Research studies

Langue française et diversité culturelle en Afrique : apprentissage et interaction, unité et séparation

. French language and cultural diversity in Africa: learning and interaction, unity and separation

 

Prepared by the researcher  :  Najat ZOUADIChercheure indépendante-Maroc

Democratic Arab Center

Journal of cultural linguistic and artistic studies : Twenty-Eighth Issue – June 2023

A Periodical International Journal published by the “Democratic Arab Center” Germany – Berlin

Abstract

The learning of French as an official and foreign language in some African societies also implies that communication between its members undergoes a tangible evolution because it carries one or more particular cultures. However, the problem lies in the fact that each society has its own structure of social and cultural environment whose specificity and diversity must be respected. The solution is therefore to consider multiculturalism, which is one of the components of the identity of the individual or the whole community, as a real asset in the process of learning this language in order to ensure a better understanding of direct and indirect speech.

Introduction 

Le schéma socio-éducatif contemporain met en évidence la nécessité de se concentrer rigoureusement sur l’apprenant. Il importe d’être attentif à la prise de conscience de son environnement comme un système ouvert d’interactions, de changements, d’enrichissements et de corrections afin de l’aider à construire et à s’approprier tout un réseau de relations interpersonnelles, professionnelles, culturelles, sociales, etc. En ce sens, la mise en place de ce réseau d’échanges lui permettra évidemment de maintenir, d’interpréter et de développer des connaissances toujours avides de renouvellement. Cela nous ramène à l’importance de l’enseignement/apprentissage des langues en tant que principal outil de communication et en tant que processus impliquant l’ensemble de la personne, mais à plus forte raison lorsqu’il s’agit d’une langue étrangère.

Cependant, le passage d’une langue à une autre implique le passage à d’autres modes de représentation et de raisonnement, c’est-à-dire à une autre forme de culture, ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas tenir compte du fait qu’une même langue peut être parlée dans des environnements culturels très différents. C’est le cas de la langue française, qui transmet plusieurs cultures à un niveau mondial.

Problématiques et méthodologie

Il est naturel de se demander si le français suffit à rendre compte de cette pluralité culturelle sans entraîner de difficultés quant à la compréhension des échanges de nature personnelle et sociale. À cet égard, nous pouvons mettre en évidence quatre hypothèses :

1-L’acquisition d’une nouvelle langue sera influencée par les langues apprises précédemment, y compris les habitudes structurelles de la langue maternelle.

2-La langue n’évolue pas au même rythme que la culture en tant que construction sociale spécifique à chaque groupe d’individus.

3-La culture n’est pas non plus définitivement cloisonnée au sein d’un groupe, mais elle peut aussi rencontrer d’autres cultures.

4- L’individu est membre d’une société donnée, mais ne partage pas nécessairement toutes ses valeurs culturelles.

C’est dans cette mesure que nous nous proposons de présenter quelques réflexions basées sur les échanges interpersonnels en français. Nous partirons de l’idée que la relation entre cette langue, l’interculturalité et la communication est remarquable, d’autant plus que le concept d’interculturalité a été introduit dans l’enseignement des langues étrangères par l’approche communicative.

Pour ce faire, nous nous appuierons dans un premier temps sur l’analyse sémantico-pragmatique de quelques échanges portant sur différents thèmes. Dans un deuxième temps, nous présenterons les observations que nous pouvons tirer de ces échanges afin de proposer dans un troisième temps quelques indices qui nous semblent nécessaires à la réussite d’un échange interculturel en français en tant que langue qui rassemble plusieurs cultures dans la société africaine.

  1. Cadre théorique

Les langues, en tant qu’activités immuables par lesquelles l’individu reçoit les bases de son inclusion dans une société, constituent une base essentielle de la force vitale de la communication humaine, car elles évoluent pour s’adapter à la réalité dans laquelle les gens vivent. Elles sont certes appauvries, mais elles sont aussi enrichies par l’apparition et l’inclusion de nouveaux termes au contact des autres langues qui les influencent, qu’elles soient voisines ou lointaines. Cette influence peut être lexicale, phonétique, syntaxique, etc.

Cependant, ce contact semble facile à première vue, mais il est tout de même complexe car chaque peuple est doté d’une structure spécifique de son environnement social. La solution consiste donc à considérer la diversité linguistique comme un véritable acquis, même si certaines langues sont traitées comme une contrainte.

La compréhension globale de la langue a aussi ses limites, car elle ne permet pas de tout comprendre et la langue n’est ainsi pas toujours transparente dans la mesure où « il ne suffit pas, pour que la phrase signifie quelque chose, il faut que le locuteur veuille exprimer le sens des mots qu’il énonce.»1 (Searle, J, 1972, p 203). De plus, « un énoncé n’accède au sens qu’à partir du moment où il est reçu, perçu et déchiffré. »2 (Kerbrat-Orecchioni, C, 1986, p308-309).

De la même manière que la langue est un élément fondamental pour établir la communication avec d’autres personnes de cultures différentes, cette communication interculturelle ne peut se faire uniquement par le biais de la langue, car elle nécessite d’autres éléments extra-linguistiques tout aussi fondamentaux : « Il apparaît plutôt que chaque système linguistique s’articule à l’extra-linguistique par tout un réseau de relations entremêlées les uns aux autres, qui mettent en jeu les différents composants de ce système, ainsi que l’activité symbolique et langagière de l’homme. »3 (Mecz, T, 1983, p. 128).

De plus, si la langue est une réalité linguistique, elle est aussi un fait social au sens large, et tout changement dans les faits sociaux se reflète dans les faits linguistiques. Ainsi, Meillet Antoine indique :

Ce sont les changements de structure de la société qui seuls peuvent modifier les conditions d’existence du langage. Il faudra déterminer à quelle structuration sociale répond une structure linguistique donnée et comment d’une manière générale les changements de structure sociale se traduisent par des changements de structure linguistique.4 (Meillet, A, 1958, pp.17-18).

Il est donc possible d’établir une relation entre les phénomènes linguistiques et culturels : si la langue porte les traces des schémas socioculturels à travers les structures linguistiques, la culture, à son tour, est transmise à travers les critères linguistiques. Pour appréhender un énoncé de cette manière, il est nécessaire de saisir les conditions de production de l’énoncé, telles que celles qui sont entretenues par l’environnement culturel, social, politique et anthropologique des sujets parlants.

Pour cela, il est indispensable de tenir compte des conditions de la structure générale de la langue, du contexte linguistique du mot et du contexte extra-linguistique ; pour comprendre un message, il ne suffit pas de connaître le système linguistique, mais il faut l’utiliser en relation avec le contexte socio-culturel, qui ne peut être pris en considération qu’à partir de l’univers du sens, c’est-à-dire à la lumière d’une analyse linguistique.

Cependant, nous ne devons pas perdre de vue que la réalité extralinguistique n’est pas toujours de rigueur, puisque le monde auquel se réfère le contenu de l’énoncé peut être artificiel, c’est-à-dire imaginaire. Le monde n’est donc pas toujours une réalité objective qui existe en soi, mais il nous est toujours présenté de différentes manières par notre activité, qui le catégorise en fonction de nos connaissances, de nos états d’esprit et de nos conditions humaines. Cela ne signifie pas que la réalité est subjective. Même si nous sommes au point central de l’univers et que nous traitons tout ce qui nous entoure sur la base de notre perception, cet univers permet d’échapper à la vision égocentrique dans la mesure où, pour l’appréhender, toutes ses composantes doivent agir et interagir les unes avec les autres. En d’autres termes, cet univers ne se présente pas directement, mais est représenté et médiatisé par les sujets parlants qui représentent, façonnent, catégorisent, etc., et dont le comportement apparaît comme un ensemble d’actes finalisés pour atteindre divers objectifs souhaités, recherchés, désirés et nécessaires.

En tant que telle, la culture est une composante qui est présente dans la langue, et non avec elle. Elle est transmise par des énoncés, des discours, des textes historiques, littéraires, politiques, etc. Mais si chaque langue est considérée par nature comme le reflet d’un peuple et de ses représentations, elle est aussi le façonneur de notre vision du monde, c’est-à-dire de notre culture. Elle sert non seulement à communiquer des idées, des expériences, etc., mais aussi à les formuler et à guider l’esprit dans son analyse de l’expérience.

Néanmoins, la culture n’est pas non plus compartimentée de façon permanente au sein d’un groupe, mais peut et va probablement de plus en plus rencontrer d’autres cultures. Cela ne signifie pas que la culture est un objet que l’on peut changer rapidement, mais plutôt qu’il s’agit de messages adaptés à un certain contexte, car la culture comprend toutes les normes de comportement et les rituels d’interaction (codes de politesse et de savoir-vivre).

En effet, quel que soit le contexte interculturel oral ou écrit, il faut noter que la relation entre la langue et la culture, qui l’enrichit et la dynamise, est bien présente. Mais la connaissance d’une langue donnée ne suffit pas pour faire face à une situation de communication interpersonnelle dans un contexte interculturel. De nombreux paramètres sociaux et psychologiques déterminent aussi dans une large mesure le processus de communication.

  1. Communication interculturelle : pour un compromis entre les différences

Échange 1 : Langue française et culture africaine : qui sert le mieux l’autre ?

L1 : Je suis Comorienne, je témoigne énormément que les Sénégalais sont extrêmement généreux et gentils, qu’Allah bénisse la République du Sénégal.

L2 : Étant congolais, je suis fier de cet homme. Que Dieu vous bénisse.

L3 : Je suis guinéen, j’aime bien Sadio Mané et particulièrement tous les Sénégalais. Vous êtes le peuple le plus gentil au monde. Qu’Allah vous bénisse.

Il s’agit d’un ensemble d’opinions échangées entre des personnes d’horizons culturels différents à propos d’une vidéo5 (Lama Faché, 2020), en français sur le joueur sénégalais Sadio Mané et son action caritative pour son pays.  Dans cet échange, tous les participants prennent la parole en français, qui est une langue officielle dans les trois pays. Tout d’abord, ils respectent au plus possible la maxime de la relation, puisqu’ils donnent leur avis sur le même sujet dans la vidéo en question. Si l’on considère de près leurs points de vue, on constate qu’ils partagent le même savoir conventionnel, c’est-à-dire la mise en place d’une même opinion, et qu’ils la formulent de manière positive tout en accomplissant des actes qui valorisent l’Autre, loin d’un certain individualisme.

C’est précisément l’objectif de la culture de la politesse. En ce sens, la langue française dans cet échange est porteuse, à travers trois identités africaines différentes, d’une culture tenue pour une composante fondamentale et nécessaire dans les échanges communicatifs oraux ou écrits, qui est celle de la culture de la politesse. Il ne s’agit pas seulement d’un savoir-être ou d’un savoir-faire qui établit des liens socio-affectifs entre les individus, mais d’un système unifié de règles qui constitue un véritable champ de réflexion plutôt qu’un champ théorique, d’autant que ces règles ne sont pas universelles, mais varient considérablement d’une société à l’autre.

La politesse étant constituée comme un archi-lexème qui englobe un ensemble de termes synonymes tels que courtoisie, bienveillance, civilité, savoir-vivre, etc. Dans cet échange, cette culture s’exerce de différentes manières envers le joueur Sadio Mani, voire son pays le Sénégal, l’auteur de la vidéo, les participants, les lecteurs, et ce, par :

  • le pronom personnel « je » (le « je » subjectif): je suis (2 fois), je témoigne, je suis fier, j’aime ;
  • les adverbes : énormément, extrêmement, bien, particulièrement ;
  • les adjectifs : généreux, gentil (2 fois), fier ;
  • le superlatif : le plus ;
  • des souhaits religieux : qu’Allah bénisse, que Dieu vous bénisse, qu’Allah vous bénisse ;
  • des indications identitaires : je suis Comorienne, étant congolais, je suis guinéen.
  • des actes de convivialité et d’altruisme : les Sénégalais sont extrêmement généreux et gentils. Vous êtes le peuple le plus gentil au monde, j’aime bien Sadio Mané et particulièrement tous les Sénégalais.

Ajoutons que les trois participants respectent bien le territoire numérique car ils savent probablement réserver leur face positive, c’est-à-dire faire en sorte de bien paraître dans l’interaction. Par conséquent, ils accomplissent des actes qui valorisent l’Autre, loin d’une politesse individualiste qui met l’accent sur les réalisations et les objectifs individuels, mais plutôt une politesse qui est décrite ici comme positive et qui reflète également le caractère cordial et chaleureux de leur culture.

En outre, il convient de noter que leur identité est également respectée et explicitement indiquée. Cet attachement à leur identité manifeste leur respect pour leurs origines, loin de toute confusion identitaire qui peut parfois les amener à se cacher sous une identité différente, dominante ou glorifiée, voire à ne pas l’aborder. Bien qu’elle ait été mentionnée dans cet échange, elle prend une place importante dans la conscience que les participants ont de leur territoire identitaire et dans la manière dont ils perçoivent l’autre et son identité.

Il faut également souligner que la culture de la politesse positive est représentée par le complément, qui a une importance sociale dans toutes les cultures. Il s’agit une fois de plus d’un échange complémentaire basé sur une utilisation modérée des compléments envers le joueur sénégalais et son pays. Cela procure au joueur du plaisir et de la satisfaction, ainsi qu’une autocritique implicite. Il y est donc question d’autres cultures verbales, celles de la reconnaissance, du partage et de la motivation envers les autres.

Échange 2 : du culturel à l’interculturel

L1- Que pensez-vous de la situation de la femme arabe aujourd’hui ?

L2- Malheureusement, elle est trop libérée. Wallah, c’est hchouma …

L3- C’est vraiment honteux. C’est la plus grande hchouma sociale.

L4- Non, les filles de la maison existent toujours. Quand nous généralisons, nous incluons même notre mère, notre tante…

Il s’agit d’un échange6 amical entre une femme gabonaise vivant au Maroc (L1) et trois jeunes femmes marocaines (L2, L3 et L4) sur l’image de la femme arabe en général. La langue adoptée ici est le français, en réponse à la langue dans laquelle la question est posée. L2, pour appuyer son point de vue par une confirmation, utilise un jugement pour attribuer une valeur de vérité à sa position : ” wallah, c’est hchouma “. Juger en arabe marocain est un acte connu surtout des maghrébins qui pensent que, dans un discours en français, juger en arabe est plus convaincant. Cela semble être une façon d’impliquer les autres interlocuteurs dans son monde de croyances à travers son cadre de référence religieux. Cela ne la touche pas seulement, mais aussi L3 et L4, qui partagent avec elle le même contexte religieux, culturel et linguistique.

Il est clair que L2 et L3 partagent le même point de vue, elles utilisent le même mot “hchouma”. Alors que le deuxième tour se termine par “c’est hchouma”, dans le troisième tour L3 reprend le même mot, mais le traduit en français et l’accentue par l’adverbe “vraiment” pour marquer l’intensité et la sincérité du sentiment ressenti. La suite de sa réponse continue de refléter ce sentiment quand elle ajoute « c’est la plus grande “hchouma” social ». Le mot “hchouma”, cette fois, est précédé de l’adjectif “grande”, qui est à son tour précédé d’un superlatif de supériorité « le plus » et suivi d’un autre adjectif « social ». Cette stratégie discursive d’ordre affectif exprime son vif regret.

De plus, la variation du code linguistique peut perturber l’échange, car L1, bien que pouvant comprendre “wallah, c’est hchouma”, peut ne pas comprendre l’intention de L4 lorsqu’elle affirme que « “la femme de maison” existe toujours ». Selon la culture populaire marocaine la « Femme de maison » qui veut dire “bnat darhom”, signifie littéralement que ce sont des filles associées à un espace rempli et habité et qui n’échappent pas au contrôle des hommes. Ce type de fille est davantage valorisé que la « fille de la rue » associée à un espace vide signifiant dans le culturel « bnat zanqa », c’est-à-dire la nature dans son aspect le plus sauvage en échappant au regard de la société et transgressant ainsi ses normes, tandis que l’espace clos de la maison, “adâr”, est le symbole de l’ordre social normal.

Toutefois, selon le magazine français Sciences humaine7 (Céline Mouzon, 2014), les « femmes au foyer » sont « de femmes non étudiantes, vivant en couple et inactives (elles n’exercent pas d’activité, mais ne sont pas au chômage.), âgées de 20 à 59 ans ». C’est une définition utilisée dans une récente étude de l’INSEE qui met en lumière l’hétérogénéité de cette catégorie dans le temps.

Il s’avère que, dans cet échange subjectif, les participants (L2, L3 et L4) transmettent un autre cadre culturel que celui de la langue de l’échange à travers :

  • le sujet de la conversation elle-même, qui touche à un autre univers culturel différent de celui du Gabon, celui d’un phénomène social concernant les femmes arabes ;
  • les trois intervenantes sont de jeunes femmes maroacines. En fait, elles se situent entre deux registres linguistiques (arabe et français) ;
  • les termes utilisés : “wallah et hchouma”, qui font référence au registre religieux et social arabo-musulman ;
  • les conditions de l’échange général. En ce sens, il est basé sur ces quatre coordonnées principales : l’espace, le temps, le contexte et la chaîne d’action.

Échange 3 : malentendu culturel

Au cours de la soirée, dans la rue, une jeune étudiante marocaine (L2) quitte ses deux amis et se met à la recherche d’un taxi. En sa route, elle rencontre deux étudiants : un Marocain (L3) et un Malien (L1) qui ont déjà aperçu les deux hommes qui sont partis. Voici la conversation qui a lieu entre eux :

L1 : Bonsoir ! Pourquoi tu n’es pas partie avec eux ?

L2 : Bonsoir ! Parce que je suis une fille.

L3 : Là, je comprends. Puisque tu es encore une fille, tu as raison de ne pas partir avec eux.

L1 : Que vous voulez dire ? Je n’ai pas bien compris.

L2 : (les a quittés avec un regard méprisant)

Tout d’abord, cet échange est conforme aux principes généraux relatifs à la conversation, en particulier le recours à des séquences d’ouverture qui représentent des points de repère concrets de l’interaction verbale. Ainsi, la séquence d’ouverture de L1 intègre le mot ” bonsoir ” qui correspond à une modalité culturelle de politesse à l’égard de L2. Puis lance une question soudaine, et réalise ainsi un acte direct de requête dans lequel il prétend connaître la ou les raisons pour lesquelles L2 n’est pas partie avec ses deux amis. La réponse de L2 était claire, voire explicite. Sans se sentir offensée, elle a donné un seul argument en guise de réponse.

Cependant, la réaction de L3 implique un désaccord entre L2 et L3 sur la signification du mot “fille”. L2, dans son premier tour, prend le terme “fille” pour signifier qu’elle est une femme et qu’elle ne peut donc pas rentrer chez elle avec deux hommes, tandis que L3, pense que L2 entend par « fille » qu’elle est encore vierge. Ce malentendu perturbe également la compréhension du L1, car ce qui est significatif dans un acte d’énonciation n’est pas seulement l’énoncé, mais aussi l’ensemble des conditions socio-psychologiques qui doivent être réunies pour que l’interlocuteur assimile le véritable sens.

En tant que forme socioculturelle d’interaction, il semble que L3 se réfère à son cadre de référence linguistique, socioculturel et religieux qui dicte que le sens du mot « fille » est la femme qui n’est pas mariée et qui ne peut pas accompagner deux hommes à leur domicile par respect envers sa réputation, son éducation, sa religion… Cependant, L3 extrait un autre sens du mot « fille » en se rapportant à un autre champ sémantique, celui de la virginité. Cela nous amène à penser que non seulement L3 construit sa pensée en fonction de la réalité des femmes marocaines (qui est en constante évolution), mais aussi L2, qui au lieu de dire « femme » en tant que titre de respect, fait le choix du terme « fille » en référence à la culture populaire marocaine.

Cette confrontation avec la langue et la culture maternelles se produit au niveau des opérations cognitives qui sont propres à chaque individu et qui peuvent également affecter l’apprentissage d’une langue étrangère, parfois avec des implications psychologiques. Il est clairement établi que nous utilisons l’expérience vécue, en particulier celle liée aux représentations de l’environnement, qu’il soit proche ou lointain.

Il s’ensuit que, malgré le fait que les interlocuteurs parlent bien le français même s’il n’a pas le même statut dans les deux pays (le Maroc, où le français est la première langue étrangère, et le Mali, où le français est la langue officielle), l’échange révèle un malentendu entre l’intention et l’interprétation de l’énoncé de l’interlocutrice marocaine, qui semble croire que ce qu’elle dit est explicite et n’aurait pas besoin d’une interprétation pour en comprendre le sens. Le problème ne se situe pas au niveau du mot lui-même, mais plutôt au niveau de sa charge culturelle. Dans la mentalité marocaine, par exemple, la distinction entre “bint” (fille) et “mra” (femme) se fait sur la base du mariage : “bint” désigne une fille non mariée, tandis que “mra” (femme) est une fille mariée ou “tayeb” (veuve).

Alors que dans la culture malienne, je crois que la différence entre une fille et une femme n’est pas aussi claire que dans de nombreuses cultures où le doute subsiste entre “fille et femme”. À titre illustratif, nous reprenons cet exemple :

  • Afin de passer du stade de jeune fille à celui de femme, elles doivent se préparer à faire face à des changements d’ordre intellectuel, émotionnel et physique. Elles peuvent contrôler quelques-uns de ces changements, alors que d’autres résultent d’un processus biologique qui survient en son temps. On ne devient pas une femme du jour au lendemain, cela peut même prendre plusieurs années, mais ces années peuvent leur apporter une expérience précieuse qui les aidera à entrer dans la vie adulte.7 (Tami Claytor).

Cela permet de souligner que les actes de parole de cet échange interpersonnel, construits sous forme de questions ∕ réponses (de paires adjacentes), sont tout de même porteurs d’un contenu supposé qui renvoie à des réalités socioculturelles également différentes de la culture française transmise par la langue de l’échange.

  1. Débat d’idées : deux pôles différents

Pôle 1 : mécanismes d’influence sur le fonctionnement de l’échange interpersonnel en français

Il en résulte que les principaux mots-clés du thème que nous avons abordé sont les suivants :

  • Les participants sont issus de milieux culturels différents.
  • La langue d’échange utilisée est le français, langue officielle pour les uns, et langue étrangère pour les autres.
  • Le contexte à la base des échanges se situe dans une perspective interculturelle.

Dans le même ordre d’idées, nous pourrions faire le constat général que la langue française offre à ceux qui l’utilisent, malgré leurs origines culturelles différentes, les moyens d’organiser leur discours de manière cohérente et permet l’interaction avec l’Autre, ce qui souligne également que la finalité de la communication interculturelle est aussi pragmatique et contribue ainsi à la bonne gestion des situations de communication faisant intervenir des cultures différentes. C’est le cas du premier échange qui glorifie la courtoisie et l’ouverture à l’Autre, même si nous sommes conscients que l’Afrique est caractérisée par un réseau linguistique et culturel déjà très complexe.

Néanmoins, pour le deuxième et le troisième échange et conformément au point de vue d’Abdellah-Pretcielle : « Les individus échangent du sens et non pas seulement des signes. Les messages n’ont pas comme seule fonction l’information, d’autres enjeux, d’autres rapports se jouent »8 (Abdellah-Pretceille, M. et Porcher, L., 1996, p.150), nous tenons à faire remarquer que le fonctionnement de l’échange varie, dans le deuxième échange, de la culture française à la culture marocaine, bien que la politique culturelle française à l’étranger ait plus souvent lié langue et culture, et dans le troisième échange de la culture marocaine à la culture sénégalaise. Il n’est donc pas surprenant que des mots culturellement chargés soient utilisés, mais cela épuise le(s) sens du message et conduit à ce qui peut apparaître comme une interprétation inattendue des intentions des participants.

Il est également significatif que cette variation ne soit que le produit de différences qui régissent le fonctionnement de l’échange et qui se situent à plusieurs niveaux :

– Le niveau pragmalinguistique qui dépend de la langue et de la maîtrise de ses règles morphosyntaxiques et lexicales. Ce niveau permet également d’associer et de former une infinité de phrases grammaticalement correctes et de distinguer les phrases significatives des phrases ambiguës (le style à utiliser en fonction de la personne à laquelle on s’adresse, le moment de parler ou de se taire).

– Le niveau socio-pragmatique qui se rattache à la sphère des valeurs culturelles (qui ne sont pas toujours actualisées dans le comportement, car cela nécessite une socialisation).

– Le niveau relationnel qui renvoie aux règles des conventions rituelles et organise le fonctionnement normal des échanges verbaux dans une interaction communicative.

– Le niveau interculturel qui consiste en la connaissance d’une langue étrangère et permet de développer des attitudes de compréhension et de sympathie envers les étrangers et d’établir la paix et l’amitié entre les peuples.

– Le niveau psychologique qui considère le communicateur comme un individu actif dans des réseaux de sens, mais aussi capable d’être impacté dans son organisme psychique en tant que locuteur et interlocuteur (impacts positifs dans le cas de l’échange 2 et négatifs dans le cas des échanges 3 et 4) ou même en tant que sujet de la communication en général (Sadio Mané est un exemple.). De même, chaque individu a un besoin d’appartenance et de relation, un besoin de relation à soi, un désir d’estime, un besoin de motivation…

À cela s’ajoute :

  • La différence de statut de la langue française, qui est tantôt officielle (pour les Subsahariens), tantôt étrangère (pour les Marocains). Par ailleurs, l’échange entre un locuteur natif (LN) et un locuteur non-natif (LNN) peut engendrer une incompréhension mutuelle en raison des nombreuses difficultés du LNN à comprendre l’intention du LN, dans la mesure où le locuteur non-natif est susceptible de transplanter en français certaines conventions (relativement culturelles) propres à sa langue maternelle, telles que la composition des phrases, la ponctuation, la dérivation sémantique, etc. C’est le cas de “hchouma, est le plus grand hchouma social, wallah, femme au foyer”.
  • L’écart entre les cultures (comorienne, guinéenne, congolaise, marocaine maternelle et étrangère, gabonaise, malienne, arabo-musulmane) peut parfois être source de déséquilibre culturel. Le fait de maîtriser le français sans avoir connaissance des codes culturels d’autres civilisations que le français constitue également une contrainte pour la mise en œuvre d’un acte de communication dans un contexte interculturel, puisque l’objectif principal de l’insertion d’éléments culturels est d’assurer une meilleure compréhension et maîtrise de la communication et non la communication de la culture.

Il s’ensuit que, si les différences linguistiques et culturelles communiquées en français sont souvent considérées comme un point de départ privilégié pour valoriser les divergences par rapport aux normes conventionnelles, elles sont également en mesure de générer des malentendus entre des personnes d’horizons culturels différents, car les écarts d’interprétation sont toujours riches d’implications linguistiques, culturelles mais aussi psychologiques.

Pôle 2 : pistes pédagogiques pour un enseignement/apprentissage performant de la communication interculturelle en français

Si la communication interculturelle a pour objectif général l’étude des interactions entre des personnes appartenant à des cultures différentes, il est fort possible qu’elle soit toujours confrontée à des situations multiples qui favorisent la communication, mais tout autant à des situations complexes qui ne peuvent que bloquer tout échange interculturel soumis à un ensemble de facteurs internes et externes qui entravent son bon fonctionnement. Afin d’assurer la qualité de la communication dans des conditions appropriées, nous proposons quelques dispositifs didactiques qui peuvent nous aider à bien comprendre la situation :

  • valoriser un programme pluridisciplinaire qui ne soit pas lié à une pédagogie excessivement livresque, mais à une pédagogie qui fait table rase des acquis, liée à la périodicité et aux modalités, c’est-à-dire au système d’habitudes intellectuelles et affectives de l’apprenant.
  • être attentif à l’environnement de l’apprenant, c’est-à-dire non seulement à ce qui l’entoure, mais aussi à ce qui s’y oppose, à ce qui lui permet de le comprendre et de s’y identifier dans la mesure où la langue française, en tant que langue d’apprentissage, a divers statuts dans le monde, et est souvent étrangère à son environnement. Ainsi, si la langue française peut transmettre systématiquement la culture française à travers la littérature, les réalisations scientifiques et économiques, les événements politiques, les loisirs, les arts, etc., il est acceptable d’établir des méthodes de contextualisation qui tiennent compte de la spécificité des apprenants et de travailler avec des outils qui ne sont pas rigidement préfabriqués, mais flexibles et adaptables à leur propre environnement.
  • il est d’un intérêt immédiat d’acquérir certains outils pour pouvoir construire un nouvel univers culturel d’interaction avec un nouveau code interculturel. De cette manière, en passant du culturel à l’interculturel, les apprenants peuvent mieux comprendre la nécessité de respecter la diversité et la différence culturelle. Cela permet une meilleure coexistence, car sur la base de cette réciprocité des spécificités culturelles, une nouvelle intercompréhension et une nouvelle connaissance pragmatique et interculturelle se développent.
  • développer la capacité à communiquer efficacement avec ceux qui sont différents. Toutefois, l’accès à la communication interculturelle par l’expérience reste le meilleur moyen, car il permettra à l’apprenant de mieux faire face aux situations concrètes sur le terrain et lui permettra d’anticiper les malentendus et de limiter les risques. Et cela peut se faire plus efficacement avec l’aide des technologies de communication contemporaines, notamment les ressources numériques qui facilitent la collaboration à distance.

Conclusion

La multiplication des relations humaines constitue également un espace d’interaction verbale dans lequel la confrontation peut être provoquée et la complémentarité peut être déstabilisée. La situation linguistique et culturelle de chaque société est dès lors plus complexe lorsqu’il s’agit d’une langue dotée de différents statuts dans le monde, comme le français en Afrique, qui fait précisément l’objet du présent article.

S’il est normal que l’utilisation de cette langue nous implique dans son univers culturel, il semble opportun de s’interroger sur la naturalité et l’universalité des systèmes d’interprétation de la réalité et des réseaux de relations qu’elle transmet, car on ne peut échapper à une pluralité de cultures, ou plutôt de réalités culturelles, qui varient d’un pays à l’autre, et il est tout de même difficile d’utiliser le français comme langue de communication de la manière la plus neutre possible. Mon français est différent de celui d’un Français, d’un Espagnol, d’un Sénégalais, d’un Brésilien, d’un Canadien, d’un Jordanien…

De là résulte aussi la complexité de l’enseignement/apprentissage du Français à travers la communication interculturelle. Ainsi, nous sommes face à plusieurs questions : peut-on parler du ou des lieux de la langue française ? Y a-t-il une entité culturelle cohérente dans chaque pays ? Toutes les sociétés sont-elles monoculturelles ? Doit-on parler d’une langue française et d’une culture française ou d’une langue-culture française ? Le français n’est-il qu’un outil de communication, alors que c’est l’être humain, son utilisateur, à travers les médias oraux et écrits, qui le transfère et le charge de réalités culturelles, sociales, politiques et historiques etc., qui peuvent être explicites ou implicites, positives ou négatives, honnêtes ou manipulatrices, humanitaires ou discriminatoires ?

Notes :

[1]Searle, J. (1972). Les actes de langage, Essai de philosophie du langage, tr.H.Pauchard, préface Oswald Ducrot, Paris, Hermann, (Speech Acts, 1969, Cambridge, University Press), p. 213.

2Kerbrat-Orecchioni, C. (1986). L’implicite, Paris, Armand Colin, pp.308-309

3Mecz, T. (1983). La composante référentielle dans Un manteau de laine et Un manteau en laine, Langue française, n°57, p. 128

4Meillet, A. (1958). Linguistique historique et linguistique générale, Paris, Champion, pp.17-18

5Lama Faché, 2020, Voici comment Sadio Mané dépense ses millions !, Récupéré sur https://www.youtube.com/watch?v=UFXQ3YbVrRQ, Date de consultation : le 08/02/2023.

6Elle s’est déroulée à l’université entre trois étudiantes marocaines et une gabonaise qui étudie au Maroc depuis un peu de temps.

7Coécrit par Tami Claytor,  Récupéré sur https://fr.wikihow.com/passer-du-stade-de-fille-%C3%A0-celui-de-femme. Date de consultation : le 09/03/2023

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