Research studies

Genre et éducation sexuelle dans le système éducatif marocain

Gender and sexual education in educational system of Morocco

 

Prepared by the researcher

 . Zouhair GASSIM. Moulay Ismail University of Meknès. Maroc

. Aicha BARKAOUI. Université Hassn II, FLSH-Ain Chock. Maroc 

Democratic Arab Center

Journal of African Studies and the Nile Basin : Sixteenth Issue – June 2022

A Periodical International Journal published by the “Democratic Arab Center” Germany – Berlin

Nationales ISSN-Zentrum für Deutschland
ISSN  2569-734X

Journal of African Studies and the Nile Basin

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Résumé

Le système éducatif est un lieu de socialisation par excellence. Outre sa mission de transmission du savoir, il est l’un des lieux où se transmettent les normes et les valeurs relatives aux rapports sociaux entre les sexes.

Notre analyse du discours éducatif relatif à l’éducation sexuelle dans le système éducatif marocain a révélé que les représentations de la sexualité sont un enjeu de rapports sociaux de sexes. La continuité du discours différentialiste, la négligence des dimensions psycho-affectives et sociales de la sexualité, l’absence d’interactivité en classe et le passage sous silence des rapports de pouvoir entre les sexes sont, en effet, le reflet des représentations socioculturelles des places inégales des deux sexes qui pèsent encore sur l’imaginaire des concepteurs des manuels scolaires et des enseignant-e-s.

L’école reproduit donc les normes et valeurs historiques et ne participe pas à transformer la société et les mentalités. Les gens tendent à changer la société à travers une révolution silencieuse démographique et une sexualité émancipée.

Abstract

The education system is the core of socialization. In addition to its mission of knowledge transmission, it is one of the places where norms and values related to gender ​​are imparted. Our analysis of the discourse related to sexual education in the Moroccan educational system revealed that the representations of sexuality are an issue of the social relations between men and women. The continuity of the differencing discourse, the neglecting of the psycho-affective and social aspects of sexuality, the lack of interactivity in the classroom and the passage under silence of the power of gender relations are, in fact, the reflect of the sociocultural representations of the inequality between men and women which still weigh on the imagination of textbook designers and teachers. Therefore, the school reproduces historical norms and values ​​and does not participate in transforming the society and the mindsets. People tend to change society through a silent demographic revolution and an emancipated sexuality.

  1. Contexte et problématique 

La société marocaine vit de profondes mutations au niveau des normes et pratiques en matière de sexualité. D’un côté, la société marocaine a reconfiguré la conception que l’on se faisait du corps des femmes en tant que corps destiné essentiellement à la fécondité. La baisse du taux de fécondité se poursuit, en passant de 6 à 2,15 enfants par femmes entre 1960 et 2020 (HCP, 2021).

La société marocaine s’est donc emparée d’une nouvelle norme en relation avec la sexualité, dans le sens de la reproduction (nombre réduit d’enfants), bien que cette norme soit considérée auparavant comme contradictoire avec le paradigme religieux du corps procréateur des femmes. Cela signifie que le discours qui met les femmes dans une situation de génitrice ou de « coffre à grossesses » n’est plus dominant.

D’un autre côté, si les moyens de contraception ont contribué à cette baisse du taux de fécondité, ils ont aussi renforcé l’implication des femmes en matière d’activité sexuelle et dans la décision de la grossesse monopolisée auparavant par les hommes, dans la mesure où 73% des femmes mariées les utilisent pour contrôler une éventuelle grossesse[1].

Par ailleurs, avec l’avancement de l’âge du mariage, passant de 18 à 26 ans pour les femmes et de 24 à 31 ans pour les hommes (HCP, 2020), le Maroc connaît une augmentation marquante de l’activité sexuelle des adolescent-e-s et des jeunes des deux sexes (Guessous, 2013 ; Moataz et al., 2020), en dehors de la censure familiale et de l’institution du mariage (Boufraioua, 2017).

Et au sein de ces mutations, la mobilisation des femmes, de l’action des associations des droits humains et des associations féministes ainsi que l’inscription du Maroc dans l’universalité des droits humains ont contribué à l’adoption de plusieurs réformes juridiques et institutionnelles et à la mise en œuvre d’une politique de protection et de promotion des droits des femmes dans les domaines socio-économique et politique au Maroc. L’égalité entre les sexes est devenue donc une composante indispensable des politiques publiques, y compris la politique éducative.

Tous ces indicateurs laissent penser que les frontières entre le masculin et le féminin sont en train de se déplacer et que les inégalités entre les sexes sont en train de se réduire. Toutefois, il s’est avéré que les pratiques inégalitaires et les représentations différentialistes qui hiérarchisent les corps des hommes et des femmes en matière de sexualité ont maintenu le statu quo. Les expériences sexuelles des hommes et des femmes restent encore asymétriques, et le corps féminin est encore sous tutelle.

Les statistiques enregistrent une augmentation marquante de la prévalence des violences sexuelles à l’encontre des filles/femmes entre 2009 et 2019 (HCP, 2020), quel que soit l’âge et l’état matrimonial (DGSN, 2020). Ceci s’ajoute à la continuité de la tolérance envers la sexualité des garçons/hommes contre l’intolérance envers celle des filles/femmes, au nombre croissant des mères célibataires (INSAF, 2019), des avortements clandestins (AMLAC, 2016), des mariages des mineurs (HCP, 2020) et les résistances envers la dépénalisation de l’avortement.

Si l’organisation inégalitaire des sexes est une question transversale qui engage plusieurs institutions et acteurs, il n’en demeure pas moins que le milieu éducatif reste l’une des institutions pouvant y jouer un rôle capital. L’école est un espace privilégié de socialisation, d’adoption des normes et de construction identitaire des enfants (Dubet, Duru-Bellat et Heriot-Von Zanter, 1991 ; Carra, 2009 ; Debarbieux, 2000 ; Schmith, 2003 ; Jourdan et Berger, 2002).

Aborder la problématique des inégalités fondées sur le genre dans et par le discours éducatif, implique nécessairement un questionnement sur plusieurs composantes du système éducatif : ses structures, ses acteurs et ses pratiques, car outre le savoir transmis dans et par les manuels scolaires, il existe également des enjeux liés à des mécanismes complexes, non-dits et invisibles au sein de l’école, comme les pratiques éducatives (les explications, le choix des méthodes, les supports mobilisés…) mais aussi les représentations des élèves puisqu’ils/elles ne sont pas seulement des élèves, ils/elles sont également impliqués dans d’autres espaces de socialisation.

Au sein de ce discours, nous avons choisi de travailler sur les enseignements relatifs à l’éducation sexuelle puisque, au-delà d’un savoir qui se transmet à l’école, la conception actuelle de l’éducation sexuelle est au cœur de l’éducation de la personne et du citoyen (WHO, 1997, 1999). Elle vise à doter les apprenant-e-s des valeurs, connaissances et compétences qui inculquent le respect des droits humains, la justice sociale, la diversité et l’égalité entre les sexes, ainsi qu’à permettre aux jeunes d’adopter des attitudes de responsabilité individuelle, familiale et sociale (Population Reference Bureau, 1996 ; UNESCO, ONUSIDA et, OMS, 2009).

De ce fait, notre objectif n’est pas de décrire les différents enseignements relatifs à l’éducation sexuelle transmis dans et par le discours éducatif au Maroc. Il s’est agi surtout d’essayer de comprendre dans quelle mesure ce discours contribue-t-il à la (re)production des inégalités entre les sexes.

  1. Méthodologie et corpus :

Nous avons opté pour une analyse à la fois quantitative et qualitative de notre corpus composé de discours éducatif relatif à l’éducation sexuelle transmis dans et par les manuels scolaires et les pratiques éducatives.

Concernant les manuels scolaires, nous avons mobilisé vingt-et-un (21) manuels scolaires de cinq disciplines. Il s’est agi des disciplines considérées par le Ministère de l’Éducation Nationale, du Préscolaire et du Sport au Maroc comme porteuses de normes et valeurs relatives à l’éducation sexuelle, à savoir l’éducation islamique, l’éducation familiale (non généralisée), la langue arabe, la langue française et l’histoire géographie (Annexe).

Et pour les pratiques éducatives, nous avons mené une enquête de terrain auprès des enseignant-e-s concernées par ces enseignements. Beillerot (2003) distingue entre deux dimensions de la pratique éducative : l’une relative aux savoirs, aux significations, aux croyances et principes, et l’autre relative à l’exercice et l’application de ces savoirs et principes. Ainsi, nous avons distribué 306 questionnaires auprès des enseignant-e-s choisi-e-s aléatoirement, effectué 22 entretiens individuels approfondis avec eux/elles, et assisté à 7 séances d’éducation sexuelle en mobilisant l’observation participante.

La grille d’analyse que nous avons élaborée a abordé la majorité des thèmes relatifs aux différentes dimensions de la sexualité (UNESCO, 2009, p. 2), à savoir :

  • la dimension biologique : reproduction, procréation, transmission de la vie, perpétuation de l’espèce, appareils reproducteurs, accouplement, pénétration, érection, éjaculation…
  • la dimension préventive : moyens de contraception, préservatif, SIDA, MST…
  • la dimension psychoaffective : adolescence, désir, masculinité, féminité, virilité, partage, estime de soi, sentiments…
  • la dimension sociale : normes sociales, mariage, famille, promiscuité, amour, chasteté, prostitution, pornographie…

L’analyse des résultats nous a permis de dégager plusieurs résultats saillants dont les principaux sont : 1. Un discours différentialiste ; 2. Quasi-absence des dimensions psycho-affective et sociale ; et 3. L’absence de l’interactivité en classe.

  1. Un discours différentialiste 

L’analyse des résultats de notre terrain d’investigation a révélé que le discours éducatif relatif à l’éducation sexuelle transmis dans et par les manuels scolaires et les pratiques éducatives est sous-tendu par des représentations différencialistes.

D’un côté, dès les premières pages des manuels scolaires, force est de constater que seule la représentation du corps des garçons/hommes est présente dans maintes activités (figures 1, 2, 3, 4, 5, 6) au moment où ces enseignements concernent les deux sexes. Le corps des filles/femmes est ainsi invisibilisé.

                 Figure 1 : Représentation, SVT3C, p. 13                                                        Figure 2 : Représentation du corps, SVT

                 Figure 3 : Représentation de l’appareil urinaire, SVT3C, p. 42.                                                    Figure 4 : Représentation de l’appareil urinaire, SVT3C, p. 47

Figure 6 : Représentation relative aux dangers du tabagisme sur quelques membres du corps, SVT2C, p. 142

 

Figure 5 : Représentation relative au taux de l’eau et des sels.

minières dans les membres du corps, SVT1Q, p. 151

D’un autre côté, quand il s’agit des deux sexes, les activités relatives à l’éducation sexuelle sont réparties en deux mondes séparés (figure 7). Elles se réduisent ainsi aux enseignements des différences entre les sexes sur les plans anatomique, physiologique et socio-culturel, en matière de sexualité.

Figure 7 : Sommaire, SVT1Q, p. 247

Le problème qui se pose, c’est que cette répartition n’est plus présentée seulement comme la description des caractéristiques du corps des hommes et celui des femmes chacun de son côté, mais elle se transforme en champ de comparaison entre les deux mondes. Cela veut dire qu’on passe des différences entre les corps à leur hiérarchisation, de la différence entre les sexualités masculine et féminine à leur catégorisation et de la différence entre les rôles sociaux à leur (dé)valorisation.

Ceci dit que si la différence est une loi biologique, le choix des mots et métaphores employés pour décrire ces différences ne peut, néanmoins, qu’illustrer les qualités spécifiquement associées au masculin et au féminin dans la société. Et donc, si l’enseignant-e n’est pas (ou ne voudrait pas être) engagé-e pour la promotion de l’égalité entre les sexes et ne prend pas la responsabilité d’expliciter la nature de cette différence, son discours sur la différence ira dans le sens de la catégorisation. Nous citerons quelques exemples de propos tenus dans les manuels scolaires et repris par les enseignant-e-s:

  • le corps des garçons est plus grand que le corps des filles, et surtout à la phase de puberté, la phase de l’entrée dans la sexualité active. Cette différenciation pourrait être instrumentalisée pour légitimer la division sexuelle du travail, dans la mesure où l’homme est plus puissant que la femme, et donc, il peut faire des travaux que la femme ne peut pas faire.
  • Les gamètes mâles sont « actifs », ce qui renvoie à la liberté dans l’espace, dans la mesure où ils se déplacent d’une manière autonome dès leur entrée dans le vagin, tandis que le gamète femelle est « inactif » et « attend » le plus puissant des spermatozoïdes qui va l’emporter après la « compétition ».
  • La production des spermatozoïdes ne s’arrête plus à partir de la puberté, « mais » la production des ovules s’arrête à un certain âge. « C’est-à-dire que la vie sexuelle des hommes est plus longue que celle des femmes », commente une enseignante de SVT. Ainsi, la norme d’âge en matière de reproduction ne s’applique pas de la même manière pour les hommes qui n’y sont finalement pas soumis.
  • À chaque période de règles, le corps féminin connait des perturbations hormonales et psychologiques « affaiblissantes »
  • La grossesse est une période de « faiblesse » du corps féminin.
  • La réponse sexuelle chez la femme est plus complexe que celle des hommes.
  • Les garçons sont menacés par l’atteinte d’une maladie, mais les filles sont menacées par la perte de la virginité et la mauvaise réputation. La phrase suivante est répandue : « L’hymen est la propriété de vos parents ».
  • concernant les rôles de parentalité, « La mère doit prendre soin de son bébé, l’allaiter bien, garder sa propreté… », explique une enseignante d’ÉF, tout en négligeant totalement le rôle du père. Cela veut dire que le rôle du père s’arrête juste après la relation sexuelle envue de la grossesse.

Ainsi, ce discours, qui s’empare d’un fait biologique et lui attribue (in)consciemment un ordre social par le biais du langage, se donne comme loi imposée pour organiser et ordonner les corps, confirmant ainsi le principe de la valence différentielle des sexes (Héritier, 1996). Le principe associé au féminin est toujours celui qui est dévalorisé (Bourdieu, 1980, 1998), ici le faible, le passif, l’involontaire, l’impur et le contrôlé contre le puissant, l’actif, le volontaire et le contrôleur.

Et puisque ce discours émane d’une institution dont le discours est considéré comme « vrai », et imposé par un rapport de pouvoir entre l’enseignant-e et l’élève, il pourrait se transformer en « système de pensée » qui forme des catégories de classement reflétant la manière d’ordonner l’ensemble des caractéristiques attribués aux corps.

  1. Quasi-absence des dimensions psycho-affective et sociale

Nous avons enregistré une (quasi)-absence de certains thèmes qui sont au cœur des dimensions psycho-affective et sociale de la sexualité, comme le développement psycho-affectif et sexuel de l’adolescent-e, les mécanismes du désir, les mécanismes du plaisir, la masturbation, la prostitution, la réponse sexuelle, les déviances sexuelles, l’avortement, l’industrie pornographique, la paternité, les Lois relatives à la sexualité…

Pour ne citer que quelques exemples, le clitoris, seul organe du corps humain n’ayant aucune autre fonction que celle du plaisir, l’hymen, « membrane » recouvrant tout ou partie du vagin mais surtout un organe “social” sous-tendu par une forte charge idéologique, sont les grands oubliés dans les manuels scolaires.

Il apparaît donc qu’une sélection s’opère entre les éléments anatomiques dont on parle, et ceux dont on ne parle pas. Cette sélection s’opère selon des critères bien sociaux, révélant une hiérarchisation des informations selon une échelle de valeurs.

Également, la question de la masturbation est totalement ignorée. Ce sujet est très souvent abordé par les élèves/adolescent-e-s. Ils/elles sont surtout inquiet-e-s en ce qui concerne la normalité de l’acte, sa fréquence, son innocuité et la différence réelle ou exprimée entre les garçons et les filles. En tant que pratique sexuelle non liée à la reproduction, la masturbation continue de présenter un tabou dans le discours éducatif relatif à l’éducation sexuelle. S’il est aujourd’hui socialement admis que les garçons se masturbent, cette pratique reste très controversée lorsqu’il s’agit des filles.

Par ailleurs, le rôle du père dans le processus de la reproduction se termine une fois que la grossesse est confirmée (figure 8). Cela veut dire que le rôle du père ne doit pas dépasser la production des spermatozoïdes dans la reproduction. Et même au niveau de l’allaitement, c’est une question qui incombe aux femmes.

Figure 8 : Schéma résumant le rôle de l’homme et la femme dans la reproduction, SVT2C, p. 116

Quant aux enseignant-e-s, la totalité des questionné-e-s a exprimé son accord sur le rôle de l’éducation sexuelle dans l’acquisition des outils et moyens de faire des choix éclairés et responsables envers sa santé et celle des autres et qu’elle doit aborder les questions relatives à l’estime de soi, du développement psycho-affectif des filles et des garçons.

Toutefois, nous avons enregistré, lors des entretiens avec eux/elles, que seulement 23% des définitions obtenues contiennent la dimension psycho-affective, « l’éducation sexuelle doit fournir aux jeunes des connaissances fiables sur la sexualité ; renforcer leur capacité à prendre des décisions, leur permettre d’explorer et définir leurs propres valeurs et leur fournir un modèle sain de comportement sexuel», explique une enseignante de LF, et seulement 12% des définitions ont intégré la dimension sociale : « l’éducation sexuelle ne peut plus échapper aux normes et lois qui régissent les rapports sociaux dans la société », a confirmé une enseignante de LA et « le mariage est le seul cadre légitime de la sexualité » ajoute un enseignant d’ÉI.

En outre, la majorité des enseignant-e-s enquêté-e-s a exprimé des résistances concernant certains thèmes, comme le mécanisme du désir, l’orgasme, la prostitution et l’industrie pornographique. Ces thèmes, pour eux et elles, font partie du non-dit, « ce sont des questions ‘tabous’ que les enseignant-e-s ne peuvent plus aborder », déclare une enseignante d’ÉF.

De ce qui vient d’être évoqué, nous estimons que la marginalisation des dimensions psycho-affective et sociale de la sexualité laissent de côté les axes où se fabrique l’égalité entre les sexes, dans la mesure où :

  1. l’étude scientifique des mécanismes du désir et plaisir permet de montrer que les techniques du corps des hommes et des femmes dans la sexualité ne sont que le reflet d’un apprentissage des techniques de la masculinité et de la féminité, et qu’elles ne sont pas similaires aux techniques animales.
  2. L’étude de la prostitution et de la pornographie permet de mettre en exergue la condition vulnérable des femmes et de dévoiler les différentes formes d’exploitation des corps des femmes et de domination causée essentiellement par les inégalités socioéconomiques et l’inégal accès aux ressources ;
  • L’étude des droits sexuels permet d’instaurer les notions de différence, d’égalité, du respect de l’autre, dans la mesure où ces droits, porteurs de valeurs définies dans le droit international, sont sous-tendus par une finalité démocratique relative aux modes de participation des citoyen-ne-s à la construction du “vivre ensemble” ;
  1. L’introduction des activités liées à la paternité pourrait remettre en cause les stéréotypes relatifs au rôle du père qui s’arrête juste après la confirmation de la grossesse.
  2. Absence d’interactivité en classe :

Suite à notre présence aux séances dédiées aux activités relatives à l’éducation sexuelle, force est de constater que la classe est en état d’exception, et qu’il ne s’agit ni d’une séance normale ni d’un enseignement habituel. « Si tu lâches ‘la sériosité’ dans ces séances, les élèves se moqueront de toi par des questions très délicates. Ils demandent si la masturbation est permise ou non par la religion », souligne un enseignant d’ÉI.

Bien qu’il y a des enseignant-e-s qui se sont engagé-e-s pour la promotion de l’égalité entre les sexes, la non prise de conscience des articulations entre l’éducation sexuelle et l’égalité entre les sexes, ainsi que la difficulté de transmettre ces enseignements dans un pays arabo-musulman impactent la manière par laquelle ces enseignant-e-s transmettent ces activités.

En effet, ils/elles se trouvent obligé-e-s, soit d’essayer de transmettre ce qui est transcrit dans les manuels scolaires (qui lui aussi inégalitaire), soit ils/elles mobilisent des stratégies pour échapper à ces difficultés. « Mais en tant qu’enseignant-e-s, nous n’avons malheureusement pas le temps dans notre programme d’aborder ces questions », explique un enseignant de SVT. Cela transforme ces séances en des séances transmissives, prescriptives, informatives où les élèves ne peuvent plus discuter et avoir des réponses à leurs questions et questionnements et surtout les élèves/adolescent-e-s qui considèrent les questions sexuelles comme prioritaires pour eux et elles dans cette tranche d’âge, « Il ne faut pas donner l’occasion aux élèves d’interagir dans ces thèmes, ils vont en abuser », m’explique une enseignante de SVT.

Le problème qui surgit, c’est qu’on transmet le savoir comme il est dans le manuel scolaire même s’il est scientifiquement faux ; à titre d’exemple : les enseignant-e-s, à la fois des SVT et de l’ÉI, ne cessent de répéter que parmi les causes du SIDA, il y a les relations sexuelles “illégitimes”, ce qui est scientifiquement faux, et ne relève que de la morale.

L’égalité entre les sexes ne sera donc prise en considération que si elle est transcrite parmi les enseignements de ces activités. Et puisque ce n’est pas le cas (GASSIM, 2020), l’égalité entre les sexes est loin d’être prise en considération par les enseignant-e-s.

En somme, en l’absence d’interactivité dans ces séances, nous privons les élèves/adolescent-e-s non seulement de réponses à leurs questionnements, mais aussi d’outils leur permettant de vaincre les distorsions cognitives qui les emprisonnent dans des conduites discriminantes et des comportements sexistes, voire violents.

Conclusion

Les représentations de l’éducation sexuelle dans les manuels scolaires et les pratiques éducatives présentent un enjeu majeur dans la fabrique de l’organisation inégale des citoyen-ne-s.

La continuité du discours différentialiste, la négligence des dimensions psycho-affectives et sociales de la sexualité, l’absence d’interactivité en classe et le passage sous silence des rapports de pouvoir entre les sexes sont, en effet, le reflet des représentations socioculturelles des places inégales des deux sexes qui pèsent encore sur l’imaginaire des concepteurs des manuels scolaires et des enseignant-e-s.

L’école reproduit donc les normes et valeurs historiques et ne participe pas à transformer la société et les mentalités. Les gens tendent à changer la société à travers une révolution silencieuse démographique et une sexualité émancipée, mais le système éducatif marocain refuse de reconnaître cette évolution et l’émergence d’une nouvelle conscience.

Bibliographie sélective :

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Annexe : liste des manuels scolaires contenant les leçons d’éducation sexuelle au Maroc

Nom du manuel scolaire

(En arabe)

 

 

 

 

Nom du manuel scolaire

(En français)

Code Date d’édition

 

Nbr. d’auteur.e.s

 

Nbr.

de  pages

Nombre de cours
 في رحاب التربیة الإسلامیة

 

 

Education Islamique, 1ère année Qualifiant EI1Q

 

 

 

2016 4 144 12
منهل النشاط العلمي

 

Activités scientifique, 5ème année Primaire SVT5P

 

2004 6 96 6
في رحاب التربیة الإسلامیة

 

Education Islamique,2ème année Qualifiant EI2Q

 

2017 5 97 4
إحیاء التربیة الإسلامیة

 

Education Islamique,2ème année du collège EI2C

 

2017 7 128 12
المنیر في التربیة الإسلامیة

 

Education Islamique, 6ème  année Primaire EI6P

 

2017 5 96 5
الممتاز في التربیة الإسلامیة

 

Education Islamique, 2ème  année Primaire EI2P

 

2017 7 88 2
في رحاب التربیة الإسلامیة

 

Education Islamique, 5ème  année Primaire EI5P

 

2016 11 80 3
فضاء التربیة الإسلامیة

 

Education Islamique, 1ère  année du Collège EI1C

 

2016 3 127 7
في رحاب التربیة الأسرية

 

 

Education Familiale, 2ème  année du Collège ÉF2C

 

2004 7 96 17
منار الاجتماعیات

 

Histoire-Géographie, 2ème  année du Collège HG2C

 

2004 7 298 1
 في رحاب التربیة الإسلامیة

 

Education Islamique, 1ère année Qualifiant

 

EI1Q*

 

2006 6 144 1
في رحاب التربیة الإسلامیة

 

Education Islamique, 2ème année Qualifiant

 

EI2Q* 2007 4 160 5
إحیاء التربیة الإسلامیة

 

Education Islamique, 2ème  année du Collège EI2C*

 

2009 6 127 2
المنیر في التربیة الإسلامیة

 

Education Islamique, 6ème  année Primaire EI6P*

 

2005 5 104 2
في رحاب التربیة الإسلامیة

 

Education Islamique, 2ème  année Primaire EI2P*

 

2016 13 96 1
في رحاب علوم الحیاة و الأرض

 

Sciences de la Vie et de la Terre, 2ème année Qualifiant SVT2Q

 

2007 8 304 22
الجدید في علوم الحیاة و الأرض

 

Sciences de la Vie et de la Terre, 1ère année Qualifiant SVT1Q

 

2006 5 248 26
الأساسي في اللغة العربیة

 

Langue arabe, 3ème année du collège LA3C

 

2013 6 223 1
الواضح في علوم الحیاة والأرض

 

Sciences de la Vie et de la Terre, 3ème année du collège SVT3C

 

2011 4 155 10
المفید في علوم الحیاة والأرض

 

Sciences de la Vie et de la Terre, 2ème année du collège SVT2C

 

2013 8 144 15
Parcours

 

 

 

Langue Française, 3ème année du collège

 

LF3C

 

2014 3 192 1

 

[1] Ministère de la Santé au Maroc, Santé en chiffres 2019, édition 2019.

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المركز الديمقراطى العربى

المركز الديمقراطي العربي مؤسسة مستقلة تعمل فى اطار البحث العلمى والتحليلى فى القضايا الاستراتيجية والسياسية والاقتصادية، ويهدف بشكل اساسى الى دراسة القضايا العربية وانماط التفاعل بين الدول العربية حكومات وشعوبا ومنظمات غير حكومية.

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