Research studies

Le rôle des missions expéditionnaires françaises dans la préparation de la conquête des pays de l’Afrique du nord : l’exemple de la Tunisie

The role of the French expeditionary missions in the preparation of the conquest of the countries of North Africa: the example of Tunisia

 

Prepared by the researcher : Mighri Mounir – Docteur chercheur en Histoire Contemporaine à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Sousse. – Laboratoire Centre de la Méditerranéen Moderne et Contemporaine. Université de Nice Sophia-Antipolis – Laboratoire d’Histoire des économies et des Sociétés Méditerranéennes.

Democratic Arab Center

Journal of Strategic and Military Studies : Fifteenth Issue – June 2022

A Periodical International Journal published by the “Democratic Arab Center” Germany – Berlin

Nationales ISSN-Zentrum für Deutschland
 ISSN  2626-093X
Journal of Strategic and Military Studies

Résumé

Dans le présent article, nous visons à démontrer l’importance du mouvement exploratoire dans le système colonial français. En effet, la multiplicité et la diversité des missions exploratoires dans la période qui précède l’invasion représentait une référence de base pour les parties coloniales, car elles leur fournissaient des données stratégiques sur la réalité de régence dans presque tous les domaines, qui ont ensuite été utilisées pour la préparation de la conquête.

Aussi, la question de l’exploration, avec ses diverses spécialisations, ne s’écartait pas des perceptions qui prévalaient au XIXe siècle qui a été caractérisé par l’émergence de mouvements et courants intellectuels et politiques, tels que les saint- simonisme ou les sociétés géographiques, et ceux avec l’argent et l’influence des parlementaires et des politiciens qui ont contribué à encourager davantage cette question et à créer une opinion publique qui y était réceptive. Malgré le succès des missions exploratoires dans la connaissance de différents domaines de recherche, certains écrits de voyageurs et d’explorateurs ne sont pas dépourvus du caractère idéologique colonial chargé de l’idée de transcendance.

Abstract

In this manuscrit, we aim to demonstrate the importance of the exploratory movement in the French colonial system. Indeed, the multiplicity and diversity of exploratory missions in the period preceding the invasion represented a basic reference for the colonial parties, since they provided them with strategic data on the reality of regency in almost all areas, which then were used for the preparation of the conquest.

Also, the question of exploration, with its various specializations, did not deviate from the perceptions that prevailed in the 19th century, which was characterized by the emergence of intellectual and political movements and currents, such as Saint-Simonism or the geographical societies, and those with the money and influence of parliamentarians and politicians who helped to further encourage this issue and create a receptive public opinion. Despite the success of exploratory missions in the knowledge of different areas of research, some writings of travelers and explorers are not devoid of the colonial ideological character charged with the idea of transcendence.

Introduction

L’exploration et l’étude du territoire tunisien n’ont, réellement, pas commencé au milieu du XIXe siècle, mais bien avant. Depuis des dates antérieures de nombreux voyageurs et explorateurs européens ont afflué en Tunisie.

Mais, cette opération n’est devenue fréquente et à caractère nouveau que depuis le milieu du XIXe siècle, après l’accentuation de la concurrence coloniale entre les grands pays capitalistes, après l’instauration du système capitaliste en Europe. La croissance des idées et des mouvements nationalistes dans ces pays les a amenés à adopter l’idée de “gloire nationale” par le biais d’une politique coloniale expansionniste dans les pays non développés.

C’est pour cela que ces pays s’étaient lancés à la recherche de nouvelles zones “vitales” partout dans le monde pour commercialiser leurs produits. C’est pourquoi des centaines d’explorateurs européens étaient envoyé dans ces pays, notamment dans le continent africain.

Les missions d’exploration étaient nombreuses et variées, avec des noms, des slogans et des arguments divers. Le but était de recueillir le maximum possible d’informations sur ce pays pour se préparer à les occuper. La concurrence entre la Grande-Bretagne et la France, sur le continent africain était féroce

L’occupation de l’Algérie en 1830, a donné un nouvel élan à l’opération exploratrice française. Depuis lors, l’administration française a envoyé de nombreuses missions d’exploration dans les régions d’Algérie dans le but d’étudier ces contons au niveau physique aussi bien qu’anthropologique (coutumes et traditions…etc.).En plus de l’exploration du territoire algérien, après l’occupation de l’Algérie, la France s’est orienté vers la Tunisie en intensifiant les missions et les voyages d’exploration dans cette province (qu’ils soient officiels ou officieux), pour effectuer des études de terrain précises avec l’aide de nombreux chercheurs, aventuriers, ecclésiastiques et militaires. Les rapports et les études de ces explorateurs et chercheurs ont permis aux Français de préparer la régence à l’occupation en 1881.

C’est dans ce contexte, qu’inscrit le thème de notre recherche, par lequel nous tenterons découvrir et analyser les caractéristiques et les origines des idées exploratoires et leur rôle dans l’opération coloniale, ainsi qu’étudier les missions exploratoires envoyées par la France à la Régence de Tunis dans le but de le préparer à l’invasion.

Quelles relations y’avait-il entre les idées d’exploration et la politique coloniale ? Et quel rôle avaient joué les expéditions exploratoires dans la préparation de la régence à l’invasion ?

I- La pensée exploratoire et sa relation avec la politique coloniale 

     1- Le rôle des sociétés géographiques

Les sociétés géographiques avaient joué un rôle central dans la préparation de l’exploration, dès le début du XIXe siècle par certains chercheurs, politiciens et propriétaires d’argent dans le but de mener des études et des découvertes dans de nombreuses régions du monde. La France a connu, après sa défaite en 1871 contre l’Allemagne, une nouvelle vague d’implantation de sociétés géographiques dans de nombreuses villes françaises, qui allaient jouer un rôle primordial dans l’intensification du mouvement des découvertes géographiques. Ces associations ont vont soutenir de nombreux explorateurs et voyageurs, en leur attribuant des prix et des fonds et en leur fournissant les orientations et les instructions nécessaires pour accomplir leurs voyages. Les revues de ces associations allaient, par ailleurs, publier les rapports de voyages, de ces aventuriers, tels que “la Société de géographie de Paris”, fondée en 1821, et qui a avait préparé et soutenu des expéditions en Afrique[1]. Au début de l’occupation française de l’Algérie, le Comité d’exploration scientifique en Algérie, créé en 1837, depuis 1845, à publier des études sur la Régence de Tunis[2]. Dès l’année 1842, la France accorda une attention particulière aux missions et voyages qui avaient, déjà, connu un développement progressif dès l’époque du Second Empire, où l’on décide d’envoyer des missions permanentes dans le cadre d’écoles de pensée comme l’École de Athènes, l’École de Rome et l’École du Caire[3], pendant lesquelles la Régence de Tunis a été explorée. Parmi les voyageurs, on cite, par exemple, le diplomate français “Le Comte Philippe” et le diplomate   britannique “Granville Temple” et le géographe français “Guérin”, professeur au Collège de Lyon et l’un des membres actifs de l’Association des Géographes[4]. Les opérations d’exploration connaissent un développement remarquable avec le début de la Seconde République, d’autant plus qu’elle trouve un grand soutien auprès des principaux partis à vocation coloniale, principalement des membres des sociétés géographiques, quelques hommes politiques, militaires, administrateurs coloniaux, missionnaires et explorateurs[5]. Les membres des sociétés géographiques ont joué un rôle clé pour encourager l’exploration et la faire connaître au public. Charles Maunoir, qui a occupé le poste de secrétaire général de la Société de Géographie à Paris entre 1867 et 1896, est considéré comme l’un des plus éminents partisans de cette tendance. Ce dernier a établi ce qu’on appelle (Le diner Colonial (, qui avait lieu tous les vendredis et réunissait des colons et des explorateurs français[6] pour discuter de la question de l’exploration et de l’expansion coloniale en général. La Société de Géographie de Paris a assuré un soutien de grande importance à l’activité d’exploration en allouant de nombreuses subventions pour encourager les explorateurs. L’explorateur “Edme- François    Jomard” fut le premier à recevoir la médaille d’or accordée par cette Société après avoir effectué un voyage à Tombouctou (Tombuctou) au Mali en 1826[7]. En plus, Les revues et brochures qui paraissaient à cette époque allaient contribuer également à attirer un grand nombre de lecteurs, ce qui permit d’accorder plus d’attention à la question de l’exploration, notamment avec le doublement du nombre des sociétés géographiques entre 1871 et 1881. Durant cette période, la France a vu naître 12 nouvelles sociétés géographiques dans les villes françaises les plus importantes, et le nombre d’acteurs impliqués dans ces associations atteint 9500[8]  adhérents.

D’une manière générale, on peut dire que les sociétés géographiques ont joué un rôle clé dans la théorisation des processus exploratoires et la diffusion de la pensée exploratoire auprès de l’opinion publique à travers la parution de nombreux magazines et publications qui ont contribué à attirer un grand nombre de lecteurs. Ces associations ont également veillé à établir des relations solides avec les politiciens, les élites intellectuelles, les parties prenantes et les capitaux qui ont financé et encouragé de nombreuses missions et contribué à diffuser et à faire connaitre ces sociétés.

I- L’influence des courants intellectuels et politiques

Les courants intellectuels et philosophiques qui avaient prévalu au cours de la seconde moitié du XIXe siècle avaient représenté le domaine le plus important du colonialisme à travers la théorisation de ce phénomène. Parmi les idées les plus importantes qui ont connu une grande popularité à cette époque figuraient les idées du SAINTSIMONISME, qui visaient à établir un système social et économique «sur des valeurs autres que celles établies par le libéralisme économique»[9]. Saint-Simon et ses partisans visaient à mettre fin à l’état d’instabilité économique et sociale qui a résulté de la Révolution française, établir les fondements d’une nouvelle société fondée sur la science et l’industrie. [10] Compte tenu des difficultés rencontrées par cette théorie en France, ses partisans ont été contraints de quitter le pays pour chercher des horizons plus spacieux pour mettre leurs idées en pratique, notamment parmi les militaires et certains hommes d’affaires et technocrates[11].

Les voyageurs, les explorateurs et les missionnaires représentaient le principal outil de diffusion des idées et des valeurs de la civilisation occidentale dans les pays de l’Est et les musulmans pour les stagnations et les libérer de leur retard pour qu’ils soient en mesure de suivre le rythme du développement scientifique et industriel. Ces idées orientent ce qu’on appelle l’eurocentrisme, qui considère l’Europe comme le seule référent de civilisation humaine, niant, ainsi, le rôle des autres civilisations humaines. La stratégie occidentale visait à connaître l’autre, à le découvrir, puis à le contrôler[12]. La mentalité coloniale de l’époque a bénéficié de la littérature coloniale telle que la littérature de voyage, à travers laquelle les voyageurs ont pu fournir une grande quantité d’informations sur les milieux et les populations visités. Ces voyages ont permis aux voyageurs et aux intellectuels de confirmer, l’idée de supériorité de l’esprit européen. La Littérature exotique a également participé à l’installation de la théorie au de la supériorité de la race européenne et ce en présentant les autres cultures comme inférieures à celles européennes, et les hommes moins civilisées, arriérées dans le but de justifier la domination coloniale[13]. En plus de ces idées légitimant les projets coloniaux, les hommes politiques, les journalistes et les géographes ont joué un grand rôle en encourageant l’exploration et en traçant ses grandes lignes. Le 30 octobre 1883, la Société de Géographie de colonisation a été formée par Forger, professeur à l’École Navale à Brest, cette association était dirigée à l’origine par le sénateur Fontrabie Milhet, puis sa présidence fut transférée en 1886 à Jules Ferry. Cette association a bénéficié d’un grand soutien moral et politique, puisqu’elle regroupe plus d’une centaine de parlementaires et sénateurs, et 800 adhérant[14].Cette pensée coloniale prend une tournure plus radicale après la convocation de la Conférence coloniale mondiale à Paris en 1889, qui fut l’occasion propice pour faire de la propagande des idées colonialistes expansionnistes, qui allaient trouver un large soutien auprès des républicains. L’un des résultats de cette conférence a été la mise en place d’un comité scientifique exploratoire dénommé « Le Comité de L’Afrique Française » par le journaliste Hippolyte Percher. Ce dernier a travaillé comme rédacteur en chef du journal des débats et secrétaire général de l’Union Libérale et a été l’un partisans les plus dynamiques de l’idée d’expansion coloniale, notamment en Afrique, où il a réussi à financer de nombreux voyages d’exploration vers ce continent, notamment au Tchad et au Sahara[15].

Les tendances politiques en Europe en général et en France en particulier ont joué le rôle le plus important pour encourager les opérations d’exploration et fournir le terrain favorable à leur diffusion dans de nombreuses régions du monde, notamment les continents africain et asiatique. Cette tendance a été soutenue par l’existence de courants idéologiques et intellectuels qui ont adopté le principe d’ouverture et d’exploration de l’autre monde sous les prétextes, de progrès, de rationalité et d’évangélisation. Dans ce contexte, les missionnaires ont formé, à cette époque, le noyau du travail de recherche et les efforts d’expansion. Les hommes d’affaires et d’influence ont également joué un rôle actif dans le financement des campagnes d’exploration, car ces campagnes restent leur objectif principal est d’exploiter la richesse des zones explorées.

L’alliance des forces politiques, des penseurs et des financiers ont constitué un véritable noyau pour soutenir et superviser les opérations d’exploration. Et, ces idées étaient mises en œuvre en France en 1883 avec Ferdinand de Lesseps, Paul Bert et Paul Fancain  ont fondé l’alliance française, qui visait encourager l’adoption d’idées qui prônent et soutiennent les expéditions françaises dans de nombreuses régions du monde, dont la Tunisie.

    II – Missions d’exploration

Les missions exploratoires, sous leurs différentes formes, avaient représenté l’un des outils principal du projet colonial français en Tunisie, car elles avaient fourni des informations et des données très importantes sur la régence tunisienne, qui ont, par la suite, facilité le processus de son occupation. Le voyage d’expédition est généralement soumis à des règles, des contrôles et des coutumes, où l’organisateur du voyage supervise sa préparation logistique et financière. Ensuite, l’explorateur ou le voyageur effectue son voyage et est souvent accompagné de plusieurs assistants pour l’aider à accomplir son travail ou sécuriser son protection[16], ainsi que des peintres ou calligraphes pour les aider à documenter certaines scènes et images des lieux explorés, s’appuyant alors sur le guide, qui représente le maillon principal du processus d’exploration de par sa connaissance des mystères de la région[17].

En autre , il y a eu de nombreuses missions exploratoires avec des titres différents, certaines d’entre elles sont de nature officielle, et elles sont les plus importantes du fait qu’elles étaient sous la tutelle de structures officielles financées et organisées comme le ministère de la Guerre, le ministère de la Marine et le ministère des Travaux publics. Les non-officiels, c’est-à-dire celles qui n’étaient pas sous la supervision d’une structure officielle, mais elles étaient des initiatives individuelles financées par des hommes d’affaires et certaines associations géographiques, et où les voyageurs recherchent généralement l’aventure individuelle, mais ils, de même, fournissaient des informations importantes sur les lieux qu’ils ont découverts qui vont, par la suite, aider les autorités françaises dans leur conquête de la régence.

    1- Missions officielles

Ces missions répondaient aux aspirations des décideurs de la Métropole de mener des explorations au sein de la province et de collecter le maximum d’informations sur le pays dans tous les domaines pour préparer sa conquête. Ces missions étaient nombreuses et variées pendant la période antérieure à l’occupation. On trouve, parmi ces missions celles qui portaient sur l’étude des tribus, de leurs relations entre elles, de leur zone de concentration, et de leurs capacités militaires. Dans ce contexte, l’expédition que le consul Tissot[18] fit en 1857 dans la région d’Al-Jerid, lorsqu’il accompagnait le bey Mohammad Al-Sadiq, représentait un exemple singulier des missions qui montrent le lien fort entre les voyages scientifiques et diplomatiques et le projet colonial. Ce voyage a permis à Tissot d’examiner de plus près les faits de la régence sous ses divers aspects, notamment ceux liés à la nature des relations tribales.

A ce niveau, il a révélé la relation entre le Bey et les tribus tunisiennes les plus importantes (notamment entre les tribus montagnardes représentées par la tribu Humama, et les tribus du désert représentées par la tribu Bani Zaid (il les décrit comme les deux confédérations), ainsi que les relations entre les tribus tunisiennes entre elles et leurs capacités militaires.Sans oublier de parler des conflits qui existaient entre les tribus tunisiennes et les tribus algériennes[19].

On retrouve également des missions exploratoires à dimension militaire qui ont été envoyées dans le but de préparer des cartes et d’identifier les grands axes routiers de la régence et sa topographie, les communautés résidentielles les plus importantes, et la détection des capacités défensives de la régence…etc. Ces tâches étaient confiées à un groupe d’officiers appartenant notamment à ce que l’on appelle la Direction de service de génie ou la Direction de service de renseignement. Dans ce contexte, les missions exploratoires se sont dépassées, et pour la plupart envoyées d’Algérie, elles visaient à étudier les villes les plus importantes de la régence et à se concentrer sur ses fortifications défensives et ses ressources naturelles. Toutefois, les dates et la durée de ces missions ont été soumises aux conditions internes de la Régence. Elles étaient longues au milieu du XIXe siècle, et ce, en raison de la situation politique appropriée qui a permis de les mener à bien, mais à partir du soulèvement de 1864, ces missions sont devenues limitées dans le temps et dans l’espace. La ville qui a été le plus ciblée dans la plupart des missions est la ville de Tunis, en tant que capitale de la province et centre de sa décision politique.

Immédiatement après son occupation de la ville de Constantine, les autorités françaises ont entrepris d’envoyer des missions militaires à la Régence pour effectuer des études sur les villes les plus importantes. La première de ces opérations fut effectuée par le capitaine (Pricot St Marie[20]).Ce voyage s’était étendu du 20 février 1837 au 27 juillet 1837, et comprenait les villes de Tunis, Taboursouk, le Kef, Kairouan, Sousse, Sfax, Mahdia, Monastir, Hammamet et Bizerte. Dans son rapport, “Pricot” s’est concentré sur les capacités défensives de ces villes et la stratégie militaire à suivre pour les contrôler.

  Le voyage du capitaine (Pellissier)[21], qu’il a entrepris en 1847, est plus l’un des plus importants puisqu’il couvrait la quasi-totalité de la Régence, à travers lequel il étudiait le pays en termes naturels, géographiques, topographiques et démographiques. Pellissier a compilé ses rapports dans un livre intitulé “Description de la Régence de Tunis”. Dans ce voyage, il a essayé d’étudier les zones stratégiques les plus importantes de la régence et les fortifications défensives les plus importantes qu’elle possède. Sans oublier les tribus tunisiennes les plus importantes, la population de chacune d’elles, leurs capacités de combat, les relations entre les tribus, et le degré de loyauté de chacune d’entre elles envers l’autorité centrale.

La mission du général  ) François Perrier [22](qu’il entreprend en 1879 reste la plus importante, d’abord parce qu’elle vient juste deux ans avant l’occupation, ce qui indique que les informations fournies par ce général à l’établissement militaire français ont grandement aidé les commandants de terrain à percer les mystères de la région et de son relief avant son occupation. Deuxièmement, parce qu’ il s’est concentré sur la région du nord et l’a, attentivement, étudiée, ce qui lui a permis par la suite de rédiger un rapport au ministère de la Guerre le 12 avril 1881 (c’est-à-dire 12 jours avant le début de l’invasion) contenant des données très importantes sur la zone s’étendant de Souk Ahras à Ghar al-Dama, et les routes principales les plus importantes, la liaison entre les deux villes, ainsi que les routes qui peuvent être suivies pour atteindre la ville de Tunis. Ses informations étaient complètes et précises, car il décrivait avec une grande précision la géographie et la topographie de la région. Certes, sa spécialisation, notamment dans le domaine du génie militaire et des sciences de la guerre, lui a permis d’écrire son rapport avec précision ce qui allait aider, plus tard, l’armée française à pénétrer dans la région et le contrôler.

Outre les missions exploratoires, la littérature militaire[23] a également apparu comme autre ressource d’exploration. En effet, il existe de nombreux écrits militaires écrits par des soldats et officiers français liés à la Tunisie, à travers lesquels, ils nous ont fourni une description précise de la plupart des villes du point de vue naturel et topographique, sur leurs capacités défensives, et les coutumes et traditions qui les distinguent, et ils ont également, souligné les relations entre les tribus et leur rapport au pouvoir, en plus de la relation entre les résidents locaux et les étrangers.

Peut-être ces écrits ont-ils tenté de dépasser cette image stéréotypée du rôle du soldat comme agent de l’homme politique, pour dire que le rôle cet agent n’est pas moins important que celui du géographe, du missionnaire, explorateur et homme politique dans la question coloniale en termes de théorisation, d’exploration et de désir de contrôle et de domination.

Cependant, les opérations d’exploration ne se limitent pas à l’aspect militaire ou à l’examen des tribus et à l’étude de leurs relations et de leur aptitude à établir des relations avec les forces françaises en cas d’invasion du pays. Le projet colonial reposait sur des mécanismes et des affluents nombreux et imbriqués qui interagissent pour garantir le contrôle de la régence dans tous les domaines. L’influence politique et économique française, dans la Régence, a favorisé les opérations d’exploration, et les Consuls ont joué un rôle important puisqu’ils ont facilité l’activité des explorateurs et ingénieurs français dans la régence pour effectuer des recherches et études scientifiques sur les ressources naturelles, le climat et de la qualité des sols.

Dans ce contexte, de nombreux documents d’archives conservés aux Archives nationales tunisiennes[24] témoignent la multiplicité des demandes de visites adressées au Bey par les explorateurs européens, notamment français, pour effectuer des opérations d’exploration en de nombreux endroits de l’Eyalet tunisien, dont divers domaines comme le zinc, des matériaux miniers de plomb, qui se trouvent principalement dans les régions septentrionales de la régence, en plus de la recherche de d’or et d’argent, ainsi que les ressources souterraines et minérales, et l’étude des ressources en eau.

Les voyages et missions exploratoires officiels en Tunisie, , quelles que soient leurs formes, ont représenté une banque de donnés très riche pour les différents partis coloniaux et politiques qui seront très utiles sur terrain. Mais cela n’enlève rien au rôle d’explorateur officieux.

2 -Missions officieuses

Malgré l’intimité de ces missions en termes d’encadrement, de financement et d’accompagnement, elles se sont impliquées d’une manière ou d’une autre dans l’accompagnement du projet colonial français. Ces voyages n’ont pas été financés par l’État français et manquent pour la plupart d’un soutien politique et financier important. L’explorateur est tenu de connaître tous les détails de son voyage en termes de recherche de financement, qui provient généralement de sociétés géographiques ou de détenteurs d’argent, ou en termes de recherche de soutien politique et logistique pour faciliter son déplacement dans la zone à explorer.

De nombreux voyageurs et explorateurs européens, notamment français, ont visité la Tunisie avant l’occupation dans le cadre informel, ont collecté de nombreuses informations et données sur le pays dans divers domaines qu’ils ont conservées dans des notes, des articles ou des livres tels que le géologue et le géographe “Victor Guérin”, qui est l’un des membres actifs de la Société des Géographes. Ce dernier est venu en Tunisie en 1860 et a tenté de pénétrer dans la région méridionale de la régence. La même année, l’explorateur et géographe” Henri Duveyrier    [25]” a également fait un voyage en Tunisie et l’a documenté dans un livre sous le titre “La Tunisie”[26]. Il est à noter qu’avant d’entrer dans la régence tunisienne, Duveyrier avait effectué des voyages d’exploration dans la colonie algérienne, où il visita de nombreuses villes algériennes, comme Skikda, qu’il visita en mai 1859, d’où il se rendit à Biskra puis à Constantine. En février 1860, ce dernier effectua un nouveau voyage à Skikda. De là, il se dirigea vers l’oued Souf, et de là il se dirigea vers la région du Jérid au sud de la Tunisie après avoir demandé à Ferdinand de Lesseps, le représentant de la France en Tunisie, les garanties nécessaires pour sécuriser son voyage dans le sud tunisien. En effet, il s’est rendu dans les villes de Gabès, Kébili, Douz, Gafsa et Tozeur[27] . Grâce à ce voyage, Duveyrier   a fourni des informations très importantes sur la situation politique et militaire et tout ce qui concerne les relations tribales et la composition ethnique et religieuse de la société. En plus, il a accompli une tâche très importante qu’est le dénombrement de la population dans toutes les régions, quelles étaient des tribus ou des villes.

Il est à noter que ces missions officieuses ne sont, généralement, pas suffisamment sécurisées, ce qui expose le voyageur à des risques de déplacement à l’intérieur de la province, notamment avec sa méconnaissance de la topographie de la zone à explorer, et les explorateurs sont exposés à des raids par bandits.

Les voyages non officiels restent des tentatives individuelles régies par l’esprit d’aventure et le désir de découvrir et de connaître l’autre d’une part, et d’autre part pour rechercher des sources de richesse et d’argent. L’activité des sociétés géographiques et scientifiques a contribué à encourager les missions exploratoires. Le soutient intellectuel, politique et idéologique, a représenté le couvent de ce courant d’idées.

Conclusion

On peut affirmer dans la conclusion, que les courants politiques et intellectuels comme le saint-simonisme et l’activité des sociétés géographiques a largement contribué au développement de la pensée d’exploration en Europe en général et en France en particulier. Ce développement s’était manifesté dans la multiplicité et la diversité des missions exploratoires françaises dans la régence tunisienne, tant sous sa forme formelle qu’informelle. En fait, ces explorations n’étaient rien d’autre qu’une occasion d’explorer et les particularités de l’expérience française en Tunisie et les difficultés, les tendances et les contradictions qui l’entouraient, reflétant finalement le projet colonial français en Tunisie.

Les idées d’exploration ouvrent une porte pour comprendre une période importante de l’histoire de la pensée coloniale avec ses diverses caractéristiques et contradictions. Les écrits et les recherches des explorateurs, malgré les exagérations et les jugements inexacts qu’ils portent parfois, ont constitué des références fondamentales adoptées par la France pour envahir Régence de Tunis.

La pensée exploratoire a joué le rôle de serviteur du projet colonial dans une conjoncture internationale, métropolitaine et locale qui propice à l’expansion coloniale. Les missions exploratoires qui sont venues après l’installation du système de Protectorat inaugureraient un autre épisode de domination coloniale.

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[1] Mechri Ben dana (Kmar), « Les missions scientifiques Françaises en Tunisie dans la deuxième moitié du XIXème siècle » .in, Les Cahiers de Tunisie, N°157-158.1991.P.189

[2] -Ibid .p.199

[3] Idem

[4]– كريّم (عبد المجيد)، مداخلة في ندوة بعنوان:

Réseaux d’échanges et mutations sociales en Méditerranée occidentale ,19ème et 20ème siècles.”

بتاريخ 26 -27 نوفمبر 1999 بكلية الآداب والعلوم الإنسانية بمنوبة. وردت في: الحماص (محمّد)، الاستعمار الفرنسي وقبائل الوسط والجنوب بالبلاد التونسية (1881- 1950) ، مركز النشر الجامعي 2007. ص 28.

[5] Ageron (Charles – robert), France coloniale ou parti colonial ? P.U.F.1978.P.132.

[6] -Ibid.P.133

[7] -Lejeune (Dominique), Les Sociétés de géographie en France et L’expansion coloniale au XIXe siécle.Editions Albin Michel .Paris .1993.P.36.

[8] – Ageron (Charles – robert), France coloniale…op.cit.P.132

[9]   المنصر (عدنان)، الأهلي من منظور السانسيمونية، مشروع البحر الداخلي مثالا: مقال من أعمال الندوة العلمية التي انتظمت أيام 3 و4 بقابس ومدنين. المطبعة الرسمية. تونس 2008.ص 136.

[10] Ibid.

[11] Ibid.

[12]  المالكي (محمّد)، الحركات الوطنية والاستعمار في المغرب العرب. مركز دراسات الوحدة العربية. بيروت. ط 2.  1993.ص 15

[13] Starzak (Jean-François):Qu’est-ce que l’exotisme, département de géographie, université de Genève, 2008. p8

[14] – Ageron (Charles – robert), France coloniale…op.cit.P.133.

[15]Idem .P.134.

[16] Le comte-Denis (Maurice), La prospection et leurs mise en valeurs, guide et pratique, Librairie Schleicher paris.P.4.

[17] Mechri Ben dana (Kmar), « Les missions scientifiques…op.cit.P203.

[18] Charles Joseph “Tissot” (Charles Joseph), né à Paris en 1828 et mort en 1884, fut l’un des plus importants archéologues spécialisés dans l’histoire de l’Afrique du Nord. Il a également fait une importante carrière politique, au cours de laquelle il a occupé de nombreux postes diplomatiques, comme il a occupé le poste de vice-consul en Tunisie en 1852, puis consul à La Corogne, en Espagne, et a occupé plus tard le même poste à Salonique, puis est devenu Sous-directeur des Affaires politiques au Ministère français des Affaires étrangères, Ministre Plénipotentiaire au Maroc, puis ambassadeur en France à Istanbul. La dernière étape professionnelle de sa vie fut sa présidence du Comité d’Histoire au cœur de l’expédition scientifique officielle en 1883.pour plus d’informations voir. Broc(Numa), Dictionnaire illustré des explorateurs et grands voyageurs   Français du XIX ème siécle.Editions du C.T.H.S.Paris .1988.P.311-312.

[19] Service Historique de l’armée de terre (SHAT), Bobine S247.  Carton 2H1.Dossier 3. F 138. Rapport sur l’expédition de Tissot dans le sud tunisien en octobre 1857.

[20]  Archives du ministère des affaires étrangères (A.M.A.E), Bobine A9.  Carton 25H9 .Dossier 9. FF 58-68.

[21] Le nom d’Edmond Pellissier de Reynaud a commencé à apparaître dès 1830 lorsqu’il participa à l’occupation de l’Algérie, où il commanda l’état-major général et participa à la campagne militaire sur les villes de Mascara et la ville de Tlemcen. À partir de 1837, elle obtient le poste de directeur du département des affaires arabes en Algérie et ne reste à la tête de ce département que deux ans avant de partir pour devenir membre du comité d’exploration scientifique en Algérie. En 1842, il fut nommé consul à Mogador dans l’Extrême-Maroc, mais le roi du Maroc Abd al-Rahman refusa d’entrer au Maroc, il fut donc nommé en Tunisie pour occuper le poste du Consul à Sousse, avec le l’approbation du bey, et il continua cette mission de mai 1843 à avril 1848.

Pellissier (E),   Description de la Régence de Tunis, éditions Bouslama, Tunis ,1980.

[22] François Perrier est né le 18 avril 1833 dans la ville française de Valleraugue, et mort le 20 février 1888 dans la même ville. Sa carrière d’études débute dans la ville française de Nîmes, puis passe à l’École supérieure des sciences militaires, avant il rejoint en 1855 l’Ecole Supérieure d’Etat-Major de l’Armée de terre. En 1864, il est envoyé en Algérie pour superviser la restructuration du Département du Génie et de la Carte de l’Armée de terre. Il représente également la France dans de nombreux colloques et forums scientifiques internationaux. En 1873, il est élu membre de la Société de géographie de Paris.En 1875, il devient professeur d’ingénieur à l’École militaire, et est élu en 1880 membre de l’Académie des sciences, pour terminer sa carrière à la tête du Département de géographie de l’Armée.

Dictionnaire illustré des explorateurs et des voyageurs au XIXème siècle, Librairie la Roux, Paris, 1960.P.478.

[23] En plus des rapports militaires officiels qui relatent l’exploration et la conquête de la Tunisie, on trouve de nombreuses notes prises par certains des soldats qui ont participé à l’invasion et à travers lesquelles ils ont tenté de nous faire part de ce dont ils ont été témoins lors de la campagne militaire d’affrontements avec les tribus et le déroulement des batailles, en plus de nombreuses autres impressions qu’ils l’ont gardé du pays en général et ont essayé de faire apparaître l’establishment militaire comme un contributeur à la propagation de la civilisation occidentale en Tunisie. Parmi celles-ci, on mentionne :

 -Peyras (J) et Soumille (P), Les souvenirs d’un soldat bas-Alpin sur la conquête de la Tunisie (1881-1882), in Revue de l’Occident Musulman et de la Méditerranée, N°34, 1982, PP 63-79

– Chevillet(G), Scènes de la vie militaire en Tunisie, Paris, Sanard et Derangean ,1986.

[24] Archives Nationales de Tunisie. Série Historique, carton 239, Dossier 573-574-579-585.

[25] Il a vécu entre 1840 et 1892. Il est géographe appartenant à l’Ecole Sansimonienne, où il a été membre du Comité des Missions Scientifiques et Exploratoires et du Comité d’Exploration du Désert. Il a également effectué plusieurs voyages d’exploration dans le désert algérien.

 Les explorateurs géographiques aux 19éme siècles, ouvrage généraux .s.d.Paris.1990. p127.

[26] Duveyrier Henri, La Tunisie, Hachette, paris, P9.

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