Research studies

Sport de masse et médias de masse en Tunisie : Quels rapports

Mass sport and mass media in Tunisia: What relations

 

Prepared by the researcher : Dr. Qais Tria – Researcher at the Inheritance, Transitions and Mobility Research Unit, University of Tunis, Faculty of Humanities and Social Sciences

Democratic Arabic Center

Journal of Media Studies : Twenty-sixth Issue – February 2024

A Periodical International Journal published by the “Democratic Arab Center” Germany – Berlin

Nationales ISSN-Zentrum für Deutschland
ISSN 2512-3203
Journal of Media Studies

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Résumé

Ce papier traite, les rapports entre sports de masse et médias de masse en Tunisie à travers une lecture sociologique de l’hyper médiatisation des activités sportives et leurs impacts sur la formation des mouvements « Ultras ».‎ Le sport répond aux besoins sociaux et au sentiment d’appartenance à un groupe, c’est ainsi qu’il est devenu un moyen de tisser des liens sociaux et de nouvelles formes de solidarité, aussi bien pour les pratiquants du sport ou pour le public sportif. À cet égard, le football tunisien a fait face à un lobbying sectoriel qui touche les secteurs, ‎spécifiquement sportifs et médiatiques. Le sport est devenu un pari, devant la multiplication des intervenants dans la diffusion des activités sportives.‎

Abstract

This paper deals with the relationship between mass sport and mass media in Tunisia ‎through a sociological reading of the hypermedia coverage of sports activities and ‎their impact on the formation of “Ultras” movements. ‎Sport responds to social needs and to the feeling of belonging to a group, which is how it has become a means of forging social ties and new forms of solidarity, both for those who practiced the sport and for the sports audience. In this regard, Tunisian ‎football has faced sectoral lobbying that affects sectors, specifically sports and media. ‎Sport has become a bet, faced with the proliferation of stakeholders in the ‎dissemination of sports activities.‎

Introduction

Historiquement, le sport est le produit de plusieurs visions et représentations communes, pour le loisir personnel ou le défoulement de masse, à partir de l’histoire du sport de masse en Tunisie, nous allons l’appréhender comme une construction sociale.

La recherche sur les rapports médias-sport en Tunisie est l’une des problématiques les plus controversées. À travers l’évolution des pratiques du ? football, des intérêts convergents se sont développé et peser sur la scène sportive et les différents supports médiatiques : le politique, l’économique, ‎le commercial‏…  ‏ De ce fait, la focalisation médiatique sur le football, en a fait du sport de masse un pari économique, politique et social, qui s’est reproduit sur le comportement des supporteurs sportifs et a conduit à l’émergence des mouvements «Ultras».‎

  1. Le football en Tunisie :

‎ La création officielle du premier club de football en Tunisie, « le football Club de Tunis », remonte à 1906, nous ne nous intéressons pas à la genèse et le développement du football à l’époque colonial, bien que les équipes qui œuvraient en Tunisie, Française, Italienne ou tunisienne se définissent comme porteurs d’identités nationales, un derby se jouait entre une équipe française et italienne, italienne tunisienne ou française tunisienne.

Ce n’est qu’après l’indépendance que le terme a pris ces dimensions locales. L’intérêt sociologique se situe dans les phases postindépendance avec la création de la Fédération Tunisienne de Football (FTF) le 29 mars 1957[1] et la croissance de l’effectif de ces clubs sportifs au début des années 90. Selon les données de l’année 2014-2015, le nombre de ces clubs est de l’ordre de 324 avec somme effectif 35527 sportifs pratiquants.

  • Le football, une affaire d’État : 1956-1987 :

 Dès ces débuts, le football n’était pas seulement un moyen de distraction, plutôt un enjeu politique qui a nettement amplifié après l’indépendance. A l’évènements de 1971, le sport est devenu le monopole de l’État; le 13 juin 1971, le Club sportif sfaxien (CSS) a battu l’Espérance sportive de Tunis (EST) un but à zéro dans le cadre du match final de la coupe du président de la république un évènement sportif hautement médiatisé  et qui voit le plus souvent la présence du président de la République, à la dite date, le dernier se soigner en Suisse, et donc c’est le premier ministre de l’époque qui a honoré pour la présence cette finale, or, des actes de violence ont caractérisé la fin du match, le stade s’est transformé en une arène d’échanges de violence entre les supporteurs des deux équipes, même le Premier ministre était jeté à coups de pierres.

Suite à ces évènements, le pouvoir est pris la décision de nouer et annoncer ouvertement l’acquisition du football et son contrôle, chaque président d’équipe doit faire partie de l’équipe gouvernante, à titre d’exemple :

  • Hassen Belkhodja : Élu président du club de football de l’Espérance sportive de Tunis (EST) en 1971, est membre du bureau politique du Parti socialiste destourien il occupait les responsabilités ministérielles au sein du gouvernement.
  • Abdelaziz Lasram : Ministre de l’Economie nationale jusqu’en 1977, était président du Club Africain (CA) à deux reprises, en 1964-1966 et 1971-1977.
  • Hamed Karoui : Maire et dirigent de la cellule destourienne de Sousse-Ville entre 1957 et 1988, avait présidé aussi le club de l’Étoile sportive du Sahel (ESS) de 1963 à 1981.

À partir des années 1980, deux faits majeurs ont marqué le monde sportif ; voire la suppression par le comité international olympique la distinction entre amateurisme et professionnalisme et la fleurissante des médias sportifs. Cette transition sportive et médiatique a propulsé le football vers la mondialisation.

Le professionnalisme en Tunisie n’a commencé de faire qu’au début des années 1990, dans le but d’atteindre le sport à haut niveau. Le pouvoir en place (l’ancien régime de Zine Abidine Ben Ali) a rendu du football un secteur stratégique dans la consolidation l’image de son régime.

  • Le lobbying sportif : 1987 – Fin 2010

Dans le cadre de son action politique, l’ancien régime a toujours cherché à placer les siens dans les directions des équipes sportives.

Le « lobbying » sportif commence à voir le jour, le phénomène « slim Chiboub », le gendre de « Ben Ali » et le président de l’Espérance sportive de Tunis (EST), Sous sa présidence, le club a remporté 20 titres nationaux et internationaux, une influence totale des fonts, des sphères du fonctionnement du football, nomination d’arbitre, calendrier, sponsoring, le mercato, la circulation des joueurs entre les équipes… Les « Trabelsi », avec leur mainmise sur le Club Africain (CA). Les chaines de radio et le t télévision privés et étatiques ne dépassaient guère les 18 chaines tandis-que 38 hebdomadaires et quotidiens. Les propriétés des cinq stations de radio et des deux chaînes de télévision privée qui ont obtenu des licences de diffusion, entre 2003 et 2010, dans l’opacité la plus totale et sur la base de critères partisante, étaient soit des membres de la famille de Ben Ali, soit des personnalités proches du pouvoir[2], à titre d’exemple la fille de l’ancien président était la propriétaire de la radio « Shems Fm », l’époux de sa fille est le fondateur de la « radio Zitouna », les médias de masse en Tunisie sont devenus le porte-parole du régime en place. Cette diversité superficielle cache derrière elle un système de propagande pour le pouvoir en place et son chef, la ligne éditoriale des médias publics audiovisuelles et écrite (tv7, tv21, radio nationale, radio Monastir, journal Essabah, journal Le Temps…), sous la censure du pouvoir, la diffusion de telle ou telle information, la publication de tel ou telle article sont strictement contrôlés par directeurs d’établissements qui sont nominés à leur tour par le pouvoir. L’est ainsi que, les chaines privées (Nessma tv, Hannibal tv, Mosaique Fm, Jawhara Fm, journal Echourouk, journal Essarih…) étaient supervisées par l’ATCE (Agence Tunisienne de communication Extérieure). Cette agence détient son pouvoir par sa capacité de gérer sur le marché de la publicité publique, ou ceux qui obtiennent une part des annonces publicitaires.

Sous le règne de « Ben Ali », malgré la multiplication du nombre des stades, salles couvertes, nombres des joueurs licenciés… Le football étaient toujours sous le contrôle quasi-total du pouvoir en place ; si on examine les journaux on observe que le sport tout comme la politique occupe les en-têtes et les parties centrales de toute information[3]. Les masses médias, étaient aussi sous le contrôle direct de l’État, à titre d’exemple, dans le cadre d’une recherche que nous avons réalisé sur l’un des journaux pro-gouvernementaux, à travers le calcul des nombres de pages dédiées à l’activité sportive et publicitaire, nous avons collecté les données suivantes :

Tableau (1) : Évolution du nombre de pages dédiée à l’activité sportive et publicitaire

                          Variable

 

Mois et année

 

Nombre total des pages Activités sportives Pourcentage Publicité Pourcentage
Du 15/04/2008 au   20/04/2008                      (7 numéros) 381 60 15% 197 51%
Du 23/06/2009 au 28/06/2009                       (7 numéros) 349 57 16.3% 147 42%
Du 16/08/2010 au 20/08/2010                       (7 numéros) 384 69 18% 137 36%
Du 04/04/2011 au 21/04/2011                        (7 numéros) 367 66 18% 133 36%
Total 1481 252 17% 614 41%

La source : Centre de documentation nationale (CDN)

À travers cette tabulation, nous constatons une forte focalisation de l’information sportive et publicitaire qui occupe 58% des pages dans ce journal ; avec une courbe ascendante  de l’information sportive.

 À cet égard, le football tunisien a fait face à un lobbying sectoriel qui touche les secteurs, spécifiquement sportifs et médiatiques. Le sport est devenu un pari, devant la multiplication des intervenants dans la diffusion des activités sportives. Dans son article nommé « Sport et usages politiques du passé dans la Tunisie des débuts du XXIe siècle », Driss Abbassi met l’accent sur les enjeux des usages politiques dans le champ sportif, en comparant deux événements sportifs internationaux dans le contexte tunisien, ceux des jeux méditerranés en 2001, et le tournoi continental de la coupe l’Afrique des nations en 2004, l’or de la victoire finale de l’équipe tunisienne de football, le 14 février 2004, la photo du président tunisien brandissant la Coupe des nations avant de remettre le trophée au capitaine de l’Équipe nationale (…). Le mérite de cette victoire ne revient plus à l’œuvre sportive, mais à la nouvelle politique gouvernementale[4].Driss Abbassi met l’accent sur les enjeux des usages politiques dans le champ sportif, en comparant deux événements sportifs internationaux dans le contexte tunisien, ceux des jeux méditerranés en 2001, et le tournoi continental de la coupe l’Afrique des nations en 2004, l’or de la victoire finale de l’équipe tunisienne de football, le 14 février 2004, la photo du président tunisien brandissant la Coupe des nations avant de remettre le trophée au capitaine de l’Équipe nationale (…). Le mérite de cette victoire ne revient plus à l’œuvre sportive, mais à la nouvelle politique gouvernementale[5].

  • Le football post-révolution :

Avec spectacularisation du fait sportif, la Tunisie, ne fait pas l’exception. Le champ médiatique en Tunisie, se caractérise par l’abondance des chaines télévisées.  Juste après le 14 janvier 2011, on a vu l’évolution du nombre de radio et de chaines télévisées, le nombre est passé de 19 à 36 quant aux quotidiens et hebdomadaires “revues, magazines” le nombre a atteint 228. Les médias de masse ont créé le marché sportif, à titre d’exemple, en Tunisie il y a une grande concurrence entre les chaines télévisées concernant la diffusion des émissions sportives comme « Al Ahad Arriadi », « Swiaa sport », « Attesiaa sport » … Dont la publicité et le sponsoring, constituent des facteurs vitaux pour la continuité de ses émissions et les activités sportives. Les médias de masse ont fabriqué des héros nationaux, les joueurs de football sont devenus des vedettes, les footballeurs professionnels sont le plus souvent envisagés comme les supports de jeux de symbolisation et d’identifications (locales ou nationales)[6] ; on en trouve des idoles, comme « Hammadi Agerbi » et « Tarek Dhièb » l’ancien ministre de la jeunesse et de sport… Le footballeur incarne donc différentes formes d’individualité publique existantes dans la culture populaire, du héros national à « celui qu’on a vu à la télé »[7]. Où on trouve encore :

– Le héros national: Chokri Elwaerr et Zied Jaziri

– L’analyste sportif dans des émissions médiatiques, comme Amin Chermiti et Samir Sellimi.

– Personnages sportifs, invités dans des émissions «show», comme l’émission «Labès» diffusée par (Elhiwar Ettounsi).

– Acteurs dans des feuilletons ramadanesques, comme «Radi Jaaidi».

L’usage politique des sports, reste un champ loin des analyses sociologiques, surtout en ce qui concerne le monopole économique des politiciens sur le secteur médiatique, où on trouve que la plupart des propriétés de chaines télévisées sont d’origine politique : La majorité des chaînes de télévision ont effectivement un lien direct ou indirect avec un parti politique ou une personnalité politique : à titre d’exemple :

– Nebil Karoui, le fondateur et ancien PDG de Nessma TV, fait à présent partie des instances dirigeantes du parti Nidaa Tounes. (Président du parti politique « Qalb Tounes » Il a présenté sa candidature à l’élection présidentielle en 2019, son parti arrive deuxième avec 38 sièges aux élections législatives tunisiennes).

– Larbi Nasra, fondateur d’Hannibal TV, la première chaîne de télévision privée Tunisienne, a revendu ses parts avant de se lancer en politique. Il a créé un parti politique et s’est présenté à l’élection présidentielle de 2014.

 -La chaîne de télévision Al Hiwar Ettounsi a également une histoire étroitement liée à la politique. Elle a été créée sous l’Ancien régime par Tahar Ben Hassine, ancien opposant à Ben Ali qui a ensuite intégré le parti Nidaa Tounes.

– La chaîne Ettounsiya de Sami Fehri, ancien associé d’un membre du clan Ben Ali, est convoitée par une autre personnalité politique, l’homme d’affaires et président de l’UPL, Slim Riahi. C’est au milieu de cet imbroglio politico-médiatique que les deux chaînes fusionnent, après que Tahar Ben Hassine a vendu ses parts à la femme de Sami Fehri.

– Des chaînes lancées par des proches ou des sympathisants des islamistes voient le jour après la révolution. Zitouna TV puis Zitouna Hidaya sont ainsi lancées par Oussama Ben Salem, un cadre du parti Ennahdha.[8]

L’État tunisien détient plusieurs médias, la télévision nationale (établissement public), la radio nationale (établissement public), SNIPE (19% actionnaire), en plus, l’État gère plusieurs médias confisqués (voir “médias confisqués”).

L’enjeu politique et économique, domine le secteur sportif où la commercialisation de l’information et la spectacularisation du sport à travers les nouveaux médias, sont devenus des facteurs vitaux pour les activités sportives en Tunisie.

De ce point de vue, les rapports entre la politique et les médias sont l’un des domaines de recherche les plus importants qui doivent être abordés et démantelés sociologiquement, notamment en examinant l’impact politique sur le sport et la centralisation de la propriété des médias dans un groupe social associé au pouvoir.

Parmi les facteurs précédents, la question des implications possibles pour l’avenir des activités sportives en Tunisie est remise en question.

  1. Le rapport entre sports de masse et médias de masse :
  2. De la médiatisation à la spectacularisation des activités sportives :

 Le rapport entre médias de masse et sport de masse, est caractérisé par le rôle primordial des canaux de transmission :

  • La presse écrite : Des articles, des magazines sportifs (France football).
  • La radio : Programmes et informations sportives. (NRJ POUR LE SPORT).
  • La télévision : chaine spécialisée et émission sportive. (Bein sport).
  • Les nouveaux médias : Réseaux sociaux, chaines YouTube… (le replay).

Si les journaux et les radios ont joué un rôle essentiel dans le développement du sport, c’est cependant la télévision qui lui a donné sa dimension mondiale, avant d’entrer dans la médiatisation totale à travers les nouveaux médias, notamment les réseaux sociaux « Facebook et You tube ».

Le football attire de plus en plus des téléspectateurs suite à un fort bombardement médiatique ; séduit des sponsors qui achètent des temps d’antenne et de la visibilité en soutenant des sports très populaires, des compétitions reconnues, des équipes ou des individus remarquables[9]. Les facteurs économiques, ont dévié le sport de son aspect social à un pari, où la publicité, la spectacularisation, l’audimat… dicte et monopole l’orientation des spectateurs. L’enjeu économique est la marchandisation de l’information, a transformé le football en un modèle d’investissement médiatique par la multiplication des chaines télévisées privées et cryptées, où en trouvent des milliers des chaines de télévision qui se sont spécialisées en sport, comme le géant Qatarien « bein sport ».

La spectacularisation est une mise en scène d’un match de football, dans lequel nous pouvons distinguer plusieurs acteurs :

  • Les joueurs
  • Les spectateurs
  • Les responsables sportifs
  • Les organisateurs
  • Les investisseurs
  • Les sponsors

Avec le professionnalisme du sport, les paris se sont multipliés, transformant le domaine du sport en une arène de conflit de stratégies, alors que les acteurs tentent de réaliser des gains, des profits et diverses influences. Prenant l’exemple du « Paris Saint-Germain Football Club », le PSG est vendu en 2011 au Qatar Sports Investments (QSI), une filiale du fonds souverain qatarien Qatar Investment Authority (QIA). L’homme d’affaires et ex-tennisman qatarien Nasser Al-Khelaïfi devient alors le président-directeur général du club et lui injecte des moyens financiers très importants qui permettent d’acheter des joueurs parmi les plus chers au monde, tels « Neymar » et « Kylian Mbappé » en 2017 ou « Lionel Messi » en 2021. Le PSG devient alors un club d’une dimension mondiale[10], avec un budget estimé qui dépasse le 500 M€ pour la saison 2021/2022[11]. Le football est devenu une façade pour l’action politique en raison de sa popularité ; l’organisation du Mondial 2022 de footballs a été confiée au Qatar, Cinq pays étaient candidats pour l’organisation, l’Australie, le Japon, le Qatar, la Corée du Sud et les États-Unis, la concurrence sur l’organisation de la Coupe du Monde s’est transformée en pari politique, visant à polir l’image des régimes en place.

À l’ère des nouveaux médias numérique, l’information sportive domine le champ médiatique par la présence des activités liées au sport dans tous les genres audiovisuels ; bien que la télévision ait perdu du terrain au profit des nouveaux supports, notamment les réseaux sociaux (Facebook et twitter), l’information sportive a gagné plus de terrain et devenu de plus en plus un produit vital pour le sport, où le football est devenu un phénomène social de masse. Depuis que le spectacle sportif a pris ses marques et imposé ses exigences dans la programmation télévisuelle, il semble patent que le sport et les médias, en jouant de cette double dérivation, se servent mutuellement. Les médias (sup)portent les compétitions sportives, et les compétitions sportives (sup)portent les médias[12].

Le football joue un rôle primordial pour la viabilité des entreprises liées aux médias ; aussi, les médias de masse ont joué un rôle essentiel dans la transition de l’activité sportive du local à l’échelle universelle, de l’amateurisme au professionnalisme.

Les nouvelles techniques audiovisuelles a changé le statut des foyers, d’un espace intime familial, à un espace spectaculaire et l’ont transformé à un stade virtuel le moment de diffusion des évènements sportifs, à titre d’exemple, la coupe du monde, la coupe d’Afrique et champion ligue, … et surtout quand l’évènement sportif concerne un personnage célèbre à l’échelle mondiale comme « Lionel Messi », « Diego Armando Maradona », « Roberto Bajio », « Cristiano Ronaldo », « Michel Platini »… la médiatisation de football est un moyen de propagation et de création de modèles et des idoles internationaux, en transférant le football du « stade » à la  dimension « religieuse » ; à titre d’exemple « l’Église maradonienne » est un mouvement religieux lié au culte de l’ancien footballeur argentin Diego Maradona, Elle possède actuellement entre 80 000 et 100 000 adeptes dans plus de soixante pays, à Noël maradonienne, célébrant la naissance de Maradona, est fêtée la veille du jour de sa naissance, le 29 octobre; les Pâques maradoniennes, le 22 juin, en l’honneur du match de l’Argentine face à l’Angleterre lors de la coupe du monde le 22 juin 1986 au Mexique ; ce jour-là, Maradona marqua le « but du siècle » ainsi que la main de Dieu[13].

Les médias de masse et le sport de masse, sont donc sortis de leurs stricts champs respectifs pour engendrer, dans un mouvement devenu commun, une puissance d’adhésion inouïe, irrésistible, capable de capter et d’orienter en un court moment la conscience de multitudes immenses en la modelant à une vision du monde et en tant que nouvelle vision du monde.

Les nouveaux médias ont transformé le sport à travers les écrans, d’une scène spectaculaire liée à l’espace local, vers une scène spectaculaire visuelle mondialisée, caractérisée par « le direct » et l’instantanéité de l’information sportive à travers toutes les formes audiovisuelles possibles (vidéo, images, audio, replay…). Le football n’intéresse pas seulement les pouvoirs politiques, mais il fascine également tous les habitants du globe.

  1. 2 Le football Tunisien « Un pari économique » :

Les compétitions sportives constituent une matière riche pour les masses médias en Tunisie, où ils entretiennent avec le football des rapports de plus en plus étroit à travers la diffusion d’un sport de masse et produise des images commerciales.

Les matchs de football se sont transformés en spectacle porté par les médias, accompagné de paris qui transforme les matchs en un moyen de profit financier.

Un match de football comme le (Derby) entre l’EST et le CA, est devenu un produit et un pari économique pour les équipes sportives et les masses médias en raison des énormes retours financiers derrière la vente de billets de match, des maillots des clubs, et d’abonnements annuels ; l’achat de temps d’antenne à des fins publicitaires, les annonceurs sont prêts à payer des prix élevés pour acheter les espaces publicitaires. Le football est devenu un pari économique puisque le producteur et le consommateur se retrouvent dans le même espace (le stade), qui constituent un espace publicitaire efficace, car le terrain de football contient :

 –  Des bandes Publicitaires qui entourent le terrain.

 –   Logos des marques internationales sur les maillots des deux clubs et leurs chaussures de sport.

 – bandes d’annonces publicitaires entre les mi-temps du match.

–   Clips publicitaires pendant la diffusion de la partie.

Le football est devenu un produit soumis à la loi du marché et au principe de l’offre et de la demande. Le sport s’est transformé en arène de concurrence économique à travers les contrats publicitaires et sponsoring, et la diffusion exclusive des parties, ce qui a entraîné le gonflement des budgets de certains clubs ; à titre d’exemple, le « Club Africain » avait, signé en août 2020, le plus grand contrat de sponsoring de l’histoire du club avec la compagnie aérienne Qatar Airways pour quatre ans (saison 2020-2021 jusqu’à la fin de la saison 2023-2024). D’un montant de 8 millions de dollars (24 millions de dinars environ). Les budgets des clubs tunisiens ont atteint des chiffres historiques :

– Espérance sportive de Tunis (EST): 17.3 M d’euros.

– Étoile Sportive du Sahel (ESS): 18,5 M d’euros.

– Club Sportif Sfaxien (CSS): 20 MD

Puisque le sport leur procure des recettes et de l’audience, les chaînes sont prêtes à payer pour acheter les droits de diffusion du sport, procurant ainsi des recettes au mouvement sportif[14]. En novembre 2021, la chaine « Baya Tv », a annoncé qu’elle retransmettra les matchs du championnat tunisien de la Ligue 1 après la signature d’un contrat, dont la somme est égale à 2 millions de dinars.   Le football est présenté aujourd’hui comme un article soumis aux règles et aux exigences du marché. Les médias ont contribué à la mondialisation du football en en faisant une forme de langage universel, un langage maîtrisé et compris par le monde entier.

Cependant, la dépendance du football Tunisiens aux facteurs médiatiques, économiques et politiques, a engendré des phénomènes qui ont accompagné sa massification et sa spectacularisation. Les mouvements « Ultras », qui ont marqué les matchs de football par leur présence permanente.

  1. Les mouvements « Ultras », un phénomène mondial :
  2. 1. L’Ultras mondial :

      L’approche sociologique du sport et plus particulièrement les sports de masses, part de différents angles et de multiples points de vue. À cet égard, l’obsession des footballeurs professionnels par la victoire, a joué un rôle essentiel de faire du stade un espace violent et de transmettre cette sensation du terrain aux tribunes. Là, dans les tribunes situées derrière les buts, étaient regroupés les ; supporteurs les plus jeunes, les plus démunis et les plus enthousiastes, ceux qui ont introduit le nouveau répertoire des chants et qui ont instauré la distinction entre homes end (supporters locaux) et away end (visiteurs), c’est-à-dire la définition de territoires exclusifs dans le stade[15].

Le football peut être étudié à travers quatre formes spécifiques d’activité sportive :

  • Forme économique : recherche des plus grands profits.
  • Forme politique : utilisation les succès sportifs et leurs rapports au pouvoir.
  • Format médiatique : la recherche du plus grand profit.
  • Forme religieuse : la transformation du stade en espace pour exercer des cérémonies religieuses.

La relation entre le fan ou mouvement « Ultras » avec le club, est une relation qui va au-delà de celle d’un public à une équipe de football, mais une relation qui repose principalement sur la passion et les souvenirs, à travers lesquels le membre de mouvement donne un sens à son existence.

En ce sens, le stade se transforme en une arène de conflit entre les mouvements « Ultras » d’une équipe ou d’une autre et la violence domine l’espace. La cérémonie se transforme vers un drame comme celle du « Heysel », survenu le 29 mai 1985 au Stade du Heysel de Bruxelles (Belgique), est l’une des tragédies les plus marquantes liées à une manifestation sportive, et due à l’hooliganisme.

Il eut lieu à l’occasion de la finale de Coupe d’Europe des clubs champions 1984-1985 entre Liverpool et la Juventus lorsque des grilles de séparation et une mure s’effondrèrent sous la pression et le poids de supporteurs, faisant 39 morts et plus de 400 blessés. C’est à ce titre l’une des principales catastrophes de la Belgique.

La violence dans le football peut être identifiée sous quatre formes :

– Supporter d’une équipe envers les supporterus de l’équipe adverse.

– Des groupes « Ultras » contre des groupes « Ultras » de l’équipe adverse. Un groupe « Ultras » contre un autre groupe « Ultras » de la même équipe.

– Groupes « Ultras » envers les forces de sécurité.

Où se transforme l’espace en scène de violence caractérisée par l’intolérance des mouvements « Ultras » ce qui mène souvent à des conflits et à des actes violents, quel que soit le résultat du match. Le stade se transforme en espace théâtral spectaculaire, où chaque acteur joue son rôle. Le phénomène sportif, dans ses dimensions locale, nationale ou internationale, est le théâtre d’événements dont le caractère politique est mis en évidence par les processus complexes de médiatisation du sport[16].

Le sport est devenu paradoxal, il a bel et bien été désorienté de ses objectifs de base, tel que :

– Maintenir la cohésion et la paix sociale.

– La capacité de soulager les pressions sociales.

– Convergence des cultures et des peuples.

Il s’est transformé en un espace de violence lors des compétitions sportives et est une cause majeure de ségrégation, Il y a une violence spécifique au football parce qu’il y a une cause à défendre et une communauté à construire. Car la communauté des supporteurs est un acte de volonté, et non le simple constat d’une expérience commune. Évoquer le supportérisme consiste souvent à en parler comme de l’expression d’une identité culturelle ou sociale spécifique dont l’équipe de football serait partie intégrante[17].

  1. 2. Les mouvements « Ultras » en Tunisie :

      Avant le 14 janvier 2011, le déterminant le plus important de la violence à l’intérieur des stades tunisiens est la protestation politique et la rébellion contre les forces d’ordre, en échange d’une loyauté absolue envers l’équipe sportive. Les ultras cherchent à pousser le supporterisme à l’extrême : c’est-à-dire à mettre la meilleure ambiance possible, à suivre leur club lors de tous les matchs, à domicile comme à l’extérieur, à se comporter en fanatiques, à être l’élite des supporteurs. Ils sont également extrémistes dans leur conception du football : rejetant la morale du fair-play, ils le perçoivent comme un combat entre deux camps. Ils n’hésitent donc pas à insulter les adversaires et les arbitres pour favoriser leur équipe. Et ils sont prêts à en découdre physiquement avec les supporteurs adverses si l’« honneur » de leur club ou de leur groupe leur paraît en jeu : néanmoins, contrairement aux hooligans, ils ne recherchent pas la violence à tout prix[18]. La violence à l’intérieur des stades devient un moyen de souligner la loyauté et l’attachement au club sportif, transformant le fan en défenseur des intérêts de son équipe même si à travers la violence.

Le stade est un espace d’expression de la loyauté envers le club à travers un certain nombre d’expressions :

  • Répéter les mêmes slogans.
  • Portez les mêmes maillots.
  • Être dans les mêmes gradins.

Être sur le terrain avec le groupe renforce le sentiment d’appartenance, en Tunisie il existe de nombreux mouvements « Ultras », la même équipe peut inclure plus d’un groupe, on peut citer :

  • Ultras L’EMKACHKHINES.
  • African Winners.
  • Leaders Clubistes
  • Brigade Rouge.
  • Black and White Fighters.
  • Bardo Boys

Pour les mouvements « Ultras », le stade est un espace de rejet, tel que lever de bannières, dessins géants, chansons… à titre d’exemple une chanson qui parle de la vie d’un “Ultra”, la vie de CA partisan. « AFRICAN WINNERS » Les formes de violences à l’intérieur du stade sont ramifiées en :

  • Violence symbolique : bannières ou maillot au contenu hostile.
  • Violence verbale : chansons avec des mots hostiles.
  • Violence physique : L’échange de violence sur le terrain entre les joueurs, entre les entraîneurs… Ou sur les tribunes entre les mouvements ultras concurrents…

Conclusion :

 Dans cet article, nous avons abordé un certain nombre de problèmes de recherche posés par la relation entre le sport de masse et les mass médias en Tunisie. À travers le football en tant que sport populaire. Le démarrage effectif de l’activité footballistique en Tunisie après l’indépendance s’est accompagné par l’émergence de la violence à l’intérieur des stades.

La violence qui accompagne les matchs de football, a pris une tendance à la hausse, surtout après la transformation du football vers le professionnalisme et le développement auquel nous avons assisté à travers la retransmission télévisée des matchs. Cette transition fait du football un pari politique et économique. Au temps de Ben Ali, le pouvoir prend le contrôle des clubs sportifs et en fait des institutions familiales destinées à peaufiner le système et à attribuer tous victoires à la sagesse et aux directives du président. Ce contrôle politique et économique a fait du terrain de football un espace de rejet par les supporteurs, en particulier les ultras, et a transformé les parties de football en arène de violence en particulièrement envers les forces de l’ordre.

Après le 14 janvier 2011, et face à la violence des groupes ultras, l’autorité a imposé le huis-clos, la spectacularisation des matchs de football et les bénéfices financiers qui en découlent provenant de la publicité y sont consacrés. Devant la fermeture des stades, les cafés en Tunisie ont remplacé ces derniers. Ainsi, le café est devenu un où les mouvements « Ultras » pratiquent leurs célébrations et du fait, la violence a viré vers le café.  Cette transition d’un espace à l’autre est principalement le résultat d’un chevauchement entre le football et l’acteur politique et économique. D’une part, le rôle des médias dans la retransmission des matchs sportifs a enflé, et d’une autre part, l’acteur politique s’est débarrassé d’un espace (le stade) caractérisé par une capacité exceptionnelle à mobiliser les foules, notamment devant le dédoublement du nombre de mouvements « Ultras » en Tunisie.

Liste Bibliographique :

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  • https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89glise_maradonienne, consulté le 19/05/2022.

[1] https://www.ftf.org.tn/fr/fiche-signalitique/ consulté le 12/07/2022

[2] Etude sur le développement des médias en Tunisie basée sur les Indicateurs de développement des médias en Tunisie, UNESCO, 2012, p 55.

[3] Hafsi Bedhioufi, Sinda Ayachi, Imen Ben Amar. L’institution sportive : rêve et illusion. Revue horizon, 2010, 12 pp. ffhalshs-00817323f, p 2.

[4] Abbassi, Driss. Sport et usages politiques du passé dans la Tunisie des débuts du XXIe siècle. Politique et Sociétés, (2007).  26(2-3), 125–142. https://doi.org/10.7202/017667ar, p 139.

[5] Abbassi, Driss. Sport et usages politiques du passé dans la Tunisie des débuts du XXIe siècle. Politique et Sociétés, (2007).  26(2-3), 125–142. https://doi.org/10.7202/017667ar, p 139.

[6] Bertrand, Julien. « Se préparer au métier de footballeur : analyse d’une socialisation professionnelle », Staps, 2008/4 n° 82, p. 29-42. DOI : 10.3917/sta.082.0029, p 41.

[7] Patrick Mignon, Les deux performances : ce que les médias ont fait des sportifs, Article publié dans : Le temps des médias, 2007/2008, n°9, pp.149-163, p 1.

[8] https://tunisia.mom-rsf.org/fr/resultats/affiliations/ consulté le 04/05/2022

[9] Patrick Mignon, idem, p 3.

[10] https://fr.wikipedia.org/wiki/Paris_Saint-Germain_Football_Club /consulté le 25/06/2023

[11]https://sportbusiness.club/quels-sont-les-budgets-des-clubs-de-ligue-1-pour-la-saison-2021-2022%E2%86%93/ consulté le 21/06/2023

[12] Derèze Gérard. De la médiatisation des grandes compétitions sportives. In : Communications, 67, 1998. Le spectacle du sport. pp. 33-43 ; doi : https://doi.org/10.3406/comm.1998.2014, p36. https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1998_num_67_1_2014

[13] https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89glise_maradonienne /consulté le 19/05/2022.

[14] Jean-François Nys, Les relations économiques entre le sport et les médias : entre complémentarité et ambiguïté, Victoires éditions | « LEGICOM »,2000/3 N° 23 | pages 1 à 14 ISSN 1244-9288, DOI 10.3917/legi.023.0001, p 5.

[15] Mignon Patrick. Supporters ultras et hooligans dans les stades de football. In : Communications, 67, 1998. Le spectacle du sport. pp. 45-58 ; doi : https://doi.org/10.3406/comm.1998.2015, p 45. https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1998_num_67_1_2015

[16] Marois, M. Sport, violence et politique : prologue à une interprétation, politique du sport et de la violence des foules sportives. Politique, (1988). (14), 37–61. https://doi.org/10.7202/040600ar, p 37.

[17] Mignon Patrick. Idem, p 51.

[18] Hourcade Nicolas. Les groupes de supporters ultras. In: Agora débats/jeunesses, 37, 2004. Sports et identités. pp. 32-42 ; doi : https://doi.org/10.3406/agora.2004.2193 https://www.persee.fr/doc/agora_1268-5666_2004_num_37_1_2193, p 33.

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