Research studies

Propos d’un récit – témoignage diplomatique ? Les Mémoires de Rudolf Rahn durant La campagne de Tunisie (novembre 1942 – mai 1943)

 

Prepared by the researche  : Dr. Moulahi Mourad-: Université du Jendouba, Tunis

Democratic Arabic Center

Journal of Strategic and Military Studies : Twenty-fifth Issue – December 2024

A Periodical International Journal published by the “Democratic Arab Center” Germany – Berlin

Nationales ISSN-Zentrum für Deutschland
 ISSN  2626-093X
Journal of Strategic and Military Studies

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Résumé :

Notre étude se présente comme un examen épistémologique d’un  récit témoignage élaboré dans le chapitre des Mémoires de Rudolf Rahn, ministre plénipotentiaire, représentant du 3ème Reich, réservé à la campagne de Tunisie (novembre 1942- mai 1943).  Mémoires diplomatiques basés essentiellement sur les réminiscences de la mémoire, ils relatent sélectivement la réalité des évènements survenus et s’accommodent de  justifications diverses. Nous nous sommes attelés à débusquer les oublis et les omissions  du récit en recourant à d’autres sources archivistiques et à analyser leurs fondements en usant de la trilogie de l’abus de mémoire suggérée par Paul Ricœur : mémoire empêchée, mémoire manipulée, mémoire commandée. L’épilogue de notre investigation établit bien qu’il n’existe point de source historique suffisante à elle-même et encore moins pour les mémoires des acteurs politiques ou syndicalistes en histoire contemporaine.   

La mémoire, aussi difficile soit-elle à comprendre, est la base du témoignage et de l’archive, les ressources fondamentales de l’histoire. Ainsi pour la période contemporaine, les Mémoires des acteurs politiques ou syndicalistes fondés entre autres sur les réminiscences de la mémoire se placent –ils parmi les sources les plus exploitées tant leurs champs de recherches suggèrent des éclairages probants et des données instructives puisées dans la contemporanéité de l’événement vécu et dont l’auteur/acteur  prétend détenir l’exclusivité de sa dimension psychologique étayée de justifications et explications  diverses .Faut-il rappeler à cet égard  comme le souligne Marc Blochque « les faits historiques sont par essence des faits psychologiques »[1]. Et Hervé Mazurel renchérit en ébauchant une histoire des profondeurs qui «  à l’instar de la psychanalyse se présente comme un savoir conjectural fondé sur la collecte et l’interprétation de traces, d’indices ou de symptômes révélateurs »[2]. Aussi, l’examen des mémoires« diplomatiques » de Rudolph Rahn, représentant du ministère allemand des Affaires étrangères durant la campagne de Tunisie, relatent-t-ilsles différentes étapes décisives de la carrière de l’auteur, qui l’entraînèrent hors de l’environnement patriarcal d’une petite ville souabe (Ehingen)  vers les universités de Tübingen et de Heidelberg, puis vers Genève et la France. Le passage à la vie politique est inévitable et toutes les conditions sont remplies pour l’orienter vers les Affaires étrangères : ampleur du regard, intuition de la mentalité étrangère, initiative, joie des responsabilités et alliance fervente avec le peuple vrai et le pays. Dans une rapide ascension, audace et imagination conduisent le jeune diplomate jusqu’au fait de l’actualité.

Après avoir complété sa formation en Orient, Rudolph Rahn, malgré la guerre en 1939, réussit à gagner Paris. Il part ensuite en mission secrète en Syrie, où, enrôlé dans le contre-espionnage, il observe la politique britannique en Orient. Transféré à Budapest, il prend connaissance des problèmes des régions danubiennes. Il réussit ensuite à se faire muter à Tunis, où il couvre diplomatiquement le repli et la fin des combats de l’Afrika Korps(novembre 1942 – mai 1943).Arrêté à la fin de la guerre en 1945 et jugé au tribunal de Nuremberg, il écopera quatre ans de détention cellulaire. Libéré en 1949, il se met à solliciter sa mémoire pour reconstituer les souvenirs d’une « vie agitée » (Ruheloses Leben).

En centrant notre lecture sur le chapitre XIV des Mémoires de Rudolf Rahn  relatif à sa mission assurant le repli de l’Afrika Korps venant de la Tripolitaine et faisant de la Tunisie un point d’appui des forces l’Axe  pour repousser les forces alliées lancées d’Algérie (Ouest) et de la Lybie (sud) durant la campagne, le récit témoignage de l’auteur bien que basé sur les réminiscences de la mémoire et quelques archives privées s’avère sélectif  avec un entrain diplomatique prononcé. Autrement, l’auteur relate ce qu’il veut bien communiquer en commettant des oublis et en en censurant d’autres. La « représentation » dans le présent de quelque chose du passé est aléatoire.

Paul Ricœur décrit trois abus de la mémoire : la mémoire empêchée, la mémoire manipulée et la mémoire abusivement commandée[3].Si le témoignage est bel et bien la transition fondamentale entre la mémoire et l’histoire, celle-ci demeure toujours une construction et que le passé ne peut être ressuscité ou reconstitué. L’historien est en tension entre le présent de son écriture et l’objet passé de cette écriture ou mieux entre la facilité du passé et la fiction du présent. En tension, aussi, entre la connaissance raisonnée qu’il a acquise du passé et la mémoire vive qu’entretient la société qui l’entoure. On ne peut poser au passé que les questions du présent[4].

Aussi, Rudolf Rahn, le diplomate qu’il est, jeté dans la tourmente du conflit mondial, dans une bataille décisive qui ouvrira la voie de la libération  par le sud (l’Italie) de l’Europe « occupée » remémore –t-il  ses souvenirs, dans le chapitre XIV de son ouvrage surnommé La tête de pont, durant son installation à Tunis du mois de novembre 1942 au début du mois de mai 1943 en restituant la métaphore de « ces Français, Italiens et Arabes, réunis sous l’égide du protectorat qui seraient en train de se bagarrer entre eux et les quelques malheureuses troupes allemandes aéroportées à Tunis et à Bizerte » (page 248). Ensuite, il brosse succinctement les portraits du Résident général français, l’Amiral Jean Pierre Esteva (1940 – 1943), du colonel  Harlinghaussen, commandant les troupes aéroportées, « du nouveau commandant en chef allemand, le général Nehring », rapidement rappelé et remplacé par le général de corps d’armée Von Arnim, rien sur son adjoint Moellhausen, pourtant  l’interlocuteur favori des milieux nationalistes tunisiens (pp. 249 – 254). Il consacre une analyse poussée des intrigues italiennes « à Berlin, de sorte qu’il reçoit un télégramme du Q.G. lui signifiant de considérer la Tunisie comme théâtre d’opérations militaires italien  et d’abandonner la direction et administrative aux autorités italiennes (page 254)…Les Français entendent naturellement conserver leur situation vis-à-vis des Italiens et des Arabes. Les Italiens espèrent pouvoir réussir leur rêve de conquête de la Tunisie qu’ils considèrent comme une vieille terre de colonisation. Les Arabes voudraient bien être débarrassés des deux- aujourd’hui plutôt que demain (page 248). Contrairement aux multiples contacts entrepris avec les représentants des formations politiques françaises à Tunis : le chef du groupe tunisien du parti de Jacques  Doriot (1898 – 1945), fondateur du Parti Populaire Français préconisant  une politique de collaboration avec l’Allemagne dès 1939 ; Georges Guilbaud (1914 – 1983), ancien communiste français rallié au Parti Populaire Français de Doriot, chargé de la propagande par Vichy en Afrique du Nord ; le lieutenant-colonel Christian Sarton du Jonchay (1899 – 1987) envoyé par Vichy à Tunis pour « stimuler la résistance aux envahisseurs anglo-américains », tous les deux contribuèrent à la création de la « Phalange Africaine » constituée de volontaires français disposés à se battre aux côtés des troupes allemandes (pp.257 – 262) – Rudolf Rahn n’évoque guère ses rencontres avec les milieux nationalistes tunisiens ( Vieux Destour, Néo-Destour, les Cheiks Zitouniens) et préfère parler uniquement du comportement de la  population tunisienne ou des revendications d’Arabes (pages 259, 261, 265, 267) . La grande question de la propagande est à peine évoquée par la réclamation des« Italiens et Arabes des journaux et de la radio » (page 259). Point d’information sur ce que son adjoint Moellhausend’un côté et ce qu’il a entrepris ou l’a essayé en personne de l’autre  comme action et arrangements avec le Néo- Destour et les Cheiks Zitouniens.

    S’agit –il d’un abus de la mémoire comme le décrit Paul Ricœur, en l’occurrence mémoire empêchée, mémoire manipulée, mémoire commandée ?

Quels sont les oublis volontaires ou involontaires, les omissions du récit témoignage de Rudolph Rahn ? S’agit –il de l’inconscient ou plutôt de la manipulation ? Ou bien tout simplement de la diplomatie du propos ?

Commençons par la question de propagande bien présente en Tunisie et au Maghreb avant même le début de la campagne. La présence des Allemands et des Italiens en Tunisie devait confronter les dirigeants destouriens à des choix difficiles. Après la dissolution du Néo- Destour en 1938, des contacts furent maintenus entre Allemands et destouriens. L’Allemagne s’en tint à une politique de respect des intérêts italiens. A Tunis, Rahn respecta les consignes de son ministre de tutelle Ribbentrop : « Il fallait céder le pas aux Italiens sur toutes les questions politiques en Tunisie et diriger l’activité politique  de l’Allemagne sur l’évolution en Algérie et au Maroc. Les responsables allemands à Tunis s’appliqueraient à maintenir l’administration française dans la mesure où les intérêts italiens étaient respectés et à leurrer les nationalistes tunisiens. Selon Moellhausen, les Allemands réussissent à sauvegarder jusqu’au bout les intérêts italiens, à encourager l’administration française tandis que l’amitié germano- arabe restait intacte »[5].

Les Allemands avaient établi le contact avec les éléments les plus jeunes et les plus radicaux du Néo-Destour tout d’abord avec Rachid Driss et Hassine Triki puis avec leader  Dr Habib Thameur pour autoriser la parution de l’organe du parti Ifriqiya Al Fatat[6]en contrepartie de propagande pour la cause des forces de l’Axe.Bien que les observateurs français sur place confirmeront que «  le Cheick  Abdelaziz Thaalbi chef du Vieux Destour et M’Hamed Chenik chef du gouvernement tunisien nommé par Moncef Bey au début janvier 1943 sont de résolus partisans des Anglo-Saxons  et que le Bey et ses ministres ne jouissaient pas de la confiance des autorités allemandes après que le ministre  plénipotentiaire Rahn les eut qualifiés d’hésitants et de demi-américains ;ils soulignent cette situation paradoxale, sous l’occupation, un bey destourien faisant appel pour constituer son ministère à des hommes ne jouissant ni de la confiance des autorités de l’Axe, ni de l’estime des Destouriens »[7].

D’autre part, Rudolf Rahn multiplie les gestes d’amitié au mouvement de « Jeunes Musulmans ». Il apporte  lui-même vingt mille francs de subvention au recteur de l’université de la Zitouna et fait distribuer par ses services six mille kilos de couscous aux étudiants nécessiteux. Des interprètes de l’armée allemande commentent en arabe ces libéralités devant la Grande Mosquée au cœur de la Medina[8].

De même, il est symptomatique de souligner  le double oubli commis par Rahn relatif à ses deux rencontres avec une délégation des détenus politiques néo destouriens relâchés de la Prison Civile parmi lesquels  le leader Habib Thameur le 30 décembre 1942  et une autre avec trois membres du  Bureau politique du Néo Destour (Habib Bourguiba, Salah Ben Youssef et Slimane Ben Sliman) au début avril 1943[9]. On peut avancer cette hypothèse expliquant le mutisme de Rudolf  Rahn relatif à ces deux rencontres avec les dirigeants nationalistes tunisiens par le fait d’éviter une situation de crise avec les autorités Françaises en l’occurrence avec l’amiral Esteva à l’occasion du retour de Bourguiba le 8 avril 1943[10].

Il reste une dernière omission relative au degré de responsabilité de Rudolf Rahn dans l’application des lois raciales anti-juives de Vichy en Tunisie.Jacques Sabille et l’envoyédu grand mufti de Palestine avec l’approbation du haut commandement de la Wehrmacht (OKW) à Berlin,qui a séjourné à Tunis du 23 au 28 novembre 1942 publient dans leurs ouvrage et compte rendu respectifs

des correspondances diplomatiques adressées au ministre plénipotentiaire Rudolf Rahn faisant valoir sa part de responsabilité dans la répression de la communauté juive en Tunisie exception faite des juifs italiens protégés par le consulat italien à Tunis[11]. A titre d’exemples, on peut mentionner ce choix de correspondances diplomatiques qui interpellent le ministre allemand :

B)

(Document reproduit en fac-similé sur pl. V, face p. 70)

[Arch. C.D.J.C. CXXIII-68]

AU MINISTERE DES AFFAIRES ETRANGERES

 Berlin

« A propos de l’ordre du Commandement Suprême Sud, visant à mobiliser (les) Juifs pour travaux de fortification, il a été entendu avec la Résidence

Générale que la Communauté juive assurera par ses propres moyens le choix, l’équipement et l’entretien des travailleurs.

« L’Amiral Derrien a accepté que notre homme de confiance Guilbaud 

prenne la parole devant les officiers de la garnison de Bizerte pour les persuader de la nécessité de demeurer loyaux à l’égard du gouvernement de Vichy.

Situation inchangée.

Signé : RAHN. 6/XII

  1. C)

(Document reproduit en fac-similé sur pl. VIII, face p. 74)

[Arch. C.D.J.C. CXXV/a 88]

TELEGRAMME

(Secret. Chiffre V)

L’Ambassadeur RAHN, le

Arrivée : le 24 décembre 1942, 10 h. 15.

Nr 18 du

Affaire d’Etat secrète

  1. L’action de la propagande à Tunis est déterminée par ce fait que les forces de l’Axe sont concentrées dans un espace restreint où elles se trouvent comme dans une forteresse assiégée, gênées en plus par une population urbaine très mélangée, comptant plus de 400.000 personnes et dont la fuite désordonnée devant les bombardements incessants serait très difficile à maîtriser.

« Comme conséquence : danger d’un arrêt de l’approvisionnement, des épidémies, des pillages. Le Haut Commandement se voit obligé pour ces raisons de collaborer avec l’Administration française et de renforcer l’autorité des baïonnettes françaises devant l’intensification des attaques des brigands arabes contre des colons européens. Le fait d’avoir créé nos propres organes d’action parmi lesquels une police de l’Axe, en vue de briser la résistance passive de l’Administration n’y change rien.

« Les directives du Commandement Suprême de la Wehrmacht au train de propagande Tunis (plusieurs mots manquent) : saper l’Administration française.

L’incitation au pillage des boutiques juives et aux pogromes par voie de démonstrations excitantes inexécutable tant que nos troupes n’auront pas atteint au moins la frontière algérienne.

(Extrait : page 1 du document comprenant 4 pages)

D)

(Document reproduit en fac-similé sur pl. XV, face p. 138)

[Arch. C.D.J.C. XXV/a, 25]

AMBASSADE D’ALLEMAGNE

PARIS

L.R., Dr Zeitschel

Pot. Su. 646/42

Poste télégraphique D.B. Paris

Télégramme du Min. Aff. Etr. Berlin Nr 332

Reçu le 16-9-1942 vers 24.00

Ci-joint, nous vous transmettons, en priant d’en prendre connaissance, le télégramme suivant du ministère des Affaires étrangères de Berlin.

Signé : ZEITSCHEL.

A DIPLOGERMA21

PARIS.

Par télégramme du 12-9-42, N° 4021. — Vu que des revendications

connues ont été présentées du côté italien, à l’égard de Tunis, il apparaît comme contre-indiqué pour nous d’intervenir dans la politique juive des autorités françaises à Tunis, sous forme proposée. Je demande de se désintéresser de la question pour le moment. Elle trouvera plus tard une solution dans le cadre des mesures antijuives italiennes et jusque-là doit demeurer du domaine des rapports directs franco-italiens.

Signé : LUTHER.

E)

(Document reproduit en fac-similé sur pl. XIV, face p. 130)

[Arch. C.D.J.C. CXXV-23]

GRAND QUARTIER GENERAL

Le 9-12-42

P.S.A.O.K. 5

A l’Ambassadeur Rahn pour information : S.D.

Copie

Prière prendre connaissance et donner suite au télégramme suivant du

Commandement Suprême Wehrmacht, Ouest, Qu. IV Nr 04066/42 secret du

8-12.

« Selon l’information du ministère des Affaires étrangères du 15-12,

l’ambassade d’Italie a effectué une démarche auprès de ce ministère en demandant que le Commandant en chef allemand en Tunisie soit invité à s’abstenir de toute application de mesures raciales aux Juifs de nationalité italienne à Tunis. Ce désir des Italiens doit être satisfait dans la mesure compatible avec les nécessités militaires. Pour le cas, ou pour des raisons d’ordre militaire des mesures contre les Juifs de nationalité italienne

S’avéraient nécessaires, le Commandant de Tunisie doit se mettre à ce sujet en rapport avec l’ambassadeur Rahn et le Consul Général d’Italie.

Pour le Commandement Suprême de l’Armée :

Le Chef de l’Etat-Major Général.

Signé : Illisible.

F)

(Arc. C.D.J.C. CXX – 8a)

Berlin, le 2 Septembre 1942

St. S. 507

« L’ambassadeur d’Italie m’a remis aujourd’hui l’exposé ci-joint se rapportant au traitement des Juifs en Afrique du Nord française. Alfieri22) a ajouté qu’on attachait à Rome une importance particulière à la question soulevée.

Signé : WEIZSACKER.

AMBASSADE D’ITALIE

N° 13637

EXPOSE

« L’application des lois raciales, ordonnée dernièrement en Afrique du 

Nord française, en particulier de celles concernant la liquidation d’entreprises mobilières et immobilières appartenant aux personnes de race juive, a provoqué certains inconvénients qui affectent sérieusement les intérêts politiques et économiques italiens, spécialement en Tunisie.

« Environ 5.000 ressortissants italiens de race juive habitent la Tunisie, parmi lesquels se trouvent de nombreux propriétaires d’entreprises qui devraient être liquidées ou devenir la propriété de personnes de race aryenne.

« Cette liquidation ou transfert de propriété menaceraient considérablement l’équilibre actuel de la situation économique italienne en Tunisie, équilibre que les autorités françaises ont, depuis de longues années, essayé de troubler et qu’on voudrait actuellement maintenir.

« Se basant sur les principes du droit international reconnus universellement ainsi que sur les accords particuliers entre la France et l’Italie concernant les Italiens en Tunisie, le gouvernement italien a soutenu devant le gouvernement de Vichy le point de vue que les ordonnances en question ne devraient pas être appliquées aux ressortissants italiens.

« Des négociations sont encore en cours entre le gouvernement italien et celui de Vichy, mais ce dernier a déclaré être dans l’obligation d’appliquer

le plus rapidement possible les ordonnances en question, « vu la pression de la part du gouvernement allemand pour l’application immédiate des lois raciales en Afrique du Nord.

« En exposant ce qui précède et en soulignant l’importance toute particulière que le gouvernement italien attache à l’aboutissement à un résultat satisfaisant des négociations en cours avec le gouvernement deVichy, le gouvernement italien serait très reconnaissant au gouvernement du Reich de donner des ordres à ses services compétents pour que, du moins pour le moment, les lois raciales ne soient pas appliquées d’une façon accélérée en Afrique du Nord et pour que leur application sur le territoire du protectorat français en Tunisie soit retardée autant que possible.

Berlin, le 2 Septembre 1942 ».

Quant au compte rendu de l’émissaire du Mufti envoyé au ministère allemand des affaires étrangères, il fait état du rapprochement de Rahn des Arabes aux dépens des Français. En fait il est leurré par la diplomatie manœuvrière  du ministre allemand :

« La réalité objective et ses conséquences, dont les Arabes de Tunisie ont connaissance sont les suivantes :

« L’Allemagne a reconnu la région méditerranéenne comme une sphère d’influence et un espace vital de l’Italie avant la guerre. L’Italie a donc eu le privilège, indépendamment de l’évolution militaire, de s’exprimer clairement quant à ces pays, et en particulier la Tunisie dont l’importance stratégique est déterminante. En outre, l’Allemagne aspire à conquérir le cœur de la France, l’ennemi d’hier, par une politique magnanime sur le continent européen et dans les colonies allemandes, en vue d’une collaboration européenne. Ces faits contraignent l’Allemagne à adopter à l’égard des Arabes une position pour le moins inattendue.

« Le gouvernement du Reich a dépêché en Tunisie un représentant, le Doktor Rahn, connu dans nombre de pays arabes pour incarner la collaboration franco-allemande. Ses positions ne correspondent pas toujours aux aspirations de libération des Arabes. (À ce propos, il faut rappeler son attitude à l’égard des milieux nationalistes arabes en Syrie, qu’on ne peut guère qualifier d’amicale. Il a exigé des Arabes syriens prêts à combattre les Anglais qu’ils luttent sous la direction française, ce qu’ils ont catégoriquement refusé. De même, lors de la distribution des armes des Français, il les a dupés et a rejeté toutes les propositions des Arabesà cet égard. Même s’il ne s’agit, on l’a vu, que d’une parade destinée à l’extérieur, la politique de bienveillance adoptée à l’égard de la France comme s’il représentait son influence, ainsi que le déplacement durapport de force au profit de l’Italie, sans qu’elle ait clarifié ses intentions à l’égard des Arabes, ont abouti à saper la confiance des Arabes vis-à-vis de l’Allemagne. De nombreux éléments très importants sont désormais enclins à prêter l’oreille à la propagande américaine, laquelle recourt à tous les moyens de séduction, promet un avenir meilleur et rappelle le sort des Arabes de Libye.2

« Le fait est que les Arabes sont plutôt naïfs, comme en attestent leurs espérances et leurs illusions, et pour l’instant ils n’ont pas la capacité d’apporter à l’Allemagne et aux puissances de l’Axe ce que leurs ennemis peuvent apporter. En même temps, ils ont tous les moyens pour devenir rapidement suffisamment puissants afin de rendre aux forces de l’Axe des services inestimables. Il faut également rappeler que, contrairement aux Français, dans leurs sentiments et leurs sympathies, ils sont sincères et droits. Si l’Allemagne décidait de consacrer ne serait-ce qu’une infime partie des efforts qu’elle a investis pour conquérir le cœur de son ennemi d’hier à renforcer ses véritables amis, ils deviendraient un soutien précieux sans lequel l’Allemagne ne pourrait réaliser ses projets. Il n’est pas injustifié d’affirmer qu’il vaudrait mieux préférer une difficulté relativement importante mais éphémère à une petite difficulté durable.

« Qui plus est, il nous semble que le Doktor Rahn a été chargé de faciliter le travail des forces d’occupation. Or, il aurait dû d’emblée se comporter avec la plus grande prudence, afin de ne pas ébranler la sympathie des Arabes à l’égard des Allemands.

« J’ai le sentiment que ces derniers temps, plus que par le passé, le Doktor Rahn a manifesté une tendance à se rapprocher des Arabes, à tenir compte de leurs sentiments et de leurs aspirations. Cela résulte peut-être du changement de son attitude à l’égard des Français. Dans ce domaine, il faut préciser que les puissances de l’Axe se sont suffisamment renforcées en Tunisie pour avoir l’avantage sur eux. Cela peut peut-être aussi s’expliquer par le fait que la direction politique a été confiée aux Italiens. Quelles que soient les raisons de l’actuel comportement de Rahn, il faut veiller à ce que les Arabes en soient conscients et en tiennent compte ». 

      Au terme de notre examen épistémologique relatant le récit témoignage de Rudolph Rahn et abordant les contours de sa mission diplomatique durant le repli de l’Afrika Korps (novembre 1942 – mai 1943) ainsi que ses retombées et interférences sur la population et les milieux nationalistes tunisiens, force est de relever la dimension psychologique de la mémorisation effectuée par le ministre plénipotentiaire allemand. Les mémoires des acteurs politiques ou syndicalistes, source historique fondée essentiellement sur les réminiscences de la mémoire, comportent bien des oublis, des omissions involontaires (subconscient) ou volontaires (manipulation). Cet abus de la mémoire détectée et analysée par le philosophe Paul Ricœur y figure dans la narration de Rudolf Rahn. Ce qui nous amène à réaffirmer qu’il n’existe point de source  historique suffisante à elle-même et encore moins en matière de mémoires politiques ou syndicales. La donnée ou le fait historique demeure une représentation relative d’une réalité complexe et nécessite le croisement avec d’autres sources écrites archivistiques, presse et orales. Rudolf Rahn placé dans la tourmente de la bataille de Tunisie, point de choc entre les forces de l’Axe aéroportées d’Italie et consolidées par les troupes de l’Afrika Korps en retrait venant de la Lybie et les forces alliées débarquées au Maroc et en Algérie soutenues par les résistants gaullistes, a beau manœuvré, séduit, tergiversé, dialogué et établi des arrangements avec les milieux nationalistes, les Français de Vichy, l’allié italien et bénéficier de la germanophilie des Tunisiens, et il a fait en dernière analyse œuvre de diplomatie d’où l’abus de mémoire mentionné.

Annexes :

Sources et bibliographie :

A – Sources :

– Borgel (Robert) : Etoile jaune et croix gammée. Récit d’une servitude. Tunis, Ed. Artypo, 1944.

– Colonel (Goutard) : Comment les Allemands prirent pied en Tunisie I –La mission des troupes françaises In Le Monde, 9 novembre 1962, pp. 8-9.

Idem. : Comment il y a vingt ans, la victoire de Tunisie annonçait le renversement de la situation stratégique In Le Monde, 14 mai 1963, pp. 10 – 11

– Casemajor (Roger) : L’action nationaliste en Tunisie. Du pacte fondamental de M’Hamed Bey à la mort de Moncef Bey 1857- 1948. Sud Editions, Tunis, 2009.

– Ghez (Paul) : Six mois sous la botte. Tunis, 1943.

– Goebbels (Joseph) : Journal 1939-1942. Traduit de l’allemand par Olivier Mannoni. Texte présenté par Elke Fronhlich, Horst Moller, Florent Brayard et Barbara  Lambaner. Ouvrage traduit avec le concours du Centre National du livre. Paris, Tallandier, 2009.

– Memmi (Albert) : Les hypothèses infinies. Journal 1936 – 1962. Edition établie et annotée par Guy Dugas. Paris, Planète libre/CNRS Editions, 2021, pp. 399 – 472.

– Pellegrin (Arthur) : Journal de guerre (8 novembre 1942 – 18 juin 1943). Nice, CMMC, 1986.

– Pupier (Jean) : Six mois de guerre à Tunis. Tunis, Ed. La Rapide, 1943.

– Rahn (Rudolph) :Un diplomate dans la tourmente. Traduit de l’allemand par Georges Levy. Paris, Editions France Empire, pp. 248, 254, 256- 257, 261, 265-266.

– Rahn (Rudolph) :Ruheloses leben (vie agitée). Düsseldorf, D. Verbag, 1946 (cote In BN 8°85770).

– Rapport tunisien sur l’occupation allemande et les Tunisiens, archives privées cité In Le Tourneau (Roger) : Evolution de l’Afrique du Nord musulmane. Paris, Colin, 1962, page 94 In Bessis (Juliette) : Sur Moncef Bey et le moncefisme. La Tunisie de 1942 à 1948. Revue française d’histoire d’O.M., numéro spécial, Tome LXX, n°260 – 261, 3ème et 4ème trimestres 1983, pp. 105- 106 et page 126.

– Sabille (Jacques) : Les juifs de Tunisie sous Vichy et l’occupation.Paris, Editions du Centre, 1954.

SHAT, 2H133, L’évolution de  la politique indigène depuis 1940 à 1945.

 En Arabe :

  • إفريقيا الفتاة”، 3-4 جانفي 1943، عدد 2 (يوميات)
  • إفريقيا الفتاة”، 11 جانفي 1943. عدد 1، سلسلة جديدة، (لنا وطن ولنا ملك / حديث اليوم)
  • إفريقيا الفتاة”، 12 جانفي 1943. عدد 2، سلسلة جديدة، (حديث اليوم).
  • إفريقيا الفتاة”، 19 جانفي 1943، عدد 8، سلسلة جديدة،
  • إفريقيا الفتاة“، 20 جانفي 1943، عدد 9، (حديث اليوم: النفوذ والمسؤولية).
  • إفريقيا الفتاة”، 21 جانفي 1943، عدد 10 (التونسي والساعة الحاضرة)
  • إفريقيا الفتاة”، غرة مارس 1943، عدد 43 (حديث اليوم)
  • “إفريقيا الفتاة”، 17 مارس 1943، عدد 52 (حول المحاكم الشرعية…)

B- Bibliographie :

– Ageron (Charles Robert) : Les populations du Maghreb face à la propagande allemande In Revue d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale,n° 114, avril 1979, pp. 36 à 39.

– Bessis (Juliette) : Sur Moncef Bey et le moncefisme : la Tunisie de 1942 à 1948 In Revue française d’histoire d’Outre-Mer, Tome LXX, n° 260- 261, 3ème et 4ème trimestres 1983, pp. 97- 131.

– Chaibi (Mohamed Lotfi) : Eléments pour l’étude de quelques comportements interethniques en Tunisie durant l’occupation germano – italienne (7 novembre 1942 – 13 mai 1943) InMélanges Charles Robert Ageron, Tome 1er, Zaghouan, FTERSI, 1996,    pp. 133- 172.

1944) In Revue d’Histoire Maghrébine, nos 33-34, Juin 1984, pp. 64 -84.

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–  Cherif (Fayçal) : La Tunisie dans la Seconde Guerre mondiale : impacts et attitudes (avril 1938-mai 1943).

– Cherif (Fayçal) : La propagande arabe anglaise vers le Maghreb pendant la Seconde Guerre mondiale (1939-1943) In Revue Lisa E. journal, vol. IV, n°3, 2006.

– Cherif (Fayçal) : Fondements du discours propagandiste arabe de la Grande Bretagne au Maghreb pendant la Seconde Guerre mondiale (1939-1943) In Revue Lisa E. journal,  vol. VI, n°1, 2008.

– El Mechat (Samia) : La Tunisie pendant la Deuxième Guerre mondiale (1939)

– Hamli (Mohsen): Anti-Semitism in Tunisia 1881 – 1961.Tunis, 2010.

[1]Marc (Bloch) : Apologie pour l’histoire ou métier d’historien. Paris, Armand Colin, 1977, pp. 157 – 158.

[2]Mazurel (Hervé) : L’inconscient ou l’oubli de l’histoire. Profondeurs, métamorphoses et révolutions de la vie affective. Paris, La découverte, 2021, pp. 84 – 85.

[3]– Ricœur (Paul) : La mémoire, l’histoire, l’oubli.Paris, Editionsdu Seuil, 2000.

  « Comme abus de la mémoire, Ricœur en décrit trois : la mémoire empêchée, la mémoire manipulée et la mémoire abusivement commandée. La mémoire empêchée nous rappelle toutes les formes d’une mémoire blessée ou malade. C’est à travers la perlaboration psychanalytique qu’on peut restaurer les mémoires perdues ou bloquées…Une deuxième forme de l’abus de la mémoire est la mémoire manipulée. Ici, Ricœur parle de l’idéologie comme espèce de mémoire manipulée. L’idéologie est, avant tout, un effort de légitimation d’un gouvernement ou d’un pouvoir, fondé sur un événement originel, des documents fondateurs et des « mémoires » communes…La troisième forme de l’abus est la mémoire commandée. C’est ce qui se passe quand les histoires officielles sont récitées par des écoliers ou quand des hymnes nationaux sont chantés avant des compétitions sportives ou lors de commémorations officielles, comme des défilés de fêtes nationales… » :

Reagan (Charles) : Réflexions sur l’ouvrage de Paul Ricœur : La Mémoire, l’histoire, l’oubli In Transversalités, 2008 /2, n° 106, pp. 165 à 176.

   –  De même, Krell (David Farrell) s’interroge « quelle peut être la vérité de la mémoire dès lors que les choses passées sont irrévocablement absentes ? La mémoire ne semble- t-elle pas nous mettre en contact avec elles par l’image présente de leur présence disparue ? Qu’en est-il de ce rapport de la présence à l’absence que les Grecs ont exploré sous la conduite de la métaphore de l’empreinte (tupos) ?… » In Of Memory, Reminiscence and writing. On the verge. Bloomington et Indianapolis, Indiana University Press, 1990.

[4]Leduc (Jean) : Les historiens et le temps. Conceptions, problématiques, écritures. Paris, Editions du Seuil, 1999, page 314.

[5]– El Mechat (Samia) : La Tunisie pendant la Deuxième Guerre mondiale (1939-

 1944) In Revue d’Histoire Maghrébine, nos 33-34, Juin 1984, page 69.

[6]Ifriqiya Al Fatat, n°1, 11 janvier 1943.  

لنا وطن و ملك فيهما أمالنا و لهما أعمالنا

  Annexe

Ifriqiya Al Fatat, n°2, 12 janvier 1943. الحرب في تونس و بقية المغرب

 Annexe

[7]Le Tourneau (Roger) : Evolution de l’Afrique du Nord musulmane. Paris, Armand Colin, 1962, page 100. Le Tourneau, directeur de l’instruction publique en Tunisie depuis 1941, est refoulé en France le 16 février 1943 en même temps que d’autres personnalités jugées hostiles à l’Axe.

[8]– Bessis (Juliette) : Sur Moncef Bey et le moncefisme : la Tunisie de 1942 à 1948 In Revue française d’histoire d’Outre-Mer, Tome LXX, n° 260- 261, 3ème et 4ème trimestres 1983, pp. 97- 131.

– Abramski – Bligh (Irit) : L’influence de la Seconde Guerre mondiale sur les relations judéo-arabes en Libye et en Tunisie. Traduit de l’hébreu par Claire Drevon In Revue d’Histoire de la Shoah, 2016/2, n°205, pp. 317 – 353:

« La propagande allemande enregistra des succès dans les cercles de jeunes du Néo Destour, comme en témoignent des organisations telles que le Croissant rouge fondé à la mi – janvier 1943, le mouvement de jeunesse du Destour, paramilitaire avec le port de l’uniforme, appelé les «Verts» ».

   – Ifriqiya Al Fatat, n°52, 17 mars 1943

[9]Cf. : – Casemajor (Roger) : L’action nationaliste en Tunisie. Du pacte fondamental de M’Hamed Bey à la mort de Moncef Bey 1857- 1948. Sud Editions, Tunis, 2009, pp.158 – 159 :

« Plusieurs Tunisiens, dont Mr Moncef El Okby et Mr Hassen Guellaty se faisant les porte-paroles de l’élite intellectuelle musulmane, eurent au mois de décembre (1942) des contacts avec le ministre Rahn et au cours de nombreux entretiens, ils agitèrent la question politique tunisienne. Ce fut l’amorce de futures relations entre les dirigeants du Destour et les diplomates étrangers (les consuls américain et britannique). Le 30 décembre  (1942), une délégation de 13 membres comprenant des détenus politiques relâchés de la Prison Civile, parmi lesquels le leader Habib Thameur ainsi  que Férid Bourguiba Mohamed Ali Annabi,  fut reçue officiellement à Dar Hussein par le ministre plénipotentiaire du Reich. Au cours de la réception, les nationalistes demandèrent au docteur Rahn de relâcher Habib Bourguiba et ses compagnons et de les faire revenir en Tunisie. Le diplomate apprit alors auxquels que leurs camarades avaient été libérés du fort Saint Nicolas. Comme le ministre du Reich demandait à cette délégation de s’engager à fond pour l’Allemagne, les visiteurs réclamèrent en retour des garanties pour l’avenir de leur pays. Ce qui leur valut cette réplique : Les garanties s’acquièrent mais ne se donnent pas. Faites vos preuves et surtout prenez ouvertement position, car il y a encore parmi vous trop d’hésitants et même des demi-américains ». A l’issue de cette entrevue, au cours d’une réunion, les dirigeants du Parti destourien établirent un programme d’action.

 « Bien qu’ayant été déçus par la constitution du nouveau Ministère (Chenik) dans lequel ne figurait aucun de leurs chefs, les nationalistes avaient foi en la venue prochaine d’Habib Bourguiba. Ce dernier devait à leurs yeux prendre le pouvoir sous l’égide du Bey… ».

   – Ben Sliman (Sliman): Souvenirs politiques. Tunis, Cérès Productions, 1989, page 188 :

« (Début avril 1943) On rendit visite à Rahn, le représentant d’Hitler. C’était du côté de Dar Mohsen. Comme à Chalon chez les S.S., beaucoup de Français de la Légion de Guilbaud étaient là pour « aider » les Allemands (Cela est confirmé par Rahn dans les mémoires). Nous étions Salah (Ben Youssef), Habib (Bourguiba) et moi (Slimane Ben Sliman) accompagné du jeune Bourguiba, Bibi. Nous fumes bien reçus, la conversation allait bon train et voilà que l’on apporta un paquet de billets de banque à Rahn. Je dis à Bourguiba dans l’oreille de refuser cet argent. Il était d’accord. Avant de terminer la visite, Rahn nous offrit un million. Poliment nous lui avons expliqué que c’était inutile, que nous avions ce qu’il nous fallait : enfin nous sommes arrivés à laisser l’argent entre les mains de Rahn. On se quitta aimablement. Pendant cette entrevue, Rahn s’était plaint de Thameur (Habib) ; d’après lui il ne savait pas à quoi s’en tenir avec lui… ».

[10] Casemajor (Roger) : L’action nationaliste en Tunisie. Du pacte…, Op.cit. Page 165 :

« Dans la première semaine d’avril (1943), l’anxiété des autorités françaises n’avait d’égale que celle des milieux de la Cour et du Ministère (Chenik) qui percevaient le danger réel de la situation et se demandaient si les Destouriens ne fomenteraient pas, comme il en était question, des troubles à la faveur desquels un putsch placerait Bourguiba et ses amis au pouvoir ; il était en effet certain alors, que le Combattant Suprême poserait le pied sur la terre de sa Patrie la veille du 9 avril (rentrant de Rome). Cette coïncidence avait été voulue par les diplomates de l’Axe et le calcul qui l’avait motivé est facile à deviner.

« Alerté par les autorités françaises, le Ministre Rahn lui-même convoqua les dirigeants du parti et, en leur demandant que la journée se déroulât dans le calme, les rendit responsables de toute manifestation intempestive. De son côté le Bey avait donné des ordres au Dr Thameur, président du Néo-Destour, pour qu’il n’y ait aucun incident en ville.

« Tenant compte de ces avertissements, les leaders, qui avaient préparé l’opinion à une manifestation imposante, s’employèrent à calmer la masse. Par ailleurs, Bourguiba arrivé la veille à Hammam-Lif ne descendit pas à Tunis ce jour-là...».

[11]– Sabille (Jacques) : Les juifs de Tunisie sous Vichy et l’occupation. Paris, Editions du Centre, 1954.

   – La situation en Tunisie :

L’auteur du compte rendu a séjourné à Tunis du 23 au 28 novembre 1942, envoyé de Palestine par le grand mufti et avec l’approbation du haut commandement de la Wehrmacht (OKW) à Berlin, ce qui lui a donné l’occasion de s’entretenir avec d’éminentes personnalités arabes mentionnées dans le rapport… In Abramski – Bligh (Irit) : L’influence de la Seconde Guerre mondiale sur les relations judéo-arabes en Libye et en Tunisie. Traduit de l’hébreu par Claire Drevon In Revue d’Histoire de la Shoah, 2016/2, n°205, pp. 317 – 353.

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