Research studies

The Roundabouts: Meeting Space with Otherness (Case of sub-Saharan Handlers in the Beni Mellal-Kenifra Region)

Les ronds-points: espace de rencontre avec l’altérité (Cas des mancheurs subsaharien à la région de Beni Mellal-Khénifra)

Prepared by the researcher : Brahim Elarabi – Université Mohamed V. Morocco

Democratic Arab Center

Journal index of exploratory studies : Fifth Issue – September 2022

A Periodical International Journal published by the “Democratic Arab Center” Germany – Berlin

Nationales ISSN-Zentrum für Deutschland
ISSN 2701-9233
Journal index of exploratory studies

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Abstract

The management of the encounter of the migrants’ handlers with the other groups on the roundabouts is guided by the strategies of the appropriation of these roundabouts which aim at the perpetuation of this appropriation, the increase of the profits resulting from charity, and the reduction of the risks that may impede this end. Sub-Saharan migrants succeed in achieving this goal by being willing to respect a set of principles, rules, prescriptions and proscriptions incorporated throughout their migratory journeys and experiences in Morocco. This is how the government of this meeting relies on the regulation of the attendance and operation of these roundabouts. A regulation that promotes the establishment of relations of subordination and collaboration between the handlers themselves, relations of competition and conflict with Syrian refugees, and a relationship of economic dependence with Moroccan passengers. Submission to this regulation allows the achievement of two essential objectives: to practice begging peacefully while avoiding congestion and conflicts that attract the attention of the citizens of the Beni Mellal-Kenifra region and the police and to maximize their profits from begging.

Résumé

La gestion de la rencontre des migrants mancheurs avec les autres groupes sur les ronds-points est orientée par les stratégies de l’appropriation de ces ronds-points qui visent la pérennisation de cette appropriation, l’augmentation des profits issus de la charité et la réduction des risques qui peuvent entraver cette fin. Les migrants subsahariens réussissent à atteindre cet objectif en étant disposés à respecter un ensemble de principes, de règles, de prescriptions et de proscriptions incorporés tout au long de leurs parcours migratoires et de leurs expériences au Maroc. C’est ainsi que le gouvernement de cette rencontre s’appuie sur la régulation de la fréquentation et de l’exploitation de ces ronds-points. Une régulation qui favorise la constitution de relations de subordination et de collaboration entre les mancheurs eux-mêmes, des relations de concurrence et de conflit avec les réfugiés syriens et un rapport de dépendance économique avec les passagers marocains. L’assujettissement à cette régulation permet la réalisation de deux objectifs essentiels : pratiquer la mendicité pacifiquement en évitant l’encombrement et les conflits qui attirent l’attention des citoyens de la région de Beni Mellal-Khénifra et des forces de l’ordre et maximiser leurs profits de la mendicité.

Introduction

Dans la région de Beni Mellal-Khénifra au Maroc, deux groupes de migrants subsahariens sont visibles sur ses espaces publics. Ces migrants dont le séjour se prolonge à la région voire au Maroc doivent se débrouiller pour survivre (Alioua 2013). C’est ainsi qu’ils optent pour la pratique de deux activités : la mendicité et le commerce ambulant. Partout où nous circulons, nous les croisons et nous remarquons leur présence dans la vie quotidienne de la société marocaine. Les migrants du premier groupe s’installent dans des carrefours et des ronds-points et optent pour la circulation entre les véhicules à la demande de la charité et la pratique de la mendicité. Alors que ceux du deuxième groupe fréquentent des marchés quotidiens, des souks hebdomadaires et des festivals où ils pratiquent des petits commerces. Ils routinisent ces deux activités presque quotidiennement sur les mêmes espaces qui constituent leurs espaces de vie. Leurs actions de choix, d’installation, de fréquentation, d’usage, d’exploitation de ressources et de négociation de leurs présences sur ces espaces manifestent l’émergence d’un processus d’appropriation de leurs espaces de vie (Brunet 1975) (Frémont 1976). Dans ce sens, des migrants subsahariens conditionnés par un contexte où ils vivent dans une situation de domination précaire et qui se trouvent en bas de la hiérarchie sociale se débrouillent pour s’approprier leurs espaces de vie. C’est-à-dire qu’ils recourent à des stratégies en vue d’atteindre leur fin et de réaliser cette appropriation.

C’est dans ce contexte social, économique et spatial que je mène une recherche, dans le cadre d’une thèse de doctorat dont le but essentiel est d’analyser et de comprendre les stratégies déployées par ces groupes de migrants subsahariens, dans leurs processus d’appropriation de l’espace, dans ladite région. Cette recherche qui se veut socio-anthropologique se base essentiellement sur l’observation et l’analyse de trois dimensions desdites stratégies : les choix, les pratiques et les interactions entre les subsahariens eux-mêmes et avec les autres groupes qui copartagent leurs espaces de vie : les citoyens marocains de la région de Beni Mellal-Khénifra et les réfugiés syriens. L’objectif principal de cette étude est d’observer in situ, sur un ensemble de sites qui constituent l’espace de vie de ces migrants subsahariens dans ladite région, ces dimensions puis de dégager les indices susceptibles de rendre compte de ce qu’elles révèlent des stratégies adoptées par ces migrants subsahariens en vue de comprendre leur processus d’appropriation de l’espace.

Dans cet article, je restitue tout d’abord le contexte de l’émergence du processus d’appropriation de l’espace par les mancheurs subsahariens et le cadre conceptuel adopté pour analyser ce processus. Un cadre conceptuel dans lequel la stratégie et les frontières ethniques me paraissent les concepts essentiels dans la quête de la compréhension du processus d’appropriation et de l’ancrage spatial de l’immigration subsaharienne à la lumière des résultats de mes recherches de terrain à la région de Beni Mellal-Khénifra. Une fois le contexte et le cadre conceptuel sont présentés, j’expose finalement comment les migrants subsahariens, à travers le recourt à des stratégies qui structurent et orientent leurs actions, gèrent leurs rencontres avec les différents groupes qui copartagent les ronds-points avec eux en vue d’augmenter leurs profits, de réduire les risques et de pérenniser leur processus d’appropriation de ces ronds-points.

  1. Contexte d’émergence du processus d’appropriation des espaces par les migrants mancheurs :

À partir des années 1990, le Maroc faisait face à de nouvelles réalités migratoires. S’il était considéré comme pays d’émigration par excellence depuis le protectorat et après son indépendance (De Haas 2014), il s’est ensuite transformé en pays d’étape vers l’Europe et après il est devenu espace d’immigration plus visible et plus diversifié qui reçoit des étrangers européens, africains et arabes (Khrouz et Lanza 2015). Les évènements de Ceuta et de Melilla en 2005 ont participé à mettre la lumière sur les migrants subsahariens considérée à l’époque comme transitant par le Maroc vers l’Europe. Cette migration occupait depuis une grande place dans les discours publics, médiatiques, politiques et scientifiques au royaume chérifien. C’est à partir de cette date que les conditions de vie de ces migrants et leur traitement ont été signalés et dénoncés. Cela a rendu cette catégorie de migrants plus visible et a fait d’eux un point de préoccupation pour des organisations de la société civile et pour les institutions nationales et supranationales (Khrouz et Lanza 2015).

La présence de ces migrants au Maroc est due d’abord à sa position géographique comme port de l’Europe près de plusieurs enclaves espagnoles (Ceuta, Melilla et les iles Canaries) et le détroit de Gibraltar ; ensuite à sa politique externe avec l’Union européen et les pays africains. En effet, les autorités marocaines ont développé une stratégie politique faite de fragiles compromis avec l’Union européen et l’Espagne (L Martinez 2009). Ces conventions et ces accords ont mis le Maroc sous une double pression exercée par l’UE d’une part et l’Espagne d’autre part. Le premier lui impose le renforcement du contrôle de ses frontières ; et le deuxième exige la responsabilité d’accepter la réadmission des citoyens marocains et des citoyens des pays tiers entrés illégalement sur le territoire espagnol selon l’accord signé en 1992. Le royaume est devenu ainsi, pour ses voisins du nord, le « gendarme » ou « le gardien de but » (Khrouz et Lanza 2015) qui participent avec les autres pays du Maghreb à la surveillance des frontières extérieures européennes à travers la régulation et le contrôle des flux migratoires des africains.

Dans ce même cadre, le Maroc se présente comme « le grand frère » pour manifester son « africanité » à l’égard des pays africains surtout les francophones. Depuis 2000 le royaume chérifien a revalorisé ses relations politiques, diplomatiques, commerciales et sécuritaires avec les pays de l’Ouest africain francophone. L’instauration de différents programmes a permis un resserrement des liens entre ces États et le Maroc dans le cadre de la coopération bilatérale et internationale, visant notamment les étudiants, les entrepreneurs ou les religieux. Ce choix diplomatique venait pour consolider la position géostratégique du Maroc face à ses concurrents régionaux surtout l’Algérie en renforçant la politique africaine, à la fin 2014, par la signature de nombreux accords bilatéraux entre le Maroc et des États d’Afrique de l’Ouest (Zeino-Mahmalat 2015). Ces coopérations jouaient donc un rôle essentiel dans l’intensification des mobilités déjà marquées entre le Maroc et ces pays.

Ce double rôle de « gendarme de frontière » pour les européens ; et de « grand frère » envers les africains impose au Maroc l’accueil des catégories différentes de migrants originaire de pays subsahariens sur son territoire (Alioua 2005) (Berriane et Aderghal 2009). Il reçoit des demandeurs d’asile, des étudiants et des pèlerins (Berriane 2012), ou encore des migrants travailleurs et des étudiants (Berriane 2007). Toutefois l’attitude du Maroc à l’égard de ces migrants subsahariens supposés transiter par son territoire pour rejoindre l’Europe, se dessinent assez vite les limites et défis de ce rôle du Maroc en tant que trait d’union entre l’Europe et l’Afrique (Zeino-Mahmalat 2015). Si pour certains migrants subsahariens le Maroc est effectivement perçu comme un pays de transit dans leur voyage vers l’Europe, pour d’autres il est aussi et surtout un pays d’installation depuis les années 2000 (De Haas 2013).

Cette migration dite de « transit » concerne les migrants subsahariens qui essaient de rejoindre l’Europe en empruntant les différentes voies possibles offertes au Maroc : par des bateaux ou par les villes du nord Ceuta et Melilla. Toutefois, la crise économique mondiale en 2008 et les mesures restrictives de l’Union européen ont diminué les chances des passages irréguliers de ces migrants vers le territoire européen (De Haas 2013). C’est ainsi qu’un nombre croissant de ces migrants échouant préfère rester au Maroc comme option alternative au retour à leur pays d’origine plus instable et plus pauvre pour tenter leur chance dans un pays méditerranéen en attendant de rejoindre les rives européennes (Alioua 2015).Pour ces migrants vivre au Maroc dans l’attente de la réalisation de leur rêve prend une longue période, « ce qui vide de son sens la notion de transit » et « celle d’immigration reste insatisfaisante pour rendre compte de ce qui se passe dans cette région » (Alioua 2015, p.15). Dans ce contexte, la population migrante essaie de reconfigurer les formes, les temps et les espaces de sa migration en cherchant d’autres alternatives à leur objectif principal. Les migrants se retrouve ainsi dans l’obligation de chercher voired’inventer de nouvelles façons et techniques de contourner er de dépasser les contraintes imposées par les états-nations. Alioua (2015) postule que « Ces populations espèrent subvenir à leurs besoins en utilisant la circulation et la dispersion dans l’espace, et tentent leur chance dans les pays d’Afrique méditerranéenne qui offrent parfois quelques opportunités économiques ou, comme le Maroc, permet aux réfugiés d’avoir un statut » (Alioua 2015, p18). Dans ce contexte, « il est probable que plusieurs dizaines de milliers de migrants se soient installés de façon quasi-permanente dans des villes comme Tanger, Casablanca, Fès, Rabat et Marrakech où ils trouvent de l’emploi informel dans le secteur des services du travail domestique, du petit commerce ou du bâtiment. D’autres, comme certains sénégalais, essaient de gagner leur pain avec le commerce ambulant » (De Haas 2013, p.79).

Dans ce contexte, deux groupes de migrants subsahariens sont visibles sur les espaces publics de la région de Beni Mellal-Khénifra. Le premier est le groupe des commerçants ambulants qui s’installent dans les marchés, les souks hebdomadaires et devant les mosquées. Le deuxième est celui des mendiants qui s’installent dans les ronds-points, les carrefours et près des panneaux de signalisation. Cette installation est devenue quotidienne et la visibilité et l’ancrage de ces migrants s’intensifient à travers la fréquentation, l’usage, le contournement, le marquage et l’exploitation de ces espaces.Ces migrants, dont le séjour se prolonge à la région voire au Maroc, doivent se débrouiller pour survivre (Alioua 2013) (Gonzalez 2007).Même si la pratique spatiale, définie comme « un ensemble de comportements d’un opérateur en relation avec un espace qui constitue pour lui un contexte » (Staszak, 2003 : 740), semble déterminante, dans l’espace s’expriment aussi les relations et les rapports sociaux, marqués en l’occurrence par la domination des Marocains, par la collaboration et la subordination des migrants subsahariens et par la concurrence avec les réfugiés syriens. En résumé, « l’espace approprié est significatif de la position des individus et des groupes dans la hiérarchie sociale » (Ripoll et Veschambre, 2005 : 13).

  1. Immigration subsaharienne et espace :la stratégie et les frontières ethniques comme cadre conceptuel

Plusieurs études menées au Maroc présentent des perspectives multiples dans la conception de la question spatiale dans son rapport avec la migration en général et la migration subsaharienne en particulier. Cependant l’aspect commun de ces études reste sans doute la conception « substratique » de l’espace comme une simple surface où se passent les actions des migrants. Cette conception réductionniste peut être enrichie et développée en cherchant d’autres perspectives de cette relation espace/migration. C’est dans cette ambition que l’espace va être traité comme condition, dimension et produit des pratiques des migrants subsahariens à la région de Beni Mellal Khénifra plutôt qu’un simple support de leurs actions. Cette vision parait essentielle dans la compréhension de la migration subsaharienne et de son ancrage spatial et social dans ladite région. Cette migration doit être étudiée, analysée et comprise comme expérience socio-spatiale ; c’est-à-dire comme mise en espace des pratiques et des expériences individuelles et collectifs. Il est nécessaire d’étudier cette relation espace/migration comme redéploiement spatial des processus de sociation (Bastide, 2015).

Dans cette perspective, Laurence Roulleau-Berger (2010) a développé une approche des migrations qui traitent l’espace loin de la vision dichotomique entre espaces circulatoires et espaces sédentaires (Tarrius 2000) et loin de la conception réductionniste faisant de l’espace un support à l’action. Elle conçoit l’espace dans une perspective multiple imbriquée et hiérarchisée des migrants « circulants » dans des espaces de mobilité Translocaux ou transnationaux. C’est dans la lignée de cette perspective que la présente étude concernant l’appropriation de l’espace par les migrants subsahariens dans la région de Beni Mellal-Khénifra s’intègre dans le cadre de la migration par étape en inscrivant ce type de migrations dans une dimension transnationale et des recherches qui font du migrant un créateur de territoire et d’urbanité selon des interactions socio-spatiales variables qui analysent le vécu de ces populations dans leurs traversées du Maroc qui peuvent se transformer en séjour plus ou moins définitif et s’interrogent ainsi sur le passage du statut de migrants transitaires pour l’Europe à celui d’immigrant en train de se fixer au Maroc (Alioua 2010, 2011 et 2012, Alioua et al, 2016, Berriane, Aderghal, Janati et Berriane 2013).

Dans le but de dépasser cette conception réductionniste de l’espace et d’étudier cette relation espace/migration comme redéploiement spatial des processus de sociation (Bastide, 2015), je présente un cadre conceptuel basé sur le concept de la stratégie et des frontière ethniques pour approcher cette relation. Ce cadre essaie de construire un point de départ sur le plan réflexif et il constitue une base à repenser l’immigration subsaharienne à la région de Beni Mellal-Khénifra voire au Maroc en recourant à quelques théories et de faire l’expérience de leurs forces ainsi que de leurs faiblesses et limites. Cette tentative se présente comme un cadre conceptuel à mobiliser dans la quête de la compréhension de la question que je traite, celle de l’appropriation de l’espace.Ce cadrene se veut pas un champ conceptuel exhaustif et clos, il a plutôt une visée opérationnelle : permettre d’interroger la réalité migratoire à la région de Beni Mellal-Khénifra afin de comprendre les pratiques des acteurs de terrain (les migrants subsahariens). Les différentes conceptions théoriques présentées ont été choisis en fonction des réalités observées sur le terrain dans le cadre de ma recherche ethnographique multi-située.

En vue de traiter l’espace comme processus en prenant en considération le rapport consensuel ou conflictuel des pratiques spatiales dans l’analyse et la compréhension de la dimension spatiale de la migration subsaharienne minoritaire à la région de Beni Mellal-Khénifra. L’intérêt est donc porté sur les pratiques qui produisent les espaces migratoires minoritaires, les exploitent voir même les transforment. Ces espaces sont, en effet, l’arène d’un ensemble de collectifs et de groupes d’intérêt : les migrants subsahariens, les Marocains et les réfugiés syriens engagés dans des relations consensuelles et/ou conflictuelles plus au moins explicites et visibles, plus ou moins implicites et invisibles. Dans cette perspective, les migrants subsahariens recourent à un ensemble de stratégies dans leur processus d’appropriation de l’espace. Le terme stratégie peut être entendu en trois sens. Premièrement, comme « le choix des moyens employés pour parvenir à une fin » (Foucault 2001 : 1060), c’est-à-dire « la rationalité mise en œuvre pour atteindre un objectif » (Ibidem). Deuxièmement, en tant que « manière dont un partenaire, dans un jeu donné, agit en fonction de ce qu’il pense devoir être l’action des autres et de ce qu’il estime que les autres penseront être la sienne » (Ibidem). Et troisièmement, comme « ensemble de procédés utilisés dans un affrontement [et] destinés à obtenir la victoire » (Ibidem). La stratégie est définie donc par un objectif à réaliser, un but à atteindre ou une victoire. Dans le cas des migrants subsahariens, l’objectif est la domination et l’appropriation de leurs espaces de vie ; c’est-à-dire que leur enjeu essentiel est de maintenir ou d’accroître leur pouvoir, de garder ou d’améliorer leur position dans le rapport de forces durant leur processus d’appropriation de ces espaces. Dans ce cadre, Bourdieu cherche à comprendre comment un individu, selon son habitus propre, va s’efforcer de maintenir sa position sociale ou de l’améliorer. De même Foucault définit les dispositifs de pouvoir comme des stratégies qui visent à « conduire la conduite des autres » (Ibid. : 1056). Il s’agit d’affirmer que les structures sociales et les groupes sociaux sont des dispositifs de pouvoir et incarnent des stratégies de pouvoir qui visent à déterminer la conduite des autres en un sens profitable à certains. Et en ce sens, l’objectif de ces groupes est de maintenir ou de faire évoluer en leur faveur un certain rapport de forces. Ce dont il est question, ce sont donc toujours les stratégies de pouvoir. Toutefois, il s’agira de mentionner que, si tous deux ont pour objet les stratégies de pouvoir, Foucault se focalise sur les stratégies visant à disposer des individus tandis que Bourdieu s’intéresse au caractère « disposé » des individus mettant en œuvre des stratégies.

Les anthropologues qui définissaient les groupes ethniques à travers des caractéristiques telles que la perpétuation biologique, le partage des valeurs culturelles communes et l’existence d’un espace de communication et d’interaction, commettent, selon Barth, une erreur de méthode et éludent la question centrale, celle du « maintien des frontières ethniques », puisqu’ils conçoivent la différence culturelle comme résultant du simple isolement. Inspiré par la sociologie interactionniste d’E. Goffman, Barth précise que les « groupes ethniques sont des catégories d’attribution et d’identification opérées par les acteurs eux-mêmes et ont donc la caractéristique d’organiser les interactions entre les individus » (1998 :205). Il inverse la perspective : partager la même culture est plus une conséquence qu’une condition première de l’organisation d’un groupe ethnique. Cet inversement de conception s’accompagne de deux autres : le souci de mettre au jour des mécanismes générateurs de différences et non de décrire des formes manifestes « démarche générative » ; une nouvelle focalisation sur les frontières ethniques et leur maintien plutôt que sur la constitution interne des groupes. Autrement dit, Barth propose un déplacement du point focal, du contenu ethnique vers les frontières ethniques, en questionnant ce qui se joue le long de ces frontières entre groupes ethniques, et les retombées sur la façon dont les individus vivent leur ethnicité supposée.

Dans cette perspective, les interactions sont donc le moment où les groupes ethniques s’affirment. En effet, les acteurs considèrent certains traits culturels comme pertinents dans les interactions. Ils sont de deux ordres : des « signaux ou des signes manifestes » tels le costume, la langue ou l’habitat que les acteurs affichent pour marquer leur différence ; des « orientations de valeurs fondamentales, des critères de moralité et d’excellence par lesquels les actes sont jugés » (Barth 2000 : 52). Ces interactions sont donc régies au niveau micro-social par un ensemble de rôles prescrits et d’interdits, ce que Michel Foucault appelle les techniques de gouvernement, qui assurent le maintien de la différence culturelle et donc du groupe ethnique. Cette frontière, selon Barth, régulerait les échanges entre groupes ethniques différents, et serait la résultante d’un système de prescriptions et proscriptions : l’idée étant de trouver un équilibre entre une dimension instrumentale, utilitariste, c’est-à-dire la nécessité de mettre en place des échanges avec d’autres groupes ethniques, tout en préservant, protégeant, des aspects de sa culture de toute éventuelle modification. « Le caractère novateur de la notion d’ethnic boundary, attesté par l’exceptionnelle influence de son auteur, tient à l’idée que ce sont en réalité ces frontières ethniques, et non pas le contenu culturel interne, qui définissent le groupe ethnique et permettent de rendre compte de sa persistance (…) Dans la conception barthienne, l’entretien des frontières ethniques nécessite l’organisation des échanges entre les groupes et la mise en œuvre d’une série de proscriptions et de prescriptions réglementant leurs interactions. Au cours du temps, les frontières ethniques peuvent se maintenir, se renforcer, s’effacer, ou disparaître. Elles peuvent devenir plus flexibles ou plus rigides » (Poutignat & Streiff-Fenart 1995 :123). C’est dans ce cadre que j’étudie et j’analyse la gestion de la rencontre de l’altérité par les migrants subsahariens sur les ronds-points comme manifestation des stratégies d’appropriation de l’espace et comme indice de compréhension de ce processus d’appropriation dans ses dimensions interactionnelles et relationnelles.

  1. Méthode et outils : l’ethnographie multi-située comme stratégie de recherche

Cette étude est une approche qualitative de l’immigration subsaharienne en relation avec l’espace basée sur une ethnographie multi-située. En effet, Les particularités et les contraintes de mon terrain de recherche exigent le recours à cette ethnographie. La population que j’envisage étudier ne se concentre pas dans un seul site avec une grande importance numérique, mais elle est dispersée dans toutes les villes de la région. Cette dispersion ne laisse pas apparaître un phénomène d’une grande concentration spatiale dans un seul endroit à l’échelle d’une ville ou d’une région spécifique dans une ville. Cette situation donne lieu à une population dispersée dans les différentes villes de la région de l’étude ; de même que dans chaque ville, cette population est éparpillée sur un ensemble de sites où chaque groupe de migrants s’installe. Cette ethnographie multi située qui se présente comme « des stratégies de suivre littéralement des connexions, des associations et des relations putatives »[1] (Marcus, 1995, p97) est employée dans cette étude dans la seule région de Beni Mellal-Khénifra en intégrant l’aspect de la multiplicité à travers la multiplication des sites enquêtés. Les enquêtes de terrain sont effectuées dans les villes de la région les plus fréquentées par les migrants subsahariens : Beni Mellal, Khouribga et Fqih Ben Salah.

La recherche ethnographique de terrain s’est basée donc sur une observation participante (Malinowski, 1922) en adoptant une posture d’appartenance périphérique (Adler et Adler, 1987). Celle-ci est dictée par les particularités de mon terrain d’étude et les caractéristiques de la population des migrants subsahariens. En effet, je n’ai pas pu participer aux activités observées du moment que ni mon origine, ni mon apparence physique, ni mon accent de parler ne me permettaient cette participation. En plus ma participation aurait pu gêner les migrants et les autres acteurs ce qui influencerait les résultats de mes observations.  J’ai essayé donc de suivre les migrants et « leur production culturelle où qu’ils aillent » (Hylland, 2003,p5) sans participer ni activement, ni complètement à leurs activités.

Sur ces sites, mon étude a pris en considération essentiellement les situations d’interaction de ces migrants puisque ce sont elles qui m’ont révélé les manifestations des trois dimensions des stratégies. Cet objectif n’aurait pu être réalisé qu’à travers le recours à une observation in situ qui m’a permis d’aborder mes observations sur le « milieu naturel » de ces migrants. En effet, j’ai dû observer la vie quotidienne de ces migrants dans leurs espaces de vie en essayant de noter ce que je regardais et ce que j’écoutais dans chaque situation. De même, je suis entré en discussion avec ses migrants dans un cadre formel et informel afin de demander des informations qui me paraissaient nécessaires à la compréhension des situations et à l’éclaircissement de mon objet de recherche. La réalisation de cette tâche exigeait le recours à la description pour étudier et analyser ces situations. Je n’ai pas recouru à la description en s’intéressant seulement aux faits, mais j’ai employé une description dense « A thick description » (Ryle, 1971) qui permet une présentation des détails des situations, en évoquant le contexte, les émotions et les réseaux de relations sociales qui unissent les migrants subsahariens entre eux et avec les autres acteurs. J’ai focalisé aussi sur l’émotivité et les sentiments de soi, à l’expérience de ces migrants sur leurs espaces de vie et la signification de ces expériences. Et les séquences des événements telles qu’elles sont produites quotidiennement. Je me suis intéressé, dans cette description dense, aux voix, aux sentiments, aux actions des migrants subsahariens en interaction (Denzin, 1983).

En outre, j’ai réalisé un ensemble d’entretien semi-directif avec ces migrants subsahariens en vue de dégager les raisons sur lesquelles ces migrants se basaient pour choisir les espaces à fréquenter, les groupes à intégrer, les activités à pratiquer et les relations à tisser et à maintenir. Ces entretiens m’ont permis de relever les types de relations qui existent entre ces migrants ; les relations de pouvoir ; les négociations des conflits ; leurs relations avec les autorités locales et les citoyens marocains. Pour le choix de mon échantillon et la sélection des migrants interviewés j’ai procédé à un échantillonnage par « boule de neige ». L’usage d’une telle technique est dû à la spécificité de mes enquêtés et de mon terrain de recherche. En réalité nous ne disposons pas d’une donnée officielle du nombre exact des migrants subsahariens à la région ; de même que ces derniers se montrent prudents dans leurs relations avec les Marocains à cause de leur situation et de la crainte d’être refoulé. Pour ces raisons j’ai demandé à mes informateurs de m’aider et de me diriger vers d’autres migrants de leurs connaissances ayant les mêmes caractéristiques surtout le fait d’être installé à la région pour une durée longue durée.

  1. Conclusions et discussions : les stratégies de la gestion de la rencontre avec l’altérité sur les ronds-points :

La gestion de la rencontre des migrants subsahariens mancheurs avec les réfugiés syriens et les passagers marocains sur les ronds-points est conditionnée par les stratégies de l’appropriation de l’espace qui visent la pérennisation de l’appropriation des ronds-points, l’augmentation des profits et des bénéfices issus de la charité et la réduction des risques qui peuvent entraver cette fin. Les migrants subsahariens réussissent à atteindre cet objectif en étant disposés à respecter un ensemble de principes, de règles, de prescriptions et de proscriptions incorporés tout au long de leurs parcours migratoires et de leurs expériences au Maroc. Dans ce sens le gouvernement de cette rencontre s’appuie sur la régulation de la fréquentation et de l’exploitation des ronds-points sur lesquels celle-ci se produit. Une régulation assurée par une exploitation rationnelle de ces ronds-points entre les migrants subsahariens qui s’effectue dans le but de réaliser deux objectifs : pratiquer la mendicité pacifiquement en évitant l’encombrement et les conflits qui attirent l’attention des citoyens de la région de Beni Mellal-Khénifra et des agents de la police et maximiser leurs profits de la mendicité.

  • La rencontre entre les migrants subsahariens : relation de subordination et de collaboration au service de l’appropriation des ronds-points ;

À partir des observations et des entretiens menés auprès des migrants subsahariens sur les relations qui les unissent, j’ai pu constater qu’il s’agit tout d’abord d’une relation de solidarité basée sur le respect mutuelle et sur la fraternité. Cette relation est le résultat d’un ensemble de facteurs communs entre ces derniers. D’abord, leur situation de migrant clandestin (la totalité des enquêtés sont des sans-papiers) et les problèmes qui en résultent, leur appartenance géographique à « l’Afrique noir » et la ressemblance de leur situation dans les pays d’origine (pauvreté, conflit armé…). Tous ces facteurs les poussent à se montrer solidaires en évitant les problèmes et les conflits et en essayant de vivre en harmonie le plus possible. Une harmonie dont la pérennisation s’appuie sur des principes et des règles qui régissent la fréquentation et l’exploitation des ronds-points. Toutefois il faut mentionner que les rencontres entrent les migrants subsahariens entrainent la production de nouvelles relations.

La première relation que j’ai constatée est celle de la subordination. En effet, chaque migrant une fois refoulé à la région s’élance dans la recherche des espaces de la pratique de la mendicité où il rencontre les anciens migrants. Une fois la rencontre est effectuée, ce dernier doit choisir un groupe dans lequel il va s’intégrer sinon il risque d’être exposé au danger de vol voire de viol par les autres migrants subsahariens ou par les Marocains. Une subordination qui se présente sous forme de deux liens : l’amitié et le partenariat ou la soumission et la dépendance. Deux liens que j’ai remarqués sur le terrain, en effet Touré et les membres de son groupe sont dans une relation amicale basée sur le respect mutuel et le partenariat dans l’exécution des tâches et des actions et dans le partage des revenus de la mendicité. Une relation semblable relie Abdoulaye et ses compagnons, Aboubakar et son ami et Moussa et ses deux partenaires. En revanche, j’ai fait la connaissance de deux groupes de camerounais dans lesquels la relation est construite sur la soumission et la dépendance. Le premier était installé au camp qui avait commencé à se construire à partir de la moitié de l’année 2018 dans un espace entouré de murailles près de la gare routière de la ville de Beni Mellal. Ce groupe avait comme chef un migrant camerounais dont le caractère était agressif et qui a bloqué mon introduction au sein de ce groupe et qui a même obligé ses subordonnées de ne pas m’adresser la parole ou ils risqueraient de perdre leur place au sein du groupe. Je me rappelle mes tentatives lamentables pour s’introduire à ce camp en vue de parler à ce migrant qui était convaincu que je suis un agent secret de la police ou un journaliste qui cherchait à gagner de l’argent en filmant leur souffrance (carnet de terrain,2018).Dans l’une de mes visites à ce camp, j’ai rencontré un migrant qui remplit un grand bidon de 30 litres d’eau pour provisionner le camp où il était responsable ce jour-là des tâches ménagères alors que le leader du camp et les autres migrants sont sortis aux ronds-points. Ce migrant m’a confirmé que leur leader avait défendu à tous les membres du groupe de parler aux gens qui se présentent comme des chercheurs universitaires sinon ils allaient être chassés du camp et du groupe (carnet de terrain,2018).

Le deuxième groupe, je l’ai rencontré sur le rond-point des fleurs et il était aussi dirigé par un camerounais que j’ai nommé « Amadou ». Ce dernier s’est présenté comme étant un ancien professeur dans une école privée à la ville de Yaoundé la capitale du Cameroun avant de décider d’émigrer. Son émigration est due essentiellement aux problèmes financiers qu’il a rencontré après son mariage et la naissance de ses deux enfants. Malgré le support de sa femme qui travaillait elle aussi dans la même école et le partage des dépenses ménagères, tous les deux n’assuraient pas les frais de la location de leur appartement et les dépenses de leurs enfants. Une situation qui les a poussés à planifier l’émigration du mari en vue d’améliorer leur niveau de vie mais les circonstances ont déjoué leur projet qui consistait à l’installation du père en Europe et ensuite la rejointe de la femme et des enfants grâce au regroupement familial. Le passeur qui a pris l’argent et qui devait faciliter l’arrivée du migrant camerounais et son groupe en Europe, les a abandonnés à Agadez au Nigeria. Amadou n’a pas pu retourner à son pays et il continuait clandestinement son parcours vers l’Europe (carnet de terrain, 2018).

Pendant ma rencontre et ma discussion avec Amadou et son groupe à la ville de Beni Mellal qui était dans le cadre d’une enquête de terrain que j’ai effectué avec le centre « Atlas des études et de recherches sociales » autour de la discrimination des migrants subsahariens dans le domaine de la santé, j’ai constaté que ce dernier à un statut particulier. En effet, c’est lui qui a répondu à mes questions pendant toute la discussion et quand les autres voulait répondre au questionnaire, ils le regardaient et attendaient son signe de permission pour parler. En leur demandant pourquoi, Amadou a répondu que c’est lui le chef du groupe et que les autres le respecte. Une idée confirmée aussi par les autres migrants du groupe qui ont déclaré qu’ils le considéraient comme leur « grand frère » qui mérite le respect et l’obéissance en vue de garder la cohésion du groupe (carnet du terrain, 2018).

En plus de cette relation de subordination et de soumission, les mancheurs subsahariens établissent une deuxième relation de collaboration et de consensus dans leur fréquentation et exploitation des ronds-points. En effet, le partage de ces ronds-points se fait en deux situations différentes mais qui se sont avérées complémentaires. Au niveau des membres du même groupe, les migrants recourent à un partage basé sur le choix des migrants partenaires ou compagnons. Un choix qui s’effectue grâce au partage d’un parcours, ou d’une expérience migratoire ou au partage d’un lien familial. Une fois arrivés sur le rond-point visé, un autre partage s’appuie sur des accords implicites communs entre tous les migrants subsahariens s’effectue. C’est un partage implicite mais ordonné car il se fonde sur un ensemble de règles. D’abord l’ordre d’arrivée du migrant et sa primauté au rond-point puisque son investissement revient à celui qui s’y installe le premier. Avoir donc le droit de quémander sur ce rond-point est dépendant de l’ordre du mérite selon le rang d’arrivée au lieu. Ensuite, le migrant doit prendre en considération le nombre de migrants subsahariens qui pratiquent la mendicité sur ces ronds-points, car il ne faut pas dépasser le quota imposé pour garder l’aspect pacifique de cet usage des ronds-points et pour avoir un rendement suffisant à subvenir au besoin de la survie. Finalement, le rond-point est investi selon un critère qui s’attache à la dimension temporelle de la pratique, les migrants partage leur fréquentation selon deux instants de la journée : le matin et l’après-midi ; et selon la durée de la fréquentation par jour.

La rencontre sur le rond-point est négociée entre ces migrants selon les règles citées en-dessus. Cette négociation est influencée par l’enjeu de vouloir vivre en harmonie et éviter les conflits qui en sont les conséquences potentielles. Dans ce sens, la rencontre participe donc à la production de nouvelles relations entre les migrants subsahariens mancheurs. En plus de leurs liens d’amitié et familial déjà établis, ils créent d’autres liens d’amitié et de partenariat où la relation de pouvoir est égalitaire entre les membres et où ils se sentent en collaboration et en coopération. Une relation qui se fonde sur l’harmonie, l’entente et le consensus « …Entre nous (les subsahariens) c’est l’harmonie totale pas de problèmes on s’entend très bien que ce soit camerounais, moi je suis camerounais,… » (Touré, migrant malien), « ….. Oui c’est la famille (les autres migrants subsahariens), ici à Beni Mellal, entre nous les subsahariens nous on n’a pas de problèmes… » (Kaita), « …… Entre les subsahariens y’a pas de conflits…» (Moussa), «…demain quand je viens….et que je trouve qu’il y a mes amis ici que je dis rien, je pars ailleurs, il n’y a pas de problèmes entre nous, c’est la solidarité nous…» (Abdoulaye). De même qu’elle contribue à la création des relations de soumission et de dépendance dans lesquelles, la distribution des rôles et des pouvoirs est inégalitaire. Il y’a un leader, un chef ou un grand frère respecté et honoré par les membres du groupe. Ce dernier gère et contrôle les membres de son groupe à partir de ce qu’il croit bénéfique à la continuité du groupe et son bien. Ces principes et règles conditionnent donc les actions et les pratiques des migrants mancheurs dans leur relation entre eux et leur précisent le champ des interactions possibles en vue de pérenniser leur processus d’appropriation de ces ronds-points. Toutefois, cette rencontre entre les mancheurs subsahariens n’est pas la seule à gérer car ils sont confrontés à la rencontre des réfugiés syriens de même que les citoyens marocains.

  • La rencontre avec les réfugiés syriens : la gestion d’une relation conflictuelle par le biais des frontières ethniques ;

La rencontre sur les ronds-points est aussi une source de conflit. Cette relation s’établit entre les migrants subsahariens et les migrants syriens. En effet la totalité des mancheurs enquêtés déclarent avoir des problèmes avec les Syriens avec lesquels ne préfèrent pas partager les ronds-points. Dans leur discours, les subsahariens insistent sur l’aspect discriminatoire des paroles des et des pratiques des Syriens. Ceux-ci leur adressent des mots et des phrases en Arabe de connotation discriminatoire en les décrivant de « Azzi » (noir), « Abd » (esclave), « Moussakh » (sale), « jifa » (cadavre ou charogne). Des mots agressifs qui font mal au cœur d’après les paroles des mancheurs subsahariens qui les décodent facilement puisqu’ils les ont déjà entendus quelque part durant leurs parcours migratoires dans les autres pays d’Afrique du Nord ou dans les autres villes du Maroc. Des mots et des expressions employés en effet pour les insulter et qui véhiculent une image dévalorisante envers ces mancheurs subsahariens qui déclarent avoir été victimes d’actes verbaux racistes de la part des Syriens. De même que la présence des Syriens sur les ronds-points augmente le niveau de concurrence sur les dons et la charité et risque de priver les subsahariens d’une somme assez satisfaisante pour subvenir à leurs besoins. Comme ces derniers sont des arabes, des musulmans et des fuyants de guerre ; ils suscitent plus de compassion et prennent la priorité dans le fait de recevoir de la charité de la part des Marocains. En plus, grâce à la maitrise de l’Arabe, les Syriens sollicitent les Marocains dans leur langue et essaient de les dissuader de ne pas offrir de la charité aux mancheurs subsahariens en leur soufflant des rumeurs.

Dans ce sens, La relation des mancheurs subsahariens avec les Syriens est donc conflictuelle et se base sur une concurrence sur les ronds-points investis et la pratique de même activité. Cette relation subsaharien-syrien est nourrie par des rapports de force qui régissent cette compétition sur les ronds-points en tant que ressources économiques. En plus c’est une relation basée, au moins du côté des subsahariens que nous avons enquêtés, sur un sentiment de rejet envers les Syriens, un sentiment qui s’est développé à travers l’interaction quotidienne entre les deux groupes. Cette dernière est marquée par des actes discriminatoires et raciales de la part des Syriens. Une autre raison semble être derrière cette relation est que les Marocains compatissent plus avec les Syriens vue leur situation en tant qu’Arabes, musulmans et fuyants de guerre ou bien parfois ils se montrent indifférents pour ne fâcher ni les Syriens, ni les subsahariens car le marocain se sent perturbé dans une situation où les deux groupes sont présents en même temps sur le rond-point.

Sur les ronds-points, la gestion de cette coprésence conflictuelle fait émerger une catégorisation et pousse les migrants subsahariens mancheurs à s’identifier en tant que groupe ethnique et à tracer des frontières qui les séparent du groupe des Syriens. Cette catégorisation s’appuie sur « l’organisation des échanges entre les groupes et la mise en œuvre d’une série de proscriptions et de prescriptions réglementant leurs interactions » (J. Streiff-Fenart et P. Poutignat,1995 :172). Le nous contre les autres est une stratégie de gestion des stigmates, en se définissant comme « subsahariens » ou « africains » ou « black » ayant des normes et des valeurs communes qui les opposent au groupe des syriens. C’est une gestion qui parait « …plus ou moins conflictuelle mais réglée par des rapports de force et, surtout collective, de la coexistence sociale [qui] éclaire de ce fait un des aspects de l’opposition entre domination et appropriation de l’espace, soulignée par H. Lefebvre, et participe à sa production sociale. » (V.DeRudder et M. Guillon,1987 :24). En s’identifiant ainsi, les migrants mancheurs se comportent en présence des Syriens avec rivalité en défendant leurs espaces à travers l’imposition de leurs règles d’usage et des stratégies de marquage des ronds-points. Le maintien et le renforcement de ces frontières sur les ronds-points sont assurée par une coopération des membres de groupe des mancheurs subsahariens, « La coopération des membres pour le maintien des frontières est une condition nécessaire de l’ethnicité, elle peut même constituer dans certains cas le critère essentiel de membership» (Ibid. : 172).

En effet, au niveau spatial, une distanciation et une séparation physique marque les frontières entre les deux groupes. Sur les ronds-points, la première remarque à faire est la séparation spatiale de ces deux groupes puisque chaque groupe s’installe sur un rond-point ou sur une zone du rond-point où l’autre groupe ne s’installe pas. Comme l’a bien exprimé Aboubakar, les migrants subsahariens essaient le plus possible d’éviter la coprésence des migrants syriens sur les ronds-points qu’ils fréquentent et préserve une séparation physique en choisissant un coin et en demandant aux migrants syriens de rester dans le leur en vue de laisser circuler la monnaie entre les deux groupes, «…on leur a dit : choisissez un coin, vous restez là entre vous les syriens et nous on reste entre nous là….. » (Aboubakar). En outre, cette distanciation spatiale est accentuée par l’utilisation d’un ensemble de marqueurs spatiaux pour éloigner le groupe des Syriens et réaliser une appropriation matérielle des ronds-points. En effet, les mancheurs subsahariens tente de rendre l’usage de ces ronds-points exclusif à travers une concurrence quotidienne sur ces espaces pour profiter de leurs opportunités et de leurs ressources. Cette exclusivité est souvent collective et fondée sur la formation des groupes concrets mais restreints de deux, trois ou quatre mancheurs qui se placent quotidiennement sur une des quatre points du rond-point et quémandent à tour de rôle. Cette stratégie vise la clôture de ces ronds-points en face des migrants syriens. Cette exclusivité est assurée par le contrôle de ces points à travers l’instauration d’un ensemble de règles de marquage. Sur les ronds-points, les mancheurs marquent leurs espaces en s’y plaçant et en y effectuant des actions comme la déambulation en va et vient dans un même point, l’installation sous les panneaux de signalisation ou sur les barrières à côté de la route et le repos sur des bancs installés près des panneaux ou tout simplement à travers le fait de s’assoir sur le trottoir.  Toutes ces pratiques, entreprises par les migrants, forment un processus de marquage qui se base essentiellement sur le corps et ses mouvements dans les ronds-points.

Cette présence du corps et ces mouvements sur l’espace renvoient à deux formes du marquage qui sont inséparables. Le marquage matériel à travers le placement quotidien du corps dans le rond-point en vue de matérialiser son appropriation. Dans ce marquage corporel, le corps du mancheurs est placé dans le rond-point comme un indicateur exprimant une propriété, parfois même instantanée, du lieu et son droit à l’investir et à l’exploiter en exclusivité. Le migrant mancheur joue donc sur sa visibilité aux syriens en vue de les pousser à quitter son espace et à chercher ailleurs dans un autre rond-point. Le deuxième marquage est symbolique puisque et se manifeste à travers la répétition de la fréquentation quotidienne et de la routinisation de la pratique de la mendicité. Cette pratique a induit à la modification de la désignation de ces ronds-points qui est devenue synonyme de la mendicité et de la présence des migrants subsahariens. Cette désignation la manifestation d’un marquage symbolique de ces ronds-points.  En effet, ce contrôle et ce marquage effectués par les mancheurs subsahariens se traduisent au niveau des ronds-points par une ségrégation des migrants Syriens et par une domination des subsahariens. Les frontières spatiales établies séparent les deux groupes et marquent une distanciation qui permet aux mancheurs subsahariens d’exploiter une zone plus grande que celle des migrants syriens sur les ronds-points. Les subsahariens atténuent donc l’effet de l’appartenance religieuse et linguistique copartagées entre les Marocains et les Syriens par la création et le maintien de frontières spatiales qui obligent ces derniers à exploiter un espace restreint.

Ces frontières spatiales auxquelles j’ai fait attention n’empêche qu’il peut aussi avoir des contreparties ethniques. C’est-à-dire que le groupe des subsahariens maintient son identité en imposant des critères pour déterminer l’appartenance et des façons de rendre manifeste l’appartenance et l’exclusion. En effet, la dimension organisationnelle, dans toute relation inter-ethnique est assurée par un ensemble systématique de règles régissant les contacts sociaux inter-ethniques et dans toute vie sociale organisée, ce qui est supposé pertinent pour l’interaction dans chaque situation sociale est prescrit. Dans le cas de ma recherche, les migrants mancheurs incorporent un ensemble de prescriptions, de proscriptions, des accords, des codes et des valeurs qui ne s’étendent pas nécessairement au-delà de ce qui est pertinent pour les situations sociales dans lesquelles ils interagissent. En effet, la gestion et le maintien du groupe repose essentiellement sur le degré de consensus avec ses membres avec lesquels le migrant partage le point sur lequel il pratique la mendicité. D’après les multiples observations menées sur les différents sites choisis, j’ai pu constater que la plupart des groupes de trois ou quatre personnes qui s’installent sur le même point qui pratiquent la mendicité ensemble ont un lien en commun : ils sont compagnons du même parcours migratoire, ayant vécu même expérience ou membres de la même famille.

En plus, la gestion de cette relation conflictuelle et concurrentielle avec les Syriens impose aux mancheurs un certain nombre de règles et de valeurs qui conditionnent leur comportement sur les ronds-points. Le partage des lieux dans ce cas est basé sur des accords communs entre tous les migrants subsahariens qui se trouvent dans la ville, même si ces accords ne sont pas déclarés. Sur les ronds-points, les migrants subsahariens se sont implicitement mis d’accord sur ces principes de partage à travers la pratique et la fréquentation quotidienne des ronds-points. En déambulant à la recherche d’un rond-point à investir, le migrant mancheur doit tout d’abord prendre en considération une règle importante : la primauté du premier arrivant. Une deuxième règle est aussi importante à respecter pendant la fréquentation et l’exploitation quotidienne : le nombre maximal des migrants sur les points de l’installation. En outre, pour que la plupart des migrants mancheurs aient leurs chances de s’exposer sur le rond-point et de quémander, ils se sont imposés les règles du temps d’exposition et de sa durée.  Le temps désigne le moment du jour où les migrants subsahariens fréquentent les ronds-points et ils sont partagés en deux : le matin et l’après-midi. Alors que la durée marque le nombre des heures passées par un groupe sur le même rond-point durant le matin ou l’après-midi.

Dans ce sens, la gestion de la rencontre de ce groupe subsaharien des mancheurs dans son processus d’appropriation de ces ronds-points en situation de contact avec les réfugiés syriens implique des stratégies de structuration de l’interaction qui permettent la persistance des différences culturelles. Cette relation inter-ethnique conflictuelle présuppose ainsi une telle structuration de l’interaction. Cette structuration favorise la mise en relief des traits ethniques manipulés stratégiquement par les migrants subsahariens comme des éléments de stratagème, dans le cours des interactions avec les réfugiés syriens, pour manifester la solidarité entre eux et la distance sociale avec les Syriens et pour les avantages de la pérennisation du processus d’appropriation qu’ils escomptent obtenir par le renforcement de ces frontières éthniques.

  • La rencontre avec le passager marocain : la gestion d’un rapport de dépendance économique

En dernier lieu, les ronds-points sont essentiellement un espace de rencontre avec le passager marocain de la région de Beni Mellal-Khénifra voire d’autres régions de Maroc qui y s’arrêtent. Une rencontre qui se déroule pendant une durée limitée qui ne dépasse pas une minute en général, le temps pendant lequel le passager s’arrête au feu rouge ou durant un embouteillage. Le caractère essentiel de cette rencontre est son aspect économique. En effet, les migrants mancheurs attendent ces passagers et les sollicitent à donner de la charité à travers le recourt à la mendicité. Quotidiennement, Les migrants, après s’être installés, attendent que le feu des panneaux de signalisation passe au rouge, pour pouvoir s’approcher, le temps d’un arrêt, de manière pacifique, des véhicules. Ils utilisent leurs corps pour se montrer nécessiteux et en une situation de besoin d’aide et emploient également des mots de l’arabe marocain et des tournures à forte charge religieuse profitant ainsi de la tradition musulmane où les personnes de passage (les subsahariens notamment) sont ceux qui méritent le plus l’aumône. Ces actes sont employés dans l’objectif de susciter plus de pitié et de renforcer chez les Marocains le sentiment d’aide. En effet, l’utilisation du corps apparait d’abord dans la posture qu’il adopte (debout ou mobile) et ensuite dans leur apparence vestimentaire qui se manifeste dans le fait de porter des habits en loques, usés, sales et dont les couleurs dominantes sont le noir, le marron et le bleu. De même qu’ils portent des sandales de caoutchouc ou de vieilles chaussures.

Cet usage du corps apparait aussi dans les différents gestes notamment le geste de lever la main pour saluer et aborder les passagers ou les conducteurs. Ils la posent sur la bouche comme signe pour demander l’aumône et implorer la pitié des gens pour ensuite la poser sur le cœur pour les remercier après avoir reçu le don. L’inclination du haut du corps et de la tête lors de la discussion, le sourire, les mimiques suppliantes et enfin la distance qu’ils gardent vis-à-vis de leurs allocutaires sont autant de techniques et de principes adoptés par ces migrants pour augmenter les chances de recevoir quelque chose. Les migrants subsahariens savent bien que leur installation peut engendrer des problèmes parce qu’« il ne faut pas s’approcher beaucoup des conducteurs sinon vous risquez de les effrayer surtout les femmes, on sait bien que ce n’est pas bien de voir un homme fort, robuste et vigoureux installé près du panneau » (Abdoulaye). En outre, la communication peut elle aussi provoquée la peur et le sentiment d’insécurité chez les passagers et les conducteurs, c’est pour cette raison qu’elle se manifeste pacifique à travers l’emploi des mots et des phrases du dialecte marocain imprégnée de culture musulmane. Ainsi, lors du salut, le migrant emploie les tournures (salamo alaykom mon frère) ou (salam khouya ;labas ?). Pendant le remerciement, il utilise (chokran) ou ( lah ijazik) ou combinent parfois l’arabe et le français (merci bezaf mon frère). Pour quémander la charité, ils emploient (sadaka) ou (chwiya). En rencontrant des femmes, ils usent de l’interpellation (mama) pour une grande femme et de (ma sœur) pour une jeune femme. Les expressions religieuses telles que (la ilah ila laho mohamed rasoul alah) ou (fi sabillah mon frère) permettent au migrant subsaharien de s’afficher en tant que personne parlant l’arabe et en tant que musulman pour suggérer aux passagers qu’ils partagent la même religion « l’Islam » qui conçoit la « sadaka » ou la charité comme un acte de dévotion et de générosité.

La petite durée d’interaction entre les deux groupes ne permet pas la construction d’une relation mais tout simplement l’existence d’un rapport de subordination et de hiérarchie économique. En réalité l’exposition des migrants subsahariens est due à leur conscience que seuls les passagers marocains qui parcourent et emploient ces ronds-points peuvent leur apporter de l’aide sans s’intéresser à la construction d’une relation durable et continue, ce qui est important c’est le fait de créer chez eux le sentiment de pitié et de les pousser à pratiquer le don. Cette image de mendiant que le migrant mis en relief quotidiennement permet de faire impression sur les passagers marocains pour que ces derniers aient de la compassion pour ces personnes nécessiteuses ayant besoin d’aide. À travers cet acte, le passager complète son rôle de bon musulman qui pratique l’aumône. Le migrant le pousse à réagir en assumant le rôle du donneur. En donnant aux nécessiteux, le musulman complète son devoir envers les pauvres et les passants qui sont les « fils de Dieu » et qui ont leur part dans son argent. La « Sadaka » (l’aumône) est une manifestation de la providence divine à travers les musulmans qui, en la pratiquant, complètent une tâche religieuse. C’est alors qu’on peut dire que le statut de mendiant construit une figure du Subsaharien pauvre, légitime méritant de compassion et de charité musulmane.

Cette rencontre avec le passager marocain se résume donc dans un rapport de dépendance économique, «…On n’a pas de problèmes c’est que les marocains sont nos frères, on les respecte et ils nous respectent aussi parce que sans eux, sans leur aide c’est que nous nous ne vivons pas, ils nous viennent en aide surtout la population de Beni Mellal, moi j’ai fait beaucoup de frontières c’est différent… » (Aboubakar, un migrant camerounais). En revanche, quelques fois les migrants entament des discussions courtes avec les passagers qui leur posent des questions sur leurs origines, leurs noms, leurs religions et leurs équipes préférées de football au Maroc et ailleurs surtout en Europe. Toutefois elles sont en général des discussions instantanées et la plupart du temps elles sont entamées pour passer du temps de la part du passager qui file une fois le feu est vert ou quand le trafic devient fluide après un embouteillage. Une situation que les migrants subsahariens connaissent car ils l’ont vécu maintes fois, « …ici, quand les gens nous trouve sur la rue, ils blaguaient avec nous, ils nous donnent à manger, ici la vie est plus bonne pour le Black que n’importe quel pays au Maghreb ça quand même…» (Touré, un migrant guinéen).

La gestion de la rencontre avec le passager marocain est donc une situation où l’interaction entre le migrant et le passager marocain est marquée par un aspect symbolique. En partant de la conception du corps du migrant comme capital symbolique dont la maitrise et les techniques de sa présentation seraient rentables, en passant par la mise en scène du rôle du mendiant incorporé et en arrivant à l’interprétation et au décodage, par le passager marocain, des différents signes et symboles dans la culture arabo-musulmane en vue d’inciter l’acte de donner dans un rapport de dépendance économique.

Conclusion

Le processus d’appropriation des ronds-points est la fin visée par un ensemble de stratégies incorporées par les migrants subsahariens mancheurs qui font partie de leurs habitus en permanente réactualisation. Une réactualisation conditionnée par le contexte global de leur existence au Maroc marqué par la fermeture des frontières, l’endurcissement des politiques migratoires, le renforcement des procédés de contrôle des frontières et par la situation de domination vécue à la région de Beni Mellal-Khénifra en tant que migrants subsahariens sans papiers qui vivent une précarité en bas de la hiérarchie sociale et qui se débrouillent pour survivre et pour continuer leur quête à la recherche d’atteindre la rive européenne. Un contexte dans lequel, l’ensemble de leurs dispositions acquises leur rendent spontanément plus enclin à percevoir ou agir d’une manière spécifique.

Dans ce contexte, la gestion de la rencontre avec les autres groupes sur les ronds-points de la part des migrants mancheurs subsahariens semble être une manifestation de ces stratégies qui conditionnent ce processus d’appropriation de l’espace dans la région de Beni Mellal-Khénifra. Ces stratégies qui visent la pérennisation de ce processus orientent et coordonnent les interactions et les relations de ces migrants mancheurs avec les réfugiés syriens et les passagers marocains. C’est ainsi que la rencontre et les échanges entre ces mancheurs et les autres groupes sont régularisés et organisés par la mise en œuvre d’une série de proscriptions et de prescriptions réglementant leurs interactions. Dans ce sens, le champ des actions entreprises par ces mancheurs se restreignent et ces derniers obéissent aux principes et aux valeurs qui canalisent leurs rencontres. Ceux-ci favorisent la constitution de relations de subordination et de collaboration entre les mancheurs eux-mêmes, de relations de concurrence et de conflit avec les réfugiés syriens et un rapport de dépendance économique avec les passagers marocains.

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[1]  Traduction de l’anglais par le chercheur

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