue, égale- ment, une ressource pour le développement local (tourisme, marketing territorial, agriculture, etc.) et une expression politique du pouvoir.
L’analyse du processus de patrimonialisation montre que le paysage historique urbain, au même titre que le paysage culturel, offre des opportunités pour répondre, non seulement aux problématiques identitaires, mais aussi aux défis économiques et politiques que la Tunisie doit surmonter face à une situation de crise économique, socio-culturelle et environnementale. Ces défis sont aussi des enjeux liés au développement durable.
Aujourd’hui, dix ans après la révolution, même si la pratique de la conservation du patrimoine connaît de nombreux problèmes dûs essentiellement à l’insécurité et au manque de moyens humains et finan- ciers, l’État tunisien et ses institutions en charge du patrimoine continuent à œuvrer pour la préserva- tion du patrimoine. Les actions récentes en faveur du patrimoine immatériel33 témoignent de la mise en place d’étapes importantes dans le processus de patrimonialisation qui, comme par le passé, restent liées, à la politique du patrimoine conduite par l’UNESCO et les institutions internationales.
Le processus de patrimonialisation des Paysages Culturels et des Paysages Urbains Historiques est également une réponse des Tunisiens aux différentes dégradations que subit le paysage. Ainsi, la consécration, dans la constitution tunisienne de 2014 d’un droit au patrimoine culturel et la constitu- tionnalisation de l’environnement et du développement durable ouvrent des perspectives intéres- santes quant à la patrimonialisation du paysage et à la reconnaissance de ce bien en tant que patri- moine culturel.
Enfin, la nouvelle crise engendrée par la pandémie de la COVID-19 que vit, aujourd’hui, la Tunisie (comme l’ensemble des pays de la planète), interpelle quant au rôle des espaces verts longtemps négligés dans les villes34. L’ouverture de la politique du patrimoine à toutes les composantes du pay- sage et la reconnaissance de la valeur patrimoniale des paysages ruraux et des parcs publics urbains historiques, inspirée du document de l’ICOMOS-IFLA de 2017, pourrait ouvrir de nouvelles pers- pectives en matière de protection et de conservation des parcs urbains et des paysages ruraux long- temps négligés en Tunisie.
Un plan de gestion pour la protection des parcs et jardins historiques, mais aussi des oliveraies, oasis et vignobles, gagnerait à être mis en œuvre afin d’arrêter les multiples dégradations qui touchent l’intégrité de ces paysages urbains, péri-urbains et ruraux. La Tunisie montrera ainsi son engagement pour la protection des paysages dans toutes ses acceptions. Garant d’une vie saine et assurant la

33 Le 16 Décembre 2020, le Comité intergouvernemental de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO a approuvé le dossier « Savoirs, savoir-faire et pratiques liés à la production et à la consommation du couscous » porté par la Tunisie, l’Algérie, la Mauritanie et le Maroc. Le même comité a également approuvé la pêche à la Charfiya, une méthode de pêche ancestrale, tunisienne originaire des îles de Kerkennah.
34 Récemment, la ville de Tunis s’est occupée de la réhabilitation du Parc Habib Thameur ce qui est un signe positif pour les perspectives de la patrimonialisation des parcs urbains.

protection de l’humanité, la protection du paysage apparaît aujourd’hui, plus qu’à n’importe quelle autre période de l’histoire, comme un droit universel qui mériterait toute notre attention.

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