Research studies

Du Maroc au Canada – L’intégration des artistes et des écrivains migrants : Quelles perspectives

 

Prepared by the researcher  : Pr. Nadia Chafik Afaf El Yaakoubi – Doctorante – Faculté des Sciences de l’Éducation – Université Mohammed V – Rabat

Democratic Arab Center

Journal of Strategic and Military Studies : Nineteenth Issue – June 2023

A Periodical International Journal published by the “Democratic Arab Center” Germany – Berlin

Nationales ISSN-Zentrum für Deutschland
 ISSN  2626-093X
Journal of Strategic and Military Studies

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Abstract

Le Canada est l’une des rares régions du globe dont les stratégies d’intégration des migrants, en général, et des artistes, en particulier, connait d’heureux aboutissements. Longtemps pays d’émigration, le Maroc devient à son tour pays d’immigration. Il est actuellement le seul État, en Afrique et au Maghreb, à avoir pensé et mis en place une politique d’intégration effective qui, pour assurer sa réussite, ne lésine sur aucun moyen, ni financier ni humain, et où le domaine de la culture n’y est pas en reste. L’expérience du Québec, fortement francophone et aguerri, qui pendant des décennies a efficacement étudié son dispositif d’intégration, pourrait-elle néanmoins inspirer, un tant soit peu, les institutions littéraires marocaines qui, demain, confrontées à un phénomène nouveau ouvriraient des perspectives à l’artiste et à l’écrivain migrant néo-marocain ? À toute fin utile, pour une démarche comparatiste éventuelle, c’est l’expérience de l’intégration de l’écrivain néo-québécois que nous relatons ici au regard à la fois du politique et de la littérature ; une source abondante d’informations sur la diversité culturelle et linguistique.

Canada is one of the few regions in the world where strategies for the integration of migrants in general, and artists in particular, are successful. Considered for a long time as a country of emigration, Morocco is now becoming a country of immigration. It is currently the only State in Africa and in Maghreb to have thought of and implemented an effective integration policy that does not spare any means, neither financial nor human, to ensure its success, and where the field of culture is not left out. The experience of Quebec, strongly French-speaking and seasoned, which for decades has effectively studied its integration system, could it nevertheless inspire Moroccan literary institutions which, tomorrow, confronted with a new phenomenon, would open perspectives to the neo-Moroccan migrant artist and writer? For all intents and purposes, for a possible comparative approach, it is the experience of integration of the neo-Quebec writer that we relate here from the point of view of both politics and literature; an abundant resource of information on cultural and linguistic diversity.

Introduction

En tout temps convoité pour son ouverture sur la Méditerranée et l’Atlantique, son étendue du Détroit de Gibraltar au Sahara, l’emplacement géographique du Maroc a été un atout majeur à son Histoire. Carrefour des grandes civilisations, il a vu accoster : Grecs, Phéniciens, Romains et Arabes qui se sont mêlés aux populations locales, les Amazighs. Sous l’auspice d’un royaume bâtit depuis le XVIIe siècle, cheminant avec pondération vers son apogée, le Maroc continue à être une terre d’accueil. Il voit aujourd’hui encore affluer, dans des conditions et des circonstances variées, des populations dites migratoires, ou transmigratoires[i] (Alioua 2015). Parmi celles-ci, de plus en plus nombreuses, déferlent les vagues massives d’une Afrique subsaharienne meurtrie par la loi de la série (esclavagisme, impérialisme, génocides, instabilités politiques et précarités socio-économiques subséquentes, etc.) auxquelles se joignent celles en provenance du Moyen-Orient, chassées par les affres de la guerre. D’un nord en déclin, le Maroc voit aussi arriver à petits flots des classes plus prospères en quête d’un meilleur confort de vie. Minoritaires mais pas moins motivées apparaissent également, par intervalles, celles qui, tournant le dos aux politiques restrictives de l’est, souhaitent saisir l’opportunité économique d’y faire fortune. Enfin, suite aux normalisations diplomatiques récentes, réapparaissent les communautés qui, autrefois inquiétées par le régime de Vichy, s’enthousiasment maintenant du renouement avec leurs racines, indispensable à la réconciliation identitaire.

Depuis l’observation de ces mouvements qui, au-delà de l’immigration s’inscrivent dans l’aménagement de la mondialisation, le Maroc mise sur une politique d’intégration réussie sur laquelle œuvrent depuis près de deux décennies plusieurs instances, ministères et organismes ; l’Institut des Études Africaines[ii] en fait partie. Sa considération de la question n’est pas sans rappeler celle du Canada reconnu également pour sa richesse historique et sa tradition hospitalière, de même que son succès en matière de politique d’intégration qui n’est plus à démontrer. Canada, à l’origine Kanata en langue amérindienne, signifie d’ailleurs, littéralement, agglomération.

Dans un champ d’investigation vaste et aussi complexe que celui lancé par les deux pays soucieux de l’avenir de leur potentiel humain, nous avons restreint notre pôle de recherche à la littérature francophone et à l’interculturalité qui lui est inhérente. Notre étude consiste ainsi à mettre en exergue les stratégies probantes d’insertion de l’écrivain migrant au Québec comme une feuille de route plausible à la littérature marocaine. Aussi modestes soient-ils, nos hypothèses, nos constats et nos analyses pourraient cependant permettre des extrapolations qui s’appliqueraient aussi bien au migrant non francophone, s’étendrait à l’art en général, ou inspireraient les stratégies d’intégration culturelles au Maroc, comme ailleurs.

À quand une immigration littéraire institutionnalisée au Maroc ? Au vu de la situation migratoire actuelle, on ne s’étonnera pas que dans les prochaines années se distinguent des écrivains et des artistes de contrées diverses qui formeraient un mouvement, prendraient place aux côtés des natifs et poursuivraient avec eux l’écriture de l’histoire de la littérature marocaine. Dans l’ordre des choses, il serait cohérent que nos néo-marocains revendiquent un statut légitime autre que celui d’écrivain de deuxième zone et, à leur création, un espace à part entière qui ne se contenterait pas d’être une alcôve réservée à la pièce rapportée. Il aurait été pertinent à ce propos d’interroger le parcours de Daï Siji, de Khadi Hane ou d’Amélie Nothomb que le lectorat associe tantôt à leur pays d’origine, tantôt à la France, leur terre d’adoption dont les institutions littéraires reconnaissent leur activité : tous y sont édités et primés.

L’histoire de la littérature québécoise désigne par néo-québécoise la littérature des nouveaux écrivains, apparus dans les années 80, et réactualise le débat sur le « discours identitaire univoque » (Simon 1999, p.27). Polyphone et disparate, la littérature des migrants au Québec ne peut que nous éclairer sur une littérature néo-marocaine potentielle. Portée par des voix multiculturelles, elle a plausiblement incité les politiques à reconsidérer la situation des migrants, contribué à baliser le chemin vers de nouvelles stratégies d’intégration, à ouvrir la voie à un art intégré mais, surtout, à asseoir une reconnaissance institutionnelle littéraire qui constitue une ramification de la politique globale d’intégration.

Nous ne sommes pas sans le savoir que, par le passé, le Maroc a ouvert ses portes à de nombreux artistes et écrivains de nationalités diverses qui, pour un motif ou un autre, une expectative ou une autre, y ont trouvé un havre de paix et élu domicile, certains jusqu’à leur dernier souffle. Tanger, par exemple, a accueilli pas des moindres : Paul Bowles, Samuel Beckett, Jean Genet, ou encore Rachid Mimouni qui y a trouvé refuge dans les années 90, pendant l’intégrisme montant en Algérie[iii]. La tradition hospitalière se poursuit et, à ce jour, le Maroc n’est pas en manque de manifestations culturelles qui, pour la plupart, se déroulent dans les villes cosmopolites. Outre Tanger, chaque année Marrakech, Casablanca et Essaouira font rayonner les cultures de toutes les contrées rassemblant en leur cœur artistes et gens de lettres internationaux autour de salons littéraires et de festivals (du cinéma, de la musique, du rire, etc.) ; le plus récent, le Festival du Livre Africain de Marrakech (FLAM), a connu sa première édition retentissante[iv]. Le Maroc réunit donc les conditions optimales qui soutiennent et garantissent une politique d’ouverture et d’intégration manifestement arrivée à maturité. Quel avenir réserverait-on dores et déjà au migrant qui choisirait l’art ou l’écriture, ferait du Maroc sa source d’inspiration, le fief de son art, voire son panthéon ? Pour envisager la situation de l’écrivain migrant qui, progressivement, se rallierait aux institutions littéraires marocaines, l’exemple du Québec est tout tracé ; il permettrait idéalement de reproduire les réussites et d’éviter les erreurs.

  1. L’interculturalisme québécois

Adopté au Québec pendant la deuxième moitié du XXème siècle, la politique de l’interculturalisme permet la gestion de la diversité ethnoculturelle conséquente aux flux migratoires. Depuis, l’interculturalisme est souvent perçu comme exclusif au Québec. Il est « quelque chose qui existe au Québec et n’est pas dans les autres pays. Il est une façon de s’organiser dans le contexte nord-américain » (Lisée, 2023). Son succès relève de son objectif premier qui est d’établir d’abord une harmonie entre la majorité composée de francophones nés au Québec et les minorités des communautés ethnoculturelles issues de l’immigration. « [A]xé sur la recherche d’équilibres, [il] met l’accent sur l’intégration, les interactions et la promotion d’une culture commune dans le respect de la diversité » (Bouchard 2012, 51). Bouchard décline plusieurs critères qui en éclaircissent le concept. Nous en retiendrons trois. Le premier est celui de la langue qui consiste à instituer une langue commune indispensable dans les rapports interculturels ; le français en l’occurrence. Le deuxième, repose sur le fait de « cultiver une orientation pluraliste, soucieuse de la protection des droits » (ibid). Le troisième est la mise en valeur de l’intégration, la reconnaissance de la participation et des interactions. Or par son universalité, l’art a le pouvoir de jeter les passerelles entre les cultures, permettre aux communautés d’être « participantes » et « interactives », de communiquer entre elles, de s’exprimer et de s’épanouir en symbiose. Parallèlement à l’organisation de l’interculturalisme, considéré comme la première phase d’insertion (au moyen de la francophonie), le Québec veille à l’intégration des artistes et des écrivains car ils sont en première ligne garants de cette symbiose ; leur participation créative étant davantage palpable et concrète. En encourageant l’expression identitaire différente au biais de l’art et de la littérature qui, en retour, accroissent ses ressources humaines, le Québec apporte un sang neuf et un souffle nouveau tant bien à la francophonie qu’à son développement socio-économique et culturel.

Le processus de l’intégration se fait lentement et ne peut se réaliser que par étape pour atteindre sa plénitude. Il diffère selon le profil des immigrants lequel détermine l’insertion et, plus tard, l’acquisition de la nationalité canadienne qui atteste d’une intégration officielle, essentiellement fondée sur l’égalité, l’exercice d’un métier et les années passées en activité. La nationalité est un passage du statut “d’assimilé” (administrativement, “résident permanent”) au statut de “citoyen”. Arrêtons-nous sur l’écrivain qui, à travers sa création (souvent des récits autobiographiques), raconte son parcours migratoire utile très certainement à la mise à jour de la politique de l’intégration et à sa réactualisation.

  1. Le statut de l’écrivain migrant et la place de la littérature néo-québécoise

L’écrivain est l’exemple même du migrant qui entre dans la grande histoire du Québec mais qui, en plus, a les atouts de l’écrire, la rendre pérenne comme l’œuvre d’art l’est par essence. Comme tous les migrants, il rompt dans une certaine mesure avec son pays d’origine et participe à l’interculturalisme. Son œuvre (au sens large du terme), mais également son penchant créatif, lui facilitent sa nouvelle socialisation régie par des codes qu’il lui est primordial d’apprendre et de décrypter pour s’adapter à son nouvel espace de vie. C’est à juste titre qu’à propos de la dimension spatiale, première étape de l’intégration, Françoise Têtu de Labsade écrit :

« S’approprier un nouveau continent exige de mettre de côté des notions d’espace, innées ou acquises, pour inventer un nouvel art de vivre » (Tétu de Labsade, 491)[v].

Si l’art en général ou la littérature se présentent comme un outil de révélation et de revendication, ils n’en sont pas moins un outil de médiation culturelle. Mais pour qu’ils soient populaires, à tous accessibles, il leur faut forcément, au même titre que toutes les subdivisions de la politique d’intégration, un encadrement, celui-ci n’étant autre que celui de la politique culturelle ; l’institution littéraire en fait partie intégrante.

En leur consacrant la loi de 1988 qui prend en considération leur statut, la politique culturelle place au centre de ses intérêts l’insertion de l’artiste et de l’écrivain visant, bien évidemment, celle de tous les immigrés. Cette loi est spécifique au domaine des arts visuels, des métiers d’art et de la littérature promue par l’association de l’Union des écrivaines et écrivains québécois (UNEQ). Elle considère :

 « L’artiste, et par extension l’écrivain, comme celui 1) qui se déclare professionnel ; 2) qui crée des œuvres pour son propre compte ; 3) dont les œuvres sont exposées, produites, publiées, représentées en public ou mises en marché par un diffuseur et 4) qui a reçu de ses pairs des   témoignages de reconnaissance comme professionnel, par une mention d’honneur, une récompense, un prix, une bourse (…) » (ibid).

C’est à Montréal, ville cosmopolite, qu’un grand nombre d’écrivains migrants se concentre pour franchir le seuil de l’institution littéraire qui va les conduire d’une maison d’édition au lectorat puis à la réception critique, etc. Mais rares sont les écrivains qui, comme Ying Chen et Sergio Kokis, jouissent d’un parcours unilatéral et vivent de leurs écrits et des prix littéraires qui leur sont décernés. La plume ne suffisant pas toujours à subvenir aux besoins de premières nécessités, une seconde intégration professionnelle s’avère impérative, une autre étape dans la vie de l’écrivain migrant. Souvent, celui-ci va exercer un métier plus rémunérant qu’il doit avec un peu de chance à sa vocation d’écrivain et à son insertion par la voie de l’institution littéraire. Sur les ondes de Medi 1, Naïm Kattan le confirme :

« J’ai été directeur du Conseil des Arts du Canada, j’ai travaillé dans la commission sur le bilinguisme et le multiculturalisme. Je suis professeur de littérature à l’université de Québec » (Martin et Drevet 2001, 228).

Quant à Dany Laferrière, il a été chroniqueur sur des chaînes nationales canadiennes (Radio-Canada, Bazzo.tv), et Régine Robin  a occupé le poste de professeure émérite de sociologie à l‘Université du Québec à Montréal (de 1982 à 2004) et a été élue membre de la Société royale du Canada  et du Centre de Recherche Cultures Arts Sociétés (CELAT), en 1988.

L’écrivain migrant espère forcément une intégration dans le corpus national pour abolir le “dualisme norme/périphérie”. D’abord, en établissant une mobilité entre deux activités ; l’une économique et ordinaire, l’autre culturelle et atypique. Ensuite, en fusionnant sa littérature périphérique avec la littérature québécoise qui, elle, chapeaute toutes les littératures, y compris, dans certaines contingences politiques, la littérature amérindienne, au grand dam des écrivains autochtones qui le contestent et disent s’en démarquer. Il faut, de ce fait, requérir de la prudence et veiller au choix du verbe pour désigner la littérature de souche qui, pour Danielle Dumontet, est celle qui « se produit, se diffuse, se consomme sur le territoire du Québec qui s’exporte à l’étranger comme provenant du Québec » (Dumontet 2005, 285). L’intégration de la littérature migrante dans l’institution littéraire québécoise étant importante pour sa réalisation, l’écrivain migrant cible le titre d’« écrivain québécois » pour être reconnus par la « profession ». Dans un article de la revue Vice Versa, pour désigner ce « mouvement qui œuvr[e] pour la reconnaissance de l’altérité dans les lettres québécoises » (ibid, 283), Berrouët-Oriol parle de l’effet de l’exil. Plutôt qu’à l’histoire de la littérature québécoise, Daniel Chartier préfère en référer à l’histoire de la vie littéraire québécoise car elle comporte « toute activité ou problématique liée à la littérature qui se déroule au Québec » (ibid, 285). Ce qui signifie que, grâce à l’historiographie, la littérature migrante fait corps avec la littérature québécoise et devient, conjointement avec elle, élaboratrice d’une littérature « ancrée dans la modernité, voire la postmodernité et enfin dans l’américanité » (ibid), comme le souligne Dany Laferrière. Mais ce qui davantage va légitimer la littérature migrante, conforter ses écrivains dans leur nouveau statut, c’est, concrètement, l’institution littéraire.

  1. L’institution littéraire

Au Québec, comme ailleurs, les auteurs migrants avancent des raisons variées qui les ont poussés à quitter leur pays natal. C’est une question sur laquelle Régine Robin insiste dans la postface de son roman La Québécoite :

« Et puis, bien entendu, l’écrivain migrant est aux prises avec son pays d’origine, qu’il l’ait quitté pour des raisons politiques, économiques, ou tout simplement personnelles » (Robin 1993, 209).

Que les auteurs aient amorcé leur carrière littéraire dans leur pays d’origine ou au Québec par libre-choix ou dans un cas de force majeure, ils pratiquent “ l’immigration littéraire ”. Concernant le choix, donnons l’exemple de Ying Chen qui s’éprend de la langue française, décide de poursuivre des études à Montréal et opte pour la création littéraire. Concernant le cas de force majeure, « certains Haïtiens (…) avaient déjà fait leurs débuts littéraires en Haïti, puis avaient dû émigrer pour des raisons politiques et (…), par la suite, ont immigré dans le champ littéraire québécois » (Dumontet 2005, 288), c’est notamment l’exemple d’Étienne Gérard, ou encore d’Anthony Phelps qui « se considère comme un écrivain haïtien en exil » (ibid). Pour les uns comme pour les autres, c’est l’institution littéraire qui se porte garante, leur permet de sortir de l’anonymat d’immigré et de la marginalité d’écrivain périphérique, leur accordant « une certaine reconnaissance littéraire en inversant l’illégitimité qui pesait sur [eux] » (Albert, 2005, 67). C’est elle qui leur accorde le statut d’écrivain du Québec, les assimile, les publie et les répertorie (ibid, 61). Elle a toutes les prérogatives de les intégrer en leur évitant ce que désigne Sherry Shimon par piège ethniciste qui « consiste à isoler une partie de la production nationale d’un pays en faisant une catégorie littéraire à part et enfermer les écrivains dans une étiquette réductrice qui les condamne à ne traiter que du thème de l’immigration » (ibid). La question de l’étiquette importune les auteurs qui estiment que l’appellation « écrivain migrant » limite leur créativité. Ils désapprouvent la ghettoïsation et refusent de se laisser enfermer dans le cloisonnement d’une terminologie qui met l’accent sur la migration ou l’ethnicité. Anthony Phelps voit « dans l’appellation écriture migrante le danger suivant, celui d’enfermer l’auteur dans une catégorie à part en marge de la vraie littérature, qui serait la littérature québécoise » (Dumontet 2005, 288). La polémique soulevée par le choix du lexique pousse les institutions littéraires et universitaires québécoises à approfondir leurs réflexions sur la présence des écrivains venus d’ailleurs dans le champ littéraire nationale. Toutes les deux, soutenues par des subventions gouvernementales, accordent des opportunités aux chercheurs et aux écrivains, québécois et migrants confondus. Dans la catégorie « fiction », les éditeurs sont fortement séduits par les manuscrits des écrivains migrants à caractère exotique et aux thématiques singulières. L’aspect métisse et hybride, d’où découle la “complexité” de l’immigration, les conflits identitaires, la nostalgie et le dilemme, est fort apprécié d’un lectorat à la recherche du processus d’identification ou d’une littérature qui les sort des sentiers battus.

Il n’est pas exclu que des écrivains créent des maisons d’édition. Au Québec, ressortent les noms de Marie LeFranc et d’Eugène Achard, fondateurs des Éditions du Zodiaque. En faisant le point sur l’accueil que réservent les nouvelles éditions aux nouvelles voix et identités, l’écrivain Jean-François Chassay constate que :

« Ce sont des maisons souvent créées par des éditeurs qui ont l’âge de leurs écrivains » (Guy 2018).

Ce constat relève sans nul doute du fait qu’en augmentant son aide et en adoptant une nouvelle loi dans les années 80, le gouvernement québécois facilite le développement des entreprises qui œuvrent dans les domaines du livre et de la création des programmes sur l’édition (Michon 2011). De cette manière, de jeunes éditeurs migrants ont pignon sur rue. En prenant part aux métiers du livre, ils entrent par la grande porte de l’institution littéraire et, par ricochet, réduisent les obstacles qui ralentissent la publication de leurs compagnons de fortune issus de l’immigration. C’est pourquoi dans les années 90 la nouvelle génération néo-québécoise, moins attirée par les maisons d’édition classiques (Leméac, Boréal, XYZ et Québec Amérique), s’est laissée séduire par des éditions comme PQ, Luzerne Rousse et VLB éditeur qui ont la réputation de participer activement à l’animation culturelle et porter un intérêt particulier aux écrivains néo-québécois qu’elles présentent au grand public. À l’instar de la littérature du Québec, amérindienne et québécoise, auprès de laquelle elle prend place, la littérature migrante est suivie par un attaché de presse qui prépare sa réception et assure sa promotion.  La réception critique passe par deux institutions : l’institution littéraire nationale et l’institution de l’éducation nationale. La première décerne aux écrivains des prix et des récompenses qui font leur notoriété. L’écrivaine Isabelle Gagnon remarque « la croissance exponentielle des prix littéraires remportés par les auteurs migrants de 1980 à 1990 » (Ringuet 2005, 313), et énumère les grands prix qui montrent cette croissance : le Prix du Gouverneur Général attribué à huit auteurs  migrants de 1959 à 2000, parmi lesquels Ying Chen pour son roman L’Ingratitude ; le Grand Prix du livre de Montréal attribué, en 1991, à Émile Ollivier pour Passages et, en 1994, à Sergio Kokis pour son roman autobiographique Le Pavillon des miroirs lequel reçoit trois autres prix : celui de l’Académie des lettres du Québec, du Québec-Paris, et Desjardins ; ce qui fait de Kokis l’auteur québécois d’origine étrangère le plus récompensé sur un seul titre.

La deuxième institution joue un rôle plus que prépondérant dans la réception des œuvres littéraires des migrants puisqu’elle est l’un des piliers porteurs d’une nation : l’éducation. Dans les manuels scolaires, elle introduit les textes d’écrivains venus de contrées différentes et unit de la sorte, par l’intermédiaire de l’apprentissage, toutes les cultures que compte le Québec. Dans la continuité d’un enseignement fédérateur, les universitaires créent des ouvrages scientifiques qui élaborent des approches théoriques et méthodologiques consacrées aux œuvres littéraires migrantes. Entre autres, l’essai de Simon Harel Le Voleur de parcours. Identité et cosmopolitisme dans la littérature québécoise contemporaine ; Ces étrangers du dedans. Une histoire de l’écriture migrante au Québec (1937-1997) de Renate Hildebrant et Clément Moison, et le fameux Dictionnaire des écrivains émigrés au Québec 1800-1999 de Daniel Chartier.

La réussite des écrivains migrants n’est jamais facile, ni rapide, la réception institutionnelle qui leur est réservée montre néanmoins qu’ils sont accueillis à bras ouvert. Elle affirme leur statut d’écrivain à part entière et les prédestine à une reconnaissance internationale.

  1. Dialectiques spéculatives et témoignages d’écrivains

Bien qu’échantillonnée et sans être exhaustive, la lecture d’extraits fictionnels et de critiques littéraires est susceptible de corroborer l’efficacité de la politique d’intégration culturelle et d’en esquisser les limites. Si pour Piccioni, l’auteur migrant est « le porte-parole de sa communauté d’origine, position inconfortable en ce sens qu’elle fait de lui l’écrivain ethnique de service, ou encore le représentant d’une ethnicité institutionnalisée » (Piccioni, 2007), Lise Gauvin adhère à l’idée que la production littéraire des néo-québécois «contribu[e] à poser d’une autre manière des questions essentielles » (Klaus, 1992) ; ce qui étaye la remise en question des identités et l’argumentation d’un paysage humain québécois en évolution permanente. L’écriture transforme la conception de l’identité par la revendication d’une identité hybride, francophone et nationale québécoise à laquelle s’ajoute une projection dans la mondialisation. Bien que chaque migrant vit une expérience migratoire et un rapport interculturel individuels, Berrouët-Oriol propose une lecture normalisée des œuvres d’écrivains dont l’homogénéité réside dans l’intertextualité :

« La problématisation des identités culturelles multiples, la présence de plusieurs territoires de références distincts, la thématique de l’errance, de l’exil et du cosmopolitisme, enfin une certaine hybridité discursive » (Brüske, Jessen 2013, p. 60).

L’écrivain migrant raconte généralement le périple d’un personnage, son initiation dans un pays autre que sa mère-patrie initiale, et son appréhension d’une culture différente de la sienne. Il invite à porter un regard nouveau sur soi, sur l’autre et sur leurs rapports. C’est dire que l’expression identitaire constitue le thème fondamental de la littérature migrante, si ce n’est le seul. Elle a pour finalité de tisser des liens entre le pays d’origine et celui d’accueil, entre la vie littéraire antérieure et celle réalisable au Québec. Les premiers néo-québécois qui ont fait retentir la voix de l’identité déchirée et métissée ne se comptent plus. C’est le cas de Naïm Kattan, arabe et juif francophone, qui dans son essai Le réel et le théâtral médite longuement sur son exil au Québec et son tiraillement entre l’Occident et l’Orient. Relatée dans des autofictions, l’aventure des auteurs est souvent emplie de péripéties rocambolesques et de chocs des cultures, cependant le dénouement en est de bon présage, annonciateur d’un retour à la stabilité et d’une intégration heureuse. Dans La Québécoite, Robin mêle plusieurs problématiques, celle de la mémoire (la judéité), de la ville (les déambulations urbaines à Montréal), et de l’Histoire (la Seconde Guerre mondiale et la Shoah). Chez elle, « la parole de l’autre [naît] du mouvement pour raconter la complexité identitaire » (Joseph 2001, 40). Elle s’épanche sur son errance, le va-et-vient entre les cultures et la fracture identitaire qu’elle soulève par le procédé de la polyphonie et du collectif qu’elle décline en trois pronoms, «elle», « je » et « tu » :

« Elle ne saurait jamais où la porteraient ses pas. (…)  écartèlement des cultures je suis à califourchon (…). Toi perdue, à nouveau l’errance » (Robin 1993, 63).

La rhétorique fonctionne comme une compensation qui dérobe l’écrivaine au déracinement et à la solitude exacerbée qu’elle ressent à son arrivée à Montréal :

«(…) Québécité – québécitude – je suis autre. Je n’appartiens pas à ce Nous si fréquemment utilisé ici – Nous autres – Vous autres. (…) Je n’ai pas d’ancêtres coureurs de bois » (Robin 1993, 53-54).

L’autre l’accule à la dualité et à la négation de soi mais, paradoxalement, l’entraîne dans une lutte acharnée qui l’aidera à sortir de la marginalité et, à long terme, lui deviendra salvatrice. La description de Montréal lui échappe, les diverses rencontres qu’elle y fait sont plus ou moins riches mais, plus tard, lui paraîtront formatrices, affirmeront sa plume et feront sa renommée. Le destin d’une femme-migrante doublé de celui de l’écrivaine qui lui est intimement lié seront par l’autre mis en lumière et révélé au lecteur. Hélène Amrit écrira que Robin entreprend « trois tentatives de projets romanesques et aussi trois tentatives d’établissement dans trois quartiers différents de Montréal ” et que son “roman narre «l’arrivée en ville » ou, plus précisément, a le projet de narrer cette arrivée et va s’y reprendre à trois fois » (Amrit 2014, 259). La ville, ses places publiques et ses avenues, qui par comparaison à celles qu’elle connait lui paraissent étranges, sont représentées de manière fragmentée, au travers d’une nomenclature de lieux bilingue : highways, freeways, midtown, downtown, grands magasins : SIMPSON, WOOLWORTH, banques : Banque canadienne nationale, Banque mercantile du Canada, etc. Montréal devient le haut lieu du devenir possible auquel se raccroche le rappel aux sources, incontournable :

« Elle habiterait Snowden (…), parallèles ou perpendiculaires à Queen Mary. Quartier d’immigrants à l’anglais malhabile où subsiste encore l’accent d’Europe centrale, où l’on entend parler yiddish » (Robin 1993, 23).

Le déplacement rapide de la narratrice renvoie au projet d’une installation aussi rapide, à l’empressement d’établir un dialogue avec le pays d’accueil. Sa quête interculturelle est parachevée par sa fréquentation d’un membre du Parti Québécois qui devient son médiateur. Elle tombe amoureuse de lui, l’épouse et, à ses côtés, multiplie ses efforts pour comprendre et se faire comprendre :

« Même ma langue respire l’air d’un autre pays. Nous nous comprenons dans le malentendu. À la recherche d’un langage, de simples mots pour représenter l’ailleurs, l’épaisseur de l’étrangeté, de simples mots » (Robin 1993, 52-53).

Comme Régine Robin, dans son premier roman, Dany Laferrière raconte son intégration. Au titre provocateur[vi] et largement autobiographique, celui-ci traite également du thème de la migration collective et personnelle. L’insertion professionnelle n’empêchera pas l’auteur de revenir sur les difficultés sociales qu’il a rencontrées au début de sa carrière et sur la discrimination à laquelle il s’est heurté. Vieux et Bouba tentent leur chance à Montréal, nouvel Eldorado qui les sauve de l’oppression haïtienne. À travers Vieux qui y végète et audacieusement s’y aventure, le lecteur expérimente l’intégration au sein de la communauté “ blanche ” montréalaise et le rêve de devenir un grand écrivain :

« Le narrateur a d’autres ambitions : écrire un livre – celui-ci – sur une machine à écrire censée avoir appartenu à Chester Himes et lui donner, par conséquent, une inspiration supérieure » (Maury 2016, 12).

Vieux est persévérant et plein d’optimisme, à l’image de l’auteur. Son discours est bâti sur le paradoxe comme chez Robin, à la différence que les incertitudes sur l’avenir y sont moins perceptibles. Lorsqu’à lui se manifeste le doute, il en fait sa force et son meilleur atout. En la réussite il croit dur comme fer car de sa vulnérabilité il fait une résilience :

« II suffit (…) d’être sans le sou, sans éditeur, pour croire que l’ouvrage qu’on est en train d’écrire avec la violence de ses tripes est le chef-d’œuvre qui vous sortira du trou » (Laferrière 1985, 154).

De l’écriture en laquelle il s’investit dépend sa survie. L’acte d’écrire renferme en lui toutes les promesses, tous les espoirs, et va s’avérer payant. De l’indépendance financière il conduira plus tard l’auteur à l’ascension sociale qui, ensuite, l’engagera dans une forme d’intégration élitique. L’acte d’écrire va plus loin encore que l’acceptation de l’autre, qu’une extirpation de la misère, qu’une aspiration à la prospérité, il signifie la conquête de l’Amérique, d’ailleurs haut et fort clamée :

« Posséder l’Amérique : ― C’EST SIMPLE : JE VEUX L’AMÉRIQUE. Pas moins. (…)  Je veux tout : le bon et le mauvais, ce qu’il faut jeter et ce qu’il faut conserver, ce qui est laid et ce qui est beau. L’AMÉRIQUE EST UN TOUT » (Laferrière 1985, 29).

Cette déclaration d’amour de Laferrière faite à l’Amérique sonne comme un serment. Elle dévoile sa fascination pour l’autre, sa détermination à s’enrichir d’une nouvelle contrée et d’une identité nouvelle dont il accepte les dualités qu’elle présuppose et les sacrifices qu’elle exige. Son projet maître est de poursuivre l’abolition des barrières identitaires, d’encourager les brassages, de reprendre le flambeau des anciens, de Senghor et de Césaire certainement qui, en l’interculturel, voyaient déjà un espace sans frontières où Blancs et Noirs se retrouveraient dans le culte du Beau, autour de l’art et de la littérature, sans discrimination aucune. Dans son entretien avec Hélène Marcotte, « Je suis né comme écrivain à Montréal », Laferrière affirme qu’il est « essentiel que les immigrants se mêlent davantage à la population de tous les coins du Québec ». Non sans ajouter, dans un pragmatisme rehaussé d’humour :

« Il faut parler un langage que les gens comprennent et non parler d’aspects technique et légal. De même, il faut dire aux gens que, s’ils n’ont pas de noirs dans leur ville, ils ne sont pas à la mode ! » [car l’immigrant] « a beaucoup à offrir à leur [québécois] » (Marcotte, 1990).

Une autre figure emblématique de la littérature migrante est Sergio Kokis, romancier et peintre brésilien qui vit au Québec. Dans son roman Le Pavillon des miroirs, il présente sa personne à la croisée de l’exil, du nomadisme et du pluralisme linguistique, thématiques dans lesquelles il révèle son intention d’ouvrir sa culture sur le Québec et sur la langue française qu’il soumet à une “déterritorialisation”[vii] « par l’émergence d’un espace physique et culturel brésilien, espace privilégié de la mémoire » (Bertrand, Gauvin 2003, 104). Ce qui n’est pas sans rappeler, dans la littérature marocaine, l’originalité, les prouesses linguistiques et les néologismes de La mémoire tatouée et de l’Amour bilingue d’Abdelkébir Khatibi.

Conclusion :

Plus qu’un lointain souvenir dans les mémoires, l’expérience des néo-québécois continue pourtant à nourrir les questionnements sur l’identité ; un sujet d’écriture et de débat inépuisable. Tous disent avoir déployé l’effort de s’intégrer mais ne remettent pas en question les politiques institutionnelles qui, au contraire, ont mis à portée de leur main les clés de l’accomplissement. Dans leurs écrits et les entretiens accordés aux média, jamais le sentiment d’échec n’est évoqué. Les phases sombres de leur parcours de migrants et d’écrivains, qu’ils imputent plutôt à leur histoire personnelle, à celle de l’exil et des années d’adaptation, n’auront été selon eux que sporadiques ou temporaires. Tous s’accordent à dire avoir fait carrière et être sortis de l’ombre parce que l’égalité des chances leur a été donnée ; sans doute parce que, dans notre intime conviction, le Canada n’a pas oublié son histoire et le Québec se souvient…

L’intégration des migrants appelle à des changements complexes qui, évidemment, dépendent de nombreux paramètres individuels et collectifs, relatifs à un contexte, à une période et à un environnement. C’est dire d’emblée qu’un plan d’intégration ne peut être calqué intégralement sur un autre. Le Maroc, « devenu un des pays du monde les plus dépendants des migrations internationales » (Vermeren, 2019), tient compte d’abord de sa propre situation conjoncturelle en tant que pays d’accueil, d’installation et de transit vers l’Europe. L’avènement au pouvoir de sa Majesté le Roi Mohamed VI a marqué une nouvelle ère, le début d’une opération drastique en faveur du changement et d’une nouvelle conception de l’immigration. Nous assistons à ce changement sur le plan politique, économique, social et culturel grâce, entre autres, à trois projets qui facilitent le rapprochement des migrants avec la population locale et protègent leur statut:

 – La Stratégie Nationale d’Immigration et d’Asile. Elle rassemble pas moins d’une trentaine d’objectifs[viii] et concerne l’ensemble des migrants, y compris le cercle des intellectuels. Les projets culturels qui y sont inclus visent à promouvoir la diversité des formes d’expression culturelle.

– SHARAKA[ix]. Lancé en 2014, son but est d’appuyer le gouvernement marocain dans son accueil des migrants mettant en valeur plusieurs plans d’action ; le plus important est « l’intégration professionnelle des immigrés régularisés au Maroc ».

– La Fondation Orient-Occident. Association à but non lucratif, elle s’engage à créer des centres de formation socio-éducatifs et professionnels en faveur des migrants et des réfugiés. Elle travaille à la protection de la diversité et à la valorisation de toute expression culturelle. Actuellement, elle est présente dans un bon nombre de villes à forte densité migratoire comme Casablanca, Tanger, Oujda, Marrakech, et s’est même implantée à Lecce, en Italie.

Alors que le Québec est par son instauration de l’interculturalisme un modèle en Amérique, le Maroc est par ses projets de grande envergure un modèle en Afrique. Encore à l’écoute d’une population migrante qui entre dans ses « moments de rupture » (Geffroy 2017, 76), les stratégies mises en place sont en phase d’expérimentation et leurs résultats ne peuvent, à ce jour, être que partiels ou latents. Cependant, elles commencent à montrer leur efficacité, particulièrement dans l’insertion professionnelle et socio-économique qui demeure l’urgence de toutes les instances étatiques. Avant d’être raccordé aux plans d’insertion prioritaires, le réaménagement de l’institution littéraire et artistique pourrait paraître pour le moment subsidiaire. Mais, au vu du foisonnement des manifestations culturelles ouvertes à l’Afrique et autres continents qui voient le jour, il est lui aussi porteur des prémices d’un changement qui ne peut être que concluant. C’est donc le moment opportun pour ses responsables (éditeurs, critiques, chercheurs-universitaires, enseignants, attachés de presse, etc.) de réfléchir, au même titre que les politiques, à la place à concéder aux écrivains et à leur activité, cela dans la continuité de l’idéologie multiculturelle, plurilingue et « anti-éthniciste » déjà entérinée par la Constitution. Par exemple, l’institution culturelle marocaine pourrait commencer par s’inspirer de l’institution québécoise, sur le plan législatif. Nous faisons ici référence à la loi de 1988 sur le statut des écrivains et des artistes, et sur le développement des entreprises des métiers du livre et de l’édition. Qu’ils soient d’ici ou d’ailleurs, l’art et la littérature sont une mine d’or à qui sait les lire et les apprécier à leur juste valeur. Ils sont la lanterne de toutes les sciences, à commencer par l’histoire de l’humanité. Pourvu que l’on s’en souvienne, ils sont depuis la Grèce antique le support de l’éducation et de la culture.  Introspection de soi et ouverture sur l’autre, ils sont le pont des échanges. Au Québec, ils n’ont pas été négligés dans les plans d’intégration d’ensemble, ni relégués à un rang second. Les artistes et les écrivains migrants immergent dans une culture nord-américaine grâce au contact de laquelle se développent et s’enrichit leur création, leur écriture et leur littérature d’expression française qui, de surcroît, y est enseignée. Le Québec croit en eux comme en toutes les composantes de son potentiel humain culturellement différentes par leurs couleurs, leurs langues maternelles, leurs religions, leurs niveaux socio-économiques, leurs formations professionnelles, etc. Dans sa configuration démographique, il a adapté à ses flux migratoires bigarrés, parfois ciblés, un plan d’intégration sur mesure, étalé sur des décennies et régulièrement rénové. Il a prévu des conditions d’insertion appropriées, motivantes et propulsives, car il a compris que de la diversité dépendaient aussi l’avenir, les rendements et les progrès qui marquent l’Histoire dont les écrivains sont les dépositaires.

[i] Terme qui serait plus adéquat au contexte marocain, selon le sociologue Mehdi Alioua

[ii] Dans le cadre du cycle de conférences programmé par le Master Francophonie : Politiques linguistiques et éducatives, nous a été profitable la prestation de Rachid Benlabbah, chercheur à l’Institut des Études africaines en Études postcoloniales : « L’Afrique entre réalités de diversité culturelle et échecs des États », Faculté des Sciences de l’Éducation, Université Mohammed V, Rabat, mardi 12 février 2019.

[iii] Tahar Djaout venait tout juste de se faire assassiner par un marchand de bonbons, dans de sombres circonstances.

[iv] L’événement s’est déroulé du 9 au 12 février 2023. Il vise à promouvoir la littérature africaine auprès du public et à élargir les échanges entre lecteurs, écrivains et éditeurs.

[v]  « Du canot d’écorce à la conquête des étoiles », in Le Québec à grands traits. Regard panoramique sur la civilisation québécoise, sous la direction de Bernard Emont, Paris, L’Harmattan, 2020

[vi] Comment faire l’amour avec  un nègre sans se fatiguer.

[vii] Nous parlons de la déterritorialisation d’une langue détachée de son espace d’origine. Le terme est emprunté à Gilles Deleuze et Guattari qui l’ont employé, en 1975, dans L’Anti-Œdipe. Il signifie “tout processus de décontextualisation d’un ensemble relations qui permet leur actualisation dans d’autres contextes”.

[viii] La stratégie nationale d’immigration et d’asile est initiée par le Maroc depuis septembre 2013 et s’inscrit dans la continuité d’une suite de mesures.

[ix] Lancé en avril 2014 pour une durée de 3 ans, avec un budget de 5,2 M€ cofinancé par l’UE, la France et les Pays-Bas, le projet SHARAKA (coopération en arabe) avait pour objectifs de soutenir le gouvernement marocain dans sa nouvelle politique migratoire amorcée en septembre 2013.

Ouvrages cités:

  • Albert, Christine. 2005. L’immigration dans le roman francophone contemporain. France:
  • Alioua, Mehdi. 2015. « Un monde en mouvement, du transit à la transmigration ». Migrants au Maroc Cosmopolitisme, Présence d’étrangers et transformation sociale. Rabat : Centre Jacques Berque. http//books.openingedition.org/CJB/872
  • Amrit, Hélène. 2014. « La littérature migrante est-elle soluble dans l’autofiction? ». Revue des littératures franco-canadiennes et québécoises, 9 (2) : 247-275. URL : https://uottawa.scholarsportal.info/ottawa/index.php/revue-analyses/article/view/1009
  • Arino, Marc et Marie-Lyne Piccione. 2007. 1985-2005, vingt années d’écriture migrante au Québec: les voies d’une herméneutique. Pu Bordeaux.
  • Bertrand, Jean-Pierre et Lise Gauvin. 2003. Littératures mineures en langue majeure. Bruxelles: PUM. 320 p.
  • Boivin, Aurélien. « Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer ou une dénonciation du racisme (…) ». Québec français. (131). 94–97. URL : https://www.erudit.org/fr/revues/qf/2003-n131-qf1187311/55694ac/
  • Bouchard, Gérard. 2012. L’Interculturalisme. Un point de vue québécois. Montréal: Boréal.
  • Boudarbat, Brahim. 2011. Les défis de l’intégration des immigrants dans le marché du travail au Québec : enseignements tirés d’une comparaison avec l’Ontario et la Colombie-Britannique(2011RP-07, CIRANO). Montréal. https://cirano.qc.ca/fr/sommaires/2011RP-07
  • Brüske, Anne et Jessen, Herle-Christin. 2 Dialogues transculturels dans les Amériques: Nouvelles littératures romanes à Montréal et à New York. Germany: Gunter Narr Verlag.
  • De Luca, Ylenia. 2018. « L’intégration des écrivains immigrants au Québec: La réponse ironique de Dany Laferrière », Lingue linguaggi, (28): 101-110. URL : http://siba-ese.unisalento.it/index.php/linguelinguaggi/article/view/19566/17036.
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  • Vurm, Petr. 2017. «Introduction». Études romanes de Brno 1, (38): 13-25.
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